Procédure devant la Cour :
Par une requête enregistrée le 18 octobre 2021, M. A..., représenté par Me Bazin, demande à la Cour :
1°) d'annuler le jugement du 30 avril 2021 de la magistrate désignée du tribunal administratif de Montpellier ;
2°) d'annuler l'arrêté du 1er mars 2021 du préfet de l'Hérault ;
3°) à titre principal, d'enjoindre au préfet de l'Hérault de lui délivrer une autorisation provisoire de séjour, dans le délai de quinze jours suivant la notification de la décision à intervenir et sous astreinte de 100 euros par jour de retard ; à titre subsidiaire, d'enjoindre au préfet de l'Hérault de procéder au réexamen de sa situation, sous les mêmes conditions de délai et d'astreinte ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 2 000 euros au titre des dispositions des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991.
Il soutient que :
Sur la décision portant obligation de quitter le territoire français :
- elle est insuffisamment motivée au regard des dispositions de l'article L. 511-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- elle est entachée d'un défaut d'examen réel et complet de sa situation ;
- elle est entachée d'une erreur de droit, le préfet ayant considéré à tort que son droit à se maintenir sur le territoire français avait pris fin ;
- elle est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation et méconnaît les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.
Sur la décision fixant le pays de destination :
- elle méconnaît les stipulations de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.
Sur la décision fixant le délai de départ volontaire :
- elle est insuffisamment motivée au regard des dispositions de l'article L. 511-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- elle est entachée d'une erreur de droit, le préfet s'étant cru, à tort, lié par le délai de départ volontaire de trente jours ;
- elle est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation.
Sur la décision portant interdiction de retour sur le territoire français :
- elle est insuffisamment motivée au regard des dispositions de l'article L. 511-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- elle est entachée d'une erreur manifeste dans l'appréciation de ses conséquences sur sa situation personnelle.
M. A... a été admis à l'aide juridictionnelle totale par une décision du 3 septembre 2021 du bureau d'aide juridictionnelle près le tribunal judiciaire de Marseille.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le code des relations entre le public et l'administration ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le code de justice administrative.
La présidente de la Cour a désigné par décision du 24 août 2021 M. Portail, président assesseur, pour statuer dans les conditions prévues à l'article R. 222-26 du code de justice administrative.
Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Le rapport de M. Portail a été entendu au cours de l'audience publique.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Considérant ce qui suit :
1. M. A..., de nationalité guinéenne, relève appel du jugement du 30 avril 2021 par lequel la magistrate désignée du tribunal administratif de Montpellier a rejeté sa demande dirigée contre l'arrêté du 1er mars 2021 par lequel le préfet de l'Hérault l'a obligé à quitter le territoire français dans le délai de trente jours, a fixé le pays de destination et l'a interdit de retour sur le territoire français pour une durée de six mois.
Sur la décision portant obligation de quitter le territoire français :
2. En premier lieu, aux termes du I de l'article L. 511-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, dans sa version en vigueur à la date de la décision attaquée : " (...) La décision énonçant l'obligation de quitter le territoire français est motivée. (...) ".
3. La décision portant obligation de quitter le territoire français contestée comporte l'énoncé des considérations de droit et de fait sur lesquelles elle se fonde, et vise notamment les articles L. 741-1 et suivants du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et 3 et 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, retrace le parcours de M. A... en France et notamment en ce qui concerne sa demande d'asile, rappelle ses conditions de séjour sur le territoire français et sa situation privée et familiale et relève qu'il n'est pas dépourvu d'attaches dans son pays d'origine. Dès lors, le moyen tiré de ce que cette décision serait insuffisamment motivée doit être écarté. Pour les mêmes motifs, le moyen tiré de ce que le préfet de l'Hérault n'aurait pas procédé à un examen particulier de sa situation personnelle et familiale doit également être écarté.
4. En deuxième lieu, aux termes de l'article L. 743-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, dans sa version en vigueur à la date de la décision attaquée : " Par dérogation à l'article L. 743-1, sous réserve des stipulations de l'article 33 de la convention relative au statut des réfugiés, signée à Genève le 28 juillet 1951, et de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, adoptée à Rome le 4 novembre 1950, le droit de se maintenir sur le territoire français prend fin et l'attestation de demande d'asile peut être refusée, retirée ou son renouvellement refusé lorsque : (...) 7° L'office a pris une décision de rejet dans les cas prévus au I et au 5° du III de l'article L. 723-2 (...) ". Le I de l'article L. 723-2 de ce code, dans sa version en vigueur à la date de la décision attaquée, prévoit que : " L'office statue en procédure accélérée lorsque : (...) 2° Le demandeur a présenté une demande de réexamen qui n'est pas irrecevable ".
