Par une requête, enregistrée le 22 octobre 2021, le préfet de Meurthe-et-Moselle demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement ;
2°) de rejeter les demandes présentées par M. D... devant le tribunal administratif.
Il soutient que :
- c'est à tort que le tribunal a estimé que les observations de l'intéressé n'avaient pas été recueillies préalablement aux décisions attaquées alors que les procès-verbaux d'audition dans le cadre de la retenue administrative démontrent le contraire ;
- les autres moyens de la demande ne sont pas fondés.
Par un mémoire en défense enregistré le 24 février 2022, M. D..., représenté par Me Jeannot, conclut au rejet de la requête et à ce qu'il soit mis à la charge de l'Etat une somme de 1 800 euros sur le fondement de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.
Il soutient que si l'administration a justifié du recueil de ses observations préalables il n'en demeure pas moins que les autres moyens présentés à l'appui de sa demande sont fondés et de nature à justifier l'annulation prononcée.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits humains et des libertés fondamentales ;
- le traité sur le fonctionnement de l'Union européenne ;
- la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le code des relations entre le public et l'administration ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le décret 91-1266 du 19 décembre 1991 ;
- le code de justice administrative.
Le président de la formation de jugement a dispensé la rapporteure publique, sur sa proposition, de prononcer ses conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- Le rapport de M. Agnel ;
- Et les observations de Me Jeannot, représentant M. D....
Considérant ce qui suit :
1. M. D..., ressortissant arménien né le 23 janvier 1993 serait entré le 24 août 2014 sur le territoire français, selon ses déclarations afin d'y solliciter l'asile. Sa demande a été rejetée par l'Office français de protection des réfugiés et apatrides et par la Cour nationale du droit d'asile, les 5 juin et 22 décembre 2015. Le 16 décembre 2016, la demande d'admission exceptionnelle de l'intéressé au séjour a été rejetée. Le 17 février 2020, l'intéressé a sollicité son admission au séjour sur le fondement des dispositions du 7° de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et de l'article L. 313-14 du même code. M. D... a été interpellé le 7 juin 2021 à la suite d'un contrôle routier. Par deux arrêtés du lendemain, le préfet de Meurthe-et-Moselle l'a obligé à quitter le territoire français sans délai sur le fondement du 3° de l'article L. 611-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, a prononcé à son encontre une interdiction de retour sur le territoire français d'une durée de douze mois et l'a assigné à résidence durant une durée de six mois. Le préfet de Meurthe-et-Moselle relève appel du jugement du 23 septembre 2021 par lequel le tribunal administratif de Nancy a annulé ces arrêtés.
Sur l'aide juridictionnelle provisoire :
2. Aux termes de l'article 20 de la loi du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique : " Dans les cas d'urgence (...), l'admission provisoire à l'aide juridictionnelle peut être prononcée soit par le président du bureau ou de la section compétente du bureau d'aide juridictionnelle, soit par la juridiction compétente ou son président ".
3. M. D... ayant demandé l'aide juridictionnelle, il y a lieu de l'admettre, au vu de l'urgence, à l'aide juridictionnelle provisoire.
Sur le moyen d'annulation retenu par le jugement attaqué :
4. Le préfet de Meurthe-et-Moselle, qui n'avait pas jugé utile de présenter une défense devant le tribunal administratif, produit pour la première fois en appel les procès-verbaux d'audition de M. D... devant les services de police dans le cadre de la procédure de retenue administrative desquels il ressort que l'intéressé a été avisé qu'il était susceptible de faire l'objet d'une mesure d'éloignement. Il ressort de ces mêmes documents que l'intéressé a pu exposer les éléments de sa situation personnelle, faire valoir sa volonté de s'établir en France et exprimé sa préférence pour être assigné à résidence. Par suite, le préfet de Meurthe-et-Moselle est fondé à soutenir que c'est à tort que le jugement attaqué a retenu le moyen tiré de ce que M. D... n'avait pas été mis à même de présenter ses observations préalablement aux décisions litigieuses en violation de l'article 47 de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne.
5. Il appartient toutefois à la cour, dans le cadre de l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens soulevés par M. C... à l'encontre des décisions attaquées.
Sur la légalité de l'obligation de quitter le territoire :
6. L'arrêté du 8 juin 2021 a été signé par M. Le Goff, secrétaire général de la préfecture, en vertu d'un arrêté de délégation de signature du 9 avril 2021 régulièrement publié au recueil des actes administratifs du même jour. Par suite, le moyen d'incompétence doit être écarté.
