Procédure devant la cour :
Par une requête et un mémoire, enregistrés le 4 août 2016 et le 3 février 2017, le préfet du Jura demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Besançon du 21 juin 2016 ;
2°) de rejeter la demande présentée par M. D...devant ce tribunal.
Le préfet du Jura soutient que :
- sa décision de refus de regroupement familial pouvait légalement être fondée sur le 3° de l'article L. 411-5 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ; M. D... a contracté mariage avec une ressortissante française dans un but étranger à la relation matrimoniale, afin d'obtenir une carte de résident lui permettant de solliciter le regroupement familial ;
- il ne pouvait légalement retirer la carte de résident de M.D... ;
- l'appréciation qu'il a portée n'est pas contraire aux stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- en se référant à la seule chronologie des faits, le tribunal administratif n'a pas correctement interprété les moyens qu'il avait présentés en première instance.
Par deux mémoires en défense, enregistrés le 17 janvier et le 10 mars 2017, M. A...D..., représenté par MeE..., conclut au rejet de la requête et à ce qu'une somme de 1 500 euros soit mise à la charge de l'Etat sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
- le préfet a commis une erreur de droit en fondant sa décision sur l'article L. 411-5 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- si elle estimait qu'il y avait fraude au mariage, l'administration aurait pu à tout moment lui retirer sa carte de résident, ce qu'elle n'a pas fait ;
- la fraude au mariage n'est pas établie par le préfet.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement convoquées à l'audience.
Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Le rapport de M. Fuchs a été entendu au cours de l'audience publique.
1. Considérant que M.D..., ressortissant kosovar né le 12 mai 1976, a épousé Mme B..., ressortissante française, le 8 mars 2008 et a régulièrement résidé sur le territoire à compter du 24 octobre 2008 ; qu'il bénéficiait, à la date de la décision contestée, d'un certificat de résidence valable du 24 octobre 2011 au 23 octobre 2021 ; que la vie commune des époux a cessé au mois d'août 2012 et que le divorce a été prononcé le 11 avril 2014 ; que le 25 juillet 2014, M. D...s'est marié avec MmeC..., ressortissante kosovare, mère de ses quatre enfants nés respectivement en 2005, 2006, 2011 et 2014 ; que l'intéressé a formulé une demande de regroupement familial au bénéfice de son épouse et de ses enfants mineurs le 22 décembre 2014 ; que cette demande a été rejetée par le préfet du Jura par l'arrêté contesté en date du 24 novembre 2015 ; que le préfet du Jura relève appel du jugement du 21 juin 2016 par lequel le tribunal administratif de Besançon a annulé cet arrêté ;
2. Considérant qu'aux termes de l'article L. 411-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Le ressortissant étranger qui séjourne régulièrement en France depuis au moins dix-huit mois, sous couvert d'un des titres d'une durée de validité d'au moins un an prévus par le présent code ou par des conventions internationales, peut demander à bénéficier de son droit à être rejoint, au titre du regroupement familial, par son conjoint (...) " ; qu'aux termes de l'article L. 411-5 du même code : " Le regroupement familial ne peut être refusé que pour l'un des motifs suivants : (...) 3° Le demandeur ne se conforme pas aux principes essentiels qui, conformément aux lois de la République, régissent la vie familiale en France, pays d'accueil " ;
3. Considérant que l'arrêté contesté, fondé sur le 3° de l'article L. 411-5 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, est motivé par le fait que " le parcours de M. D... peut être regardé comme une fraude en vue d'obtenir un droit au séjour en France pour introduire au final sa vraie famille, procédé non-conforme aux principes essentiels qui régissent la vie familiale en France " ;
4. Considérant que le préfet, à qui incombe la charge de prouver l'existence d'une fraude, se prévaut des déclarations de MmeB..., qui ne sont étayées d'aucun élément de preuve, de " l'enchaînement des évènements " et des éléments objectifs qui constituent la situation familiale de M.D... ; qu'il ressort des pièces du dossier et n'est pas contesté que l'intéressé a mené une vie commune avec Mme B...pendant presque quatre années, entre les mois d'octobre 2008 et d'août 2012 ; que les circonstances dans lesquelles cette union a cessé ne révèlent pas l'existence d'une fraude au mariage ; qu'en particulier, le mariage a été rompu à la suite d'un divorce par consentement mutuel, prononcé le 11 avril 2014 et non en raison de son annulation et il ressort par ailleurs des déclarations mêmes de Mme B...que le couple ne s'est séparé qu'après l'échec d'une installation en Norvège ; qu'alors qu'un acte obtenu par fraude peut être retiré à tout moment, le préfet n'a pas retiré sa carte de résident à M.D... ; que la seule circonstance que sa première compagne a accouché de leur troisième enfant en 2011 ne suffit pas à caractériser la démarche frauduleuse prêtée à M. D...depuis 2008 par le préfet du Jura ; que, dans ces conditions, les éléments fournis par le préfet du Jura ne permettent pas d'établir, contrairement à ce qu'il soutient, que l'intéressé aurait oeuvré dès 2008 afin d'obtenir un titre de séjour pour pouvoir, en 2014, demander le regroupement familial au profit d'une compatriote ; qu'ainsi, le motif tiré de la méconnaissance du 3° de l'article L. 411-5 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ne pouvait fonder l'arrêté contesté ;
5. Considérant qu'il résulte de ce qui précède que le préfet du Jura n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Besançon a annulé son arrêté du 24 novembre 2015 ;
6. Considérant qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat une somme de 1 500 euros sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, à verser à M. D...au titre des frais exposés par lui et non compris dans les dépens ;
D E C I D E :
Article 1er : La requête du préfet du Jura est rejetée.
Article 2 : L'Etat versera une somme de 1 500 (mille cinq cents) euros à M. D...sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à M. A...D...et au ministre de l'intérieur.
Copie en sera adressée pour information au préfet du Jura.
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N° 16NC01745