Procédure devant la cour :
Par une requête et un mémoire complémentaire, enregistrés le 10 mars 2015 et le 19 janvier 2016, Mme G... B..., agissant en sa qualité d'ayant droit en son nom propre et au nom de son fils mineurD..., MM. I... et E...B...etH... B..., agissant en leurs qualités d'ayants droit, et Electricité de France, prise en la personne d'EDF assurances, représentés par Me Gourvennec, demandent à la cour :
1°) d'annuler le jugement n° 1300173 du 9 janvier 2015 du tribunal administratif de Châlons-en-Champagne ;
2°) à titre principal, de condamner solidairement le centre hospitalier régional universitaire de Reims et son assureur, la société hospitalière d'assurances mutuelles (SHAM), à verser aux consorts B...la somme totale de 140 252,25 euros et à EDF la somme de 47 156,17 euros ;
3°) à titre subsidiaire, de mettre les mêmes sommes à la charge de l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux (ONIAM) ;
4°) de mettre à la charge du centre hospitalier régional universitaire de Reims la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Ils soutiennent que :
- le rapport de l'expert est contradictoire et incomplet et vise artificiellement à exonérer l'établissement hospitalier ;
- le centre hospitalier régional universitaire de Reims a commis une première faute résultant d'une surveillance pré et surtout postopératoire insuffisante alors que M. A...B...était un patient à risque ;
- il a commis une seconde faute résultant d'un retard de diagnostic ;
- les conditions d'une indemnisation au titre de la solidarité nationale sont remplies, notamment celles liées à l'anormalité du dommage ;
- EDF, en sa qualité d'organisme spécial de sécurité sociale, a maintenu le salaire de M. A... B...et peut prétendre au remboursement des sommes versées à titre de salaire et charges patronales durant les périodes d'interruption de travail, soit une somme totale de 47 156,17 euros ;
- M. B..., qui a dû être muté dans un emploi en service discontinu, a subi de janvier 2010 à juillet 2011 une perte de rémunération s'élevant à 14 549,25 euros ;
- il a été contraint d'acquérir un véhicule équipé d'une boîte automatique, soit un surcoût de 13 680 euros ;
- ses préjudices personnels doivent être réparés par une indemnité de 10 023 euros au titre du déficit fonctionnel temporaire, 7 000 euros au titre du préjudice esthétique temporaire, 75 000 euros au titre du déficit fonctionnel permanent, 5 000 euros au titre du préjudice d'agrément, 5 000 euros au titre du préjudice esthétique permanent et 10 000 euros au titre du préjudice sexuel.
Par des mémoires en défense, enregistrés les 9 juillet 2015 et 25 novembre 2016, l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux (ONIAM), représenté par Me C...et Me J..., conclut au rejet de la requête.
Il soutient que :
- la solidarité nationale n'intervenant que de manière subsidiaire, il n'y a pas lieu de le mettre en cause si la cour reconnaît l'existence d'un accident médical fautif ;
- le dommage dont a souffert M. B...n'est pas anormal au regard de l'évolution prévisible de sa pathologie ;
- les pertes de gains professionnels ne sont pas imputables à la complication ;
- l'expert n'a pas retenu de préjudice du fait de la nécessité d'acquérir un véhicule avec une boîte automatique et, en tout état de cause, seul le surcoût lié à l'achat d'un tel équipement pourrait être indemnisé ;
- les demandes indemnitaires formées au titre du déficit fonctionnel temporaire et du préjudice esthétique temporaire doivent être réduites à de plus justes proportions ;
- compte tenu du décès de M. B...après la date de consolidation, les requérants doivent être indemnisés prorata temporis à raison du déficit fonctionnel permanent et du préjudice sexuel ; l'existence d'un préjudice d'agrément et d'un préjudice esthétique n'est pas établie ;
- intervenant au titre de la solidarité nationale, aucune demande des tiers payeurs ne peut prospérer à son encontre.
Par un mémoire en défense, enregistré le 15 juillet 2015, le centre hospitalier régional universitaire de Reims et la SHAM, représentés par Me Le Prado, conclut au rejet de la requête.
