Procédure devant la cour :
Par une requête enregistrée sous le n° 20NC03103 le 23 octobre 2020, M. D... A... et Mme C... A..., représentés par Me B..., demandent à la cour :
1°) d'annuler le jugement du tribunal administratif de Strasbourg du 25 juin 2020 ;
2°) d'annuler les arrêtés du préfet de la Moselle du 28 janvier 2020 ;
3°) d'enjoindre au préfet de la Moselle de leur délivrer un titre de séjour, subsidiairement, de réexaminer leur situation dans un délai de quinze jours, au besoin sous astreinte ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 1 500 euros à verser à Me B... sur le fondement des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991.
Ils soutiennent que :
S'agissant de la décision de refus de séjour :
- l'avis du collège des médecins de l'Office français de l'immigration et de l'intégration (OFII) est insuffisamment motivé ;
- le préfet s'est cru en situation de compétence liée et a donc méconnu l'étendue de sa compétence, en se retranchant derrière l'avis du collège des médecins de l'OFII ;
- la décision contestée méconnaît l'article L. 313-11 11° du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation ;
S'agissant de l'obligation de quitter le territoire français :
- elle est dépourvue de base légale en raison de l'illégalité de la décision de refus de titre de séjour ;
- elle méconnaît l'article L. 511-4 10° du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- elle méconnaît l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.
S'agissant de la décision fixant le pays de destination :
- elle est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation, un renvoi dans son pays d'origine risquant de provoquer une aggravation significative de l'état de santé de M. A....
Par un mémoire en défense, enregistré le 15 mars 2021, le préfet de la Moselle conclut au rejet de la requête.
Il fait valoir que les moyens soulevés par le requérant ne sont pas fondés.
M. et Mme A... ont été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par des décisions en date du 29 septembre 2020.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- l'arrêté du 27 décembre 2016 relatif aux conditions d'établissement et de transmission des certificats médicaux, rapports médicaux et avis mentionnés aux articles R. 313-22, R. 313-23 et R. 511-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le président de la formation de jugement a dispensé la rapporteure publique, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Le rapport de M. Favret, premier conseiller, a été entendu au cours de l'audience publique.
Considérant ce qui suit :
1. M. D... A... et Mme C... A..., ressortissants albanais nés respectivement les 4 février 1984 et 6 février 1988, ont déclaré être entrés en France le 29 novembre 2016, pour y solliciter l'asile, qu'ils n'ont pas obtenu. M. A... a alors sollicité la délivrance d'un titre de séjour pour raisons de santé, et Mme A... la délivrance d'un titre de séjour sur le fondement du 7° de l'article L. 313-11. Les intéressés se sont vus délivrer, le 13 juin 2019, une autorisation provisoire de séjour, l'état de santé de M. A... nécessitant des soins pendant une durée de trois mois. Le 24 juillet 2019, M. et Mme A... ont sollicité leur admission au séjour, mais le préfet de la Moselle a, par deux arrêtés du 28 janvier 2020, refusé de leur accorder un titre de séjour, leur a fait obligation de quitter le territoire français dans le délai de trente jours et a fixé le pays de destination. M. et Mme A... font appel du jugement du 25 juin 2020 par lequel le tribunal administratif de Strasbourg a rejeté leurs demandes d'annulation de ces arrêtés.
Sur la décision de refus de délivrance d'un titre de séjour :
2. En premier lieu, aux termes de l'article R. 313-22 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Pour l'application du 11° de l'article L. 313-11, le préfet délivre la carte de séjour au vu d'un avis émis par un collège de médecins à compétence nationale de l'Office français de l'immigration et de l'intégration. / L'avis est émis dans les conditions fixées par arrêté du ministre chargé de l'immigration et du ministre chargé de la santé au vu, d'une part, d'un rapport médical établi par un médecin de l'Office français de l'immigration et de l'intégration et, d'autre part, des informations disponibles sur les possibilités de bénéficier effectivement d'un traitement approprié dans le pays d'origine de l'intéressé ". Aux termes de l'article 6 de l'arrêté du 27 décembre 2016 relatif aux conditions d'établissement et de transmission des certificats médicaux, rapports médicaux et avis mentionnés aux articles R. 313-22, R. 313-23 et R. 511-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, l'avis du collège de médecins de l'OFII doit être émis " conformément au modèle figurant à l'annexe C du présent arrêté (...) " et préciser : " a) si l'état de santé de l'étranger nécessite ou non une prise en charge médicale ; b) si le défaut de cette prise en charge peut ou non entraîner des conséquences d'une exceptionnelle gravité sur son état de santé ; c) si, eu égard à l'offre de soins et aux caractéristiques du système de santé dans le pays dont le ressortissant étranger est originaire, il pourrait ou non y bénéficier effectivement d'un traitement approprié ; d) la durée prévisible du traitement " et que " dans le cas où le ressortissant étranger pourrait bénéficier effectivement d'un traitement approprié, eu égard à l'offre de soins et aux caractéristiques du système de santé dans le pays dont il est originaire, le collège indique, au vu des éléments du dossier du demandeur, si l'état de santé de ce dernier lui permet de voyager sans risque vers ce pays (...) ".
