Procédure devant la Cour :
Par une requête, enregistrée le 6 mai 2018, Mme C..., représentée par Me B..., demande à la Cour :
1°) d'annuler le jugement du tribunal administratif de Bastia du 1er mars 2018 ;
2°) d'annuler l'arrêté du 24 juin 2016 par lequel le directeur académique des services de l'éducation nationale de la Corse-du-Sud a prononcé à son encontre la sanction disciplinaire de révocation ainsi que l'arrêté du 7 juillet 2016 portant radiation des cadres ;
3°) d'enjoindre au recteur de l'académie de Corse de la rétablir dans la liste des cadres à compter du 7 juillet 2016 jusqu'à son admission à la retraite pour invalidité, dans le délai d'un mois à compter de la notification de l'arrêt à intervenir sous astreinte de 100 euros par jour de retard ;
4°) de mettre à la charge de l'État la somme de 5 000 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
en ce qui concerne l'arrêté du 24 juin 2016, il a été pris au terme d'une procédure méconnaissant le principe d'impartialité ;
il est entaché d'une erreur de droit et d'une inexacte qualification juridique des faits ; le tribunal n'a pas répondu à ce moyen ;
elle pouvait de bonne foi considérer qu'elle remplissait les conditions de l'article 38 du décret n° 86-442 du 14 mars 1986 ;
la sanction prononcée est manifestement disproportionnée ;
en ce qui concerne l'arrêté du 7 juillet 2016, la compétence de son signataire n'est pas établie ;
il est illégal par voie de conséquence de l'illégalité de l'arrêté du 24 juin 2016.
Par un mémoire en défense, enregistré le 10 janvier 2019, le ministre de l'éducation nationale et de la jeunesse conclut au rejet de la requête.
Il soutient que les moyens soulevés par Mme C... ne sont pas fondés.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983,
la loi n° 84-16 du 11 janvier 1984,
le décret n° 86-442 du 14 mars 1986,
le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
le rapport de Mme Tahiri,
les conclusions de M. Angéniol, rapporteur public,
et les observations de Me B..., représentant Mme C....
Considérant ce qui suit :
1. Mme C..., née en 1967 et professeure des écoles affectée en Guyane depuis 2002, a été nommée à compter du 1er septembre 2013 sur un poste de directrice d'une école comprenant deux classes à Conca en Corse-du-Sud. Par un arrêté du 24 juin 2016, le directeur académique des services de l'éducation nationale de la Corse-du-Sud a prononcé à son encontre la sanction disciplinaire de révocation puis l'a radiée des cadres par arrêté du 7 juillet 2016. Mme C... fait appel du jugement du 1er mars 2018 par lequel le tribunal administratif de Bastia a rejeté ses demandes d'annulation de ces deux arrêtés.
Sur la régularité du jugement :
2. Mme C... fait valoir que le tribunal a omis de répondre au moyen tiré de ce que l'article 25 septies de la loi du 13 juillet 1983 n'était pas applicable à la date des faits. Il ressort effectivement des pièces du dossier que le tribunal n'a pas répondu à ce moyen, qui n'était pas inopérant. Par suite, Mme C... est fondée à soutenir que le jugement est entaché d'irrégularité et doit, pour ce motif, être annulé.
Sur la légalité de l'arrêté du 24 juin 2016 :
En ce qui concerne la légalité externe :
3. Contrairement à ce que soutient Mme C..., il ne ressort pas des pièces du dossier, notamment du compte-rendu de la commission administrative paritaire académique siégeant en conseil de discipline le 19 juillet 2016, que le président de cette instance aurait manifesté une animosité personnelle à son égard ou fait preuve de partialité à son encontre alors même qu'il aurait, au nom de l'État, déposé plainte à son encontre, permettant l'information de la justice pénale sur les faits en cause sans préjuger des suites que cette dernière entendrait leur donner, et qu'il a prononcé la sanction en litige, après avis favorable unanime des membres du conseil de discipline. Par suite, Mme C... n'est pas fondée à soutenir que le principe d'impartialité aurait été méconnu.
En ce qui concerne la légalité interne :
4. D'une part, aux termes de l'article 29 de la loi du 13 juillet 1983 : " Toute faute commise par un fonctionnaire dans l'exercice ou à l'occasion de l'exercice de ses fonctions l'expose à une sanction disciplinaire sans préjudice, le cas échéant, des peines prévues par la loi pénale ". Aux termes de l'article 66 de la loi du 11 janvier 1984 : " Les sanctions disciplinaires sont réparties en quatre groupes : Premier groupe : / - l'avertissement ; / - le blâme. / Deuxième groupe : / - la radiation du tableau d'avancement ; / - l'abaissement d'échelon ; / - l'exclusion temporaire de fonctions pour une durée maximale de quinze jours ; / - le déplacement d'office. / Troisième groupe : / - la rétrogradation ; / - l'exclusion temporaire de fonctions pour une durée de trois mois à deux ans. / Quatrième groupe : / - la mise à la retraite d'office ; / - la révocation.". Il appartient au juge de l'excès de pouvoir, saisi de moyens en ce sens, de rechercher si les faits reprochés à un agent public ayant fait l'objet d'une sanction disciplinaire constituent des fautes de nature à justifier une sanction et si la sanction retenue est proportionnée à la gravité de ces fautes.
