Procédure devant la cour :
Par une requête, enregistrée le 4 juin 2019, M. et Mme B... D..., représentés par Me A..., demandent à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du 8 janvier 2019 par lequel le tribunal administratif de Strasbourg a rejeté leur demande tendant à la décharge des cotisations supplémentaires d'impôt sur le revenu auxquelles ils ont été assujettis au titre des années 2010 et 2011, et des pénalités correspondantes ;
2°) de prononcer la décharge de ces impositions et des pénalités correspondantes ;
3°) à titre subsidiaire, de saisir la Cour de justice de l'Union européenne de la question préjudicielle relative à la compatibilité de l'article 155 A du code général des impôts avec les articles 49 et 56 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Ils soutiennent que :
- dès lors que des investigations ont été réalisées avant la mise en oeuvre de l'examen contradictoire de la situation fiscale et personnelle, l'administration était tenue d'engager une vérification de comptabilité ;
- la société de droit belge Lanewco ayant une existence réelle, l'administration ne pouvait faire application des dispositions de l'article 155 A du code général des impôts ;
- les prestations réalisées au profit de la société Karl Storz Gmbh et Co KG étant réelles, leur imposition en France caractérise une atteinte à la liberté d'établissement et porte atteinte au principe de libre prestation de service ; le principe constitutionnel d'égalité devant les charges publiques est également méconnu ;
- les pénalités de 80 % pour manoeuvres frauduleuses ne sont pas justifiées.
Par un mémoire en défense, enregistré le 20 décembre 2019, le ministre de l'action et des comptes publics conclut au rejet de la requête.
Il soutient que les moyens soulevés par M. et Mme D... ne sont pas fondés.
Vu :
- les autres pièces du dossier ;
Vu :
- la Constitution ;
- le traité sur le fonctionnement de l'Union européenne ;
- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;
- l'ordonnance n° 2020-1402 et le décret n° 2020-1406 du 18 novembre 2020 ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme C...,
- et les conclusions de Mme Haudier, rapporteur public.
Considérant ce qui suit :
1. M. D... a fait l'objet d'une vérification de comptabilité du 13 mai au 24 juillet 2013 relative à son activité non commerciale au titre des années 2010 et 2011, comprenant l'exercice de chirurgie libérale, d'expertise médicale, d'enseignement auprès d'un institut de recherche privé et d'exploitation de brevets d'instruments chirurgicaux. Par ailleurs, M. et Mme D... ont fait l'objet, à compter du 5 juin 2013, d'un examen de leur situation fiscale personnelle au titre des années 2010 et 2011, à la suite duquel, le service a notamment imposé entre les mains de M. D..., sur le fondement des dispositions du I de l'article 155 A du code général des impôts au titre de l'impôt sur le revenu, dans la catégorie des bénéfices non commerciaux, les sommes correspondant à la rémunération de prestations de services et versées en 2011 à la société belge Lanewco par la société de droit allemand Karl Storz Gmbh et Co KG. Par propositions de rectification des 10 décembre 2013 et 13 mars 2014, l'administration a notifié à M. et Mme D... dans le cadre de la procédure de rectification contradictoire des cotisations supplémentaires d'impôt sur le revenu au titre des années 2010 et 2011, et des pénalités correspondantes. M. et Mme D... relèvent appel du jugement du 8 janvier 2019 par lequel le tribunal administratif de Strasbourg a rejeté leur demande tendant à la décharge de ces impositions et pénalités.
Sur la régularité de la procédure d'imposition :
2. En premier lieu, aux termes de l'article L. 47 C du livre des procédures fiscales : " Lorsque, au cours d'un examen contradictoire de la situation fiscale personnelle, sont découvertes des activités occultes ou mises en évidence des conditions d'exercice non déclarées de l'activité d'un contribuable, l'administration n'est pas tenue d'engager une vérification de comptabilité pour régulariser la situation fiscale du contribuable au regard de cette activité. ". Les dispositions de l'article L 47 C du LPF ont pour seul objet de dispenser l'administration de l'obligation d'engager une vérification de comptabilité dans l'hypothèse où la découverte des activités occultes ou la mise en évidence des conditions d'exercice non déclarées de l'activité interviennent au cours d'un examen contradictoire de la situation fiscale personnelle du contribuable.
