Procédure devant la cour :
Par une requête, enregistrée le 13 juillet 2021, le préfet de Meurthe-et-Moselle demande à la cour :
1°) d'annuler le jugement n° 2101744 de la magistrate désignée par la présidente du tribunal administratif de Nancy du 25 juin 2021 ;
2°) de rejeter la demande présentée en première instance par M. B....
Il soutient que :
- en prononçant à l'encontre de M. B... une obligation de quitter le territoire français, sur le fondement du 4° de l'article L. 611-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, il n'a pas commis d'erreur manifeste d'appréciation au regard des conséquences de cette mesure sur la situation personnelle de l'intéressé ;
- les autres moyens de la demande de première instance ne sont pas fondés.
Par un mémoire en défense, enregistré le 3 février 2022, M. E... B..., représenté par Me Martin, conclut au rejet de la requête et à la mise à la charge de l'Etat de la somme de 1 500 euros en application des dispositions combinées des articles L 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991.
Il soutient que les moyens invoqués par le préfet de Meurthe-et-Moselle ne sont pas fondés et que, dans l'hypothèse où le jugement contesté serait annulé, il reprend certains des moyens qu'il a soulevés en première instance, tirés de ce que l'obligation de quitter le territoire français méconnait les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, de ce que la privation de délai de départ volontaire est illégale en l'absence de risque de fuite et de ce que l'assignation à résidence doit être annulée par voie d'exception à la suite de l'annulation de l'arrêté décidant son éloignement et de ce que l'exigence d'une présentation quotidienne auprès des forces de l'ordre à 15 heures est entachée d'erreur de droit et excessive.
La décision du 21 juin 2021, accordant à M. B... le bénéfice de l'aide juridictionnelle totale, a été maintenue par une décision du 13 décembre 2021.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le code de justice administrative.
Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus, au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Meisse ;
- et les observations de M. B....
Considérant ce qui suit :
1. M. E... B... est un ressortissant albanais, né le 31 mai 2003. Il a déclaré être entré en France le 3 septembre 2019, accompagné de sa mère, de sa sœur née le 7 juin 2009 et de son frère né le 14 décembre 2014, afin d'y rejoindre son père, entré le 7 juillet 2021. Examinée dans le cadre de la procédure accélérée, sa demande d'asile, déposée par l'intermédiaire de sa mère le 11 octobre 2019, a été rejetée par l'Office français de protection des réfugiés et apatrides le 27 décembre 2019, puis par la Cour nationale du droit d'asile le 13 mars 2020. Estimant que l'intéressé, devenu majeur le 31 mai 2021, ne bénéficiait plus du droit de se maintenir sur le territoire français, le préfet de Meurthe-et-Moselle, par un arrêté du 10 juin 2021, lui a fait obligation de quitter sans délai le territoire français et a fixé le pays de destination de cette mesure d'éloignement. Par un autre arrêté du même jour, il a également assigné à résidence le défendeur dans le département de Meurthe-et-Moselle pour une durée de quarante-cinq jours. M. B... a saisi le tribunal administratif de Nancy d'une demande tendant à l'annulation de ces deux arrêtés. Le préfet de Meurthe-et-Moselle relève appel du jugement n° 2101744 du 25 juin 2021, qui annule les arrêtés du 10 juin 2021 et lui enjoint de réexaminer la situation de l'intéressé et de lui délivrer une autorisation provisoire de séjour.
