Procédure devant la cour :
Par une requête, enregistrée le 30 janvier 2018, la SARL CMR Lux, représentée par Me B..., demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du 5 décembre 2017 par lequel le tribunal administratif de Strasbourg a rejeté sa demande tendant à la décharge des rappels de taxe sur la valeur ajoutée qui lui ont été réclamés pour la période du 1er janvier 2008 au 31 décembre 2009, de la cotisation supplémentaire d'impôt sur les sociétés et de l'amende prévue par l'article 1759 du code général des impôts auxquelles elle a été assujettie au titre de l'année 2008, de rectifier le résultat imposable au titre de l'année 2009, et enfin de la décharger des pénalités correspondantes ;
2°) de prononcer la décharge de ces impositions et pénalités ;
3°) de saisir à titre préjudiciel la Cour de justice de l'Union européenne à fin d'interprétation de la directive 2006/112/CE ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;
Elle soutient que :
- l'administration fiscale lui a refusé à tort à la possibilité de saisir la commission départementale des impôts directs et des taxes sur le chiffre d'affaires ;
- la proposition de rectification du 27 mai 2011 est insuffisamment motivée en méconnaissance de l'article L. 76 du livre des procédures fiscales ;
- c'est à tort que l'administration fiscale a considéré qu'elle disposait d'un établissement stable en France puisqu'elle justifie exercer une activité réelle au Luxembourg ;
- la proposition de rectification du 27 mai 2011 ne comportant pas la signature d'un fonctionnaire ayant au moins le grade d'inspecteur principal, les majorations et amendes ne peuvent lui être appliquées en application des articles L. 80 E et R. 80 E-1 du livre des procédures fiscales.
Par un mémoire en défense, enregistré le 4 juillet 2018, le ministre de l'action et des comptes publics conclut au rejet de la requête.
Il soutient que les moyens soulevés par la SARL CMR Lux ne sont pas fondés.
Vu :
- les autres pièces du dossier ;
Vu :
- la convention fiscale franco-luxembourgeoise du 1er avril 1958 et ses avenants ;
- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Lambing,
- et les conclusions de Mme Peton, rapporteur public.
Considérant ce qui suit :
1. La société à responsabilité limitée (SARL) CMR Lux, société de droit luxembourgeois, qui a pour activité l'installation de sites de télécommunication, a fait l'objet d'une vérification de comptabilité du 11 février au 13 avril 2011 à l'issue de laquelle l'administration a considéré que la société disposait d'un établissement stable en France. Par proposition de rectification du 27 mai 2011, l'administration lui a notifié, dans le cadre de la procédure de taxation d'office, des rappels de taxe sur la valeur ajoutée pour la période du 1er janvier 2008 au 31 décembre 2009 et une cotisation supplémentaire d'impôt sur les sociétés au titre de l'année 2008. Elle a également rectifié le résultat imposable de la société au titre de l'année 2009, ce qui n'a cependant pas donné lieu à une cotisation supplémentaire d'impôt sur les sociétés, l'exercice étant déficitaire. Dans sa réponse du 2 septembre 2011 aux observations du contribuable, l'administration a confirmé les rectifications et a, en outre, mis à la charge de la SARL CMR Lux l'amende prévue par l'article 1759 du code général des impôts au titre de l'année 2008, faute pour la société d'avoir désigné les bénéficiaires des bénéfices distribués dans le délai de trente jours accordé. La SARL CMR Lux relève appel du jugement du 5 décembre 2017 par lequel le tribunal administratif de Strasbourg a rejeté sa demande.
Sur le principe de l'imposition en France :
En ce qui concerne l'impôt sur les sociétés :
2. D'une part, aux termes de l'article 209 du code général des impôts : " les bénéfices passibles de l'impôt sur les sociétés sont déterminés (...) en tenant compte uniquement des bénéfices réalisés dans les entreprises exploitées en France ainsi que de ceux dont l'imposition est attribuée à la France par une convention internationale relative aux doubles impositions. ". D'autre part, en vertu des stipulations des articles 2 et 4 de la convention fiscale entre la France et le Luxembourg du 1er avril 1958, les revenus des entreprises commerciales ne sont imposables que dans l'Etat sur le territoire duquel se trouve un établissement stable, entendu comme une installation fixe d'affaires dans laquelle l'entreprise exerce tout ou partie de son activité, un représentant ou un employé agissant dans un des territoires pour le compte d'une entreprise de l'autre territoire n'étant considéré comme tel que s'il dispose de pouvoirs généraux qu'il exerce habituellement lui permettant de négocier et de conclure des contrats au nom de l'entreprise.