3. M. et Mme D... soutiennent que l'administration a entrepris des investigations avant le début des opérations de l'examen contradictoire de la situation fiscale personnelle qui lui ont permis de découvrir l'activité occulte ou de mettre en évidence les conditions d'exercice non déclarée de cette activité dont les bénéfices font l'objet des impositions en litige. Selon eux, l'administration était tenue dans ces conditions d'engager une vérification de comptabilité pour contrôler les revenus issus de cette activité en application des dispositions de l'article L. 47 C du livre des procédures fiscales.
4. Il résulte de l'instruction et notamment de la proposition de rectification du 13 mars 2014, qu'avant l'engagement de l'examen contradictoire de la situation fiscale personnelle des intéressés le 5 juin 2013, l'administration a eu connaissance de documents obtenus dans le cadre de la procédure de visite et de saisie du 7 juin 2011 au domicile des contribuables qui lui ont permis de mettre en évidence les conditions d'exercice de l'activité non déclarée de M. D... au profit de la société Karl Storz Gmbh et Co KG. Contrairement à ce que soutiennent les requérants, il ne saurait être déduit a contrario de ces dispositions de l'article L 47 C précitées que lorsque la découverte des activités occultes ou la mise en évidence des conditions d'exercice non déclarées de l'activité sont intervenues préalablement à l'examen contradictoire de la situation fiscale personnelle, l'administration serait tenue d'engager une vérification de comptabilité. Dès lors que les conditions prévues par l'article L. 47 C du livre des procédures fiscales n'étaient pas satisfaites, la circonstance que l'administration n'a pas entrepris de vérification de comptabilité n'entache pas d'irrégularité la procédure d'imposition. Par suite, le moyen tiré de l'irrégularité de la procédure d'imposition doit être écarté.
5. En second lieu, M. et Mme D... ne peuvent se prévaloir d'une violation de l'article L. 51 du livre des procédures fiscales qui prohibe les doubles vérifications au regard d'un même impôt et de la même période, dès lors que seules les écritures comptables relatives à l'activité non commerciale exercée par M. D... ont fait l'objet d'une vérification de comptabilité au titre des années 2010 et 2011. Il résulte en effet de ce qui a été dit au point précédent que son activité au profit de de la société Karl Storz Gmbh et Co KG a seulement fait l'objet d'un examen contradictoire de la situation fiscale personnelle des requérants. Il s'ensuit que la procédure d'imposition n'est pas irrégulière sur ce point.
Sur le bien-fondé de l'imposition :
6. En premier lieu, aux termes de l'article 155 A du code général des impôts : " I. Les sommes perçues par une personne domiciliée ou établie hors de France en rémunération de services rendus par une ou plusieurs personnes domiciliées ou établies en France sont imposables au nom de ces dernières :-soit, lorsque celles-ci contrôlent directement ou indirectement la personne qui perçoit la rémunération des services ;-soit, lorsqu'elles n'établissent pas que cette personne exerce, de manière prépondérante, une activité industrielle ou commerciale, autre que la prestation de services (...) ".
7. Les prestations dont la rémunération est ainsi susceptible d'être imposée entre les mains de la personne qui les a effectuées correspondent à un service rendu pour l'essentiel par elle et pour lequel la facturation par une personne domiciliée ou établie hors de France ne trouve aucune contrepartie réelle dans une intervention propre de cette dernière, permettant de regarder ce service comme ayant été rendu pour son compte.
