Procédure devant la cour :
Par une requête sommaire enregistrée le 19 novembre 2018, un mémoire ampliatif enregistré le 10 décembre 2018 et un mémoire en réplique enregistré le 5 février 2019, les Hôpitaux universitaires de Strasbourg (HUS), représentés par Me D..., demandent à la cour :
1°) d'annuler le jugement du tribunal administratif de Strasbourg du 20 septembre 2018 ;
2°) de ramener les indemnités allouées à Mme B... et à la caisse primaire d'assurance maladie du Bas-Rhin à de plus justes proportions.
Ils soutiennent que :
- le jugement dont il est demandé l'annulation est insuffisamment motivé au regard des conclusions dont il avait été saisi ;
- c'est à tort que le tribunal a jugé le lien de causalité entre la faute et les préjudices subis établis et la perte de chance totale ;
- l'intervention litigieuse n'a pas aggravé l'état de santé de la patiente et ne l'a pas privée d'une chance d'être réopérée ;
- les préjudices réparables sont uniquement ceux imputables à cette intervention inutile ; le déficit fonctionnel permanent ne peut être indemnisé dès lors qu'une intervention pourrait remédier aux troubles et que son état de santé ne peut être regardé comme consolidé ;
- la réparation doit être proportionnée à la probabilité de succès de l'intervention, c'est à tort que le tribunal n'a pas tenu compte du taux de perte de chance retenu par les experts ; même en l'absence d'erreur d'étage, l'opération n'avait qu'une chance sur trois de permettre l'amélioration de l'état de santé de Mme B... ;
- à titre subsidiaire, le tribunal a procédé à une évaluation excessive des préjudices ;
- la requête de la caisse doit être rejetée dès lors notamment que les dépenses d'appareillages au titre d'un lit médicalisé d'un fauteuil roulant et d'attelle ne sont pas imputables à la faute retenue.
Par un mémoire en défense enregistré le 28 janvier 2019 la caisse primaire d'assurance maladie du Bas-Rhin (CPAM), représentée par Me G..., conclut à :
- la confirmation du jugement du tribunal administratif de Strasbourg du 20 septembre 2018 ;
- à titre subsidiaire la condamnation des HUS à lui verser la somme de 35 516,20 euros avec intérêts au taux légal à compter du présent mémoire, eux-mêmes capitalisés, sauf à appliquer un pourcentage de perte de chance, ainsi que l'indemnité forfaitaire calculée selon les dispositions de l'article L. 376-1 du code de la sécurité sociale ;
- la condamnation des HUS à lui verser une somme de 3 000 euros sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle fait valoir que :
- il est incontestable que la faute a été commise par l'appelant et que les préjudices recensés résultent de l'intervention chirurgicale ; les débours exposés par la CPAM sont imputables à la faute médicale commise par les HUS ;
- elle justifie de la prise en charge de certaines dépenses par le relevé de ses débours et l'attestation d'imputabilité du médecin conseil du 25 septembre 2017 ;
- en tout état de cause, l'appelant ne développe aucun moyen de droit comme de fait contre sa condamnation au profit de la CPAM .
Par un mémoire en défense enregistré le 15 avril 2019, Mme E... B..., représentée par Me A..., conclut au rejet de la requête et à la condamnation des HUS à lui verser une somme de 3 500 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle fait valoir que :
- l'appelant ne conteste pas sa faute ni sa responsabilité ;
- contrairement à ce que soutient l'appelant le déficit fonctionnel permanent est indemnisable alors même qu'une opération pourrait permettre de remédier aux troubles lombaires dont elle souffre ;
- pour l'ensemble des préjudices liés à l'opération réalisée en pure perte, il n'y a pas lieu de faire application du taux de perte de chance ; les montants alloués par les premiers juges pour le déficit fonctionnel permanent les souffrances endurées et le préjudice esthétique n'ont donc pas vocation à être remis en cause ;
- seul un tiers du déficit fonctionnel permanent total de 30% soit 10% peut faire l'objet d'une indemnisation.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code de la santé publique ;
- le code de la sécurité sociale ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme F..., présidente-assesseure,
- les conclusions de Mme Peton, rapporteur public,
- et les observations de Me C... pour les HUS, et de Me H... pour la CPAM du Bas-Rhin.