Sur le bien-fondé du jugement :
2. Il ressort des pièces du dossier que M. B... n'est présent sur le territoire français que depuis le 3 septembre 2019, soit moins de deux ans à la date d'édiction de la mesure d'éloignement prise à son encontre. Célibataire et sans enfant à charge, il ne justifie, en dehors de ses parents et de sa fratrie, d'aucune attache familiale en France. Son père et sa mère faisant tous deux l'objet d'une obligation de quitter sans délai le territoire français, assortie d'une interdiction de retour de douze mois, dont la légalité a été confirmée par un jugement n° 2101400 et 2101401 du tribunal administratif de Nancy du 25 mai 2021, il ne ressort d'aucune des pièces du dossier que la cellule familiale ne pourrait pas se reconstituer en Albanie, ni que les trois enfants du couple, dont le requérant, seraient dans l'incapacité d'y poursuivre une existence et une scolarité normales. M. B... fait encore valoir qu'il a intégré, le 4 février 2020, l'unité pédagogique pour élèves allophones arrivants du lycée " Emmanuel Héré " de Laxou, où ses bons résultats lui ont permis, à l'issue du troisième trimestre de l'année scolaire 2020-2021, d'accéder à une seconde professionnelle, qu'il a effectué, en février 2021, un stage d'immersion de trois jours dans une classe de seconde professionnelle, qui a donné lieu à une appréciation globale très positive de la part de son tuteur et, enfin, qu'il a obtenu, en avril et en mai 2021, l'attestation scolaire de la sécurité scolaire de niveau 2 et le diplôme d'études en langue française de niveau B1. Toutefois, pour méritoire que soit le parcours scolaire de l'intéressé, ces seuls éléments ne suffisent pas à considérer que la mesure d'éloignement contestée serait entachée d'une erreur manifeste d'appréciation au regard de ses conséquences sur sa situation personnelle.
3. Il résulte de ce qui précède que le préfet de Meurthe-et-Moselle est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, la magistrate désignée par la présidente du tribunal administratif de Nancy a retenu le moyen tiré de l'erreur manifeste d'appréciation pour annuler l'arrêté du 10 juin 2021 portant obligation de quitter sans délai le territoire français et, par voie de conséquence, l'arrêté du même jour portant assignation à résidence. Il appartient à la cour, saisie de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens invoqués par M. B... dans sa demande de première instance.
En ce qui concerne la décision portant obligation de quitter le territoire français :
4. En premier lieu, il ressort des pièces du dossier que la décision en litige a été signée par M. C... A..., directeur de la citoyenneté et de l'action locale à la préfecture de Meurthe-et-Moselle. Or, par un arrêté du 29 mars 2021, régulièrement publié le lendemain au recueil n° 29 des actes administratifs, le préfet de Meurthe-et-Moselle a consenti à l'intéressé une délégation de signature à l'effet de signer notamment, dans le cadre des attributions de sa direction, les décisions faisant obligation de quitter le territoire et celles ordonnant l'assignation à résidence. Par suite, le moyen tiré de l'incompétence du signataire de l'acte litigieux manque en fait et il ne peut, dès lors, qu'être écarté.
5. En second lieu, compte tenu des circonstances de fait exposées au point 2 du présent arrêt, le moyen tiré de la méconnaissance des stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales doit être écarté.
En ce qui concerne la décision portant refus d'octroi d'un délai de départ volontaire :
6. Aux termes du premier alinéa de l'article L. 612-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " L'étranger faisant l'objet d'une décision portant obligation de quitter le territoire français dispose d'un délai de départ volontaire de trente jours à compter de la notification de cette décision. ". Aux termes de l'article L. 612-2 du même code : " Par dérogation à l'article L. 612-1, l'autorité administrative peut refuser d'accorder un délai de départ volontaire dans les cas suivants : (...) 3° Il existe un risque que l'étranger se soustraie à la décision portant obligation de quitter le territoire français dont il fait l'objet. ". Aux termes de l'article L. 612-3 du même code : " Le risque mentionné au 3° de l'article L. 612-2 peut être regardé comme établi, sauf circonstance particulière, dans les cas suivants : (...) 4° L'étranger a explicitement déclaré son intention de ne pas se conformer à son obligation de quitter le territoire français ; (...) ".
