Procédure devant la Cour :
Par une requête et un mémoire, enregistrés le 20 février 2020 et le 7 mai 2020, M. D..., représenté par Me E..., demande à la Cour :
1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Nice du 28 janvier 2020 ;
2°) d'annuler la décision du 29 septembre 2017 de la ministre du travail en tant qu'elle autorise son licenciement ;
3°) de mettre à la charge de la société Laboratoires Arkopharma la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
- la diminution des parts de marché de la société Laboratoires Arkopharma dans un marché des compléments alimentaires en pleine extension ne suffit pas à établir l'existence d'une menace pesant sur la compétitivité de l'entreprise ;
- à supposer que l'existence d'une telle menace soit établie, la proposition d'un nouveau contrat de travail qui lui a été faite en sa qualité d'attaché commercial sur un autre secteur n'est pas au nombre des mesures susceptibles de restaurer cette compétitivité ;
- en se bornant à lui proposer son propre poste et les postes des autres attachés commerciaux de la société ayant refusé la modification de leur contrat de travail à de nouvelles conditions, la société n'a pas satisfait à son obligation de reclassement.
Par un mémoire en défense, enregistré le 9 avril 2020, la société Laboratoires Arkopharma, représentée par Me B..., conclut au rejet de la requête et à ce que la somme de 5 000 euros soit mise à la charge de M. D... au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que les moyens soulevés par M. D... ne sont pas fondés.
La clôture immédiate de l'instruction a été prononcée par ordonnance du 12 octobre 2020, en application des articles R. 611-11-1 et R. 613-1 du code de justice administrative.
Un mémoire présenté par la ministre du travail a été enregistré le 24 novembre 2020.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code de commerce ;
- le code du travail ;
- l'ordonnance n° 2017-1387 du 22 septembre 2017 ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. C...,
- les conclusions de M. Coutier, rapporteur public,
- et les observations de Me E..., représentant M. D..., et de Me B..., représentant la société Laboratoires Arkopharma.
Considérant ce qui suit :
1. La société Laboratoires Arkopharma a sollicité l'autorisation de licencier pour motif économique M. D..., salarié protégé de la société, dans le cadre d'un projet de réorganisation commerciale. Par une décision du 10 avril 2017, l'inspectrice du travail de la 6ème section de l'unité territoriale des Alpes-Maritimes a refusé d'autoriser la société à licencier ce salarié. Toutefois, par une décision du 29 septembre 2017, la ministre du travail a annulé la décision de l'inspectrice du travail et autorisé la société Laboratoires Arkopharma à licencier l'intéressé. M. D... relève appel du jugement du 28 janvier 2020 par lequel le tribunal administratif de Nice a rejeté sa demande tendant à l'annulation la décision de la ministre du travail en tant qu'elle autorise son licenciement.
2. En vertu des dispositions du code du travail, le licenciement des salariés légalement investis de fonctions représentatives, qui bénéficient, dans l'intérêt de l'ensemble des travailleurs qu'ils représentent, d'une protection exceptionnelle, est subordonné à une autorisation de l'inspecteur du travail dont dépend l'établissement. Lorsque le licenciement d'un de ces salariés est envisagé, ce licenciement ne doit pas être en rapport avec les fonctions représentatives normalement exercées ou l'appartenance syndicale de l'intéressé. Dans le cas où la demande d'autorisation de licenciement est fondée sur un motif de caractère économique, il appartient à l'inspecteur du travail et, le cas échéant, au ministre de rechercher, sous le contrôle du juge de l'excès de pouvoir, si la situation de l'entreprise justifie le licenciement, en tenant compte notamment de la nécessité des réductions envisagées d'effectifs et de la possibilité d'assurer le reclassement du salarié dans l'entreprise ou au sein du groupe auquel appartient cette dernière. Pour apprécier la réalité des motifs économiques allégués à l'appui d'une demande d'autorisation de licenciement d'un salarié protégé présentée par une société qui fait partie d'un groupe, l'autorité administrative est tenue de faire porter son examen sur la situation économique de l'ensemble des sociétés du groupe intervenant dans le même secteur d'activité que la société en cause. A ce titre, le groupe s'entend, ainsi qu'il est dit au I de l'article L. 2331-1 du code du travail, de l'ensemble constitué par les entreprises placées sous le contrôle d'une même entreprise dominante dans les conditions définies à l'article L. 233-1, aux I et II de l'article L. 233-3 et à l'article L. 233-16 du code de commerce. Toutes les entreprises ainsi placées sous le contrôle d'une même entreprise dominante sont prises en compte, quel que soit le lieu d'implantation de leur siège, tant que ne sont pas applicables à la décision attaquée les dispositions introduites par l'article 15 de l'ordonnance du 22 septembre 2017 relative à la prévisibilité et la sécurisation des relations de travail à l'article L. 1233-3 du code du travail en vertu desquelles seules les entreprises implantées en France doivent alors être prises en considération, qui ne concernent selon l'article 40-V de ladite ordonnance que les seules procédures de licenciement économique engagées après sa publication.
