M. B... tendant à l'annulation de la décision qui lui refuse le renouvellement d'un titre de séjour et les conclusions à fin d'injonction de lui délivrer un tel titre sous astreinte, et d'autre part, a annulé la décision d'interdiction de retour sur le territoire français pour une durée de
trois ans et rejeté le surplus des conclusions de la requête.
Procédure devant la Cour :
Par une requête et un mémoire enregistrés le 5 mars et le 2 juillet 2019, M. B..., représenté par Me Lantheaume, demande à la Cour :
1°) d'annuler ce jugement du magistrat désigné du tribunal administratif de Marseille du 23 octobre 2018 en tant qu'il rejette ses conclusions contre l'obligation de quitter le territoire français sans délai, fixe le pays de destination et l'assigne à résidence ;
2°) d'annuler les décisions du 17 octobre 2018 portant obligation de quitter le territoire français sans délai, fixation du pays de destination et assignation à résidence ;
3°) d'enjoindre à la préfète des Hautes-Alpes de réexaminer sa situation dans un délai d'un mois à compter de la notification de l'arrêt à intervenir ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 2 000 euros à verser à son conseil en vertu de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridictionnelle.
Il soutient que :
- l'appel incident de la préfète des Hautes-Alpes est irrecevable faute d'avoir été introduit dans le délai d'appel d'un mois ;
- les dispositions de l'article R. 776-5 du code de justice administrative qui déroge à l'article R. 411-1 du même code autorise la présentation de moyens nouveaux jusqu'à la clôture de l'instruction ;
- c'est en méconnaissance de l'article R. 776-27 du code de justice administrative que le jugement a été prononcé à l'audience dès lors qu'il n'était pas " retenu " comme exigé par l'article susmentionné ;
- la décision portant obligation de quitter le territoire est irrégulière par voie de conséquence de la décision portant refus de séjour ; l'avis du collège des médecins de l'OFII est irrégulier ;
- l'article L. 313-11 11° du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ainsi que l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ont été méconnus ;
- l'article L. 511-4 10° du code précité a été violé ;
- les décisions portant refus de départ volontaire, fixant le pays de destination et portant assignation à résidence doivent être annulées par voie de conséquence de l'illégalité de la mesure d'éloignement.
M. B... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du
25 janvier 2019.
Par un mémoire en défense enregistré le 19 juin 2019, la préfète des Hautes-Alpes demande à la Cour de réformer le jugement attaqué en tant qu'il a annulé la décision portant obligation de quitter le territoire français et de rejeter la requête.
Elle soutient que :
- la demande présentée par M. B... devant le tribunal administratif de Marseille est irrecevable faute de comporter des moyens juridiques à l'appui de sa cause ;
- la procédure juridictionnelle est régulière ;
- les moyens du requérant sont infondés.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique ;
- le code de justice administrative.
Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
A été entendu au cours de l'audience publique le rapport de M. Ury.
Considérant ce qui suit :
1. M. B..., ressortissant tunisien, né le 16 avril 1994 à Kasserine (Tunisie), a demandé au tribunal administratif de Marseille d'annuler l'arrêté du 17 octobre 2018 par lequel la préfète des Hautes-Alpes a refusé de renouveler son titre de séjour en qualité d'étranger malade, a assorti ce refus d'une obligation de quitter le territoire français à destination du pays dont il a la nationalité et d'une interdiction de retour sur le territoire français pour une durée de trois ans. Par un jugement n° 1808407 du 23 octobre 2018 dont M. B... fait appel, le magistrat désigné a, d'une part, renvoyé à une formation collégiale les conclusions de M. B... tendant à l'annulation de la décision qui lui refuse le renouvellement d'un titre de séjour et les conclusions à fin d'injonction de lui délivrer un tel titre sous astreinte, et d'autre part, a annulé la décision de retour sur le territoire français pour une durée de trois ans et rejeté le surplus des conclusions de la requête.
Sur la régularité du jugement :
2. En vertu de l'article R. 741-1 du code de justice administrative, dans sa rédaction alors applicable, les jugements rendus par un tribunal administratif doivent être prononcés en audience publique, et l'article R. 776-27 du code de justice administrative dispose notamment que le jugement est prononcé à l'audience si l'étranger est retenu, au jour de celle-ci, par l'autorité administrative, et que le dispositif du jugement assorti de la formule exécutoire prévue à l'article R. 751-1 est communiqué sur place aux parties présentes à l'audience, qui en accusent aussitôt réception. Si la lecture sur le siège de la décision n'est pas incompatible avec les exigences du respect du principe du contradictoire, c'est à la condition que les parties aient été dûment averties, au plus tard lors de l'audience publique, que la lecture aurait lieu le jour même de façon qu'elles ne soient pas privées de la possibilité de présenter une note en délibéré.
3. Il est constant que le jugement attaqué a été prononcé à l'audience du
23 octobre 2018 alors que, d'une part, M. B... n'était pas retenu par l'autorité administrative au sens de l'article R. 776-27 du code, et que, d'autre part, il ne résulte d'aucune mention du jugement attaqué que les parties ont été informées de sa lecture sur le siège. Ainsi, l'intéressé est fondé à soutenir que le principe du contradictoire a été méconnu, et pour ce motif à demander l'annulation de ce jugement en tant qu'il rejette ses conclusions contre l'obligation de quitter le territoire français sans délai, fixe le pays de destination et l'assigne à résidence.
4. Il appartient à la Cour de statuer par voie d'évocation sur la demande présentée par M. B... devant le tribunal administratif de Marseille.
