Procédure devant la Cour :
Par une requête enregistrée le 12 décembre 2016, le département de la Corse-du-Sud, représenté par Me A..., demande à la Cour :
1°) d'annuler le jugement du tribunal administratif de Bastia ;
2°) de rejeter la demande de M. E... devant le tribunal sur ces points ;
3°) de mettre à la charge de M. E... le versement de la somme de 2 500 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
- le jugement est entaché de dénaturation des pièces du dossier, ou à tout le moins, d'une erreur d'appréciation des faits ;
- la demande de congé de longue maladie présentée par l'intimé manque en droit ;
- il n'a commis aucune faute dans la réintégration de M. E... à l'issue de sa première période de congé de maladie ordinaire ;
- l'intimé n'a subi aucun préjudice.
Par un mémoire en défense enregistré le 14 juin 2018, M. E..., représenté par Me C..., conclut au rejet de la requête et à ce que la somme de 2 500 euros soit mise à la charge du département de la Corse-du-Sud en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que les moyens de l'appelant ne sont pas fondés.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 ;
- la loi n° 84-53 du 26 janvier 1984 ;
- le décret n° 87-602 du 30 juillet 1987 ;
- l'arrêté du 14 mars 1986 relatif à la liste des maladies donnant droit à l'octroi de congés de longue maladie ;
- l'arrêté du 30 juillet 1987 relatif à la liste indicative des maladies pouvant ouvrir droit à un congé de longue maladie (régime des congés de maladie des fonctionnaires territoriaux) ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Coutel,
- les conclusions de M. Angéniol, rapporteur public,
- et les observations de Me C..., représentant M. E....
1. Considérant que M. E..., adjoint technique du département de la Corse-du-Sud, a été placé en congé de maladie ordinaire à compter du 21 janvier 2014 à la suite d'un syndrome anxio-dépressif ; qu'il a sollicité son placement en congé de longue maladie ; qu'à la suite de l'avis défavorable du comité médical, réuni le 11 septembre 2014, sur son placement en congé de longue maladie, le président du conseil départemental de la Corse-du-Sud a, par un arrêté du 22 septembre 2014, prolongé le congé de maladie ordinaire de M. E... du 31 mai au 30 novembre 2014 ; que, par une décision du 12 janvier 2015, le président du conseil départemental a rejeté la demande de recours gracieux que lui a présentée l'intéressé ; que, par un jugement du 13 octobre 2016, le tribunal administratif de Bastia a d'une part, fait droit aux conclusions de M. E... tendant à l'annulation de l'arrêté du 22 septembre 2014 le plaçant en congé de maladie ordinaire et de la décision du 12 janvier 2015 en tant qu'elle rejette le recours gracieux exercé contre cet arrêté et d'autre part, condamné le département à réparer le préjudice moral de l'agent à hauteur de 10 000 euros ;
Sur le bien-fondé du jugement attaqué :
Sur la légalité de l'arrêté du 22 septembre 2014 et de la décision de rejet de recours gracieux du 22 janvier 2015 :
2. Considérant qu'aux termes du 3° de l'article 57 de la loi n° 84-53 du 26 janvier 1984 : " Le fonctionnaire en activité a droit : (...) A des congés de longue maladie d'une durée maximale de trois ans dans les cas où il est constaté que la maladie met l'intéressé dans l'impossibilité d'exercer ses fonctions, rend nécessaires un traitement et des soins prolongés et présente un caractère invalidant et de gravité confirmée. Le fonctionnaire conserve l'intégralité de son traitement pendant un an ; le traitement est réduit de moitié pendant les deux années qui suivent. L'intéressé conserve, en outre, ses droits à la totalité du supplément familial de traitement et de l'indemnité de résidence. / Le fonctionnaire qui a obtenu un congé de longue maladie ne peut bénéficier d'un autre congé de cette nature s'il n'a pas auparavant repris l'exercice de ses fonctions pendant un an./Les dispositions des deuxième, troisième et quatrième alinéas du 2° du présent article sont applicables aux congés de longue maladie " ; qu'aux termes de l'article 2 de l'arrêté du 14 mars 1986, rendu applicable aux fonctionnaires territoriaux par l'arrêté du 30 juillet 1987 : " Les affections suivantes peuvent donner droit à un congé de longue maladie dans les conditions prévues aux articles 29 et 30 des décrets susvisés : tuberculose, maladies mentales, affections cancéreuses, poliomyélite antérieure aiguë, déficit immunitaire grave et acquis " ; qu'il résulte de ces dispositions que la maladie mentale est au nombre des maladies susceptibles d'ouvrir droit à un congé de longue maladie dans les conditions réglementaires relatives au congé longue durée ;
3. Considérant que la dépression chronique est au nombre des maladies mentales au sens des dispositions précitées ; que, contrairement à ce qu'allègue le département, il résulte tant des expertises effectuées par le Dr D..., psychiatre, le 21 mars 2014 et le Dr F..., le 20 juin 2014, que des arrêts de travail établis depuis janvier 2010 par un médecin psychiatre, que M. E... souffre de dépression sévère l'empêchant d'exercer ses fonctions ; qu'ainsi, l'arrêté du 22 septembre 2014 prolongeant le congé de maladie ordinaire de M. E... alors que ce dernier remplissait les conditions statutaires pour bénéficier d'un congé de longue maladie comme il le réclamait, et la décision du 22 janvier 2015 rejetant son recours gracieux sont entachés d'illégalité ; qu'il s'ensuit que le département de la Corse-du-Sud, devenu la collectivité de Corse, n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que les premiers juges ont annulé ces deux décisions ;
Sur la responsabilité du département de la Corse-du-Sud :
4. Considérant que l'administration a l'obligation de placer ses agents dans une position statutaire régulière en leur donnant notamment une affectation à l'issue d'un congé de maladie ; que M. E... n'a reçu aucune affectation de janvier 2012 à septembre 2013 sans que cette situation lui soit imputable ; que la circonstance que le département ait, durant cette période, versé à M. E... son plein traitement n'est pas de nature à l'exonérer de sa responsabilité ; qu'ainsi, le département de Corse-du-Sud a commis une faute de nature à engager sa responsabilité en maintenant M. E... sans affectation alors qu'il était apte à reprendre ses fonctions à compter du 21 janvier 2012 ; que les premiers juges se sont livrés à une juste appréciation du préjudice en l'évaluant à la somme de 10 000 euros ;
5. Considérant qu'il résulte de ce qui précède que le département de la Corse-du-Sud n'est pas fondé à demander l'annulation du jugement par lequel le tribunal administratif de Bastia a annulé l'arrêté du l'arrêté du 22 septembre 2014 et l'a condamné à payer à M. E... la somme de 10 000 euros en réparation de son préjudice ;
Sur les conclusions présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
6. Considérant que les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que la somme que le requérant demande au titre des frais qu'il a exposés soit mise à la charge de M. E... qui n'est pas partie perdante ; qu'en revanche, il y a lieu de mettre à la charge de la collectivité de Corse la somme de 2 000 euros au titre des mêmes dispositions ;
D É C I D E :
Article 1er : La requête du département de la Corse-du-Sud est rejetée.
Article 2 : La collectivité de Corse versera à M. E... la somme de 2 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié au président de la collectivité de Corse et à M. B... E....
Délibéré après l'audience du 18 septembre 2018, où siégeaient :
- M. Gonzales, président,
- M. d'Izarn de Villefort, président assesseur,
- M. Coutel, premier conseiller.
Lu en audience publique, le 2 octobre 2018.
N° 16MA04568 2