Procédure devant la cour :
Par une requête, enregistrée le 23 mars 2018, Mme B..., représentée par Me A..., demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Strasbourg du 24 janvier 2018 ;
2°) d'annuler la décision implicite par laquelle le préfet de la zone de défense et de sécurité Est a refusé de lui accorder le bénéfice de la protection fonctionnelle ;
3°) de condamner l'Etat à lui verser la somme de 40 735,80 euros en réparation du préjudice que lui a causé le harcèlement moral dont elle estime avoir été victime ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 2 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- elle a, entre 2007 et 2015, été l'objet de mesures vexatoires et en particulier des mesures d'isolement, une absence de fonctions effectives, une rétrogradation sous la subordination d'agents de grades moins élevés que le sien ;
- elle a, de même, subi des mesures visant à entraver le déroulement de sa carrière tels que des erreurs dans son dossier, le refus de l'administration de lui allouer les moyens nécessaires à l'exercice de ses fonctions et divers obstacles de nature à gêner la validation des acquis de son expérience :
- ces faits, qui sont constitutifs de harcèlement moral, caractérisent une faute de l'administration et sont de nature à lui ouvrir droit au bénéfice de la protection fonctionnelle ;
- elle a subi un préjudice lié à l'absence d'affectation sur des postes permettant de bénéficier d'une nouvelle bonification indiciaire entre 2005 et 2015, à hauteur de la somme de 11 735,80 euros, à parfaire ;
- elle a subi un préjudice de carrière dont il sera fait une juste appréciation en le fixant à la somme de 10 000 euros ;
- elle n'a pas bénéficié d'un régime indemnitaire adapté depuis l'année 2007, ce qui a occasionné un préjudice à hauteur de 9 000 euros ;
- elle a droit à la réparation du préjudice moral qu'elle a subi à hauteur de la somme de 10 000 euros.
Par un mémoire en défense, enregistré le 23 juillet 2018, le ministre de l'intérieur conclut au rejet de la requête.
Il soutient que :
- la requête est irrecevable, faute de présenter des moyens d'appel ;
- l'administration n'a commis aucune faute de nature à engager sa responsabilité ;
- les moyens dirigés contre la décision refusant le bénéfice de la protection fonctionnelle ne sont pas fondés.
La clôture de l'instruction est intervenue le 27 septembre 2019.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la loi n°83-634 du 13 juillet 1983 ;
- la loi n° 84-16 du 11 janvier 1984 ;
- le décret n° 2010-302 du 19 mars 2010 ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Dietenhoeffer, premier conseiller,
- et les conclusions de Mme Kohler, rapporteur public.
Considérant ce qui suit :
1. Mme B... secrétaire administrative du ministère de l'intérieur, a été affectée, à partir du 23 juillet 2007 et jusqu'à son admission à la retraite, le 2 mars 2016, au sein des services de la préfecture de la zone de défense Grand Est. Estimant avoir été victime, durant toute cette période, d'agissements constitutifs d'un harcèlement moral de la part de son administration, elle a adressé au préfet de la zone de défense Grand Est, le 16 juillet 2015, un courrier réclamant l'indemnisation de son préjudice et le bénéfice de la protection fonctionnelle au titre de ces mêmes faits. Ces demandes ayant été implicitement rejetées, Mme B... fait appel du jugement du 24 janvier 2018 par lequel le tribunal administratif de Strasbourg a rejeté ses conclusions indemnitaires ainsi que ses conclusions tendant à l'annulation de la décision refusant de lui accorder la protection fonctionnelle.
Sur le bien-fondé du jugement :
En ce qui concerne les conclusions indemnitaires :
2. Aux termes de l'article 6 quinquies de la loi du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires, dans sa rédaction alors en vigueur : " Aucun fonctionnaire ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel./ Aucune mesure concernant notamment le recrutement, la titularisation, la formation, la notation, la discipline, la promotion, l'affectation et la mutation ne peut être prise à l'égard d'un fonctionnaire en prenant en considération : / 1° Le fait qu'il ait subi ou refusé de subir les agissements de harcèlement moral visés au premier alinéa ; / 2° Le fait qu'il ait exercé un recours auprès d'un supérieur hiérarchique ou engagé une action en justice visant à faire cesser ces agissements ; / 3° Ou bien le fait qu'il ait témoigné de tels agissements ou qu'il les ait relatés. / Est passible d'une sanction disciplinaire tout agent ayant procédé aux agissements définis ci-dessus. / Les dispositions du présent article sont applicables aux agents non titulaires de droit public ".
