Procédure devant la cour :
Par une requête, enregistrée le 3 novembre 2020, le préfet de la Moselle demande à la cour d'annuler le jugement n° 1907228 du tribunal administratif de Strasbourg du 8 septembre 2020 et de rejeter la demande présentée par Mme C... devant ce tribunal.
Il soutient que :
- la reconnaissance de paternité sur laquelle Mme C... a fondé sa demande d'admission au séjour est frauduleuse ;
- c'est à tort que le tribunal lui a enjoint de délivrer à Mme C... une carte de séjour temporaire en qualité de parent d'enfant français, alors qu'à la date de son jugement, le père putatif de sa fille ne contribue pas à son entretien et à son éducation.
Par un mémoire en défense, enregistré le 11 décembre 2020, Mme D... C..., représentée par Me B..., conclut au rejet de la requête, à ce qu'il soit enjoint au préfet de lui délivrer un titre de séjour, subsidiairement, de réexaminer sa situation dans un délai déterminé, au besoin sous astreinte, et à ce que soit mise à la charge de l'Etat la somme de 1 500 euros à verser à son avocat en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.
Elle soutient que la requête d'appel, insuffisamment motivée, est irrecevable et qu'aucun des moyens soulevés par le préfet n'est fondé.
Mme C... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 15 décembre 2020.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la loi n° 2018-778 du 10 septembre 2018 pour une immigration maîtrisée, un droit d'asile effectif et une intégration réussie ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le décret n° 2020-1406 du 18 novembre 2020 ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
La présidente de la formation de jugement a dispensé la rapporteure publique, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. A...,
- et les observations de Me B... pour Mme C....
Considérant ce qui suit :
1. Mme D... C..., ressortissante congolaise née le 10 décembre 1988, est entrée en France le 15 décembre 2014. Le 21 août 2017, elle a sollicité son admission au séjour en qualité de parent d'un enfant français mineur, sur le fondement de l'article L. 313-11-6° du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. Par une décision du 28 juillet 2019, le préfet de Moselle a rejeté sa demande.
2. Le préfet de la Moselle relève appel du jugement du 8 septembre 2020 par lequel le tribunal administratif de Strasbourg a annulé cette décision.
Sur le bien-fondé du jugement :
En ce qui concerne l'annulation de la décision contestée :
3. Aux termes de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, dans leur rédaction applicable à la décision contestée : " Sauf si sa présence constitue une menace pour l'ordre public, la carte de séjour temporaire portant la mention " vie privée et familiale " est délivrée de plein droit : 6° A l'étranger ne vivant pas en état de polygamie, qui est père ou mère d'un enfant français mineur résidant en France, à la condition qu'il établisse contribuer effectivement à l'entretien et à l'éducation de l'enfant dans les conditions prévues par l'article 371-2 du code civil depuis la naissance de celui-ci ou depuis au moins deux ans, sans que la condition prévue à l'article L. 313-2 soit exigée ; (...) ".
4. Si un acte de droit privé opposable aux tiers est, en principe, opposable dans les mêmes conditions à l'administration tant qu'il n'a pas été déclaré nul par le juge judiciaire,
il appartient cependant à l'administration, lorsque se révèle une fraude commise en vue d'obtenir l'application de dispositions de droit public, d'y faire échec même dans le cas où cette fraude revêt la forme d'un acte de droit privé. Ce principe peut conduire l'administration, qui doit exercer ses compétences sans pouvoir renvoyer une question préjudicielle à l'autorité judiciaire, à ne pas tenir compte, dans l'exercice de ces compétences, d'actes de droit privé opposables aux tiers. Tel est le cas pour la mise en oeuvre des dispositions du 6° de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, qui n'ont pas entendu écarter l'application des principes ci-dessus rappelés.
Par conséquent, si la reconnaissance d'un enfant est opposable aux tiers, en tant qu'elle établit un lien de filiation et, le cas échéant, en tant qu'elle permet l'acquisition, par l'enfant, de la nationalité française, dès lors que cette reconnaissance a été effectuée conformément aux conditions prévues par le code civil et s'impose donc, en principe, à l'administration tant qu'une action en contestation de filiation n'a pas abouti, il appartient néanmoins au préfet, s'il dispose d'éléments précis et concordants de nature à établir, lors de l'examen d'une demande de titre de séjour présentée sur le fondement du 6° de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ou après l'attribution de ce titre, que la reconnaissance de paternité a été souscrite dans le but de faciliter l'obtention de la nationalité française ou d'un titre de séjour, de faire échec à cette fraude et de refuser sous le contrôle du juge de l'excès de pouvoir, tant que la prescription prévue par les articles 321 et 335 du code civil n'est pas acquise, la délivrance de la carte de séjour temporaire sollicitée par la personne se présentant comme père ou mère d'un enfant français.
5. Le 20 octobre 2015, Mme C... a donné naissance à un enfant qui a été reconnu le 8 juin 2015 par M. E..., ressortissant français. Le préfet de la Moselle soutient que, contrairement à ce qu'a estimé le tribunal, c'est à juste titre qu'il a fondé son refus de séjour sur le caractère frauduleux de cette reconnaissance de paternité.