Considérant ce qui suit :
1. Mme E... B..., née le 20 septembre 1954, souffre depuis 2001 de lombalgies dues à une discopathie L4-L5 d'origine dégénérative. Une aggravation des lombalgies avec apparition d'un déficit sensitif des derniers orteils du pied gauche et d'une difficulté de la flexion dorsale du pied s'est progressivement manifestée. Si dans un premier temps, l'intervention chirurgicale consistant en une laminectomie L4-L5 a été reportée au regard de l'état de santé de la patiente, elle a été préconisée en février 2011 face à l'apparition de lombo-sciatalgies bilatérales et lombo-cruralgies gauches et à l'aggravation des difficultés à la marche. L'intervention a eu lieu le 1er avril 2011. Les suites ont été simples avec une légère amélioration puis rapidement les algies lombaires ont repris. Les examens pratiqués ont montré qu'une erreur d'étage a été commise pendant l'intervention, le niveau L3-L4 ayant été opéré au lieu du niveau L4-L5. Une expertise diligentée par la SHAM, assureur des HUS, a été confiée au Docteur Boniface qui s'est adjoint le Professeur Auque neurochirurgien en qualité de sapiteur, avec l'assistance du Docteur Preul, médecin de l'assureur de Mme B.... Après le rejet implicite de sa réclamation préalable, Mme B... a saisi le tribunal administratif de Strasbourg d'une demande d'indemnisation à hauteur de 15 986 euros en réparation des préjudice subis, dont il convenait de déduire une provision de 1 000 euros versés par la SHAM, et de 2 756 euros pour les frais d'expertise supportés par son assureur. Par un jugement du 20 septembre 2018, le tribunal administratif de Strasbourg a fait droit à la demande de Mme B... en admettant une perte de chance totale de voir son état s'améliorer et en lui allouant la somme de 15 986 euros, ainsi qu'une somme de 24 166,48 euros à la CPAM du Bas-Rhin. Les HUS relèvent appel de ce jugement.
Sur la régularité du jugement :
2. Aux termes de l'article L. 9 du code de justice administrative : " Les jugements sont motivés ". Il ressort des mentions du jugement attaqué que les premiers juges ont suffisamment motivé leur jugement tant en fait qu'en droit. Ainsi, le moyen tiré de la motivation insuffisante du jugement attaqué au regard des conclusions de la demanderesse doit être écarté comme non fondé.
Sur le bien-fondé du jugement :
En ce qui concerne la responsabilité :
3. Aux termes de l'article L. 1142-1 du code de la santé publique : " I. - Hors le cas où leur responsabilité est encourue en raison d'un défaut d'un produit de santé, les professionnels de santé mentionnés à la quatrième partie du présent code, ainsi que tout établissement, service ou organisme dans lesquels sont réalisés des actes individuels de prévention, de diagnostic ou de soins ne sont responsables des conséquences dommageables d'actes de prévention, de diagnostic ou de soins qu'en cas de faute (...) ".
4. Il résulte de l'instruction et notamment de l'expertise amiable diligentée par la SHAM assureur des HUS et rédigée dans le cadre d'une procédure avec l'assureur de Mme B..., retenue à titre d'élément d'information, qu'une erreur d'étage a été commise lors de l'intervention chirurgicale réalisée le 1er avril 2011, la laminectomie devant porter sur l'étage L4-L5 et ayant en réalité porté sur l'étage L3-L4. Il résulte également de l'instruction que, si l'état de santé de la patiente a favorisé l'erreur ainsi commise, cette dernière constitue un manquement du chirurgien aux règles de l'art. Elle constitue ainsi une faute de nature à engager la responsabilité du centre hospitalier. Si cette intervention, médicalement justifiée, destinée à remédier à des lombo-sciatalgies et cruralgies invalidantes n'a pas entraîné d'aggravation de l'état de santé de Mme B..., elle a néanmoins impliqué, d'une part, des troubles liés à l'intervention elle-même et, d'autre part, une perte de chance de voir son état s'améliorer évaluée par les experts à 33% compte tenu du terrain défavorable lié aux autres pathologies de la patiente pour une telle intervention.
5. Lorsqu'une intervention destinée à remédier à un handicap échoue parce qu'elle a été conduite dans des conditions fautives, le patient peut prétendre à une indemnisation réparant, outre les troubles liés à l'intervention inutile et ses éventuelles conséquences dommageables, les préjudices résultant de la persistance de son handicap, dans la limite de la perte de chance de guérison qu'il a subie, laquelle doit être évaluée en fonction de la probabilité du succès d'une intervention correctement réalisée. La circonstance qu'une intervention réparatrice demeure possible ne fait pas obstacle à l'indemnisation, dès lors que l'intéressée n'est pas tenue de subir une telle intervention, mais justifie seulement qu'elle soit limitée aux préjudices déjà subis à la date du jugement, à l'exclusion des préjudices futurs.