3. Il résulte de l'instruction, et notamment de la proposition de rectification du 27 mai 2011 et de la réponse aux observations du contribuable susmentionnée en date du 2 septembre 2011, que la SARL CMR Lux a son siège social au Luxembourg, dans les locaux de la société GL, cabinet d'expertise-comptable. La société requérante produit un contrat de bail conclu à compter du 1er février 2006 pour la location d'un " bureau paysager meublé comportant un bureau, une chaise, un meuble de classement, une prise électrique et une toilette commune ", dans les locaux de la société GL Consulting, au Luxembourg. Il n'est pas contesté que cette société assure la domiciliation d'entreprises et la mise à disposition de bureaux. Le vérificateur a constaté que les numéros de téléphone et de télécopie mentionnés sur les factures de la SARL CMR Lux correspondent à ceux de la société fiduciaire GL, qui assure le transfert des messages à M.A..., gérant et unique associé de la SARL CMR Lux. La demande d'abonnement téléphonique auprès d'un opérateur luxembourgeois produite par la société requérante, qui au demeurant est postérieure aux années en litige, ne justifie pas de l'existence de moyens matériels au Luxembourg. L'administration a également établi que la société requérante n'employait aucun salarié au Luxembourg et que, par conséquent, les tâches de secrétariat et d'administration n'étaient pas réalisées depuis les locaux de l'entreprise situés au Luxembourg. Il n'est pas contesté non plus que les déplacements du gérant de la SARL CMR Lux au siège social de l'entreprise au Luxembourg ont pour seul objet de transmettre les documents utiles à l'établissement de la comptabilité par la société GL et de se rendre à sa banque. La société requérante n'apporte aucun élément qui justifierait que son gérant assure la direction de l'entreprise depuis le bureau loué au Luxembourg. En outre, la circonstance que la société requérante dispose d'une immatriculation à la taxe sur la valeur ajoutée au Luxembourg ne justifie pas de l'existence de moyens matériels et humains dans cet Etat. Enfin, l'administration a établi que le gérant de la société assure les relations avec la clientèle depuis son domicile personnel situé en France et que le matériel de la société est entreposé dans un garage attenant à son habitation, depuis lequel l'entreprise se déplace pour se rendre sur les chantiers exclusivement situés en France. Eu égard à l'ensemble de ces éléments, la société requérante doit être regardée comme ayant disposé au cours des années en cause, dans les locaux situés au domicile personnel de son gérant, d'une installation fixe d'affaires dans laquelle elle a exercé son activité et doit par suite être regardée comme ayant exploité une entreprise en France au sens des dispositions de l'article 209 du code général des impôts. Il s'ensuit également qu'elle doit être regardée comme y ayant disposé d'un établissement stable au sens des stipulations du 3 de l'article 2 de la convention fiscale entre la France et le Luxembourg du 1er avril 1958. C'est dès lors à bon droit que l'administration fiscale l'a assujettie en France à l'impôt sur les sociétés en application combinée de ces dispositions et stipulations.
En ce qui concerne la taxe sur la valeur ajoutée :
4. Aux termes de l'article 256 du code général des impôts : " I. Sont soumises à la taxe sur la valeur ajoutée les livraisons de biens et les prestations de services effectuées à titre onéreux par un assujetti agissant en tant que tel. (...) ". Aux termes de l'article 259 du même code, dans sa version applicable à la période d'imposition litigieuse : " Le lieu des prestations de services est réputé se situer en France lorsque le prestataire a en France le siège de son activité ou un établissement stable à partir duquel le service est rendu ou, à défaut, son domicile ou sa résidence habituelle. ".
5. Pour l'application de ces dispositions, qui résultent de la transposition en droit interne de l'article 9 de la directive 77/388/CEE du 17 mai 1977 en matière d'harmonisation des législations des Etats membres relatives aux taxes sur le chiffre d'affaires, il convient, comme la Cour de justice des Communautés européennes l'a jugé notamment dans ses arrêts Berkholz du 4 juillet 1985 (C-168/84, points 17 et 18) et ARO Lease BV du 17 juillet 1997 (C-190/95, points 15 et 16), de déterminer le point de rattachement des services rendus afin d'établir le lieu des prestations de services. L'endroit où le prestataire a établi le siège de son activité économique apparaît comme un point de rattachement prioritaire, la prise en considération d'un autre établissement à partir duquel la prestation de services est rendue ne présentant un intérêt que dans le cas où le rattachement au siège ne conduit pas à une solution rationnelle du point de vue fiscal ou crée un conflit avec un autre État membre. Un établissement ne peut être utilement regardé, par dérogation au critère prioritaire du siège, comme lieu des prestations de services d'un assujetti, que s'il présente un degré suffisant de permanence et une structure apte, du point de vue de l'équipement humain et technique, à rendre possibles, de manière autonome, les prestations de services considérées.
6. Il résulte de ce qui a été dit au point 3 que le rattachement au siège luxembourgeois de la société de l'activité d'installation de sites de télécommunication, à partir duquel cette activité économique n'est pas exercée, conduit à une solution qui n'est pas rationnelle du point de vue fiscal. En revanche, il résulte de ce qui a été dit précédemment que la SARL CMR Lux a un établissement stable en France à partir duquel ses services ont été rendus au sens des dispositions précitées de l'article 259 du code général des impôts dès lors que cet établissement présentait un degré suffisant de permanence et une structure apte, du point de vue de l'équipement humain et technique, à rendre possibles, de manière autonome, les prestations de services considérées. Par suite, c'est à bon droit que l'administration a estimé qu'au regard des principes régissant la territorialité de la taxe sur la valeur ajoutée, la société requérante disposait d'un établissement stable en France et qu'il y avait lieu d'y rattacher les prestations de services en cause.
