Procédure devant la cour :
Par une requête enregistrée le 21 janvier 2019, M. B..., représenté par MeA..., demande à la cour :
1°) d'annuler le jugement du tribunal administratif de Nancy du 31 octobre 2018 ;
2°) d'annuler, pour excès de pouvoir, l'arrêté du 24 octobre 2018 par lequel le préfet de Meurthe-et-Moselle a décidé son transfert aux autorités bulgares ;
3°) d'enjoindre au préfet de lui permettre de déposer une demande d'asile en France en transmettant son dossier à la préfecture de la Moselle en vue de retirer le dossier d'asile et d'obtenir la délivrance, dans un délai de quinze jours, d'une attestation de demande d'asile ou, à titre subsidiaire, de réexaminer sa situation administrative dans le délai de quinze jours à compter de la notification de l'arrêt à intervenir et de lui délivrer durant le temps de l'instruction de sa demande, une attestation de demande d'asile ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 1 800 euros à verser à Me A...sur le fondement des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991.
M. B...soutient que :
- la décision ordonnant sa remise aux autorités bulgares a été prise en méconnaissance de son droit à être entendu, principe général du droit de l'Union européenne, garanti par l'article 41 de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne ;
- cette décision est insuffisamment motivée ;
- elle est entachée d'un vice de procédure dès lors que le nom et la qualité de l'agent qui a procédé à l'entretien individuel ne sont pas mentionnés en méconnaissance des dispositions de l'article 5 du règlement n° 604/2013 ; en outre, il n'est pas établi que l'entretien a eu lieu avec une personne ayant la qualité et la formation adéquate et disposant d'une délégation régulière du préfet, seul compétent en vertu de l'article R. 742-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le préfet, qui n'a pas exercé son pouvoir d'appréciation en examinant s'il y avait lieu de l'admettre à déposer une demande d'asile en France par application des clauses dérogatoires des articles 3.2 et 17 du règlement n° 604/2013, s'est cru à tort en situation de compétence liée pour édicter une décision de transfert ;
- le préfet a commis une erreur manifeste dans l'appréciation des conséquences de sa décision ordonnant sa remise aux autorités bulgares sur sa situation personnelle et familiale.
Par un mémoire en défense, enregistré le 18 avril 2019, le préfet de Meurthe-et-Moselle conclut au rejet de la requête.
Le préfet soutient que les moyens soulevés par le requérant ne sont pas fondés.
M. B...a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision en date du 18 décembre 2018.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne ;
- le règlement (UE) 603/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 ;
- le règlement (UE) 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le code des relations entre le public et l'administration ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Le rapport de M. Laubriat, premier conseiller, a été entendu au cours de l'audience publique.
Considérant ce qui suit :
1. M.B..., ressortissant afghan, fait appel du jugement du 31 octobre 2018 par lequel la magistrate désignée par la présidente du tribunal administratif de Nancy a rejeté sa demande tendant à l'annulation de l'arrêté du 24 octobre 2018 par lequel le préfet de Meurthe-et-Moselle a décidé son transfert aux autorités bulgares.
2. En premier lieu, il ressort des pièces du dossier que par courrier du 28 septembre 2018, le préfet de Meurthe-et-Moselle a informé M. B...de ce que les autorités bulgares étaient responsables de l'examen de sa demande d'asile et l'a convoqué le 24 octobre 2018 à une audition par les services de police. Il ressort également des pièces du dossier que lors de cette audition, M. B..., qui était assisté d'un interprète en langue pachto, a été informé de ce que le préfet envisageait de prendre à son encontre une décision prononçant son transfert aux autorités bulgares et a pu faire valoir à cette occasion ses observations. Par suite, M. B...n'est pas fondé à soutenir que l'arrêté du 24 octobre 2018 décidant son transfert aux autorités bulgares aurait été édicté en méconnaissance de son droit à être entendu, principe général du droit de l'Union européenne, garanti par l'article 41 de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne.