3. Il appartient à un agent public qui soutient avoir été victime d'agissements constitutifs de harcèlement moral de soumettre au juge des éléments de fait susceptibles de faire présumer l'existence d'un tel harcèlement. Il incombe à l'administration de produire, en sens contraire, une argumentation de nature à démontrer que les agissements en cause sont justifiés par des considérations étrangères à tout harcèlement. La conviction du juge, à qui il revient d'apprécier si les agissements de harcèlement sont ou non établis, se détermine au vu de ces échanges contradictoires, qu'il peut compléter, en cas de doute, en ordonnant toute mesure d'instruction utile.
4. Pour apprécier si des agissements dont il est allégué qu'ils sont constitutifs d'un harcèlement moral revêtent un tel caractère, le juge administratif doit tenir compte des comportements respectifs de l'agent auquel il est reproché d'avoir exercé de tels agissements et de l'agent qui estime avoir été victime d'un harcèlement moral. En revanche, la nature même des agissements en cause exclut, lorsque l'existence d'un harcèlement moral est établie, qu'il puisse être tenu compte du comportement de l'agent qui en a été victime pour atténuer les conséquences dommageables qui en ont résulté pour lui. Le préjudice résultant de ces agissements pour l'agent victime doit alors être intégralement réparé.
5. En premier lieu, aux termes du I de l'article 3 du décret n° 2010-302 du 19 mars 2010 : " Les secrétaires administratifs sont chargés de tâches administratives d'application. A ce titre, ils participent à la mise en oeuvre, dans les cas particuliers qui leur sont soumis, des textes de portée générale. / Ils exercent notamment des tâches administratives de gestion dans les domaines des ressources humaines, logistiques, financiers ou comptables. Ils peuvent se voir confier des tâches de rédaction et être chargés de l'animation d'une équipe. Ils peuvent également assurer des fonctions d'assistant de direction ".
6. Il résulte de l'instruction qu'à compter du 23 juillet 2007, Mme B... a été affectée au sein de la mission de contrôle de la direction zonale des CRS est-Metz. A ce titre, elle était chargée de fonctions de contrôle et a conservé les missions, qui lui étaient antérieurement dévolues, en matière de formation des adjoints de sécurité. A partir du 4 mai 2009, elle a été affectée en qualité de responsable du secrétariat de la cellule communication de la direction zonale. Il résulte des notes de service des 24 et 28 avril 2009 qu'elle était alors chargée des opérations de communication interne et externe de la direction zonale, en liaison avec la direction centrale, les préfectures, les unités et les partenaires locaux et de la revue de presse du directeur zonal. Ces fonctions relèvent de celles qui peuvent être confiées au titulaire du grade de secrétaire administratif, sans qu'importe la circonstance que Mme B... pouvait en outre renforcer le secrétariat de direction. Par ailleurs, si la requérante soutient que son supérieur hiérarchique a refusé de lui confier des tâches à compter du 9 novembre 2009, date à laquelle elle a été chargée de la cellule pédagogique de l'unité motocycliste zonale, elle ne l'établit pas par les pièces versées au dossier, alors qu'elle s'est notamment prévalue de ses réalisations par un courrier du 18 avril 2012. En outre, dans le cadre de son affectation, entre le 14 mars 2011 et le 2 mars 2016, en tant que chargée de mission en matière de formation des adjoints de sécurité, Mme B... s'est vu notifier une lettre de mission du 20 octobre 2011 définissant ses objectifs en matière d'accompagnement des formations. Une note de service du directeur zonal, en date du 23 mai 2012, l'a en outre chargée du suivi et de la valorisation des parcours professionnels des personnels administratifs, techniques et sous contrat. Enfin, les comptes rendus d'entretiens professionnels de Mme B... au titre des années 2013 et 2014 identifient les actions qu'elle a mises en oeuvre pour accompagner la formation des agents, conseiller la direction et coordonner les services en la matière. Il s'ensuit que Mme B... ne peut être regardée comme ayant été, au cours de la période concernée, privée de fonctions effectives ou affectée à un emploi ne correspondant pas à son grade.