5. D'autre part, aux termes de l'article 25 de la loi du 13 juillet 1983 alors en vigueur : " I.- Les fonctionnaires et agents non titulaires de droit public consacrent l'intégralité de leur activité professionnelle aux tâches qui leur sont confiées. Ils ne peuvent exercer à titre professionnel une activité privée lucrative de quelque nature que ce soit. (...) / II.-L'interdiction d'exercer à titre professionnel une activité privée lucrative et le 1° du I ne sont pas applicables : / 1° Au fonctionnaire ou agent non titulaire de droit public qui, après déclaration à l'autorité dont il relève pour l'exercice de ses fonctions, crée ou reprend une entreprise. Cette dérogation est ouverte pendant une durée maximale de deux ans à compter de cette création ou reprise et peut être prolongée pour une durée maximale d'un an. La déclaration de l'intéressé est au préalable soumise à l'examen de la commission prévue à l'article 87 de la loi n° 93-122 du 29 janvier 1993 relative à la prévention de la corruption et à la transparence de la vie économique et des procédures publiques ; (...) ".
6. L'arrêté en litige indique que l'intéressée exploitait à titre principal, sans demande d'autorisation préalable à l'administration de l'éducation nationale, une activité privée à but lucratif alors que le cumul d'emploi est expressément interdit par les dispositions de la loi du 13 juillet 1983. Mme C... fait valoir à juste titre que cet arrêté est entaché d'erreur de droit et d'inexacte qualification juridique des faits dans la mesure où les dispositions alors en vigueur de l'article 25 de la loi du 13 juillet 1983 prescrivaient uniquement une déclaration préalable par l'agent. Toutefois, cet arrêté est également fondé sur d'autres motifs tirés, d'une part, du fait que l'intéressée a exercé illégalement une activité privée alors qu'elle était en congé de longue maladie puis en congé de longue durée et que cette activité privée n'avait pas été prescrite par le service de médecine de prévention au titre de la réadaptation et ne pouvait être considérée comme une activité thérapeutique à titre bénévole médicalement encadrée, qu'elle a débuté cette activité en Corse sans avoir sollicité du recteur l'autorisation de quitter l'académie de Guyane, où elle a continué à percevoir les primes afférentes aux fonctionnaires affectés outre-mer et d'où elle s'est fait rapatrier à titre sanitaire vers la métropole sans en informer son administration, enfin, qu'elle a fait en sorte de dissimuler cette activité privée à son administration.
7. À cet égard, en premier lieu, aux termes de l'article 38 du décret du 14 mars 1986 : " Le bénéficiaire d'un congé de longue maladie ou de longue durée doit cesser tout travail rémunéré, sauf les activités ordonnées et contrôlées médicalement au titre de la réadaptation. (...) ".
8. Mme C... soutient qu'elle remplissait les conditions de l'article 38 du décret du 14 mars 1986 dans la mesure où ses médecins lui avaient recommandé l'exercice d'une activité bénévole pendant ses congés de maladie et qu'elle avait développé une activité de restauration à mi-temps en veillant à ne dégager aucun bénéfice en attendant sa mise à la retraite. Toutefois, si son médecin traitant en Guyane lui recommandait en mai 2013 l'exercice d'une activité bénévole compte tenu des troubles dépressifs dont elle souffrait, la gérance de son établissement de restauration rapide " Ailleurs Kfé" s'analyse à l'évidence comme une activité économique exercée dans un but lucratif, dans les mêmes conditions que celles du secteur concurrentiel fournissant des prestations analogues, et non comme une activité bénévole. En outre, si la commission des droits et de l'autonomie des personnes handicapées a préconisé en 2011 sa réorientation vers le marché du travail, cette instance ne s'est aucunement prononcée sur l'utilité, d'un point de vue médical, de l'exercice par l'intéressée d'un travail rémunéré distinct de ses fonctions alors qu'elle se trouvait en congé de longue maladie, une telle appréciation ne relevant au demeurant pas de ses attributions.