3. Le préfet de la Moselle a produit l'avis émis le 7 janvier 2020 par le collège de médecins de l'OFII. Il ressort des mentions figurant sur cet avis, établi conformément au modèle figurant à l'annexe C de l'arrêté du 27 décembre 2016, que le collège s'est prononcé sur l'ensemble des éléments prévus par l'article 6 précité de cet arrêté. Par suite, les requérants ne sont pas fondés à soutenir que l'avis du collège des médecins de l'OFII est insuffisamment motivé.
4. En deuxième lieu, il ne ressort ni des pièces du dossier ni des termes de la décision attaquée, que le préfet de la Moselle se serait estimé lié par le sens de l'avis émis le 7 janvier 2020 par le collège de médecins de l'OFII.
5. En troisième lieu, aux termes de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Sauf si sa présence constitue une menace pour l'ordre public, la carte de séjour temporaire portant la mention " vie privée et familiale " est délivrée de plein droit : / (...) / 11° A l'étranger résidant habituellement en France, si son état de santé nécessite une prise en charge médicale dont le défaut pourrait avoir pour lui des conséquences d'une exceptionnelle gravité et si, eu égard à l'offre de soins et aux caractéristiques du système de santé dans le pays dont il est originaire, il ne pourrait pas y bénéficier effectivement d'un traitement approprié. La condition prévue à l'article L. 313-2 n'est pas exigée. La décision de délivrer la carte de séjour est prise par l'autorité administrative après avis d'un collège de médecins du service médical de l'Office français de l'immigration et de l'intégration, dans des conditions définies par décret en Conseil d'Etat. / (...). ".
6. Il appartient à l'autorité administrative, lorsqu'elle envisage de refuser la délivrance d'un titre de séjour à un étranger qui en fait la demande au titre des dispositions du 11° de l'article L. 313-11, de vérifier, au vu de l'avis émis par le médecin mentionné à l'article R. 313-22, que cette décision ne peut avoir de conséquences d'une exceptionnelle gravité sur l'état de santé de l'intéressé et, en particulier, d'apprécier, sous le contrôle du juge de l'excès de pouvoir, la nature et la gravité des risques qu'entraînerait un défaut de prise en charge médicale dans le pays dont l'étranger est originaire. Lorsque le défaut de prise en charge risque d'avoir des conséquences d'une exceptionnelle gravité sur la santé de l'intéressé, l'autorité administrative ne peut légalement refuser le titre de séjour sollicité que s'il existe des possibilités de traitement approprié de l'affection en cause dans son pays d'origine. Elle doit alors, au vu de l'ensemble des informations dont elle dispose, apprécier si l'intéressé peut ou non bénéficier effectivement d'un traitement approprié dans son pays d'origine.
7. Il ressort des pièces du dossier que M. A... présente une amputation atypique des deux pieds dans le cadre de séquelles de brûlures survenues à l'âge de neuf mois, associée à des déformations et des troubles cutanés, et qu'il bénéficie pour ces affections d'une prise en charge pluridisciplinaire nécessitant une coopération entre podo-orthésiste et orthoprothésiste, et d'un traitement médicamenteux. Pour refuser à l'intéressé le titre de séjour qu'il avait sollicité pour raisons de santé, le préfet de la Moselle s'est fondé notamment sur un avis émis le 7 janvier 2020 par le collège des médecins de l'OFII, qui a estimé que l'état de santé de l'intéressé nécessitait une prise en charge médicale, mais que le défaut d'une telle prise en charge ne devrait pas entraîner des conséquences d'une exceptionnelle gravité et que M. A... pouvait voyager sans risque. Les pièces produites par le requérant, notamment deux certificats médicaux établis par le Dr Martinet les 22 octobre 2019 et 26 février 2020, ne permettent pas de remettre en cause l'appréciation portée, au vu de cet avis, par le préfet de la Moselle. Elles n'établissent pas davantage, au surplus, que les principes actifs des médicaments de marque Ialuset crème et le Pregabaline HCS, prescrits à l'intéressé, n'existeraient pas en Albanie sous une autre appellation commerciale. Si M. A... soutient qu'il est incapable de marcher sans un appareillage qui doit être régulièrement ajusté, il ne produit en tout état de cause aucun élément de nature à établir l'indisponibilité des prothèses nécessaires en Albanie et l'impossibilité pour lui de bénéficier effectivement d'une adaptation de ses prothèses dans son pays d'origine. Par suite, et sans qu'y fasse obstacle la circonstance que la Maison départementale des personnes handicapées de Moselle a reconnu à l'intéressé la qualité de travailleur handicapé et a accepté de lui verser l'allocation pour adulte handicapé, les moyens tirés de la méconnaissance des dispositions précitées de l'article L. 313-11 11° du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, en ce qui concerne le refus de titre de séjour opposé à M. A..., et de l'erreur manifeste d'appréciation, en ce qui concerne ce refus de titre de séjour et celui opposé à son épouse, doivent être écartés.
