Procédure devant la cour :
Par un recours et des mémoires, enregistrés le 27 août 2013, le 28 janvier 2014 et le 24 avril 2014, le ministre des finances et des comptes publics, demande à la cour.
- d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Châlons-en-Champagne du 27 juin 2013.
Il soutient que :
- contrairement à ce qu'a jugé le tribunal administratif, le procès-verbal du 23 juillet 2009 a été signé par une autorité compétente ;
- l'administration pouvait légalement constater et sanctionner les infractions prévues par l'article 1739 du code général des impôts dans le cadre d'une vérification de comptabilité ;
- les garanties relatives au respect du principe du contradictoire ont été respectées au cours de la vérification de comptabilité ;
- l'amende prévue par l'article 1739 du code général des impôts n'est pas contraire à l'article 6-1 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.
Par des mémoires en défense, enregistrés le 25 octobre 2013 et le 4 mars 2014, la Caisse régionale du Crédit Agricole Mutuel Champagne-Bourgogne, représentée par la SCP Waquet-Farge-Hazan, conclut au rejet de la requête et demande qu'une somme de 3 000 euros soit mise à la charge de l'État sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- l'article 1739 du code général des impôts prévoit que les procès-verbaux d'infractions sont dressés à la requête du ministre chargé de l'économie ; le procès-verbal d'infraction a été établi par un service incompétent dès lors que la direction des vérifications nationales et internationales est placée sous la seule autorité du ministre chargé du budget ;
- une vérification de comptabilité ayant pour seul objet d'assurer l'établissement de l'impôt ou des taxes éludées par le contribuable, cette procédure ne peut être utilisée pour rechercher des infractions à l'article 1739 du code général des impôts ;
- les sanctions prévues par l'article 1739 du code général des impôts sont contraires à l'article 6-1 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et au principe de proportionnalité des peines ;
Vu :
- les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;
- le code monétaire et financier ;
- le décret n° 2008-310 du 3 avril 2008 ;
- décret n° 96-804 du 12 septembre 1996 ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Guidi,
- et les conclusions de M. Goujon-Fischer, rapporteur public,
1. Considérant que la Caisse Régionale de Crédit Agricole Mutuel (CRCAM) Champagne-Bourgogne a fait l'objet d'une vérification de comptabilité portant sur la période du 1er janvier 2006 au 31 décembre 2007, au terme de laquelle l'administration, après mise en oeuvre des traitements informatiques prévus par les dispositions de l'article L. 47 A du livre des procédures fiscales, l'a informée par procès-verbal dressé le 23 juillet 2009 que lui serait appliquée l'amende fiscale prévue à l'article 1739 du code général des impôts pour ouverture ou maintien dans des conditions irrégulières de comptes d'épargne réglementée ; que le ministre de l'économie et des finances relève appel du jugement du 27 juin 2013 par lequel le tribunal administratif de Châlons-en-Champagne a fait droit à la demande en décharge de cette amende ;
Sur les conclusions tendant à la décharge de l'amende fiscale :
2. Considérant qu'aux termes de l'article 1739 du code général des impôts : " I. Nonobstant toutes dispositions contraires, il est interdit à tout établissement de crédit qui reçoit du public des fonds à vue ou à moins de cinq ans, et par quelque moyen que ce soit, d'ouvrir ou de maintenir ouverts dans des conditions irrégulières des comptes bénéficiant d'une aide publique, notamment sous forme d'exonération fiscale, ou d'accepter sur ces comptes des sommes excédant les plafonds autorisés. Sans préjudice des sanctions disciplinaires qui peuvent être infligées par l'Autorité de contrôle prudentiel, les infractions aux dispositions du présent article sont punies d'une amende fiscale dont le taux est égal au montant des intérêts payés, sans que cette amende puisse être inférieure à 75 euros. Un décret pris sur le rapport du ministre chargé du budget fixe les modalités d'application du présent article, et notamment les conditions dans lesquelles seront constatées et poursuivies les infractions. II.