Procédure devant la Cour :
Par une requête, enregistrée le 19 août 2014, et des mémoires complémentaires, enregistrés les 11 et 15 janvier 2016, M. E... F...et Mme A...D..., représentés par la Selarl MGS jurisconsulte, demandent à la Cour :
1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Montpellier du 19 juin 2014 ;
2°) de condamner la commune de Gignac à leur verser une somme de 162 939 euros en réparation de leur préjudice subi du fait de leur perte de chance de réaliser une plus value en cas de cession de leur bien et une somme de 5 000 euros en réparation de leur préjudice moral ;
3°) de mettre à la charge de la commune de Gignac une somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Ils soutiennent que :
- ils ont subi une perte de chance de bénéficier, premièrement, d'une vente immobilière à un prix supérieur à celui qui leur a été accordé par l'ordonnance d'expropriation du 25 février 2013 et, deuxièmement, d'une indemnité d'expropriation supérieure à celle qu'ils ont obtenue ;
- ils ont subi un préjudice moral résultant de ce qu'ils ont été empêchés de fournir à leurs proches un logement plus agréable et plus confortable que celui qu'ils occupaient.
Par un mémoire en défense, enregistré le 27 août 2015, la commune de Gignac, représentée par le cabinet d'avocats PhilippeC..., conclut au rejet de la requête et à la condamnation solidaire des requérants à lui verser une somme de 4 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- les moyens de la requête sont infondés ;
- les requérants ne justifient pas de leur intérêt pour agir ;
- la demande de première instance est irrecevable faute de l'intervention, avant l'introduction de la requête, d'une décision de rejet de la demande préalable ;
- les conclusions indemnitaires relatives à la perte de chance n'ayant pas fait l'objet d'une demande préalable étaient irrecevables en première instance ;
- les conclusions concernant la demande d'indemnisation d'une perte de chance sont nouvelles en appel et donc irrecevables.
Un courrier du 12 août 2015, adressé aux parties en application des dispositions de l'article R. 611-11-1 du code de justice administrative, les a informées de la période à laquelle il est envisagé d'appeler l'affaire à l'audience et a indiqué la date à partir de laquelle l'instruction pourra être close dans les conditions prévues par le dernier alinéa de l'article R. 613-1 et le dernier alinéa de l'article R. 613-2.
Une ordonnance du 1er février 2016 a fixé la clôture de l'instruction à la date de son émission, en application des dispositions des articles R. 613-1 et R. 611-11-1 du code de justice administrative.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendu au cours de l'audience publique :
- le rapport M. Argoud,
- les conclusions de M. Roux, rapporteur public,
- et les observations de Me C... pour la commune de Gignac.
1. Considérant que M. F... et Mme F... épouseD..., sont propriétaires en indivision d'une parcelle bâtie située 8 route de Pézenas sur le territoire de la commune de Gignac ; que Mme B..., fille de M. F..., et son époux ont déposé, le 12 février 2008, une demande de permis de construire en vue de réaménager et surélever la maison située sur cette parcelle ; que, par un arrêté du 2 mai 2008, le maire de la commune de Gignac a décidé de surseoir à statuer sur cette demande puis, par un arrêté du 1er août 2008, a retiré cet arrêté et a opposé un nouveau sursis à statuer pour une durée de quatre mois ; qu'à l'expiration de ce délai, après confirmation par M. B... de sa demande de permis de construire, le maire de Gignac a opposé un refus à sa demande de permis de construire, par un arrêté du 22 janvier 2009 ; que le tribunal administratif de Montpellier, par un jugement du 29 avril 2010, confirmé par un arrêt de la cour administrative d'appel de Marseille du 7 mai 2012, a annulé l'arrêté du 1er août 2008 et l'arrêté du 22 janvier 2009 ; que le terrain d'assiette du projet a fait l'objet d'une ordonnance du juge de l'expropriation du 25 février 2013 ; que M. F... et Mme D... relèvent appel du jugement du 19 juin 2014 du tribunal administratif de Montpellier ayant rejeté leur demande tendant à la condamnation de la commune de Gignac à leur verser, en réparation de leurs préjudices subis du fait de l'illégalité des décisions prises par le maire de Gignac, une somme de 48 000 euros pour leur préjudice résultant, d'une part, de l'impossibilité de disposer du bien comme ils l'envisageaient pour en tirer les bénéfices escomptés et, d'autre part, de la perte de chance de réaliser le projet considéré et de pouvoir bénéficier d'une vente immobilière ainsi qu'une somme de 5 000 euros chacun en réparation de leur préjudice moral ;
Sur la fin de non recevoir opposée par la commune aux conclusions relatives à l'indemnisation d'un chef de préjudice :
2. Considérant, contrairement à ce que soutient la commune, que les conclusions des requérants tendant à l'indemnisation du chef de préjudice relatif à la perte de chance de réaliser une vente immobilière ont déjà été présentées devant le tribunal administratif, qui a d'ailleurs répondu à cette demande au point 5 du jugement ; qu'elles ne sont donc pas, en tout état de cause, nouvelles en appel ;