8. Il résulte de l'instruction que par contrat conclu les 5 et 15 mars 2011, avec effet rétroactif au 1er janvier 2010, la société Lanewco, dont le siège est en Belgique, s'est engagée à effectuer des prestations de consultant médical au bénéfice de la société allemande Karl Storz Gmbh et Co KG. Selon ce contrat, les prestations consistaient notamment en l'organisation de cours de formation médicale continue et d'ateliers de travail, ainsi qu'en la participation à des congrès et ateliers de travail, et en la recherche et développement pour la mise au point d'instruments médicaux. A la suite de la demande d'assistance administrative auprès des autorités allemandes du 30 août 2013, l'administration fiscale a obtenu les factures des 28 février et 17 septembre 2011 adressées par la société Lanewco à la société Karl Storz Gmbh et Co KG relatives à ces prestations de consulting. Ces factures, qui portent sur des montants respectifs de 300 000 et 100 000 euros, font référence dans leur libellé aux " activités du Pr D... " durant les années 2010 et 2011. Le service a également eu connaissance des états d'activité de M. D... adressés par la société Lanewco à la société allemande les 27 janvier 2011 et 30 janvier 2012, qui font référence au contrat de collaboration conclu entre elles. L'administration a comparé ces éléments avec les comptes annuels déposés par la société Lanewco du 2 décembre 2010 au 31 décembre 2011, obtenus par la consultation des sites internet du Moniteur belge et de la centrale des bilans de la banque nationale de Belgique. Il a été observé que la société belge a déclaré un chiffre d'affaires en 2011 de 400 000 euros, correspondant exactement au montant des prestations de service réalisées par M. D.... Par ailleurs, aucune rémunération n'a été versée, ce qui a permis à l'administration d'en déduire que la société Lanewco n'avait pas de salarié en 2010 et 2011. Dans ces circonstances, l'administration doit être regardée comme établissant que les prestations rémunérées par la société allemande Karl Storz Gmbh et Co KG correspondent à un service rendu pour l'essentiel par M. D... et que les recettes en résultant sont donc susceptibles d'être imposées entre ses mains en France. En se bornant à se prévaloir de l'exercice d'autres activités de la société Lanewco relatives à sa collaboration avec deux organismes à but non lucratif installés à Louvain et d'un centre international d'expertise médicale, ainsi qu'à ses prises de participation au capital de sociétés tierces et à des locations d'immeubles, sans justifier de la part de ces activités par rapport à celles en litige, M. et Mme D... n'apportent aucun élément permettant d'établir que la facturation des prestations en litige par la société belge aurait trouvé une contrepartie réelle dans une intervention qui lui aurait été propre et de regarder le service ainsi rendu comme l'ayant été pour son compte. Enfin, les requérants contestent l'absence de déduction des frais engagés dans le cadre de l'activité de M. D... de prestations de service au profit de la société Karl Storz Gmbh et Co KG et se prévalent de la contradiction qui en résulte entre les chefs de redressement. Il ressort cependant de la réponse aux observations du contribuable du 27 juin 2014 que l'administration a proposé aux requérants d'admettre en déduction les frais engagés dans le cadre de l'activité de M. D... de prestations de service au profit de la société Karl Storz Gmbh et Co KG sous réserve de présenter les pièces justificatives correspondantes. Les intéressés n'ont apporté, ni au cours de la procédure d'imposition ni au cours de la présente instance, aucune pièce justifiant du montant et de la nature professionnelle des déplacements effectués par M. D... en 2010 et 2011 dont il aurait personnellement supporté la charge. Par suite, les requérants ne sont pas fondés à soutenir que l'administration aurait refusé la déduction de ces charges au motif qu'elles seraient exclusivement imputables à la société Lanewco et qu'elle reconnaîtrait ainsi la réalité de l'activité de cette société au profit de la société allemande.
9. Au surplus, il n'est pas contesté que la société Lanewco, qui a perçu la rémunération des services en cause est contrôlée directement par le prestataire, M. D..., qui détient 100 % du capital de cette société et en est le co-gérant. Par suite, l'administration doit être regardée comme apportant également la preuve que les rémunérations versées à la société Lanewco remplissaient la première condition alternative de l'article 155 A du code général des impôts.
10. Il résulte de ce qui précède que les sommes versées par la société allemande Karl Storz Gmbh et Co KG à la société Lanewco au titre des prestations de services réalisées dans le cadre du contrat des 5 et 15 mars 2011 doivent être regardées comme des rémunérations liées au service rendu par M. D... et imposables à l'impôt sur le revenu, à son nom, en application des dispositions précitées de l'article 155 A du code général des impôts.
11. En troisième lieu, aux termes d'une part, de l'article 49 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne : " Dans le cadre des dispositions ci-après, les restrictions à la liberté d'établissement des ressortissants d'un État membre dans le territoire d'un autre État membre sont interdites. Cette interdiction s'étend également aux restrictions à la création d'agences, de succursales ou de filiales, par les ressortissants d'un État membre établis sur le territoire d'un État membre. La liberté d'établissement comporte l'accès aux activités non salariées et leur exercice, ainsi que la constitution et la gestion d'entreprises, et notamment de sociétés au sens de l'article 54, deuxième alinéa, dans les conditions définies par la législation du pays d'établissement pour ses propres ressortissants, sous réserve des dispositions du chapitre relatif aux capitaux ". Aux termes d'autre part, de l'article 56 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne : " Dans le cadre des dispositions ci-après, les restrictions à la libre prestation des services à l'intérieur de l'Union sont interdites à l'égard des ressortissants des États membres établis dans un État membre autre que celui du destinataire de la prestation. (...) ".