3. Aux termes de l'article L. 1233-3 du code du travail, dans sa rédaction résultant de la loi n° 2016-1088 du 8 août 2016, applicable au litige : " Constitue un licenciement pour motif économique le licenciement effectué par un employeur pour un ou plusieurs motifs non inhérents à la personne du salarié résultant d'une suppression ou transformation d'emploi ou d'une modification, refusée par le salarié, d'un élément essentiel du contrat de travail, consécutives notamment : (...) 3° A une réorganisation de l'entreprise nécessaire à la sauvegarde de sa compétitivité ". Il résulte de ces dispositions que la sauvegarde de la compétitivité de l'entreprise peut constituer un motif économique, à la condition que soit établie une menace pour la compétitivité de l'entreprise, laquelle s'apprécie, lorsque l'entreprise appartient à un groupe, au niveau du secteur d'activité dont relève l'entreprise en cause au sein du groupe.
4. Enfin, lorsque le juge administratif est saisi d'un litige portant sur la légalité de la décision par laquelle l'autorité administrative a autorisé le licenciement d'un salarié protégé pour un motif économique ou a refusé de l'autoriser pour le motif tiré de ce que les difficultés économiques invoquées ne sont pas établies et qu'il se prononce sur le moyen tiré de ce que l'administration a inexactement apprécié le motif économique, il lui appartient de contrôler le bien-fondé de ce motif économique en examinant la situation de l'ensemble des entreprises du groupe intervenant dans le même secteur d'activité dans les conditions mentionnées au point précédent.
5. Après avoir relevé que ses parts de marché de ventes de compléments alimentaires et produits phytosanitaires dans les pharmacies en France étaient en baisse significative sur la période courant de 2002 à 2016, la société Laboratoires Arkopharma, a estimé qu'elle devait rationaliser son organisation commerciale et modifier le mode de rémunération de ses attachés commerciaux en procédant à une nouvelle répartition géographique de ses collaborateurs itinérants et en calculant la part variable de leur rémunération non plus sur le commissionnement des ventes mais sur un système de prime dont le montant serait proportionnel à la réalisation des objectifs assignés aux intéressés. M. D..., délégué syndical, délégué du personnel, membre du comité d'entreprise et employé dans l'entreprise comme attaché commercial, a refusé la modification du contrat de travail résultant de cette réorganisation, ce qui a conduit la société Laboratoires Arkopharma à solliciter, le 21 février 2017, l'autorisation de le licencier et la ministre du travail à accorder l'autorisation sollicitée.
6. Il ressort des pièces du dossier que la société Apharma Topco SAS, société holding, détenait à la date de la décision en litige, via deux filiales, 100 % du capital de la société Laboratoires Arkopharma. Cette dernière société possédait elle-même, selon les cas, la totalité ou plus de la moitié du capital de dix sociétés, deux étant situées en France et huit hors du territoire français. Ces entreprises étaient ainsi placées sous le contrôle de la même entreprise dominante, au sens des dispositions précitées du code de commerce. La société Laboratoires Arkopharma et ses filiales doivent ainsi être regardées comme constitutives d'un même groupe, quel que soit le lieu d'implantation de leur siège. Il ressort par ailleurs de ces mêmes pièces, qu'outre la société Laboratoires Arkopharma, au moins cinq de ses filiales implantées en Espagne, en Italie, aux Pays-Bas, en Belgique et en Suisse, avaient en 2015 et 2016 une activité significative dans la commercialisation des compléments alimentaires et produits phytosanitaires, secteur d'activité en cause dans le présent litige. Ainsi, l'appréciation de la réalité du motif tenant à la sauvegarde de la compétitivité, allégué à l'appui du projet de licenciement de M. D..., doit porter non pas sur la seule situation de la société Laboratoires Arkopharma mais également sur l'ensemble des sociétés placées sous son contrôle, intervenant dans ce même secteur d'activité.
