Procédure devant la Cour :
Par une requête enregistrée le 7 novembre 2018, M. E..., représenté par Me A..., demande à la Cour :
1°) d'annuler ce jugement du 25 juin 2018 ;
2°) d'annuler les décisions du 19 juin 2018 du préfet de l'Hérault ordonnant son transfert aux autorités italiennes et son assignation à résidence ;
3°) d'enjoindre au préfet de l'Hérault de lui délivrer une attestation de demande d'asile en vue qu'il soit procédé à l'examen de sa demande ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 1 500 euros à verser à son conseil, en application de l'article 37 de la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique et de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, ce règlement emportant renonciation à l'indemnité versée au titre de l'aide juridictionnelle.
Il soutient que :
En ce qui concerne la décision de remise aux autorités italiennes :
- elle n'est pas motivée conformément à l'article L. 742-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- elle est entachée d'un vice de procédure en ce que l'agent ayant mené l'entretien prévu par l'article 5 du règlement " Dublin 3 " n° 604/2013 du 26 juin 2013 n'est pas identifiable, en méconnaissance de ces dispositions et de l'article L. 111-2 du code des relations entre le public et l'administration ;
- elle est entachée d'une erreur de droit dès lors que le préfet s'est cru en compétence liée par l'acceptation tacite de l'Italie, sans examiner la possibilité de la mise en oeuvre des clauses dérogatoires prévues aux articles 17.1 et 17.2 du règlement 604/2013/CE ; le préfet n'a pas examiné la possibilité de l'admettre au séjour sur le fondement de l'article L. 742-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et a donc commis une erreur manifeste d'appréciation ;
- elle est entachée d'un défaut d'examen réel et sérieux de sa situation au regard de l'article 3.2 du règlement n° 604/2013 du 23 juin 2013 au regard de la défaillance systémique de l'Italie quant au traitement des demandes d'asile ;
En ce qui concerne la décision d'assignation à résidence :
- elle est illégale par voie de conséquence de la décision de transfert ;
- elle est entachée d'un détournement de procédure.
Par un bordereau accompagné de pièces, enregistré le 2 décembre 2019, le préfet de l'Hérault a indiqué que le requérant est parti pour Florence le 7 mai 2019.
M. E... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 7 septembre 2018.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la Constitution ;
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le règlement n° 604/2013/UE du 26 juin 2013 ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le code des relations entre le public et l'administration ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le code de justice administrative.
Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le rapport de M. B... a été entendu au cours de l'audience publique.
Considérant ce qui suit :
1. M. E..., de nationalité nigériane, après être entré irrégulièrement sur le territoire français le 15 janvier 2018, a présenté une demande d'asile le 16 février 2018 à la préfecture de l'Hérault. Après acceptation implicite de la prise en charge de l'intéressé le 19 mai 2018 par les autorités italiennes, par deux arrêtés du 19 juin 2018, le préfet de l'Hérault a décidé sa remise à ces autorités et l'a assigné à résidence. Par un jugement du 25 juin 2018, dont le requérant relève appel, le magistrat désigné du tribunal administratif de Montpellier a rejeté la demande d'annulation de ces arrêtés.
Sur la légalité de la décision de transfert :
2. En premier lieu, s'agissant du moyen tiré de l'insuffisance de la motivation de la décision attaquée, moyen que M. E... renouvelle en appel sans apporter de précisions supplémentaires, il y a lieu de l'écarter par adoption des motifs retenus à bon droit par le premier juge.