3. En deuxième lieu, aux termes de l'article 26 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 : " 1. Lorsque l'État membre requis accepte la prise en charge ou la reprise en charge d'un demandeur ou d'une autre personne visée à l'article 18, paragraphe 1, point c) ou d), l'État membre requérant notifie à la personne concernée la décision de le transférer vers l'État membre responsable (...) ". L'article L. 742-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile dispose : " Sous réserve du second alinéa de l'article L. 742 1, l'étranger dont l'examen de la demande d'asile relève de la responsabilité d'un autre Etat peut faire l'objet d'un transfert vers l'Etat responsable de cet examen. / Toute décision de transfert fait l'objet d'une décision écrite motivée prise par l'autorité administrative. (...) ". Pour l'application de ces dispositions, est suffisamment motivée une décision de transfert qui mentionne le règlement du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 et comprend l'indication des éléments de fait sur lesquels l'autorité administrative se fonde pour estimer que l'examen de la demande présentée devant elle relève de la responsabilité d'un autre Etat membre, une telle motivation permettant d'identifier le critère du règlement communautaire dont il est fait application.
4. L'arrêté attaqué vise le règlement du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013, notamment ses articles 13, 18 et 29 ainsi que les articles L. 742-3 et suivants du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, indique que M.B..., de nationalité afghane, est entré irrégulièrement dans l'espace européen via la Bulgarie, que la Bulgarie est dès lors l'Etat membre responsable de l'examen de la demande d'asile par application de l'article 13 du règlement (UE) n° 604/2013, enfin que les autorités bulgares, saisies d'une demande de reprise en charge, ont fait connaître leur accord le 21 juin 2018. L'arrêté attaqué, qui, contrairement aux affirmations du requérant, indique ainsi tant les éléments de fait que de droit sur lesquels le préfet s'est fondé pour estimer que l'examen de la demande présentée devant lui relevait de la responsabilité de la Bulgarie, est, par suite, suffisamment motivé au regard des dispositions de l'article L. 742-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.
5. En troisième lieu, aux termes de l'article 5 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 : " 1. Afin de faciliter le processus de détermination de l'État membre responsable, l'État membre procédant à cette détermination mène un entretien individuel avec le demandeur (...). 4. L'entretien individuel est mené dans une langue que le demandeur comprend ou dont on peut raisonnablement supposer qu'il la comprend et dans laquelle il est capable de communiquer. Si nécessaire, les États membres ont recours à un interprète capable d'assurer une bonne communication entre le demandeur et la personne qui mène l'entretien individuel. 5. L'entretien individuel a lieu dans des conditions garantissant dûment la confidentialité. Il est mené par une personne qualifiée en vertu du droit national. 6. L'État membre qui mène l'entretien individuel rédige un résumé qui contient au moins les principales informations fournies par le demandeur lors de l'entretien. Ce résumé peut prendre la forme d'un rapport ou d'un formulaire type. L'État membre veille à ce que le demandeur et/ou le conseil juridique ou un autre conseiller qui représente le demandeur ait accès en temps utile au résumé ".
6. M.B..., qui ne conteste pas avoir été reçu en entretien individuel par un agent de la préfecture de la Meurthe-et-Moselle, se prévaut de son irrégularité, au motif qu'en l'absence de mention de l'identité de l'agent l'ayant auditionné, la qualité de celui-ci pour conduire l'entretien n'a pu être vérifiée. Toutefois, aucune disposition du règlement précité n'exige que cet agent mentionne son nom sur la fiche relatant cet entretien. Par ailleurs, aucun élément du dossier n'établit que ledit agent n'aurait pas été " qualifié en vertu du droit national " pour mener un tel entretien. Dans ces conditions, le moyen doit être écarté.