- Les dispositions du I s'appliquent, quels que soient les entreprises, établissements ou organismes dépositaires, au régime de l'épargne populaire créé par la loi n° 82-357 du 27 avril 1982 portant création d'un régime d'épargne populaire " ; qu'aux termes de l'article L. 312-3 du code monétaire et financier dans sa rédaction issue de la loi n° 2003-706 du 1er août 2003, en vigueur jusqu'au 18 décembre 2007, dont les dispositions ont été reprises à l'article L. 221-35 du même code : " Nonobstant toutes dispositions contraires, il est interdit à tout établissement de crédit ou institution énumérée à l'article L. 518-1 d'ouvrir ou de maintenir ouverts dans des conditions irrégulières des comptes bénéficiant d'une aide publique, notamment sous forme d'exonération fiscale, en particulier les produits d'épargne générale à régime fiscal spécifique définis au présent chapitre, de verser sur ces comptes des rémunérations supérieures à celles fixées par le ministre chargé de l'économie, ou d'accepter sur ces comptes des sommes excédant les plafonds autorisés. Sans préjudice des sanctions disciplinaires qui peuvent être infligées par la Commission bancaire, les infractions aux dispositions du présent article sont punies d'une amende dont le taux est égal au montant des intérêts payés, sans que cette amende puisse être inférieure à 75 euros (...) " ; que l'article L. 221-36 du code monétaire et financier, entré en vigueur le 19 décembre 2007, dispose que " Les infractions aux dispositions de l'article L. 221-35 sont constatées comme en matière de timbre : par les comptables du Trésor ; par les agents des administrations financières. Les procès-verbaux sont dressés à la requête du ministre chargé de l'économie " ;
3. Considérant que les premiers juges, après avoir relevé que les infractions ayant motivé l'application des sanctions fiscales en litige avaient été constatées par un procès-verbal établi le 30 mars 2011, à l'issue d'une vérification de comptabilité, par un agent de la direction des vérifications nationales et internationales sur la seule requête du ministre du budget, des comptes publics, de la fonction publique et de la réforme de l'État, ont estimé que la direction des vérifications nationales et internationales, faute d'avoir été requise par le ministre chargé de l'économie, n'était pas habilitée à constater les infractions mentionnées à l'article 1739 du code général des impôts et que cette irrégularité avait privé la CRCAM de la garantie attachée au respect des prérogatives de l'autorité chargée de la recherche et de la poursuite des manquements aux règles relatives à l'épargne réglementée ;
4. Considérant que les dispositions de l'article L. 221-36 du code monétaire et financier permettent aux agents des administrations financières de constater les infractions à l'article L. 221-35 du même code, sans distinguer selon le ministère de rattachement de ces agents, lequel peut évoluer en fonction de la dénomination des départements ministériels et de la répartition des compétences entre les ministres ; que la direction des vérifications nationales et internationales, relevant de la direction générale des impôts puis, à compter de l'entrée en vigueur du décret n° 2008-310 du 3 avril 2008, de la direction générale des finances publiques, est une administration financière ; qu'ainsi, à la date du 30 mars 2011 à laquelle a été établi le procès-verbal constatant les infractions commises par la CRCAM Champagne-Bourgogne, le ministre du budget, des comptes publics et de la réforme de l'État, qui avait autorité sur la direction des vérifications nationales et internationales, devait être regardé comme disposant de la compétence pour requérir, au sens des dispositions précitées de l'article L. 221-36 du code monétaire et financier, ladite direction ; que, dès lors, c'est à tort que les premiers juges ont estimé que le procès-verbal en date du 30 mars 2011 avait été dressé par un agent de la direction des vérifications nationales et internationales incompétent ;
5. Considérant, toutefois, qu'il appartient à la cour administrative d'appel, saisie de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens soulevés par la CRCAM Champagne-Bourgogne devant le tribunal administratif de Châlons-en-Champagne et devant la cour ;
En ce qui concerne la régularité du recours à la procédure de vérification de comptabilité :
