Procédure devant la Cour :
Par une requête enregistrée le 23 avril 2018, M. A..., représenté par Me C..., demande à la Cour :
1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Nîmes ;
2°) d'annuler l'arrêté du préfet de Vaucluse du 6 mars 2018 ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 1 000 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.
Il soutient que :
- il n'a pas pu présenter des observations en méconnaissance des principes généraux du droit de l'Union européenne ;
- la décision contestée est entachée d'erreur manifeste d'appréciation ;
- elle méconnaît l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le préfet a méconnu l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.
Par un mémoire enregistré le 23 juillet 2018, le préfet de Vaucluse conclut au rejet de la requête et à ce qu'une somme de 1 000 euros soit mise à la charge de M. A... au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que les moyens invoqués ne sont pas fondés.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Le rapport de Mme D... Steinmetz-Schies, président-assesseur, a été entendu au cours de l'audience publique.
Considérant ce qui suit :
1. M. A..., né le 1er septembre 1985, de nationalité turque, a déclaré être entré irrégulièrement sur le territoire français et a demandé à bénéficier de l'asile. L'office français de protection des réfugiés et apatrides a rejeté ses demandes les 16 décembre 2008 et 2 décembre 2010, décisions confirmées par la Cour nationale du droit d'asile les 20 avril 2009 et 22 septembre 2011. Il a été interpellé le 6 mars 2018, en situation irrégulière, sur un chantier de construction à Carpentras. Par un arrêté du 6 mars 2018, le préfet de Vaucluse l'a obligé à quitter le territoire français, sans délai, à destination de son pays d'origine.
Sur le bien-fondé du jugement attaqué :
2. En premier lieu, ainsi que l'a jugé la Cour de justice de l'Union européenne dans ses arrêts C-166/13 et C-249/13 des 5 novembre et 11 décembre 2014, le droit d'être entendu préalablement à l'adoption d'une décision de retour implique que l'autorité administrative mette le ressortissant étranger en situation irrégulière à même de présenter, de manière utile et effective, son point de vue sur l'irrégularité du séjour et les motifs qui seraient susceptibles de justifier que l'autorité s'abstienne de prendre à son égard une décision de retour. Il n'implique toutefois pas que l'administration ait l'obligation de mettre l'intéressé à même de présenter ses observations de façon spécifique sur la décision l'obligeant à quitter le territoire français ou sur la décision le plaçant en rétention dans l'attente de l'exécution de la mesure d'éloignement, dès lors qu'il a pu être entendu sur l'irrégularité du séjour ou la perspective de l'éloignement. Il ressort des pièces du dossier que M. A... a été entendu préalablement à l'édiction de la mesure contestée, comme en témoigne son procès-verbal d'audition du 6 mars 2018 signé par l'intéressé dans le cadre de la procédure de retenue instituée par les dispositions de l'article L. 611-1-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. A cette occasion, assisté d'une interprète en langue turque, il a été informé de ce qu'une mesure d'éloignement était susceptible d'être prise à son encontre et il a pu présenter toutes les observations qu'il jugeait utiles. Par suite, le moyen tiré de la méconnaissance du principe du contradictoire et de l'article 41 de la charte sur les droits fondamentaux de l'Union européenne doit être écarté.
3. En deuxième lieu, aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. / 2. Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui ".
4. M. A... fait valoir qu'il réside en France depuis de nombreuses années, qu'il est le père d'un enfant né en France et qu'il vit en concubinage avec une ressortissante turque, enceinte à la date de l'arrêté contesté. Toutefois, la compagne de l'intéressé, elle-même en situation irrégulière, n'a pas vocation à rester sur le territoire français, et rien ne s'oppose à ce que ses enfants nés d'une précédente relation, en bas âge, l'accompagnent dans son pays d'origine. Par ailleurs, le requérant ne fait état d'aucune attache particulière sur le territoire français, alors que demeurent ...en Turquiesa mère et ses soeurs. Dans ces conditions, il ne ressort pas des pièces du dossier que le préfet de Vaucluse, en obligeant le requérant à quitter sans délai le territoire français, aurait porté au droit de l'intéressé au respect de sa vie privée et familiale une atteinte disproportionnée aux buts en vue desquels cette décision a été prise. Par suite, le moyen tiré de ce que la décision contestée aurait été édictée en méconnaissance de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales doit être écarté.
5. En troisième lieu, aux termes de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants ". L'autorité administrative chargée de prendre la décision fixant le pays de renvoi d'un étranger a l'obligation de s'assurer, au vu du dossier dont elle dispose et sous le contrôle du juge, que les mesures qu'elle prend n'exposent pas l'étranger à des risques sérieux pour sa liberté ou son intégrité physique, non plus qu'à des traitements contraires à l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.
6. Si M. A... fait valoir qu'il est kurde, qu'il n'a pas effectué son service militaire et que, du fait de son adhésion à un parti politique autonomiste, il serait exposé à des risques en cas de retour en Turquie, il n'assortit pas ses allégations de précisions et de justifications probantes pour établir le caractère actuel et personnel de ces risques, dont l'Office français de protection des réfugiés et apatrides et la Cour nationale du droit d'asile n'ont d'ailleurs pas retenu l'existence. Ainsi, le moyen tiré de ce que la décision fixant le pays de renvoi méconnaîtrait les stipulations de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ne peut être accueilli.
7. En quatrième lieu, pour l'ensemble des motifs qui viennent d'être énoncés, le préfet de Vaucluse n'a pas commis d'erreur manifeste dans l'appréciation des conséquences de sa décision sur la situation personnelle et familiale de M. A....en Turquie
8. Il résulte de tout ce qui précède que M. A... n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Nîmes a rejeté sa demande d'annulation de l'arrêté du 6 mars 2018.
Sur les frais liés au litige :
9. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et les articles 37 et 75 de la loi du 10 juillet 1991 s'opposent à ce que la somme réclamée par M. A... au titre des frais exposés par lui et non compris dans les dépens soit mise à la charge de l'Etat, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance. Il n'y a pas lieu de faire droit aux conclusions présentées à ce même titre par le préfet de Vaucluse, qui au demeurant ne justifie pas de dépenses excédant les charges de fonctionnement normales de ses services.
D É C I D E :
Article 1er : La requête de M. A... est rejetée.
Article 2 : Les conclusions du préfet de Vaucluse tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à M. B... A...et au ministre de l'intérieur.
Copie en sera adressée au préfet de Vaucluse.
Délibéré après l'audience du 24 septembre 2018, où siégeaient :
- M. David Zupan, président,
- Mme D... Steinmetz-Schies, président-assesseur,
- M. Philippe Grimaud, premier conseiller.
Lu en audience publique le 8 octobre 2018.
N° 18MA01910 4