9. En second lieu, il ressort des pièces du dossier que Mme C... a, sans en informer son employeur, obtenu en juillet 2012 auprès de sa mutuelle son rapatriement sanitaire en métropole, a acquis un établissement de restauration rapide à Ajaccio en décembre 2012, a obtenu l'autorisation d'ouverture de ce café le 24 avril 2013 et a ouvert une page Facebook le 3 mai 2013 en vue d'en faire la publicité alors qu'elle était, d'un point de vue statutaire, placée en congé de longue maladie puis de longue durée en Guyane. Elle a obtenu, en se prévalant de son état de santé et de la nécessité d'un soutien de son entourage, son affectation en Corse en septembre 2013 sur un poste de directrice d'école qu'elle n'a finalement jamais occupé, ayant bénéficié à quatre reprises du renouvellement de son congé de longue durée de décembre 2013 à septembre 2015. Ainsi qu'il a été dit précédemment, elle n'a jamais déclaré à son employeur l'existence de cette activité de restauration rapide, en méconnaissance de l'article 25 de la loi du 13 juillet 1983, et a poursuivi cette activité sans autorisation ou contrôle médical en méconnaissance de l'article 38 du décret du 14 mars 1986.
Ces faits constituent des fautes de nature à justifier une sanction disciplinaire. Mme C... ne peut utilement invoquer sa bonne foi et sa fragilité à l'époque des faits alors qu'il lui appartenait de procéder à la vérification de sa situation auprès de son employeur et que son éventuelle vulnérabilité n'a pas fait obstacle à ce qu'elle ouvre son café, y travaille et en assure la publicité depuis avril 2013. L'appelante, qui a ainsi, de manière intentionnelle et pendant une longue période, méconnu les dispositions qui lui sont applicables, a commis une faute grave qui relève du manquement à la probité et au devoir de loyauté.
10. Il résulte de tout ce qui précède que l'ensemble des griefs reprochés à Mme C..., en dehors de celui tiré de l'absence d'autorisation préalable d'exercer une activité privée, sont fondés et sont de nature à justifier une sanction disciplinaire. Il ne résulte pas de l'instruction que l'administration aurait pris, sur la base de ces seuls griefs, une autre décision que la révocation prononcée, laquelle n'est pas une sanction disproportionnée au regard des faits reprochés à l'intéressée, nonobstant l'ancienneté de service de celle-ci et alors même qu'elle n'avait fait précédemment l'objet d'aucune sanction disciplinaire. Il s'ensuit que ses conclusions aux fins d'annulation de l'arrêté du 24 juin 2016 doivent être rejetées.
Sur la légalité de l'arrêté du 7 juillet 2016 :
11. En premier lieu, aux termes de l'article 1er de l'arrêté du 28 août 1990 du ministre de l'éducation nationale susvisé, en vigueur à la date de la décision attaquée : " Délégation permanente de pouvoirs est donnée aux directeurs académiques des services de l'éducation nationale agissant sur délégation du recteur d'académie et au vice recteur de Mayotte pour prononcer à l'égard des personnels appartenant au corps des professeurs des écoles : 1. A la nomination ; (...) ".
12. L'arrêté du 7 juillet 2016 prononçant la radiation des cadres de Mme C... a été signé par M. A... D..., directeur académique des services de l'éducation nationale de la Corse-du-Sud, titulaire d'une délégation de signature du recteur de l'académie de Corse consentie par arrêté du 19 mai 2016, régulièrement publiée au recueil n° 42 du 19 mai 2016 des actes administratifs de l'État dans la région Corse. Il bénéficiait, ainsi, en application de
l'article 1er de l'arrêté du 28 août 1990 précité, d'une délégation de pouvoirs afin de prendre les décisions relatives à la nomination des professeurs des écoles. En l'absence de dispositions contraires, l'autorité investie du pouvoir de nomination des professeurs des écoles a compétence pour prononcer la cessation des fonctions. M. D... étant, par suite, compétent pour adopter l'arrêté attaqué prononçant la radiation des cadres de Mme C..., le moyen tiré de l'incompétence de l'auteur de l'acte doit être écarté.
13. En second lieu, il résulte de ce qui a été dit précédemment que Mme C... n'est pas fondée à exciper de l'illégalité de l'arrêté du 24 juin 2016 à l'appui de ses conclusions tendant à l'annulation de l'arrêté du 7 juillet 2016.
Sur les conclusions aux fins d'injonction et d'astreinte :
14. Le présent arrêt, qui rejette les conclusions à fin d'annulation de la requête de Mme C..., n'appelle aucune mesure d'exécution. Dès lors, les conclusions aux fins d'injonction et d'astreinte présentées par cette dernière ne peuvent qu'être rejetées.
Sur les frais liés à l'instance :
15. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mis à la charge de l'État, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, le versement d'une somme au titre des frais exposés par Mme C... et non compris dans les dépens.
D É C I D E :
Article 1er : Le jugement susvisé du 1er mars 2018 du tribunal administratif de Bastia est annulé.
Article 2 : La demande présentée par Mme C... devant le tribunal administratif de Bastia est rejetée.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à Mme E... C... et au ministre de l'éducation nationale et de la jeunesse.
Délibéré après l'audience du 22 janvier 2019, où siégeaient :
M. Gonzales, président,
M. d'Izarn de Villefort, président assesseur,
Mme Tahiri, premier conseiller.
Lu en audience publique le 5 février 2019.
N° 18MA02182 5