5. Il ressort des pièces du dossier que la demande de réexamen présentée par M. A... auprès de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA) a été jugée recevable par l'Office statuant en procédure accélérée, puis rejetée par une décision du 4 décembre 2020. Par suite, M. A... n'est pas fondé à soutenir qu'il bénéficiait du droit à se maintenir sur le territoire français à la date de la décision attaquée.
6. En dernier lieu, il y a lieu d'écarter les moyens tirés, d'une part, de l'erreur manifeste d'appréciation et, d'autre part, de la méconnaissance des stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, qui ont été précédemment invoqués dans les mêmes termes devant les juges de première instance, par adoption des motifs retenus à bon droit par la magistrate désignée au point 8 de son jugement, le requérant ne faisant état devant la Cour d'aucun élément distinct de ceux soumis à son appréciation.
Sur la décision fixant le pays de destination :
7. Aux termes de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants ".
8. Le requérant fait valoir qu'il serait menacé en cas de retour en Guinée en raison de son orientation sexuelle. S'il est avéré, au regard de l'attitude des autorités de la Guinée et de la législation en vigueur dans ce pays, que les personnes homosexuelles sont effectivement susceptibles de subir des discriminations et des mauvais traitements à raison de cette orientation, il incombe néanmoins au juge administratif, sans pour autant exiger de l'intéressé qu'il apporte la preuve des faits qu'il avance et notamment de son orientation sexuelle, de forger sa conviction au vu des éléments précis et pertinents dont le requérant fait état à l'appui de ses écritures. Au cas particulier, M. A... soutient avoir entretenu une relation sentimentale avec un autre homme, et qu'il a été contraint de fuir la Guinée lorsqu'un de ses amis a divulgué un enregistrement de leur conversation à ce sujet dans la mosquée à l'heure de la prière. L'intéressé a notamment versé, en première instance, une convocation devant un commissariat guinéen pour " des faits d'homosexualité " et une attestation de la Fondation Le Refuge, reconnue d'utilité publique, selon laquelle l'intéressé bénéficie depuis le 9 mars 2020 d'un accompagnement psychologique dans le cadre de sa mission de lutte contre les discriminations LGBT+. Si cette attestation, datée du 27 avril 2021, est postérieure à la date de la décision attaquée, elle révèle néanmoins une situation antérieure à celle-ci. Ces éléments sont de nature à rendre crédibles ses déclarations. Dans cette mesure, M. A... doit être regardé comme établissant qu'il encourrait personnellement des risques de traitements inhumains ou dégradants en cas de retour dans son pays. Il est, par suite, fondé à soutenir que le préfet de l'Hérault a méconnu les stipulations de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.
Sur la décision fixant le délai de départ volontaire :
9. En premier lieu, aux termes de l'article L. 511-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, dans sa version en vigueur à la date de la décision attaquée : " II- L'étranger auquel il est fait obligation de quitter le territoire français dispose d'un délai de départ volontaire de trente jours à compter de la notification de l'obligation de quitter le territoire français. L'autorité administrative peut accorder, à titre exceptionnel, un délai de départ volontaire supérieur à trente jours s'il apparaît nécessaire de tenir compte de circonstances propres à chaque cas. / Le délai de départ volontaire accordé à l'étranger peut faire l'objet d'une prolongation par l'autorité administrative pour une durée appropriée s'il apparaît nécessaire de tenir compte de circonstances propres à chaque cas. (...) ". Il résulte de ces dispositions, qui dérogent à l'application de la loi n° 79-587 du 11 juillet 1979 codifiée aux articles L. 211-1 et suivants du code des relations entre le public et l'administration, que, dans le cas où l'autorité administrative impartit à l'étranger le délai normal de trente jours pour exécuter volontairement l'obligation de quitter le territoire qui lui a été faite, sa décision n'a pas à être motivée. Dès lors, le moyen tiré du défaut de motivation de cette décision est inopérant et doit être écarté.
10. En second lieu, il y a lieu d'écarter les moyens tirés, d'une part, de l'erreur de droit et, d'autre part, de l'erreur manifeste d'appréciation, par adoption des motifs retenus à bon droit par la magistrate désignée au point 11 de son jugement.