7. Contrairement aux allégations du préfet de Meurthe-et-Moselle, il ne ressort d'aucune des pièces du dossier que M. B... aurait explicitement déclaré son intention de ne pas se conformer à son obligation de quitter le territoire français. En particulier, dans ses observations écrites du 10 juin 2021, l'intéressé s'est borné à indiquer qu'il voulait rester en France pour y poursuivre ses études. Par suite, alors même que les parents du défendeur font tous deux l'objet d'une obligation de quitter sans délai le territoire français, le préfet de Meurthe-et-Moselle a commis une erreur d'appréciation en n'accordant pas à M. B... un délai de départ volontaire. Le préfet de Meurthe-et-Moselle n'est donc pas fondé à se plaindre de l'annulation de cette décision.
En ce qui concerne la décision portant assignation à résidence :
8. Aux termes de l'article L. 730-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " L'autorité administrative peut, dans les conditions prévues au présent titre, assigner à résidence l'étranger faisant l'objet d'une décision d'éloignement sans délai de départ volontaire ou pour laquelle le délai de départ volontaire imparti a expiré et qui ne peut quitter immédiatement le territoire français. ".
9. Eu égard à ce qui vient d'être dit au point 7 du présent arrêt, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur les autres moyens de la demande, le préfet de Meurthe-et-Moselle n'est pas fondé à se plaindre de l'annulation de cette décision.
En ce qui concerne les conclusions accessoires de M. B... :
10. C'est à tort que la magistrate désignée a ordonné que la situation de M. B... soit réexaminée et qu'il lui soit délivré une autorisation provisoire de séjour, sur le fondement de l'article L. 614-16 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, alors que la situation de l'intéressé relève de l'article L. 614-17 de ce code. Le préfet de
Meurthe-et-Moselle ayant précisé qu'il contestait le jugement litigieux dans toutes ses dispositions, il est fondé à demander l'annulation de l'article 4 du dispositif de ce jugement. Il y a lieu pour la cour, saisie des conclusions à fin d'injonction présentées par M. B... devant le tribunal, par l'effet dévolutif de l'appel, et qui tendaient à la délivrance d'une autorisation provisoire de séjour et au réexamen de sa situation, de rejeter ces conclusions, dès lors que l'exécution du présent arrêt n'implique pas de telles mesures.
11. En revanche, les décisions portant refus d'octroi d'un délai de départ volontaire et assignation à résidence ayant été annulées par le jugement attaqué sans que la cour ne remette en cause cette annulation, c'est à juste titre que la magistrate désignée a regardé l'Etat comme partie perdante et mis à sa charge la somme de 1 000 euros en application des dispositions combinées des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991.
12. Il résulte de tout ce qui précède que le préfet de Meurthe-et-Moselle est seulement fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, la magistrate désignée par la présidente du tribunal administratif de Nancy a annulé la décision portant obligation de quitter le territoire français et lui a enjoint de réexaminer la situation de M. B... et de lui délivrer une autorisation provisoire de séjour. Par suite, il y a lieu de rejeter, dans cette mesure, la demande présentée en première instance par l'intéressé.
Sur les frais de justice de l'instance d'appel :
13. Les dispositions combinées des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991 font obstacle à ce qu'il soit mis à la charge de l'Etat, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, le versement au conseil de M. B... D... la somme réclamée par lui au titre des frais exposés et non compris dans les dépens.
D E C I D E :
Article 1er : Le jugement n° 2101744 de la magistrate désignée par la présidente du tribunal administratif de Nancy du 25 juin 2021 est annulé en tant qu'il a annulé la décision du 10 juin 2021 portant obligation de quitter le territoire français et en tant qu'il a enjoint au préfet de Meurthe-et-Moselle de réexaminer la situation de M. B... et de lui délivrer une autorisation provisoire de séjour.
Article 2 : Les conclusions de la demande de première instance de M. B... à fin d'annulation de la décision portant obligation de quitter le territoire français et à fin d'injonction sont rejetées.
Article 3 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.
Article 4 : Les conclusions présentées par M. B... en application des dispositions combinées des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991 sont rejetées.
Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à M. E... B... et au ministre de l'intérieur.
Copie en sera adressée au préfet de Meurthe-et-Moselle.
N° 21NC02018 2