7. Il ressort des pièces du dossier qu'au cours des années 2011 à 2015 le groupe Arkopharma réalisait en moyenne 44 % du chiffre d'affaires total de son secteur compléments alimentaires et produits phytosanitaires en France, cette part étant portée à 49 % en 2016. Au cours de la période 2002 à 2016, ses parts de marché de ventes de compléments alimentaires et produits phytosanitaires dans les pharmacies en France, son principal marché, étaient en baisse significative, passant de 28,1 % en 2002 à 13,5 % en 2016 et le groupe était en passe de perdre sa position de leader sur ce marché où la pression concurrentielle s'était accrue avec l'émergence de nouveaux acteurs. Si le chiffre d'affaires du groupe était en augmentation de près de 2 % en 2015, sa rentabilité brute d'exploitation (taux d'EBE) en hausse de 4, 2 points au cours du même exercice et sa rentabilité d'exploitation (taux du résultat d'exploitation) en augmentation de 8,3 % à 12,9 %, cette tendance positive était en réalité le résultat pour une grande part d'un effet " volume " lié à l'expansion globale du marché européen des compléments alimentaires, en augmentation de 3 à 5 % par an. Cette tendance n'était pas de nature à remettre en cause la forte et régulière diminution de ses parts sur le marché français des compléments alimentaires sur lequel le groupe réalisait près de la moitié de son chiffre d'affaires, ni le constat que son résultat opérationnel courant moyen de 2011 à 2016 demeurait inférieur de moitié environ à celui de ses principaux concurrents, limitant de fait ses capacités d'investissement et d'innovation. Dans le même temps, le chiffre d'affaires de ses filiales situées hors de France était passé de 100,4 millions d'euros en 2011 à 89,2 millions d'euros en 2016, soit une diminution d'environ 11 %, ne permettant pas de créer un relais de croissance susceptible de compenser la baisse relative de l'activité de la société Laboratoires Arkopharma dans le groupe. Dans ces conditions, c'est légalement que la ministre du travail a pu retenir qu'il existait une menace sérieuse pesant sur la compétitivité du groupe Arkopharma au niveau de son secteur d'activité compléments alimentaires et produits phytosanitaires de nature à justifier la réorganisation de la société Laboratoires Arkopharma, pour en déduire que la réalité du motif économique à l'appui de la demande d'autorisation de licenciement était établie.
8. S'il appartient au juge administratif saisi d'un litige portant sur la légalité de la décision par laquelle l'autorité administrative a autorisé le licenciement d'un salarié protégé pour un motif économique de contrôler le bien-fondé de ce motif économique dans les conditions mentionnées au point 4, en revanche, il ne peut se substituer à l'employeur quant aux choix qu'il effectue dans la mise en oeuvre de la réorganisation de l'entreprise. Il ne lui appartient pas davantage d'arbitrer entre les différentes possibilités de réorganisation. Par suite, si M. D... soutient que la proposition d'un nouveau contrat de travail qui lui a été faite en sa qualité d'attaché commercial sur un autre secteur n'est pas au nombre des mesures susceptibles de restaurer la compétitivité de la société Laboratoires Arkopharma, un tel moyen est inopérant à l'encontre de la décision en litige.
9. Il ressort des pièces du dossier que suite à la demande de l'employeur adressée à M. D... s'agissant de ses préférences en termes de reclassement, celui-ci a indiqué par lettre du 27 septembre 2016 qu'il privilégiait un reclassement en France ou en Espagne dans un rayon de cent kilomètres autour de son domicile. Aucun poste n'étant disponible dans la filiale espagnole, par courrier du 7 octobre 2016 il a été proposé au salarié trois postes d'attachés commercial à contrat à durée indéterminée sur différents secteurs géographiques correspondant à ses préférences, puis par courrier du 27 octobre 2016 quarante-et-un postes d'attachés commercial sur différents secteurs, correspondant dans tous les cas à ses qualifications. Enfin, par courrier du 27 décembre 2016, il lui a été proposé deux postes d'attaché commercial et six postes de promoteur des ventes. La société Laboratoires Arkopharma a ainsi effectué une recherche sérieuse de reclassement en formulant à M. D..., qui les a refusées, des propositions précises portant sur des emplois équivalents à celui qu'il détenait. La circonstance que l'employeur a proposé à M. D... des postes occupés auparavant par d'autres salariés licenciés de l'entreprise est sans incidence sur le respect par la société Laboratoires Arkopharma de l'obligation dont elle est débitrice.
10. Il résulte de tout ce qui précède que M. D... n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Nice a rejeté sa demande tendant à l'annulation de la décision du 29 septembre 2017 par laquelle la ministre du travail a autorisé son licenciement.
11. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'une somme soit mise à ce titre à la charge de la société Laboratoires Arkopharma, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge du requérant la somme que la société Laboratoires Arkopharma demande au même titre.
D É C I D E :
Article 1er : La requête de M. D... est rejetée.
Article 2 : Les conclusions présentées par la société Laboratoires Arkopharma au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à M. A... D..., à la société Laboratoires Arkopharma et à la ministre du travail, de l'emploi et de l'insertion.
Délibéré après l'audience 4 décembre 2020, où siégeaient :
- M. Pocheron, président de chambre,
- M. C..., président assesseur,
- Mme F..., première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 18 décembre 2020.
2
N° 20MA00770
nl