Sur les conclusions d'annulation :
Sur la fin de non-recevoir soulevée par la préfète des Hautes-Alpes :
5. Aux termes de l'article R. 411-1 du code de justice administrative : " La juridiction est saisie par requête. La requête indique les noms et domicile des parties. Elle contient l'exposé des faits et moyens, ainsi que l'énoncé des conclusions soumises au juge. / L'auteur d'une requête ne contenant l'exposé d'aucun moyen ne peut la régulariser par le dépôt d'un mémoire exposant un ou plusieurs moyens que jusqu'à l'expiration du délai de recours. ". Aux termes de l'article R. 776-5 du même code : " (...) Lorsque le délai est de quarante-huit heures ou de quinze jours, le second alinéa de l'article R. 411-1n'est pas applicable et l'expiration du délai n'interdit pas au requérant de soulever des moyens nouveaux, quelle que soit la cause juridique à laquelle ils se rattachent. (....) ". Il résulte de ces dispositions que la procédure particulière qu'elles prévoient est en partie orale, et qu'en particulier, un requérant peut régulièrement produire à l'audience des moyens à l'appui des conclusions présentées dans sa requête, sans que le second alinéa de l'article R. 411-1 du code de justice administrative, inapplicable au contentieux de l'éloignement, puisse être utilement invoqué.
6. Il ressort des pièces du dossier que M. B... a déposé une requête par l'intermédiaire d'un avocat contre l'arrêté du 17 octobre 2018, qui a été enregistrée au greffe du tribunal le
19 octobre 2018. M. B... était présent avec son conseil lors de l'audience du 23 octobre 2018 et il résulte des mentions du jugement attaqué qu'ils ont présentés des observations. Ainsi, il doit être regardé comme ayant nécessairement fait état de moyens dirigés contre l'arrêté litigieux. Par suite, la préfète des Hautes-Alpes n'est pas fondée à soutenir que le requérant n'a présenté aucun moyen à l'issue de l'audience au motif que sa requête introductive d'instance était dénuée de moyens à l'appui de ses conclusions d'annulation, en méconnaissance de l'article R. 411-1 du code précité. Par suite, la fin de non-recevoir présentée par la préfète ne peut pas être accueillie.
Sur le moyen tiré de l'illégalité de la décision portant obligation de quitter le territoire est irrégulière par voie de conséquence de la décision portant refus de séjour :
7. Il ressort des pièces du dossier que, par un jugement n° 1808407 du 5 décembre 2019 devenu définitif, la 3ème chambre du tribunal administratif de Marseille, statuant en formation collégiale sur le renvoi décidé par le jugement attaqué a considéré, d'une part, que M. B... est atteint d'une maladie génétique héréditaire qui nécessite des transfusions régulières tous les vingt-et-un jours, et pour lequel une phase de préparation à une greffe de moelle osseuse par sa soeur aînée qui a le statut de réfugiée en France a été engagée. Et, d'autre part, le tribunal a relevé que si le requérant a été placé en garde à vue le 16 octobre 2018 pour des faits de vol, et qu'il est connu défavorablement par les services de police pour des faits d'outrage à personne dépositaire de l'autorité publique et de faits de violence, la décision en litige lui refusant le renouvellement du titre de séjour dont il était titulaire est, compte tenu de l'ensemble des circonstances évoquées ci-dessus, entachée d'une erreur manifeste d'appréciation de sa situation personnelle et familiale. Dans ces conditions, M. B... est fondé à faire valoir que l'obligation qui lui est faite de quitter le territoire national est illégale par voie de conséquence de l'illégalité de la décision qui lui refuse le séjour en France.
En ce qui concerne les décisions fixant le pays de destination et portant assignation à résidence :
8. Il résulte de ce qui précède que les décisions susmentionnées doivent être annulées.
Sur les conclusions d'injonction :
9. Le jugement cité ci-avant n°1808407 a fait droit aux conclusions à fin d'injonction présentées par M. B... et a enjoint à la préfète des Hautes-Alpes de réexaminer sa situation dans le délai de deux mois à compter de la notification. Par voie de conséquence, et en tout état de cause, les conclusions de M. B... à fin d'injonction présentées dans le présent litige sont dépourvues d'objet.
Sur les frais d'instance :
10. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat le versement de la somme de 2 000 euros au bénéfice de Me Lantheaume, avocat de M. B..., au titre des dispositions des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du
10 juillet 1991 relative à l'aide juridictionnelle, sous réserve qu'il renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'Etat.
D É C I D E :
Article 1er : Le jugement n° 1808407 du 23 octobre 2018 du tribunal administratif de Marseille est annulé en tant qu'il rejette ses conclusions contre l'obligation de quitter le territoire français sans délai, fixe le pays de destination et l'assigne à résidence.
Article 2 : L'arrêté de la préfète des Hautes-Alpes du 17 octobre 2018 en tant qu'il porte obligation de quitter le territoire, fixe le pays de destination, et assigne à résidence M. B..., est annulé.
Article 3 : L'Etat versera la somme de 2 000 euros à Me Lantheaume, avocat de M. B..., au titre des dispositions des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du
10 juillet 1991 relative à l'aide juridictionnelle sous réserve qu'il renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'Etat.
Article 4 : Le surplus des conclusions de la requête de M. B... est rejeté.
Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à M. D... B..., à Me Lantheaume et au ministre de l'intérieur.
Copie en sera adressée à la préfète des Hautes-Alpes.
Délibéré après l'audience du 1er décembre 2020, où siégeaient :
- M. Badie, président,
- M. d'Izarn de Villefort, président assesseur,
- M. Ury, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 15 décembre 2020.
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N° 19MA01074