6. Considérant qu'aux termes de l'article L. 13 du livre des procédures fiscales : " Les agents de l'administration des impôts vérifient sur place, en suivant les règles prévues par le présent livre, la comptabilité des contribuables astreints à tenir et à présenter des documents comptables. Lorsque la comptabilité est tenue au moyen de systèmes informatisés, le contrôle porte sur l'ensemble des informations, données et traitements informatiques qui concourent directement ou indirectement à la formation des résultats comptables ou fiscaux et à l'élaboration des déclarations rendues obligatoires par le code général des impôts ainsi que sur la documentation relative aux analyses, à la programmation et à l'exécution des traitements " ; qu'aux termes de l'article L. 47 A du même livre : " I. - Lorsque la comptabilité est tenue au moyen de systèmes informatisés, le contribuable peut satisfaire à l'obligation de représentation des documents comptables mentionnés au premier alinéa de l'article 54 du code général des impôts en remettant, sous forme dématérialisée répondant à des normes fixées par arrêté du ministre chargé du budget, une copie des fichiers des écritures comptables définies aux articles 420-1 et suivants du plan comptable général. L'administration peut effectuer des tris, classements ainsi que tous calculs aux fins de s'assurer de la concordance entre la copie des enregistrements comptables et les déclarations fiscales du contribuable. L'administration restitue au contribuable, avant la mise en recouvrement, les copies des fichiers transmis et n'en conserve aucun double (...) " ; qu'aux termes de l'article 1er du décret du 12 septembre 1996 relatif à la compétence des fonctionnaires de la direction générale des impôts en matière d'assiette et de contrôle des impositions, taxes et redevances : " (...) les fonctionnaires titulaires de la direction générale des impôts appartenant à des corps des catégories A et B peuvent fixer les bases d'imposition et liquider les impôts, taxes et redevances ainsi que notifier les redressements. (...) Ils sont également compétents dans le ressort territorial de leur service d'affectation pour dresser, en vertu de l'article R. 213-4 du livre des procédures fiscales, les procès-verbaux prévus au d de l'article L. 212 et à l'article L. 213 de ce livre (...) " ; qu'aux termes de l'article L. 212 du livre des procédures fiscales : " Peuvent être constatées par procès-verbal : d) Les infractions aux dispositions du code général des impôts relatives aux ventes publiques de meubles et par enchères, aux droits de timbre à l'exception de celles relatives aux droits de timbre perçus sur états ou sur déclarations " ;
7. Considérant que la CRCAM soutient que l'administration ne pouvait lui infliger l'amende prévue par l'article 1739 du code général des impôts interdisant aux établissements de crédit qui reçoivent du public des fonds à vue ou à moins de cinq ans d'ouvrir ou de maintenir ouverts dans des conditions irrégulières des comptes bénéficiant d'une aide publique, notamment sous forme d'exonération fiscale, ou d'accepter sur ces comptes des sommes excédant les plafonds autorisés, sur la base des informations recueillies dans le cadre de la vérification de comptabilité et du contrôle de ses systèmes informatisés ; qu'il résulte toutefois des dispositions précitées du code monétaire et financier, d'une part, que les infractions que commettent les établissements de crédit dans l'ouverture et la tenue de comptes bénéficiant d'une aide publique sont constatées par procès-verbal comme en matière de timbre et qu'en l'absence du décret prévu par l'article 1739 fixant ses modalités d'application, notamment les conditions dans lesquelles sont poursuivies et constatées les infractions, aucun texte ne fait obstacle à ce que les agents des administrations financières et en particulier ceux de la direction des vérifications nationales et internationales constatent les infractions aux dispositions de l'article 1739 du code général des impôts dans le cadre d'une vérification de comptabilité, procédure qui a pour objet de contrôler le respect de leurs obligations par les contribuables ; que, d'autre part, lesdits établissements sont astreints, à raison de leur activité bancaire, à la tenue et à la présentation de documents comptables au nombre desquels figurent ceux relatifs aux comptes ouverts dans leurs livres par leurs clients ; qu'ainsi les agents de la direction des vérifications nationales et internationales sont en droit de mettre en oeuvre les procédures prévues par les articles L. 13 et L. 47 A précités du livre des procédures fiscales afin de vérifier si parmi les comptes que gèrent les établissements bancaires, ceux relevant de l'épargne réglementée ont été ouverts ou tenus dans des conditions régulières au regard des prescriptions résultant du code monétaire et financier ; que, par suite, le moyen tiré de l'irrégularité de la procédure suivie ne saurait être accueilli ;
