Procédure devant la cour :
Par une requête et un mémoire enregistré le 6 février 2019 et le 5 octobre 2020, la SEPE Alice et la Société Intervent, représentées par Me B..., demandent à la cour :
1°) d'annuler le jugement n° 1700344 du tribunal administratif de Châlons-en-Champagne en date du 6 décembre 2018 ;
2°) d'annuler l'arrêté n° 2698 du 16 décembre 2016 portant déclaration d'utilité publique de la dérivation des eaux, autorisation de prélèvement d'eau dans le milieu naturel, autorisation de production et de distribution au public d'eau destinée à la consommation humaine ainsi que mise en place et déclaration d'utilité publique des périmètres de protection réglementaire de la source " Le Bossu " exploitée par la commune de Nogent ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elles soutiennent que :
- le jugement est irrégulier en ce qu'il est insuffisamment motivé ;
- en particulier le tribunal n'a pas énoncé les motifs qui l'ont conduit à apprécier l'objectif poursuivi par la réglementation applicable au sein du périmètre de protection ;
- le tribunal a commis une erreur d'appréciation en écartant les moyens tirés de l'insuffisance de l'avis de l'hydrogéologue agrée et de l'insuffisance de l'information du public ;
- l'avis émis par l'hydrogéologue agréé est insuffisamment motivé et méconnaît ainsi les dispositions de l'article R. 1321-6 du code de la santé publique ; en effet, il est basé sur un ancien avis d'un autre hydrogéologue agréé dont il n'est pas établi qu'il a été mis à la disposition du public ; l'hydrogéologue agréé ne justifie pas la raison pour laquelle une augmentation du périmètre de protection rapprochée est proposée ni la réglementation qu'il préconise au sein de ce périmètre ;
- en jugeant que l'interdiction d'activité industrielle et artisanale prescrite dans ce périmètre n'était ni excessive ni disproportionnée, les premiers juges ont entaché leur jugement d'une erreur de droit et à tout le moins d'appréciation ;
- l'arrêté attaqué méconnaît les dispositions des articles L. 1321-2 et R. 1321-13 du code de la santé publique dès lors que l'interdiction est posée générale et absolue ;
- la réglementation mise en oeuvre par l'arrêté est injustifiée et disproportionnée ;
- les risques induits par les éoliennes sont particulièrement limités et peuvent être prévenus par la mise en place de mesures spécifiques recommandées par les experts hydrogéologues.
Par un mémoire en défense, enregistré le 15 septembre 2020, la ministre de la transition écologique conclut au rejet de la requête.
Elle s'en remet à l'argumentation développée en première instance par le préfet de la Haute-Marne.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu
- le code de la santé publique ;
- le code de l'environnement ;
- le code de l'expropriation pour cause d'utilité publique ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Grossrieder, présidente,
- les conclusions de Mme Peton, rapporteur public,
- et les observations de Me D..., présentées par la voie d'un procédé de télécommunication audiovisuelle, pour la SEPE Alice et la société Intervent.
Considérant ce qui suit :
1. Afin d'exploiter les points de captage en eau sur son territoire, la commune de Nogent a décidé de la mise en place de périmètre de protection visant à protéger ses sources dont celle dite " Le Bossu ". Après une enquête publique du 15 février au le 2 mars 2016, par un arrêté du 16 décembre 2016 la préfète de la Haute Marne a mis en place et déclaré d'utilité publique les périmètres de protection réglementaire de la source " Le Bossu " exploitée par la commune de Nogent. Les sociétés SEPE Alice et Intervent ayant initié un projet de parc éolien se trouvant dès lors en partie sur le périmètre de protection ont demandé au tribunal administratif de Châlons-en-Champagne d'annuler l'arrêté du 16 décembre 2016. Par un jugement du 6 décembre 2018, dont les sociétés relèvent appel, le tribunal administratif de Châlons-en-Champagne a rejeté leur demande.
Sur la régularité du jugement attaqué :
2. Aux termes de l'article L. 9 du code de justice administrative : " Les jugements sont motivés. ". Il ressort des termes mêmes du jugement attaqué que celui-ci est suffisamment motivé tant en fait qu'en droit, en particulier s'agissant du moyen tiré du caractère injustifié et disproportionné de l'interdiction de toute activité artisanale et industrielle au sein du périmètre de protection. A cet égard, en considérant que la définition du périmètre de protection rapprochée de la source du Bossu ainsi que la règlementation applicable à ce périmètre répondent directement à cette contrainte (la protection de l'eau de consommation humaine contre la pollution), l'objectif poursuivi étant de maintenir autant que possible le caractère rural existant et de limiter les infrastructures et activités susceptibles de constituer un danger pour la qualité et la circulation des eaux souterraines, les premiers juges ont porté une appréciation suffisamment précise sur la nécessité de préserver la source de toute pollution dépendante de l'activité humaine Par suite, le moyen tiré de l'insuffisante motivation du jugement attaqué doit être écarté.