3. En deuxième lieu, aux termes de l'article 5 du règlement n° 604/2013 du 26 juin 2013 : " " 1. Afin de faciliter le processus de détermination de l'Etat membre responsable, l'Etat membre procédant à cette détermination mène un entretien individuel avec le demandeur. Cet entretien permet également de veiller à ce que le demandeur comprenne correctement les informations qui lui sont fournies conformément à l'article 4. (...) 5. L'entretien individuel a lieu dans des conditions garantissant dûment la confidentialité. Il est mené par une personne qualifiée en vertu du droit national. 6. L'Etat membre qui mène l'entretien individuel rédige un résumé qui contient au moins les principales informations fournies par le demandeur lors de l'entretien. Ce résumé peut prendre la forme d'un rapport ou d'un formulaire type. L'Etat membre veille à ce que le demandeur et/ou le conseil juridique ou un autre conseiller qui représente le demandeur ait accès en temps utile au résumé " .Et aux termes de l'article L. 111-2 du code des relations entre le public et l'administration : " Toute personne a le droit de connaître le prénom, le nom, la qualité et l'adresse administratives de l'agent chargé d'instruire sa demande ou de traiter l'affaire qui la concerne ; ces éléments figurent sur les correspondances qui lui sont adressées. Si des motifs intéressant la sécurité publique ou la sécurité des personnes le justifient, l'anonymat de l'agent est respecté. ".
4. Il ressort des pièces du dossier que M. E... a bénéficié le 16 février 2018, dans les locaux de la préfecture de l'Hérault, de l'entretien individuel requis par les dispositions précitées de l'article 5 du règlement n° 604/2013. Il a été reçu, assisté d'un interprète, par un agent de la préfecture. Cet entretien, assuré par cet agent, a ainsi été mené par une personne qualifiée au sens du droit national dont aucune disposition n'exige qu'elle doive bénéficier d'une délégation par le préfet. En outre, l'article 5 du règlement (UE) n° 604/2013 n'exige pas que le résumé de l'entretien individuel mentionne l'identité et la qualité de l'agent chargé de conduire cet entretien et précise, dans son point 6, que ce résumé mené avec le demandeur d'asile peut prendre la forme d'un rapport ou d'un formulaire type. Un tel compte rendu ne saurait par ailleurs être assimilé à une correspondance au sens de l'article L. 111-2 du code des relations entre le public et l'administration et n'a donc pas à contenir les mentions exigées par ces dispositions. L'agent qui établit ce résumé n'est par conséquent pas tenu d'y faire figurer son prénom, son nom, sa qualité et son adresse administrative. Dès lors, si ces mentions ne figurent pas sur le résumé de l'entretien individuel mené avec M. E..., cette circonstance est sans incidence sur la régularité de la procédure suivie.
5. En troisième lieu, aux termes de l'article 53-1 de la Constitution du 4 octobre 1958 : " La République peut conclure avec les États européens qui sont liés par des engagements identiques aux siens en matière d'asile et de protection des Droits de l'homme et des libertés fondamentales, des accords déterminant leurs compétences respectives pour l'examen des demandes d'asile qui leur sont présentées. Toutefois, même si la demande n'entre pas dans leur compétence en vertu de ces accords, les autorités de la République ont toujours le droit de donner asile à tout étranger persécuté en raison de son action en faveur de la liberté ou qui sollicite la protection de la France pour un autre motif. "
6. Aux termes de l'article 3 du règlement du 26 juin 2013 : " (...) 2. Lorsque aucun État membre responsable ne peut être désigné sur la base des critères énumérés dans le présent règlement, le premier État membre auprès duquel la demande de protection internationale a été introduite est responsable de l'examen. / Lorsqu'il est impossible de transférer un demandeur vers l'État membre initialement désigné comme responsable parce qu'il y a de sérieuses raisons de croire qu'il existe dans cet État membre des défaillances systémiques dans la procédure d'asile et les conditions d'accueil des demandeurs, qui entraînent un risque de traitement inhumain ou dégradant au sens de l'article 4 de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, l'État membre procédant à la détermination de l'État membre responsable poursuit l'examen des critères énoncés au chapitre III afin d'établir si un autre État membre peut être désigné comme responsable (...) ". Aux termes de l'article 17 du même règlement : " 1. Par dérogation à l'article 3, paragraphe 1, chaque Etat membre peut décider d'examiner une demande de protection internationale qui lui est présentée par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, même si cet examen ne lui incombe pas en vertu des critères fixés dans le présent règlement. / L'Etat membre qui décide d'examiner une demande de protection internationale en vertu du présent paragraphe devient l'Etat membre responsable et assume les obligations qui sont liées à cette responsabilité. (...) ". Aux termes de l'article L. 742-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Le présent article ne fait pas obstacle au droit souverain de l'Etat d'accorder l'asile à toute personne dont l'examen de la demande relève de la compétence d'un autre Etat ".