12. M. et Mme D... se prévalent de l'atteinte à leur liberté de s'établir dans un autre Etat membre ainsi qu'au principe de liberté des prestations de services, qui résulteraient des dispositions précitées de l'article 155 A du code général des impôts. Mais, les dispositions en question visent uniquement l'imposition des services essentiellement rendus par une personne établie ou domiciliée en France et ne trouvant aucune contrepartie réelle dans une intervention propre d'une personne établie ou domiciliée hors de France dans un autre Etat membre de l'Union européenne. En l'absence d'une telle contrepartie permettant de regarder les services concernés comme rendus pour le compte de cette dernière personne, sa liberté de s'établir hors de France et de fournir à partir de cet Etat membre des prestations de service en France ne saurait être entravée du fait de ces dispositions. Par suite, sans qu'il soit besoin de saisir la Cour de justice de l'Union européenne d'une question préjudicielle, le moyen invoqué de ce chef sera écarté.
13. En dernier lieu, la circonstance qu'un autre contribuable, fût-il placé dans la même situation que le requérant, aurait également bénéficié des mêmes indemnités pour frais qui n'auraient pas été remises en cause par l'administration, est sans incidence sur la légalité des impositions en cause et dont le bien-fondé a été admis au point précédent. Dès lors, il convient d'écarter comme inopérant le moyen tiré de la méconnaissance du principe d'égalité devant l'impôt et devant les charges publiques. Par ailleurs, s'agissant de la méconnaissance des principes à valeur constitutionnelle posés par les articles 6 et 13 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen, il n'appartient pas au juge de l'impôt dans le cadre d'un litige fiscal d'apprécier la conformité de dispositions de valeur législative à des dispositions de valeur constitutionnelle, sous réserve de la faculté d'examiner de tels moyens selon les formes et modalités requises pour une question prioritaire de constitutionnalité.
Sur les pénalités :
14. Aux termes de l'article 1729 du code général des impôts : " Les inexactitudes ou les omissions relevées dans une déclaration ou un acte comportant l'indication d'éléments à retenir pour l'assiette ou la liquidation de l'impôt ainsi que la restitution d'une créance de nature fiscale dont le versement a été indûment obtenu de l'État entraînent l'application d'une majoration de : (...) c. 80 % en cas de manoeuvres frauduleuses. "
15. L'administration a assorti, d'une pénalité de 80 %, les rappels d'impôt sur le revenu relatifs aux rémunérations des prestations réalisées au bénéfice de la société allemande Karl Storz Gmbh et Co KG au titre des années 2010 et 2011, réglées en 2011. L'administration fait valoir à juste titre, dans sa proposition de rectification du 13 mars 2014, que la domiciliation de la société qui encaisse les rémunérations en Belgique, la localisation du bénéficiaire des prestations en Allemagne et, enfin, la domiciliation fiscale en France du prestataire effectif en la personne de M. D..., sont des éléments de nature à démontrer que les contribuables ont cherché à égarer le service et à restreindre le pouvoir de contrôle de l'administration. En outre, comme le relève le service, les époux D... ne pouvaient ignorer que ces rémunérations auraient dû être comprises dans leurs revenus imposables en France. Les circonstances que M. D... a déclaré être associé de la société Lanewco et n'avoir pas fait obstacle aux opérations de contrôle de l'administration sont sans incidence sur la réalité des manoeuvres frauduleuses mises en oeuvre au cours des années 2010 et 2011. Par suite, l'administration doit être regardée comme apportant la preuve, qui lui incombe, de l'intention délibérée de M. et Mme D... d'égarer l'administration dans son pouvoir de contrôle et, par suite, du bien-fondé de l'application de cette majoration.
16. Il résulte de tout ce qui précède, et sans qu'il soit besoin de statuer sur la fin de non-recevoir soulevée par le ministre s'agissant de l'année 2010, que M. et Mme D... ne sont pas fondés à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Strasbourg a rejeté leur demande.
Sur l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
17. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de l'État, qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante, une somme au titre des frais exposés et non compris dans les dépens.
D E C I D E :
Article 1er : La requête de M. et Mme D... est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à M. et Mme B... D... et au ministre de l'économie, des finances et de la relance.
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N° 19NC01751