7. Aux termes de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile alors applicable : " Sauf si sa présence constitue une menace pour l'ordre public, la carte de séjour temporaire portant la mention "vie privée et familiale" est délivrée de plein droit : (...) 7° A l'étranger ne vivant pas en état de polygamie, qui n'entre pas dans les catégories précédentes ou dans celles qui ouvrent droit au regroupement familial, dont les liens personnels et familiaux en France, appréciés notamment au regard de leur intensité, de leur ancienneté et de leur stabilité, des conditions d'existence de l'intéressé, de son insertion dans la société française ainsi que de la nature de ses liens avec la famille restée dans le pays d'origine, sont tels que le refus d'autoriser son séjour porterait à son droit au respect de sa vie privée et familiale une atteinte disproportionnée au regard des motifs du refus, sans que la condition prévue à l'article L. 313-2 soit exigée. L'insertion de l'étranger dans la société française est évaluée en tenant compte notamment de sa connaissance des valeurs de la République (...) ". Aux termes des stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits humains et des libertés fondamentales : " 1° Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. / 2° Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui ". Aux termes du paragraphe 1 de l'article 3 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant : " Dans toutes les décisions qui concernent les enfants, qu'elles soient le fait d'institutions publiques ou privées de protection sociale, des tribunaux, des autorités administratives ou des organes législatifs, l'intérêt supérieur de l'enfant doit être une considération primordiale ".
8. Il ressort des pièces du dossier que M. D... est entré sur le territoire français le 24 août 2014 et résidait depuis un peu moins de six ans en France au jour de la décision attaquée. S'il fait état de la durée de son séjour en France, de ses efforts d'intégration et du fait que certains de ses parents et son frère résident régulièrement en France, il ne soutient pas être dépourvu d'attaches familiales dans son pays d'origine. La mère de son enfant n'est pas admise régulièrement au séjour en France. Par suite, malgré la durée de son séjour en France, laquelle résulte de son refus d'exécuter les précédentes mesures d'éloignement prises à son encontre, la décision attaquée portant refus de titre de séjour, eu égard à ses conditions de séjour en France, n'a pas porté au droit au respect de sa vie privée et familiale une atteinte disproportionnée par rapport aux buts en vue desquels elle a été prise. Par suite, les moyens tirés de la méconnaissance des dispositions et stipulations précitées ne sauraient être accueillis. Pour les mêmes motifs, le préfet n'a entaché sa décision d'aucune erreur manifeste d'appréciation au regard de la situation personnelle du requérant.
9. Aux termes l'article L. 611-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " L'autorité administrative peut obliger un étranger à quitter le territoire français lorsqu'il se trouve dans les cas suivants : / (...) 3° L'étranger s'est vu refuser la délivrance d'un titre de séjour, le renouvellement du titre de séjour, du document provisoire délivré à l'occasion d'une demande de titre de séjour ou de l'autorisation provisoire de séjour qui lui avait été délivré ou s'est vu retirer un de ces documents ".
10. M. D... s'est vu refuser implicitement à deux reprises au cours de l'année 2016 et de l'année 2020 un titre de séjour. Il se trouvait, par suite, dans le cas où un étranger peut faire l'objet d'une obligation de quitter le territoire. Il ressort de l'arrêté litigieux que le préfet ne s'est pas refusé à examiner la situation de M. D... à cette occasion de sorte que le moyen tiré de l'erreur de droit sera écarté.
Sur la légalité de la décision refusant un délai de départ volontaire :
11. Il résulte de ce qui précède que M. D... n'est pas fondé à invoquer par la voie de l'exception l'illégalité de l'obligation de quitter le territoire à l'appui de ses conclusions dirigées contre la décision lui refusant un délai de départ volontaire.
12. L'arrêté du 8 juin 2021 est suffisamment motivé en ce qui concerne cette décision.
13. S'étant soustrait à de précédentes mesures d'éloignement et ayant manifesté son intention de ne pas déférer à une nouvelle mesure d'obligation de quitter le territoire, c'est sans erreur de droit, ni erreur manifeste d'appréciation que l'autorité préfectorale a refusé à l'intéressé un délai de départ volontaire.
Sur la décision fixant le pays de destination :
14. Il résulte de ce qui précède que M. D... n'est pas fondé à invoquer par la voie de l'exception l'illégalité de l'obligation de quitter le territoire à l'appui de ses conclusions dirigées contre la décision fixant le pays de destination.