7. L'Italie étant membre de l'Union Européenne et partie tant à la convention de Genève du 28 juillet 1951 sur le statut des réfugiés, complétée par le protocole de New York, qu'à la convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, il doit alors être présumé que le traitement réservé aux demandeurs d'asile dans cet Etat membre est conforme aux exigences de la convention de Genève ainsi qu'à celles de la convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. Si les rapports d'information émanant d'organisations non gouvernementales et l'article de presse cités par M. E... font état des difficultés rencontrées par l'Italie pour faire face à un afflux de migrants, ils ne suffisent pas à caractériser l'existence, dans ce pays, de défaillances systémiques dans la procédure d'asile et les conditions d'accueil des demandeurs d'asile, notamment en ce qui concerne l'accès à l'hébergement et aux soins et les garanties procédurales. Par ailleurs, aucune pièce du dossier ne permet de considérer que M. E... aurait fait l'objet de traitements inhumains ou dégradants lors de son séjour en Italie au cours des années 2017 et 2018. Dans ces conditions, il ne ressort pas des pièces du dossier que la demande d'asile de M. E..., ne sera pas traitée par les autorités italiennes dans des conditions conformes à l'ensemble des garanties exigées par le respect du droit d'asile, notamment au regard de son état de santé. Par suite, les moyens tirés de la méconnaissance de l'article 3 § 2 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013, de l'erreur manifeste d'appréciation dont serait entaché l'arrêté contesté faute pour le préfet d'avoir mis en oeuvre la clause discrétionnaire prévue à l'article 17 de ce règlement, ou de ce que cette autorité aurait pris sa décision en s'estimant liée par l'avis favorable des autorités italiennes, doivent être écartés.
8. Il résulte de ce qui précède que les conclusions de M. E... tendant à l'annulation la décision du 19 juin 2018 par laquelle le préfet de l'Hérault a ordonné son transfert auprès des autorités italiennes doivent être rejetées.
Sur la légalité de la décision d'assignation à résidence :
9. En premier lieu, ainsi qu'il vient d'être dit, la décision de remise aux autorités italiennes n'est pas entachée d'illégalité. Par suite, le moyen tiré de ce que la décision d'assignation à résidence serait illégale en raison de l'illégalité de la décision de remise doit être écarté.
10. En second lieu, le détournement de procédure invoqué à l'encontre de la décision d'assignation à résidence attaquée n'est nullement établi.
11. Il résulte de ce qui précède que les conclusions de M. E... tendant à l'annulation de la décision du 19 juin 2018 par laquelle le préfet de l'Hérault a ordonné son assignation à résidence doivent être rejetées.
Sur les conclusions à fin d'injonction :
12. Le présent arrêt, qui rejette les conclusions à fin d'annulation présentées par M. E..., n'implique aucune mesure d'exécution. Par suite, ses conclusions à fin d'injonction doivent être rejetées.
Sur les frais liés au litige :
13. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de
l'article 37 de la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique font obstacle à ce que soit mise à la charge de l'Etat, qui n'est pas partie perdante au litige, la somme que demande le conseil de M. E....
D É C I D E :
Article 1er : La requête de M. E... est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à M. C... E..., à Me A..., et au ministre de l'intérieur.
Copie en sera adressée au préfet de l'Hérault.
Délibéré après l'audience du 30 septembre 2020, où siégeaient :
- M. B..., président,
- M. Ury, premier conseiller,
- Mme D..., première conseillère.
Lu en audience publique, le 15 octobre 2020.
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N°18MA04745