7. En deuxième lieu, si Mme B... soutient avoir subi une rétrogradation en raison de son affectation dans un emploi subordonné à un agent de grade inférieur au sien à plusieurs reprises, il résulte de l'instruction, et notamment de l'organigramme inclus dans la note de service du 18 juin 2007, que la mission de contrôle de la direction zonale, où Mme B... a été affectée à compter du 23 juillet 2007, était placée directement sous l'autorité du directeur zonal et de son adjoint et non pas subordonnée au secrétariat de direction. En outre, si elle a été placée, à compter du 4 mai 2009, sous l'autorité de la cheffe du secrétariat, dont le grade était inférieur au sien, il résulte notamment de la note de service du 24 avril 2009 que cette organisation était justifiée par la modification de l'organigramme du service et la coordination entre les services spécialisés, comme celui de Mme B..., et les services généraux et qu'elle répondait ainsi à l'intérêt du service. Enfin, il résulte de la note de service du 15 décembre 2009 que la cellule pédagogique que conduisait Mme B... à partir du 9 novembre 2009, était incluse dans le service secrétariat formation. La circonstance que l'adjoint du responsable de ce service disposait d'un grade inférieur à celui de Mme B... n'est pas davantage de nature à faire présumer des faits de harcèlement moral.
8. En troisième lieu, Mme B... n'établit pas qu'elle n'aurait pas bénéficié de la formation nécessaire à sa prise de poste au sein de la mission contrôle de gestion, dont l'administration soutient sans être sérieusement contredite qu'elle a été dispensée par ses collègues. Par ailleurs, Mme B... n'établit ni par les annotations manuscrites qu'elle a elle-même portées sur différents documents ni par le seul courriel qu'elle a adressé le 2 mars 2015 à sa hiérarchie, que le progiciel de gestion des ressources humaines auquel elle soutient ne plus avoir eu accès, lui aurait été indispensable pour l'exercice de ses fonctions alors qu'elle ne conteste pas qu'elle disposait d'un logiciel spécifique plus adapté.
9. En quatrième lieu, il ne résulte pas des pièces du dossier que Mme B... aurait subi des propos et comportements vexatoires de sa hiérarchie ou de ses collègues. En outre, la seule mention du rapport moral pour l'année 2010 identifiant nommément Mme B... n'a pas excédé les appréciations qu'un supérieur hiérarchique peut porter sur les agents de son service. Enfin, si Mme B... soutient, sans être contredite, que ce rapport moral a été rendu accessible à l'ensemble des agents du service, elle n'établit pas en avoir demandé le retrait.
10. En cinquième lieu, les éléments portés sur les comptes rendus d'évaluation professionnelle au titre de l'année 2014, dont l'exactitude matérielle n'est pas utilement contestée par la seule invocation des évaluations antérieures de l'intéressée, n'excèdent, ni par leur contenu ni dans les termes employés, la critique professionnelle que tout chef de service peut adresser dans le cadre d'un entretien d'évaluation.
11. En sixième lieu, si Mme B... se plaint d'avoir été installée dans un bureau éloigné de ceux de ses collègues et exposé à la chaleur, il résulte de l'instruction qu'à la suite du courriel qu'elle a adressé à son supérieur hiérarchique le 9 juin 2014, ce dernier a modifié l'emplacement des bureaux à compter du 1er septembre 2014, et qu'eu égard au caractère raisonnable du délai écoulé pour obtenir satisfaction, Mme B... n'est pas fondée à soutenir que ses conditions de travail seraient de nature à faire présumer un harcèlement moral.