Sur la décision portant interdiction de retour sur le territoire français :
11. En premier lieu, aux termes de l'article L. 511-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, dans sa version en vigueur à la date de la décision attaquée : " (...) III- L'autorité administrative, par une décision motivée, assortit l'obligation de quitter le territoire français d'une interdiction de retour sur le territoire français, d'une durée maximale de trois ans à compter de l'exécution de l'obligation de quitter le territoire français, lorsque aucun délai de départ volontaire n'a été accordé à l'étranger. (...) Lorsqu'elle ne se trouve pas en présence du cas prévu au premier alinéa du présent III, l'autorité administrative peut, par une décision motivée, assortir l'obligation de quitter le territoire français d'une interdiction de retour sur le territoire français d'une durée maximale de deux ans à compter de l'exécution de l'obligation de quitter le territoire français. (...) La durée de l'interdiction de retour mentionnée aux premier, sixième et septième alinéas du présent III ainsi que le prononcé et la durée de l'interdiction de retour mentionnée au quatrième alinéa sont décidés par l'autorité administrative en tenant compte de la durée de présence de l'étranger sur le territoire français, de la nature et de l'ancienneté de ses liens avec la France, de la circonstance qu'il a déjà fait l'objet ou non d'une mesure d'éloignement et de la menace pour l'ordre public que représente sa présence sur le territoire français. (...) ".
12. Il ressort des termes mêmes des dispositions du III de l'article L. 511-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile que l'autorité compétente doit, pour décider de prononcer à l'encontre de l'étranger soumis à l'obligation de quitter le territoire français une interdiction de retour et en fixer la durée, tenir compte, dans le respect des principes constitutionnels, des principes généraux du droit et des règles résultant des engagements internationaux de la France, des quatre critères qu'elles énumèrent, sans pouvoir se limiter à ne prendre en compte que l'un ou plusieurs d'entre eux. La décision d'interdiction de retour doit comporter l'énoncé des considérations de droit et de fait qui en constituent le fondement, de sorte que son destinataire puisse à sa seule lecture en connaître les motifs. Si cette motivation doit attester de la prise en compte par l'autorité compétente, au vu de la situation de l'intéressé, de l'ensemble des critères prévus par la loi, aucune règle n'impose que le principe et la durée de l'interdiction de retour fassent l'objet de motivations distinctes, ni que soit indiquée l'importance accordée à chaque critère.
13. L'arrêté attaqué vise le III de l'article L. 511-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et fait état tant de la durée et des conditions de séjour en France de l'intéressé que de sa situation personnelle et familiale, et relève qu'il n'a pas fait l'objet d'une précédente mesure d'éloignement et ne constitue pas une menace à l'ordre public. Cette décision comporte ainsi les considérations de droit et de fait qui la fondent et est suffisamment motivée.
14. En second lieu, il y a lieu d'écarter le moyen tiré de l'erreur manifeste d'appréciation, par adoption des motifs retenus à bon droit par la magistrate désignée au point 21 de son jugement.
15. Il résulte de tout ce qui précède que M. A... est seulement fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, la magistrate désignée du tribunal administratif de Montpellier a rejeté sa demande tendant à l'annulation de la décision fixant le pays de destination.
Sur les conclusions aux fins d'injonction :
16. Le présent arrêt rejette les conclusions dirigées contre l'obligation de quitter le territoire français, la décision portant refus de délai de départ volontaire et l'interdiction de retour sur le territoire français. L'annulation de la décision fixant le pays de renvoi n'implique pas que le préfet de l'Hérault procède à un nouvel examen de la situation de M. A.... Par suite, les conclusions de M. A... aux fins d'injonction doivent être rejetées.
Sur les frais liés au litige :
17. M. A... a obtenu le bénéfice de l'aide juridictionnelle totale. Par suite, son avocate peut se prévaloir des dispositions des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, sous réserve que Me Bazin renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'Etat, de mettre à la charge de l'Etat le paiement à cette avocate de la somme de 1 500 euros.
D E C I D E :
Article 1er : Le jugement n° 2101389 de la magistrate désignée du tribunal administratif de Montpellier, en tant qu'il a rejeté la demande de M. A... tendant à l'annulation de la décision du 1er mars 2021 du préfet de l'Hérault fixant la Guinée comme pays de destination, d'une part, et cette dernière décision, d'autre part, sont annulés.
Article 2 : L'Etat versera la somme de 1 500 euros à Me Bazin au titre des dispositions des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991, sous réserve qu'elle renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'Etat à l'aide juridictionnelle.
Article 3 : Le surplus des conclusions de la requête de M. A... est rejeté.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à M. B... A..., au ministre de l'intérieur et à Me Bazin.
Copie en sera adressée au préfet de l'Hérault et au procureur de la République près le tribunal judiciaire de Montpellier.
Délibéré après l'audience du 25 janvier 2022, où siégeaient :
M. Portail, président par interim, présidant la formation de jugement en application de l'article R. 222-26 du code de justice administrative,
- Mme Carassic, première conseillère,
- Mme Baizet, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe, le 8 février 2022.
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N° 21MA04158