Sur la régularité de la procédure d'imposition :
7. En premier lieu, aux termes de l'article L. 56 du livre des procédures fiscales : " La procédure de rectification contradictoire n'est pas applicable : (...) 4° Dans les cas de taxation ou évaluation d'office des bases d'imposition ; (...) ". Aux termes de l'article L. 59 du même livre relatif à la procédure de rectification contradictoire : " Lorsque le désaccord persiste sur les rectifications notifiées, l'administration, si le contribuable le demande, soumet le litige à l'avis soit de la commission départementale des impôts directs et des taxes sur le chiffre d'affaires prévue à l'article 1651 du code général des impôts (...) ".
8. La SARL CM Lux, qui ne conteste pas avoir à bon droit fait l'objet d'impositions établies sur des bases évaluées ou taxées d'office, n'est pas fondée à soutenir que l'administration aurait, en rayant la mention relative à la saisine de la commission départementale des impôts directs et des taxes sur le chiffre d'affaires, irrégulièrement refusé de lui accorder la possibilité de saisir cette commission, dont la consultation n'est prévue que dans le cadre de la procédure de rectification contradictoire. Par suite, le moyen tiré de la méconnaissance de l'article L. 59 du livre des procédures fiscales doit être écarté.
9. En second lieu, aux termes de l'article L. 76 du livre des procédures fiscales : " les bases ou éléments servant au calcul des impositions d'office et leurs modalités de détermination sont portées à la connaissance du contribuable trente jours au moins avant la mise en recouvrement des impositions ".
10. Il résulte de l'instruction que la " proposition de rectification " du 27 mai 2011 mentionne les impositions et taxes concernées, la période d'imposition, la base imposable et ses modalités de calcul. Après avoir rappelé les faits relevés dans le cadre de la vérification de comptabilité, le vérificateur a exposé les motifs de fait l'ayant conduit à retenir que la SARL CMR Lux disposait d'un établissement stable en France. Dans ces conditions, la notification des bases d'imposition à laquelle a procédé le service par la " proposition de rectification " susmentionnée est suffisamment motivée au regard des dispositions de l'article L. 76 du livre des procédures fiscales.
Sur le bien fondé de l'imposition :
En ce qui concerne l'impôt sur les sociétés :
11. Il résulte de ce qui précède que la SARL CM Lux disposait d'un établissement stable en France. Il est constant qu'elle n'avait pas opté pour le régime fiscal des sociétés de personnes. Par suite, la société requérante n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort qu'elle a été assujettie à l'impôt sur les sociétés en France à raison de ses activités de prestations de services exercées depuis son établissement stable en France.
En ce qui concerne la taxe sur la valeur ajoutée :
12. Aux termes de l'article 283 du code général des impôts : " 1. La taxe sur la valeur ajoutée doit être acquittée par les personnes qui réalisent les opérations imposables ".
13. Eu égard à ce qui a été dit aux points 3 et 6, l'activité exercée par la SARL CMR Lux depuis son établissement stable en France doit être soumise à la taxe sur la valeur ajoutée. En application de l'article 283 du code général des impôts, la société requérante était redevable de la taxe correspondant aux prestations de services réalisées depuis son établissement stable en France. Par suite, c'est à bon droit que l'administration lui a notifié les rappels en litige.
Sur les pénalités :
14. Aux termes de l'article L. 80 E du livre des procédures fiscales dans sa version applicable à la période d'imposition litigieuse : " La décision d'appliquer les majorations prévues aux articles 1729 et 1732 du code général des impôts est prise par un agent de catégorie A détenant au moins un grade fixé par décret qui vise à cet effet le document comportant la motivation des pénalités. ". Aux termes de l'article R. 80 E-1 du même livre : " La décision d'appliquer les majorations mentionnées à l'article L. 80 E est prise par un agent ayant au moins le grade d'inspecteur départemental. ".
15. Il résulte de l'instruction que la proposition de rectification du 27 mai 2011 et la réponse aux observations du contribuable du 2 septembre 2011 n'ont appliqué que la majoration de 40 % prévue par l'article 1728 du code général des impôts pour non dépôt des déclarations dans le délai de trente jours après l'envoi d'une mise en demeure, à l'exclusion des majorations prévues aux articles 1729 et 1732 du code général des impôts. Il s'ensuit que la SARL CMR Lux ne peut utilement se prévaloir de la méconnaissance des dispositions précitées des articles L. 80 E et R. 80 E-1 du livre des procédures fiscales.
16. Il résulte de tout ce qui précède, et sans qu'il soit besoin de saisir à titre préjudiciel la Cour de justice de l'Union européenne, que la SARL CMR Lux n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Strasbourg a rejeté sa demande.
Sur l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
17. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de l'État, qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante, la somme demandée par la SARL CMR Lux au titre des frais exposés et non compris dans les dépens.
D E C I D E :
Article 1er : La requête de la SARL CMR Lux est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à la SARL CMR Lux et au ministre de l'action et des comptes publics.
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N° 18NC00262