15. L'arrêté du 8 juin 2021 est suffisamment motivé en ce qui concerne cette décision.
16. Si M. D... soutient qu'il risque d'être enrôlé dans l'armée arménienne et de combattre dans le Haut-Karabakh en violation de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits humains et des libertés fondamentales, non seulement il n'en justifie pas, mais en tout état de cause, les obligations au titre du service militaire ne sauraient être regardées par principe comme constitutives d'un traitement inhumain et dégradant au sens de ces stipulations.
17. Il y a lieu d'écarter les moyens tirés de la violation de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits humains et des libertés fondamentales, de l'article 3-1 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant et de l'erreur manifeste d'appréciation par adoption des motifs retenus à juste titre par les premiers juges en ce qui concerne la situation personnelle et familiale de l'intéressé en réponse aux moyens dirigés contre le refus implicite de séjour.
Sur la légalité de l'interdiction de retour sur le territoire :
18. Il résulte de ce qui précède que M. D... n'est pas fondé à invoquer par la voie de l'exception l'illégalité de l'obligation de quitter le territoire à l'appui de ses conclusions dirigées contre la décision lui faisant interdiction de retour sur le territoire.
19. L'arrêté du 8 juin 2021 est suffisamment motivé en ce qui concerne cette décision.
20. Il ressort de l'arrêté attaqué que le préfet ne s'est pas cru en situation de compétence liée et a examiné la situation de M. D... au regard des divers critères permettant de prononcer une telle décision. Le moyen tiré de l'erreur de droit sera, par suite, écarté.
21. Il ressort des pièces du dossier que M. D... se maintient de manière irrégulière sur le territoire en effectuant du travail dissimulé et ne peut faire valoir aucune intégration dans la société française dont il ne maîtrise pas la langue ainsi qu'en atteste les procès-verbaux d'audition devant les services de police. Son épouse est en situation irrégulière et a vocation à le suivre ainsi que ses enfants. A... des membres de sa famille sont présents en France de manière régulière, une telle circonstance, dès lors que sa propre cellule familiale ne sera pas séparée, n'est pas de nature à constituer une circonstance humanitaire propre à faire obstacle à la mesure d'interdiction litigieuse.
Sur la légalité de l'assignation à résidence :
22. L'arrêté du 8 juin 2021 a été signé par M. Le Goff, secrétaire général de la préfecture, en vertu d'un arrêté de délégation de signature du 9 avril 2021 régulièrement publié au recueil des actes administratifs du même jour. Par suite, le moyen d'incompétence sera écarté.
23. L'arrêté du 8 juin 2021 comporte les motifs de droit et de fait sur lesquels l'autorité préfectorale s'est fondée afin de prendre la mesure d'assignation à résidence litigieuse. Par suite, le moyen tiré de la violation de l'article L. 732-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile sera écarté.
24. Il ressort des pièces du dossier que M. D... s'est déjà soustrait à de précédentes mesures d'éloignement. Contrairement à ce qu'il soutient il ne présente pas de garanties de représentation et n'a pas remis son passeport aux autorités mais une copie de ce dernier. Par suite, il n'est pas fondé à soutenir que la mesure d'assignation à résidence serait disproportionnée.
25. Il résulte de tout ce qui précède que le préfet de Meurthe-et-Moselle est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Nancy a annulé ses arrêtés du 8 juin 2021. Il y a lieu par suite d'annuler le jugement attaqué et de rejeter les demandes de M. D... présentées devant le tribunal administratif de Nancy.
Sur les conclusions tendant à l'application de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 :
26. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que l'Etat qui n'est pas la partie perdante verse à l'avocat de M. D... une somme au titre des frais que celui-ci aurait exposés dans la présente instance s'il n'avait été admis à l'aide juridictionnelle provisoire.
D E C I D E :
Article 1er : M. D... est admis à l'aide juridictionnelle provisoire.
Article 2 : Le jugement n° 2101688 du tribunal administratif de Nancy du 23 septembre 2021 est annulé.
Article 3 : Les demandes de M. D... présentées devant le tribunal administratif de Nancy sont rejetées.
Article 4 : Les conclusions de M. D... tendant à l'application de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 sont rejetées.
Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à M. B... D... et au ministre de l'intérieur.
Copie du présent arrêt sera adressée au préfet de Meurthe-et-Moselle et au bureau d'aide juridictionnelle.
N°21NC02765 2