Sur le bien fondé du jugement :
3. En premier lieu, aux termes de l'article R. 1321-6 du code de la santé publique : " La demande d'autorisation d'utilisation d'eau en vue de la consommation humaine, prévue au I de l'article L. 1321-7, est adressée au préfet du ou des départements dans lesquels sont situées les installations. Le dossier de la demande comprend : (...) 5° L'avis de l'hydrogéologue agréé en matière d'hygiène publique, spécialement désigné par le directeur général de l'agence régionale de santé pour l'étude du dossier, portant sur les disponibilités en eau, sur les mesures de protection à mettre en oeuvre et sur la définition des périmètres de protection mentionnés à l'article L. 1321-2 ; (...) ".
4. Il ressort des pièces du dossier que l'arrêté contesté est fondé notamment sur l'avis établi le 25 mai 2000 par M. C..., hydrogéologue agréé désigné par le coordonnateur départemental pour intervenir sur les captages de la commune de Nogent, complété par l'étude établie le 5 octobre 2012 par M. A..., coordinateur des hydrogéologues agréés du département de la Haute-Marne. A la suite de la production par les requérantes d'une étude hydrogéologique sur l'installation d'éoliennes dans le périmètre de protection, M. A... a le 21 avril 2016 émis en réponse un avis complémentaire à son avis du 5 octobre 2012. Comme l'ont relevé les premiers juges, l'avis du 25 mai 2000 complété par celui du 5 octobre 2012 décrit les caractéristiques hydrogéologiques du captage, les disponibilités en eau, les mesures de protection à mettre en oeuvre et la définition des périmètres de protection mentionnés à l'article L. 1321-2 du code de la santé publique. Ces avis précis et argumentés, qui ont été mis à la disposition du public lors de l'enquête publique, sont suffisamment motivés sur les mesures de protection à mettre en oeuvre ainsi que sur leur étendue et notamment sur la nécessité d'interdire toute activité industrielle et artisanale au sein de ce périmètre. Les requérantes n'établissent pas que l'avis du 25 mai 2000 serait obsolète, dès lors qu'aucun élément au dossier ne fait apparaitre d'évolutions sensibles depuis 2000 concernant les données à prendre en compte. Par suite, l'arrêté attaqué n'a pas été pris au terme d'une procédure méconnaissant les dispositions précitées de l'article R. 1321-6 5° du code de la santé publique. Par voie de conséquence, les avis des experts hydrogéologues étant suffisants, le moyen tiré de l'insuffisante information du public doit lui aussi être écarté.
5. En deuxième lieu, aux termes de l'article L. 1321-2 du code de la santé publique : " En vue d'assurer la protection de la qualité des eaux, l'acte portant déclaration d'utilité publique des travaux de prélèvement d'eau destinée à l'alimentation des collectivités humaines mentionné à l'article L. 215-13 du code de l'environnement détermine autour du point de prélèvement un périmètre de protection immédiate dont les terrains sont à acquérir en pleine propriété, un périmètre de protection rapprochée à l'intérieur duquel peuvent être interdits ou réglementés toutes sortes d'installations, travaux, activités, dépôts, ouvrages, aménagement ou occupation des sols de nature à nuire directement ou indirectement à la qualité des eaux et, le cas échéant, un périmètre de protection éloignée à l'intérieur duquel peuvent être réglementés les installations, travaux, activités, dépôts, ouvrages, aménagement ou occupation des sols et dépôts ci-dessus mentionnés. (...) ". Aux termes des dispositions de l'article R. 1321-13 du même code : " A l'intérieur du périmètre de protection rapprochée, sont interdits les travaux, installations, activités, dépôts, ouvrages, aménagement ou occupation des sols susceptibles d'entraîner une pollution de nature à rendre l'eau impropre à la consommation humaine. Les autres travaux, installations, activités, dépôts, ouvrages, aménagement ou occupation des sols peuvent faire l'objet de prescriptions, et sont soumis à une surveillance particulière, prévues dans l'acte déclaratif d'utilité publique. Chaque fois qu'il est nécessaire, le même acte précise que les limites du périmètre de protection rapprochée seront matérialisées et signalées. ".