6. Il résulte de ce qui vient d'être dit que les préjudices liés à l'intervention inutile sont en lien direct avec cette faute et doivent être réparés intégralement, sauf en ce qui concerne le préjudice subi du fait de la perte de chance de guérison.
7. Par suite, il y a lieu, d'une part, de réparer intégralement les préjudices liés au déficit fonctionnel temporaire, aux souffrances endurées et au préjudice esthétique directement imputables à l'intervention inutile du 1er avril 2011 et, d'autre part, de réparer le déficit fonctionnel permanent sur le fondement de la perte de chance évaluée à 33 % par l'expert.
En ce qui concerne l'évaluation des préjudices :
S'agissant des débours de la CPAM du Bas-Rhin :
8. Il ressort du relevé de débours de la caisse et de l'attestation d'imputabilité du médecin conseil et il n'est pas sérieusement contesté que les frais d'hospitalisation, les frais médicaux et pharmaceutiques en lien avec l'intervention inutile du 1er avril 2011 s'élèvent à la somme de 24 166,48 euros. la CPAM du Bas-Rhin doit, par suite, être remboursée de cette somme.
S'agissant des droits de Mme B... :
9. Il résulte en premier lieu de l'instruction que l'intervention inutile pratiquée le 1er avril 2011 a causé à Mme B... différents préjudices tenant à un déficit fonctionnel, total pour la période du 31 mars 2011 au 6 avril 2011 soit 7 jours et de classe II du 7 avril 2011 au 30 novembre 2014, correspondant à des douleurs persistantes, des investigations complémentaires et des examens et recherches d'alternatives thérapeutiques pour atténuer l'aggravation des signes de compression, ainsi qu'à des souffrances évaluées à 3 sur 7 et à un préjudice esthétique consistant en une cicatrice opératoire évalué à 1/7. Ces préjudices ont été justement évalués en première instance aux sommes respectives de 5 660 euros, 3 500 euros et 1 000 euros.
10. En second lieu, il résulte de l'instruction que le manquement commis lors de l'intervention chirurgicale du 1er avril 2011 a entraîné une perte de chance d'un tiers pour Mme B... de voir son état s'améliorer. Compte tenu de la part de l'atteinte radiculaire dans l'état séquellaire de Mme B..., son déficit fonctionnel permanent ayant perduré en raison de la faute commise doit être évalué à 30 % et doit être indemnisé pour le passé comme pour l'avenir, dès lors qu'une nouvelle intervention n'est pas préconisée compte tenu d'un terrain particulièrement défavorable pour la patiente. Après application du taux de perte de chance, ce préjudice doit être évalué à la somme de 11 000 euros.
11. Il suit de là que les préjudices subis par Mme B... du fait de la maladresse technique commise lors de l'intervention du 1er avril 2011 ont été justement évalués par le tribunal administratif de Strasbourg à la somme de 21 160 euros dont il convient de retirer l'indemnité provisionnelle de 1 000 euros versée par l'assureur de l'appelant et de limiter, compte tenu des conclusions de Mme B..., la condamnation des HUS à la somme de 15 986 euros allouée par le tribunal.
12. Il résulte de tout ce qui précède que les HUS ne sont pas fondés à se plaindre de ce que le tribunal administratif de Strasbourg les ait condamnés à indemniser les préjudices subis par Mme B... pour une somme de 15 986 euros et à rembourser les débours de la CPAM du Bas Rhin pour un montant de 24 166,48 euros.
Sur les conclusions tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
13. Il y a lieu dans les circonstances de l'espèce de mettre à la charge des HUS deux sommes de 2000 euros à verser, l'une, à Mme B... et, l'autre, à la CPAM du Bas-Rhin sur le fondement de ces dispositions.
DECIDE :
Article 1er : La requête des Hôpitaux universitaires de Strasbourg est rejetée.
Article 2 : Les Hôpitaux universitaires de Strasbourg verseront à la CPAM du Bas Rhin une somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : Les Hôpitaux universitaires de Strasbourg verseront à Mme B... une somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié aux Hôpitaux universitaires de Strasbourg, à la caisse primaire d'assurance maladie du Bas-Rhin et à Mme E... B....
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N° 18NC03126