7. En quatrième lieu, d'une part, aux termes de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants ". D'autre part, le paragraphe 2 de l'article 3 du règlement n° 604/2013 dispose : " Lorsqu'il est impossible de transférer un demandeur vers l'État membre initialement désigné comme responsable parce qu'il y a de sérieuses raisons de croire qu'il existe dans cet État membre des défaillances systémiques dans la procédure d'asile et les conditions d'accueil des demandeurs, qui entraînent un risque de traitement inhumain ou dégradant au sens de l'article 4 de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, l'État membre procédant à la détermination de l'État membre responsable poursuit l'examen des critères énoncés au chapitre III afin d'établir si un autre État membre peut être désigné comme responsable. Lorsqu'il est impossible de transférer le demandeur en vertu du présent paragraphe vers un État membre désigné sur la base des critères énoncés au chapitre III ou vers le premier État membre auprès duquel la demande a été introduite, l'État membre procédant à la détermination de l'État membre responsable devient l'État membre responsable ". En vertu de l'article 17 du même règlement : " Par dérogation à l'article 3, paragraphe 1, chaque État membre peut décider d'examiner une demande de protection internationale qui lui est présentée par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, même si cet examen ne lui incombe pas en vertu des critères fixés dans le présent règlement. (...) ". Si la mise en oeuvre, par les autorités françaises, des dispositions de l'article 17 du règlement n° 604/2013 doit être assurée à la lumière des exigences définies par les dispositions du second alinéa de l'article 53-1 de la Constitution, en vertu desquelles : " les autorités de la République ont toujours le droit de donner asile à tout étranger persécuté en raison de son action en faveur de la liberté ou qui sollicite la protection de la France pour un autre motif ", la faculté laissée à chaque Etat membre de décider d'examiner une demande de protection internationale qui lui est présentée par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, même si cet examen ne lui incombe pas en vertu des critères fixés dans le présent règlement, est discrétionnaire et ne constitue nullement un droit pour les demandeurs d'asile.
8. M. B...soutient que le préfet s'est cru à tort en situation de compétence liée pour prendre à son encontre une décision de transfert.
9. Toutefois, il ressort des termes même de l'arrêté attaqué que le préfet a examiné si la situation personnelle du requérant mais également les conditions dans lesquelles sa demande d'asile serait instruite en Bulgarie justifiaient de mettre en oeuvre les clauses dérogatoires des articles 3-2 et 17 du règlement. Par suite, le préfet de Meurthe-et-Moselle, qui a procédé à une appréciation globale de la situation du requérant au regard des critères prévus par le règlement Dublin III, n'a pas entaché son arrêté d'une erreur de droit.
10. En dernier lieu, si M. B...soutient qu'il aurait été victime de mauvais traitements lors de son arrestation par la police bulgare le 17 avril 2018, il ne l'établit pas par les seules pièces versées au dossier, le certificat médical produit, établi le 13 octobre 2018, ne faisant d'ailleurs état d'aucune séquelle visible. Par ailleurs, il ne ressort pas des pièces du dossier, alors même que les autorités bulgares ont accepté de reprendre en charge l'intéressé sur le fondement du d) du paragraphe 1 de l'article 18 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013, que sa demande d'asile y a été définitivement rejetée et que son transfert vers la Bulgarie impliquerait nécessairement, de ce fait, son renvoi en Afghanistan. Dès lors, en ne mettant pas en oeuvre les clauses dérogatoires prévues par les articles 3-2 et 17 du règlement (UE) n° 604/2013/UE du 26 juin 2013, le préfet de Meurthe-et-Moselle ne s'est pas livré à une appréciation manifestement erronée de la situation personnelle de M.B....
11. Il résulte de tout ce qui précède que M. B... n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Nancy a rejeté sa demande. Par voie de conséquence, ses conclusions à fin d'injonction ainsi que celles présentées sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ne peuvent qu'être rejetées.
DÉCIDE :
Article 1er : La requête de M. B... est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à M. C... B...et au ministre de l'intérieur.
Copie en sera adressée au préfet de Meurthe-et-Moselle.
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N° 19NC00245