6. D'une part, il ressort des pièces du dossier que le projet contesté vise à préserver la ressource en eau potable de la commune de Nogent et de trois autres communes pour une population totale de plus de 4 000 habitants, qui jusqu'alors bénéficiaient de captages insuffisants notamment en période de basses eaux pour les besoins de leurs populations. Eu égard aux besoins de la population de ces communes et à la nécessité de préserver l'accès à une eau non polluée, le projet contesté présente ainsi un intérêt public.
7. D'autre part, il ressort des pièces du dossier et notamment de l'avis du 25 mai 2000 de M. C... que la protection naturelle des zones de captage sur la commune de Nogent est faible impliquant une vulnérabilité importante de la qualité de l'eau laquelle dépend essentiellement des activités humaines dans l'aire d'alimentation des captages. En effet, les zones d'alimentation correspondent à des calcaires ou des grès sub-affleurants avec un recouvrement argilo-limoneux peu épais ce qui génère une filtration très faible sans évolution notable de la qualité de l'eau entre la surface et l'exutoire. M. A... explique pour sa part dans sa réponse du 21 avril 2016, concernant l'édification des éoliennes, qu'il s'agit d' " activités susceptibles de porter atteinte en cas de dysfonctionnement directement ou indirectement à la qualité des eaux des sources et qu'au regard du contexte géologique local, aucune technique de construction et d'exploitation respectueuse de l'environnement ne peut garantir qu'aucun blocage et/ou qu'aucune déviation de circulation des eaux souterraines ne surviendra à l'issue des travaux, notamment en présence de phénomènes karstiques probables ". Selon cet hydrogéologue, " le risque de colmatage des fissures et/ou du karst ne peut absolument pas être écarté, et ce dès le stade des études géotechniques dont la profondeur, de 15 à 20 m de profondeur, atteindra la nappe. ". Même l'étude hydrogéologique missionnée par la société Intervent évoque en milieu karstique une vulnérabilité élevée de fuites, notamment d'huile, dans les sous-sols et préconise de nombreuses recommandations pour éviter les risques de pollution de la nappe. En outre, il résulte de l'étude de l'Agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail de 2011 que l'installation et l'exploitation d'éoliennes présentent un risque élevé dans les périmètres de protection rapprochée en présence d'une nappe libre dont la surface piézométrique est inférieure à dix mètres en hautes eaux, alors que l'étude hydrogéologique réalisée le 21 avril 2016 situe la position du " toit de la nappe (...) entre -3,50 m et -9.50 m sous la semelle de fondation " des éoliennes projetées. En conséquence, comme l'ont relevé les premiers juges, la qualité de l'eau prélevée au droit de ce point de captage est directement dépendante de l'activité humaine, ce qui rend indispensable la limitation des infrastructures et activités susceptibles de constituer un danger pour la qualité et la circulation des eaux souterraines. ll ressort également des pièces du dossier que les précautions proposées par les requérantes pour l'édification d'éoliennes ne sauraient suffire à supprimer tout risque de pollution ou de déviation de la circulation des eaux souterraines. Eu égard aux risques avérés de pollution des eaux à la Source Le bossu, les atteintes portées aux activités artisanales et industrielles dans le périmètre de protection du captage de cette source ne peuvent être regardées comme excessives au regard de l'intérêt général du projet. Dans ces conditions, l'interdiction des activités artisanales et industrielles nouvelles dans le périmètre de protection des eaux de la source du Bossu ne peut être regardée comme injustifiée ou excédant par sa généralité les mesures autorisées par les dispositions précitées de l'article R. 1321-13 du code de la santé.
8. Il suit de ce qui a été dit ci-dessus que l'arrêté attaqué n'est entaché ni d'erreur d'appréciation ni d'erreur de droit.
9. Il résulte de tout ce qui précède que les sociétés Intervent et SEPE Alice ne sont pas fondées à soutenir que c'est à tort que le tribunal administratif de Châlons-en-Champagne a rejeté leur demande. Par suite leurs conclusions à fin d'annulation ainsi que, par voie de conséquence, leurs conclusions tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative doivent être rejetées.
DECIDE :
Article 1er : La requête de la Société Intervent et de la SEPE Alice est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à la société Intervent, à la SEPE Alice et à la ministre de la transition écologique.
Copie en sera adressée au préfet de la Haute-Marne et à la commune de Nogent.
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N° 19NC00372