6. Il ressort des pièces du dossier que sept autres enfants, nés entre le 24 février 2012 et le 11 septembre 2015 de sept mères différentes, toutes de nationalité congolaise, ont été reconnus par M. E... et que ce dernier n'entretient aucune relation avec la fille de Mme C.... Toutefois, ces circonstances, quoique peu ordinaires, ne suffisent pas à démontrer qu'il n'est pas le père biologique de l'enfant. Si le préfet se prévaut de ce que M. E... aurait déclaré ne pas reconnaître l'enfant et ne pas en être le père, il ressort du procès-verbal d'audition de Mme C..., établi le 11 avril 2018 dans le cadre d'une enquête en reconnaissance frauduleuse de paternité, que ces déclarations y sont simplement rapportées par l'officier de police judiciaire qui a interrogé l'intéressée, afin qu'elle y réponde. En l'absence de tout élément permettant de corroborer la réalité et la portée des déclarations ainsi prêtées à M. E... et qui contredisent la démarche de reconnaissance qu'il a effectuée, cet ouï-dire ne saurait être retenu. Au demeurant, il ne ressort pas des pièces du dossier que cette enquête, au sujet de laquelle le préfet ne fournit aucune autre précision ni aucun autre élément, ait donné lieu à des suites pénales ou à une remise en cause de la filiation de l'enfant de Mme C.... Ne sont pas non plus de nature à la remettre en cause les refus de délivrance d'un passeport et d'une carte nationale d'identité pour l'enfant, opposés par le préfet de la Haute-Vienne le 18 novembre 2016 et le préfet de la Moselle le 28 septembre 2020, dès lors qu'il s'agit de décisions prises par l'administration même qui conteste la filiation de l'enfant. Du reste, ces décisions sont en contradiction avec le certificat de nationalité française de l'enfant de Mme C..., délivré le 5 juillet 2016 par le tribunal d'instance de Limoges. Dans ces conditions, le préfet de la Moselle n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que le tribunal a jugé illégal le motif de son refus de séjour tiré du caractère frauduleux de la reconnaissance de paternité de l'enfant.
7. Le bien-fondé du jugement en ce qu'il a également jugé illégal le second motif de la décision contestée, tiré de ce que M. E... ne contribue pas à l'entretien et l'éducation de l'enfant depuis au moins deux ans, n'étant pas discuté par le préfet, ce dernier n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que le tribunal a annulé cette décision.
En ce qui concerne l'injonction prononcée par le tribunal :
8. Le préfet soutient que c'est à tort que le tribunal lui a enjoint de délivrer à Mme C... une carte de séjour temporaire en qualité de parent d'enfant français, compte tenu des dispositions du 6° de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile en vigueur à la date de son jugement. Selon le préfet, la condition fixée par le deuxième alinéa de ce 6°, ajouté par l'article 55 de la loi du 10 septembre 2018 susvisée, n'était pas remplie à cette date dès lors que M. E... ne contribuait pas effectivement à l'entretien et à l'éducation de l'enfant.
9. Toutefois, en vertu de l'article 71 de cette loi, les dispositions de ce deuxième alinéa du 6° de l'article L. 313-11 ne s'appliquent qu'aux demandes postérieures à son entrée en vigueur, soit au 1er mars 2019. Or, du fait de l'annulation de la décision de refus de séjour, le préfet est demeuré saisi de la demande initiale présentée par Mme C... le 21 août 2017. Par conséquent, l'instruction de cette demande devait être reprise au regard des dispositions du 6° de l'article L. 313-11 dans leur rédaction antérieure à la loi du 10 septembre 2018, sans que ne s'applique la condition ajoutée par ce texte pour la délivrance de la carte de séjour temporaire en qualité de parent d'enfant français.
10. Dans ces conditions et eu égard aux motifs d'annulation retenus par le tribunal, le préfet n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que ce dernier lui a ordonné de délivrer cette carte de séjour temporaire à Mme C....
11. Il résulte de tout ce qui précède, sans qu'il soit besoin de statuer sur la fin de non-recevoir soulevée par Mme C..., que les conclusions à fin d'annulation présentées par le préfet de la Moselle ne peuvent qu'être rejetées.
Sur les conclusions à fin d'injonction de Mme C... :
12. Le tribunal a ordonné la délivrance à Mme C... la carte de séjour temporaire en qualité de parent d'enfant français, et il résulte de l'instruction que le préfet a exécuté cette injonction. Par suite, les conclusions de Mme C... tendant à ce qu'il soit enjoint au préfet de lui délivrer un titre de séjour ou, subsidiairement, de réexaminer sa situation dans un délai déterminé, au besoin sous astreinte, sont sans objet et ne peuvent qu'être rejetées.
Sur les frais de l'instance :
13. Mme C... a obtenu le bénéfice de l'aide juridictionnelle. Par suite, son avocat peut se prévaloir des dispositions des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, et sous réserve que Me B..., avocat de Mme C..., renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'État, de mettre à la charge de l'Etat le versement à Me B... de la somme de 1 500 euros
D E C I D E :
Article 1 : La requête du préfet de la Moselle est rejetée.
Article 2 : L'Etat versera à Me B... une somme de 1 500 euros en application des dispositions du deuxième alinéa de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991, sous réserve que Me B... renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'Etat.
Article 3 : Le surplus des conclusions de Mme C... est rejeté.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié au ministre de l'intérieur et à Me B... pour Mme D... C... en application des dispositions de l'article 6 du décret n° 2020-1406 du 18 novembre 2020.
Copie en sera adressée au préfet de la Moselle.
N° 20NC03206 2