Procédure devant la Cour :
Par une requête et un mémoire, enregistrés le 6 février 2019 et le 13 juin 2019, Mme D..., représentée par Me E..., demande à la Cour :
1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Montpellier du 20 décembre 2018 ;
2°) de mettre à la charge de Voies Navigables de France une somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- le tribunal administratif a méconnu son office en ne procédant pas au contrôle de proportionnalité de la mesure d'expulsion au regard de sa situation personnelle alors qu'il y était tenu en application de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme ;
- au regard tant de son état de santé que de sa situation financière, la mesure d'expulsion sans délai prononcée par le tribunal administratif méconnaît les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.
Par des mémoires en défense, enregistrés le 19 août 2019 et le 7 novembre 2019, Voies navigables de France, représenté par Me B..., conclut à titre principal au prononcé d'un non-lieu sur les conclusions de la requête, à titre subsidiaire à son rejet, et enfin à ce que soit mise à la charge de Mme D... une somme de 2 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
- la requête est devenue sans objet, Mme D... ayant quitté les lieux ainsi qu'en atteste un procès-verbal dressé par un huissier de justice le 10 octobre 2019 ;
- la requête est irrecevable faute d'avoir été présentée par ministère d'avocat ;
- les moyens soulevés par Mme D... ne sont pas fondés.
Mme D... a été admise au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 29 mars 2019.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le code du domaine public fluvial et de la navigation intérieure ;
- le code général de la propriété des personnes publiques ;
- la loi n° 90-1168 du 29 décembre 1990 portant loi de finances pour 1991, notamment son article 124 ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- l'ordonnance n° 2006-460 du 21 avril 2006 ;
- le décret n° 91-796 du 20 août 1991 relatif au domaine confié à Voies navigables de France par l'article 124 de la loi de finances pour 1991 ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. A...,
- et les conclusions de M. Chanon, rapporteur public.
Considérant ce qui suit :
1. Mme D... a été autorisée par Voies navigables de France à occuper la maison éclusière dite de " la Méditerranée " située sur la rive gauche du canal du Midi sur le territoire de la commune de Mas-Saintes-Puelles, par une convention d'occupation temporaire du domaine public dont le terme était fixé au 30 septembre 2015. Par un courrier du 26 août 2015, l'établissement public lui a confirmé sa volonté de ne pas renouveler cette convention d'occupation. Après avoir fait dresser plusieurs constats d'occupation sans titre du domaine public fluvial au cours de l'année 2016, Voies navigables de France a déféré Mme D... au tribunal administratif de Montpellier comme prévenue d'une contravention de grande voirie, sur la base d'un procès-verbal dressé le 13 avril 2017. Par un jugement du 25 janvier 2018, le tribunal a, d'une part, infligé à l'intéressée une amende de 150 euros et, d'autre part, lui a enjoint de quitter la maison éclusière dans le délai de deux mois à compter de la notification du jugement sous astreinte de 50 euros par jour de retard. Mme D... n'ayant pas exécuté ce jugement ni déféré à une nouvelle mise en demeure, Voies navigables de France a demandé au tribunal administratif de Montpellier d'ordonner l'expulsion de l'intéressée. Par un jugement du 20 décembre 2018, le tribunal administratif de Montpellier a enjoint à Mme D... de libérer sans délai le logement qu'elle occupait sans droit ni titre et a autorisé Voies Navigables de France à faire procéder à son expulsion, à ses frais, risques et périls, en recourant à l'intervention d'un huissier, d'un serrurier et de toute personne dont l'assistance serait utile, au besoin avec le concours de la force publique. Mme D... relève appel de ce jugement.
Sur les conclusions aux fins de non-lieu présentées par Voies navigables de France :
2. Il résulte de l'instruction qu'à la date du présent arrêt Mme D... a quitté la maison éclusière de " la Méditerranée " qu'elle occupait sans droit ni titre. Ainsi, un huissier de justice, après avoir fait ouvrir les locaux, a constaté qu'à la date du 10 octobre 2019 il ne restait plus dans les lieux que des meubles sans aucune valeur vénale ou même d'usage et qu'ils étaient vides de toutes affaires personnelles. Si en invoquant la méconnaissance des stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, l'intéressée a entendu solliciter la fixation d'un délai de départ volontaire pour quitter les lieux, de telles conclusions sont désormais dépourvues d'objet. Par suite, il n'y a pas lieu d'y statuer.
3. En, revanche, la circonstance qu'en exécution de l'injonction prononcée à son encontre par le jugement attaqué, Mme D... n'occupe plus la maison éclusière en litige, ne rend pas sans objet ses conclusions dirigées contre ce jugement en tant qu'il ordonne son expulsion de ces locaux. Dès lors, Voies navigables de France n'est pas fondé à soutenir qu'il n'y aurait plus lieu de statuer sur ces dernières conclusions.
Sur le bien-fondé du jugement :
4. D'une part, aux termes de l'article L. 2111-1 du code général de la propriété des personnes publiques, dont la partie législative est issue de l'ordonnance du 21 avril 2006 relative à la partie législative du code général de la propriété des personnes publiques : " Sous réserve de dispositions législatives spéciales, le domaine public d'une personne publique mentionnée à l'article L. 1 est constitué des biens lui appartenant qui sont soit affectés à l'usage direct du public, soit affectés à un service public pourvu qu'en ce cas ils fassent l'objet d'un aménagement indispensable à l'exécution des missions de ce service public ". Aux termes de l'article L. 2141-1 du même code : " Un bien d'une personne publique mentionnée à l'article L. 1, qui n'est plus affecté à un service public ou à l'usage direct du public, ne fait plus partie du domaine public à compter de l'intervention de l'acte administratif constatant son déclassement ". Aux termes de l'article 13 de l'ordonnance du 21 avril 2006, ces dispositions sont entrées en vigueur le 1er juillet 2006.