Sur les fins de non recevoir opposées à la demande de première instance :
3. Considérant, en premier lieu, que la commune soutient que la demande de première instance est irrecevable faute de l'intervention, avant l'introduction de la requête, d'une décision de rejet de la demande préalable ; que, toutefois, le caractère prématuré de la demande de première instance ne la rend pas irrecevable, dès lors que le silence gardé par la commune sur la demande préalable, qui lui a été adressée par M. F... et Mme D..., a fait naître en cours d'instance et avant que le tribunal ne statue, une décision implicite de refus, qui a lié le contentieux et régularisé la demande de première instance sur ce point ;
4. Considérant, en deuxième lieu, que la commune soutient que les conclusions indemnitaires, relatives à la perte de chance, n'ayant pas fait l'objet d'une demande préalable, étaient irrecevables en première instance ; que, toutefois, il résulte de ce qui vient d'être dit que le contentieux a été lié relativement aux conséquences des décisions illégales ; qu'il ne résulte pas de la demande préalable que les requérants ont entendu circonscrire le litige aux seuls chefs de préjudices invoqués dans cette demande ; que dès lors, ils étaient recevables à invoquer, devant le tribunal administratif, le chef de préjudice relatif à la perte de chance de réaliser une plus-value, bien qu'il n'ait pas été invoqué dans la demande préalable, dès lors qu'il se rattache au même fait générateur ;
5. Considérant, enfin, que les requérants qui, comme il a été dit aux points précédents, ont lié le contentieux, étaient recevables à demander la condamnation de la commune à leur verser une indemnité en réparation des préjudices directs et certains résultant des décisions illégales citées au point 1 ; que la fin de non-recevoir tirée du défaut d'intérêt pour agir doit donc être écartée ;
Sur les conclusions indemnitaires :
En ce qui concerne le principe de la responsabilité :
6. Considérant que les illégalités internes des arrêtés du 1er août 2008 et du 22 janvier 2009, constatées par le jugement du tribunal administratif de Montpellier du 29 avril 2010, devenu définitif, constituent des fautes de nature à engager la responsabilité de la commune ;
En ce qui concerne le préjudice :
7. Considérant, en ce qui concerne la perte de chance de réaliser une vente, que les requérants ne contestent pas ne pas avoir formé de projet de vente, mais se bornent à déclarer que l'expropriation est un fait qui les a privés d'une chance de former un tel projet ; que, ce faisant, ils ne démontrent ni la réalité de ce chef de préjudice ni qu'il serait en lien direct avec les illégalités fautives de la commune ; que, par suite, ce chef de préjudice doit être écarté ;
8. Considérant, en ce qui concerne le préjudice moral, qu'il résulte de l'instruction que les requérants avaient l'intention de mettre à disposition de leur fille et leur gendre l'immeuble faisant l'objet des demandes d'autorisation d'urbanisme auxquelles ont été opposées les décisions illégales de sursis à statuer et de refus ; qu'il sera fait une juste appréciation de leur préjudice subi du fait de ces décisions, qui les ont donc empêché de disposer de leur bien pour la mise en oeuvre de cette libéralité, en leur allouant une somme de 1 000 euros ;
9. Considérant que les requérants sont donc fondés à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif a rejeté en totalité leur demande indemnitaire et qu'ils sont fondés à demander sa réformation dans la mesure résultant du point précédent ;
Sur les conclusions présentées sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
10. Considérant que ces dispositions font obstacle à ce qu'une somme soit mise sur leur fondement à la charge des requérants, qui n'ont pas la qualité de partie perdant pour l'essentiel dans la présente instance, au titre des frais exposés par la commune de Gignac et non compris dans les dépens ; qu'en revanche, dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu de mettre, sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, à la charge de la commune de Gignac, une somme de 2 000 euros au titre des frais exposés par les requérants et non compris dans les dépens ;
D É C I D E :
Article 1er : La commune de Gignac est condamnée à verser à M. F... et Mme D..., pris ensemble une somme de 1 000 (mille) euros.
Article 2 : Le jugement du tribunal administratif de Montpellier du 19 juin 2014 est réformé en ce qu'il est contraire à l'article 1er du présent arrêt.
Article 3 : La commune de Gignac versera à M. F... et Mme D..., pris ensemble une somme de 2 000 (deux mille) euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : Le surplus de la requête est rejeté.
Article 5 : Les conclusions présentées par la commune de Gignac sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 6 : Le présent arrêt sera notifié à M. E... F..., à Mme A... D...et à la commune de Gignac.
Délibéré après l'audience du 26 février 2016, où siégeaient :
- Mme Buccafurri, présidente,
- M. Portail, président-assesseur,
- M. Argoud, premier conseiller.
Lu en audience publique, le 18 mars 2016.
''
''
''
''
2
N° 14MA03771