En ce qui concerne le bien-fondé des amendes :
8. Considérant qu'aux termes de l'article 6 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " 1. Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement, publiquement et dans un délai raisonnable, par un tribunal indépendant et impartial, établi par la loi, qui décidera soit des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil, soit du bien-fondé de toute accusation en matière pénale dirigée contre elle (...) " ; que ces stipulations sont applicables à la contestation de l'amende prévue à l'article 1739 du code général des impôts qui, dès lors qu'elle présente le caractère d'une punition tendant à empêcher la réitération des agissements qu'elle vise à réprimer et n'a pas pour objet la seule réparation pécuniaire d'un préjudice, constitue, même si le législateur a laissé le soin de l'établir et de la prononcer à l'autorité administrative, une " accusation en matière pénale " au sens de ces stipulations ;
9. Considérant qu'il résulte des dispositions du code monétaire et financier rappelées au point 2 que les infractions aux règles que celles-ci édictent sont punies d'une amende dont le taux est égal à 100 % du montant des intérêts payés aux détenteurs des comptes ouverts ou tenus irrégulièrement, ladite amende ne pouvant être inférieure à 75 euros par infraction ; que cette amende vise à réprimer la méconnaissance par les établissements de crédit de leur obligation de veiller au respect des conditions légales d'ouverture, dans leurs écritures, de comptes d'épargne réglementée bénéficiant d'une aide publique et des plafonds de dépôts effectués par leurs clients sur ces comptes ; que, compte tenu, d'une part, de cet objet d'intérêt général et de la nécessité de donner à cette amende un caractère suffisamment dissuasif pour les établissements de crédit qui ne respectent pas leurs obligations, d'autre part, de ce que l'assiette sur laquelle s'applique le taux de 100 % est constituée par les seuls intérêts versés sur lesdits comptes, ni ce taux de 100 %, quand bien même il est unique, ni le minimum de 75 euros, eu égard à sa modicité en valeur absolue, n'apparaissent comme disproportionnés au regard de la gravité du comportement que cette amende a pour but de réprimer ; qu'en outre, le juge administratif, après avoir exercé son plein contrôle sur les faits invoqués et la qualification retenue par l'administration, décide, dans chaque cas, selon les résultats de ce contrôle, soit de maintenir l'amende infligée par l'administration, soit d'en prononcer la décharge ; que, dans ces conditions, contrairement à ce que soutient la société requérante, les dispositions mises en oeuvre à l'encontre de la CRCAM Champagne-Bourgogne ne sont pas incompatibles avec les stipulations précitées de l'article 6-1 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, dont est tiré notamment le principe de proportionnalité des peines ;
10. Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que le ministre est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Châlons-en-Champagne a prononcé la décharge des amendes en litige ;
Sur les conclusions tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
11. Considérant que les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de l'État, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, la somme que la CRCAM Champagne-Bourgogne demande au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens ;
D É C I D E :
Article 1er : Le jugement n° 110893 du tribunal administratif de Châlons-en-Champagne du 27 juin 2013 est annulé.
Article 2 : La demande présentée par la Caisse Régionale de Crédit Agricole Mutuel Champagne-Bourgogne devant le tribunal administratif de Châlons-en-Champagne et ses conclusions présentées devant la cour au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à la Caisse Régionale de Crédit Agricole Mutuel Champagne-Bourgogne et au ministre des finances et des comptes publics.
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N° 13NC01619