5. Avant l'entrée en vigueur, le 1er juillet 2006, de la partie législative du code général de la propriété des personnes publiques, l'appartenance d'un bien au domaine public était, sous réserve de dispositions législatives spéciales et sauf si ce bien était directement affecté à l'usage du public, subordonnée à la double condition qu'il ait été affecté à un service public et spécialement aménagé en vue du service public auquel il était destiné. En l'absence de toute disposition en ce sens, l'entrée en vigueur de ce code n'a pu, par elle-même, entraîner le déclassement de dépendances qui appartenaient antérieurement au domaine public et qui, depuis le 1er juillet 2006, ne rempliraient plus les conditions désormais fixées par son article L. 2111-1.
6. D'autre part, en vertu du I de l'article 124 de la loi du 29 décembre 1990 de finances pour 1991, l'établissement public Voies navigables de France s'est vu confier l'exploitation, l'entretien, l'amélioration, l'extension des voies navigables et de leurs dépendances et la gestion du domaine de l'Etat nécessaire à l'accomplissement de ses missions. Selon l'article 1er du décret du 20 août 1991 susvisé, le domaine de l'Etat confié à Voies navigables de France en application de ces dispositions est celui défini à l'article 1er du code du domaine public fluvial et de la navigation intérieure alors en vigueur. La liste des canaux appartenant au domaine public fluvial de l'Etat confié à Voies navigables de France en application de l'article 1er de ce décret comprend, selon l'arrêté ministériel du 24 janvier 1992, le canal du Midi. En vertu des dispositions de l'article 1er du code du domaine public fluvial et de la navigation intérieure dans sa rédaction en vigueur à la date du transfert des canaux appartenant au domaine public fluvial de l'Etat à Voies navigables de France, le domaine public fluvial : " comprend : (...) - les rivières canalisées, les canaux de navigation, (...) et autres dépendances (...) - Les ouvrages publics construits dans le lit ou sur les bords des voies navigables ou flottables pour la sûreté et la facilité de la navigation ou du halage (...) ".
7. En, premier lieu, il est constant que la maison éclusière de " la Méditerranée " objet du litige, construite sur les bords du canal du Midi, appartenait au domaine public fluvial de l'Etat en vertu de l'article 1er du code du domaine public fluvial et de la navigation intérieure. Sa gestion a été confiée à l'établissement public Voies navigables de France en application du I de l'article 124 de la loi du 29 décembre 1990 de finances pour 1991 et des textes pris pour son application. Cette maison a ainsi été incorporée au domaine public antérieurement au 1er juillet 2006. Si selon les indications de Voies navigables de France elle a par la suite perdu sa vocation éclusière pour devenir une " maison de service ", cette circonstance n'a pas été de nature à faire perdre à cette dépendance son caractère de domanialité publique, en l'absence de décision expresse de déclassement. Ainsi, à la date du présent arrêt, la maison en litige fait partie du domaine public dont la gestion est confiée à Voies navigables de France et la juridiction administrative est compétente pour ordonner l'expulsion de son occupante sans droit ni titre.
8. Il résulte, en deuxième lieu, de l'instruction que la convention d'occupation du domaine public dont bénéficiait Mme D... est arrivée à expiration le 30 septembre 2015 et n'a pas été renouvelée. L'intéressée est donc, depuis cette date, occupante sans droit ni titre de la maison éclusière de la Méditerranée. Dès lors, elle n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que le tribunal administratif à ordonner son expulsion de ces locaux.
9. En troisième lieu, si les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales peuvent être utilement invoquées lorsqu'il s'agit de fixer le délai imparti aux occupants sans droit ni titre d'une dépendance du domaine public afin de quitter les lieux, elles sont inopérantes à l'encontre de la décision prononçant leur expulsion de cette dépendance. Par suite, si Mme D... soutient qu'en raison de son état de santé dégradé et de sa situation financière particulièrement difficile son expulsion de la maison éclusière de la Méditerranée du domaine public porte atteinte aux stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, un tel moyen est inopérant à l'encontre du jugement attaqué en tant qu'il prononce son expulsion.
10. Il résulte de ce qui précède et sans qu'il soit besoin de statuer sur la fin de non-recevoir opposée Voies navigables de France, que Mme D... n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Montpellier lui a enjoint de libérer le logement qu'elle occupait.
Sur les frais liés au litige :
11. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'une somme soit mise, à ce titre, à la charge de Voies navigables de France, qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de Mme D... la somme que demande Voies navigables de France à ce titre.
D É C I D E :
Article 1er : Il n'y a pas lieu de statuer sur les conclusions de la requête en tant qu'elles tendent à la fixation d'un délai de départ volontaire afin de quitter les lieux.
Article 2 : Le surplus des conclusions de la requête de Mme D... est rejeté.
Article 3 : Les conclusions présentées par Voies navigables de France au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à Mme F... D..., à Voies navigables de France et à Me E....
Délibéré après l'audience du 22 novembre 2019, où siégeaient :
- M. Pocheron, président de chambre,
- M. A..., président assesseur,
- Mme C..., première conseillère.
Lu en audience publique, le 6 décembre 2019.
2
N° 19MA00557
bb