Sur la légalité des décisions portant obligation de quitter le territoire français :
8. En premier lieu, il résulte de ce qui précède que M. et Mme A... ne sont pas fondés à soulever, par la voie de l'exception, l'illégalité des décisions refusant de leur accorder un titre de séjour à l'appui de leurs conclusions dirigées contre les décisions les obligeant à quitter le territoire.
9. En deuxième lieu, aux termes de l'article L. 511-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Ne peuvent faire l'objet d'une obligation de quitter le territoire français : (...) 10° L'étranger résidant habituellement en France si son état de santé nécessite une prise en charge médicale dont le défaut pourrait avoir pour lui des conséquences d'une exceptionnelle gravité et si, eu égard à l'offre de soins et aux caractéristiques du système de santé du pays de renvoi, il ne pourrait pas y bénéficier effectivement d'un traitement approprié (...) ".
10. Compte tenu de ce qui a été dit au point 7 du présent arrêt, les requérants ne sont pas fondés à soutenir que les décisions contestées méconnaissent les dispositions du 10° de l'article L. 511-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.
11. En troisième lieu, aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. 2. Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui ".
12. Il ressort des pièces du dossier que M. et Mme A... sont entrés en France le 29 novembre 2016. S'ils résidaient ainsi sur le territoire français depuis un peu plus de trois ans à la date des décisions contestées, la durée de leur présence sur le territoire français s'explique en partie par les démarches vaines qu'ils avaient entreprises pour obtenir le statut de réfugié. En outre, il ne ressort pas des pièces du dossier qu'ils seraient dépourvus d'attaches familiales dans leur pays d'origine, où ils ont vécu jusqu'à leur arrivée en France. Par suite, et nonobstant la scolarisation en France de leurs deux enfants mineurs, nés respectivement en 2008 et 2011, M. et Mme A... ne sont pas fondés à soutenir que les décisions contestées méconnaissent l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.
Sur la légalité des décisions fixant le pays d'éloignement :
13. Compte tenu de ce qui a été dit au point 7 du présent arrêt, les requérants ne sont pas fondés à soutenir qu'un renvoi dans le pays d'origine risquerait de provoquer une aggravation significative de l'état de santé de M. A... et que les décisions fixant le pays de destination seraient ainsi entachées d'une erreur manifeste d'appréciation.
14. Il résulte de tout ce qui précède que M. et Mme A... ne sont pas fondés à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Strasbourg a rejeté leurs demandes tendant à l'annulation des arrêtés du préfet de la Moselle du 28 janvier 2020. Leurs conclusions tendant à ce qu'il soit enjoint au préfet de la Moselle de leur délivrer un titre de séjour, subsidiairement, de réexaminer leur situation dans un délai de quinze jours, au besoin sous astreinte doivent être rejetées par voie de conséquence.
Sur les frais liés à l'instance :
15. Aux termes de l'article L. 761-1 du code de justice administrative : " Dans toutes les instances, le juge condamne la partie tenue aux dépens, ou à défaut la partie perdante, à payer à l'autre partie la somme qu'il détermine, au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Le juge tient compte de l'équité ou de la situation économique de la partie condamnée. Il peut, même d'office, pour des raisons tirées des mêmes considérations, dire qu'il n'y a pas lieu à cette condamnation ".
16. Ces dispositions font obstacle à ce que soit mis à la charge de l'Etat, qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante, le versement de la somme que le conseil de M. et Mme A... demande au titre des dispositions précitées de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.
DÉCIDE :
Article 1er : La requête de M. D... A... et de Mme C... A... est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à M. D... A..., à Mme C... A... et au ministre de l'intérieur.
Copie en sera adressée au préfet de la Moselle.
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N° 20NC03103