12. En septième lieu, il ne résulte pas de l'instruction que le courrier de la requérante en date du 20 octobre 2014, demandant l'accès aux informations nécessaires à la mise en oeuvre d'une procédure de validation de ses acquis professionnels aurait reçu une réponse défavorable de son administration. De même, les seules allégations de Mme B..., qu'elle n'assortit que d'un extrait des formations suivies, ne suffisent pas à établir que son dossier personnel aurait été incorrectement renseigné dans le progiciel de gestion des ressources humaines ni que cette éventuelle erreur aurait pu avoir une incidence sur son avancement alors qu'il résulte également de l'instruction que les supérieurs hiérarchiques de Mme B... ont cherché, à plusieurs reprises, notamment en 2002 et en 2014, à assurer son avancement accéléré ou son avancement au choix. Par suite, Mme B..., qui ne démontre ni même n'allègue avoir sollicité un avancement pendant la période en cause, n'établit pas avoir subi un ralentissement de carrière susceptible de faire présumer des faits de harcèlement moral.
13. En dernier lieu, si Mme B... soutient avoir été placée en congé de maladie à de nombreuses reprises en raison des faits de harcèlement dont elle soutient avoir été victime, elle ne produit aucune pièce à l'appui de ses allégations.
14. Il résulte de ce qui précède que les faits évoqués par Mme B..., pris isolément ou dans leur ensemble, ne peuvent être regardés comme des agissements répétés, constitutifs d'un harcèlement moral qui serait de nature, par son caractère fautif, à engager la responsabilité de l'Etat à l'égard de l'intéressée.
15. Il résulte de tout ce qui précède que Mme B... n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Strasbourg a rejeté sa demande tendant l'indemnisation des préjudices qu'elle impute à un harcèlement moral.
En ce qui concerne les conclusions aux fins d'annulation de la décision refusant le bénéfice de la protection fonctionnelle :
16. Aux termes du 11 de la loi du 13 juillet 1983, dans sa rédaction applicable à la date de la décision du préfet de la zone de défense Grand Est refusant implicitement d'accorder à Mme B... le bénéfice de la protection fonctionnelle : " Les fonctionnaires bénéficient, à l'occasion de leurs fonctions et conformément aux règles fixées par le code pénal et les lois spéciales, d'une protection organisée par la collectivité publique qui les emploie à la date des faits en cause ou des faits ayant été imputés de façon diffamatoire au fonctionnaire. / (...) La collectivité publique est tenue de protéger les fonctionnaires contre les menaces, violences, voies de fait, injures, diffamations ou outrages dont ils pourraient être victimes à l'occasion de leurs fonctions, et de réparer, le cas échéant, le préjudice qui en est résulté. / (...) La collectivité publique est subrogée aux droits de la victime pour obtenir des auteurs des menaces ou attaques la restitution des sommes versées au fonctionnaire intéressé. (...) ". Des agissements répétés de harcèlement moral peuvent permettre à l'agent public qui en est l'objet d'obtenir la protection fonctionnelle prévue par les dispositions précitées contre les menaces, violences, voies de fait, injures, diffamations ou outrages dont les fonctionnaires et les agents publics non titulaires sont susceptibles d'être victimes à l'occasion de leurs fonctions.
17. Il résulte de ce qui a été indiqué au point 14 du présent arrêt que Mme B... n'est pas fondée à soutenir que les faits dont elle se prévaut sont constitutifs de harcèlement moral. Par suite, le préfet de la zone de défense Grand Est a pu, sans entacher sa décision d'erreur de droit ou d'erreur manifeste d'appréciation, lui refuser le bénéfice de la protection fonctionnelle. Il s'ensuit que Mme B... n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que le tribunal administratif de Strasbourg a rejeté ses conclusions tendant à l'annulation de cette décision implicite.
18. Il résulte de ce qui précède que la requête de Mme B... doit être rejetée, sans qu'il soit besoin d'examiner la fin de non-recevoir opposée par le ministre de l'intérieur.
19. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de l'Etat, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, la somme que Mme B... demande au titre des frais liés au litige.
DECIDE :
Article 1er : La requête de Mme B... est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à Mme C... B... et au ministre de l'intérieur.
Copie en sera adressée au préfet de la Moselle.
N° 18NC00886 2