Ils soutiennent que :
- les conclusions dirigées contre la SHAM sont présentées devant un ordre de juridiction incompétent pour en connaître ;
- le rapport de l'expert est complet et ne contient pas de contradictions ;
- aucune faute ne peut être imputée au centre hospitalier, ni dans la réalisation du troisième acte chirurgical, ni à raison d'un défaut de surveillance postopératoire ou d'un retard de diagnostic ;
- la perte de rémunération n'est pas justifiée ; il en va de même de l'achat d'un véhicule adapté ;
- il convient de ramener à de plus justes proportions les indemnités sollicitées au titre des préjudices temporaires ;
- le décès de M.B..., survenu peu de temps après la date de consolidation, devra être pris en compte pour l'évaluation du déficit fonctionnel permanent ; les préjudices d'agrément et esthétique ne sont pas justifiés.
La requête a été communiquée à la caisse primaire d'assurance maladie des Ardennes, la caisse primaire d'assurance maladie de Haute-Marne et la caisse d'assurances maladie des industries électriques et gazières, qui n'ont pas présenté de mémoire en défense.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code de la santé publique ;
- le code de la sécurité sociale ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Dhiver,
- les conclusions de M. Collier, rapporteur public,
- et les observations de Me Gourvennec, avocat des consorts B...et de EDF, et de Me F..., substituant Me Le Prado, avocat du centre hospitalier régional universitaire de Reims.
1. Considérant que M. A...B..., né le 2 août 1963, employé par EDF à la centrale nucléaire de Chooz (Ardennes), souffrait depuis 2003 de douleurs des membres inférieurs avec une réduction progressive de son périmètre de marche provoquées par l'existence d'un canal lombaire étroit étendu de L2 à S1 ; que celui-ci a été traité, le 7 août 2006, par une grande laminectomie, réalisée au centre hospitalier régional universitaire de Reims ; qu'à la suite de cette opération chirurgicale, M. B...a présenté un hématome extradural compressif qui a nécessité une deuxième intervention réalisée en urgence le matin du 9 août 2006 puis, du fait d'une récidive de l'hématome, une troisième intervention réalisée en début de soirée le même jour ; que M.B..., qui a présenté des séquelles neurologiques à la suite de sa prise en charge par le centre hospitalier régional universitaire de Reims, a saisi la commission régionale de conciliation et d'indemnisation des accidents médicaux de Champagne-Ardenne qui, par un avis du 21 octobre 2010, a estimé que les troubles neurologiques dont l'intéressé est resté atteint résultaient de fautes commises par l'établissement de santé et a transmis en conséquence sa demande à l'assureur dudit établissement afin qu'une offre d'indemnisation lui soit présentée ; que cet assureur, la SHAM, a refusé d'indemniser M.B... ; que ce dernier est décédé le 5 juillet 2011 ; que ses ayants droit ont saisi le tribunal administratif de Châlons-en-Champagne d'une demande tendant à la condamnation solidaire du centre hospitalier régional universitaire de Reims et de la SHAM à leur verser une somme de 138 978,25 euros en réparation des préjudices subis par leur époux et père ; que EDF, agissant en qualité d'organisme spécial de sécurité sociale pour ses agents, s'est associée à cette demande et a fixé ses prétentions à la somme de 47 156,17 euros ; que les consorts B...et EDF relèvent appel du jugement du 9 janvier 2015 par lequel le tribunal administratif de Châlons-en-Champagne a rejeté leurs demandes ;
Sur l'exception d'incompétence soulevée par la SHAM :
2. Considérant, d'une part, qu'en application des dispositions de l'article 29 du code des marchés publics, alors applicable, et de l'article 2 de la loi du 11 décembre 2001 qui dispose que " Les marchés passés en application du code des marchés publics ont le caractère de contrats administratifs ", un contrat d'assurance passé par un établissement public hospitalier notamment, présente le caractère d'un contrat administratif ;
3. Considérant, d'autre part, que si l'action directe ouverte par l'article L. 124-3 du code des assurances à la victime d'un dommage, ou à l'assureur de celle-ci subrogé dans ses droits, contre l'assureur de l'auteur responsable du sinistre, tend à la réparation du préjudice subi par la victime, elle poursuit l'exécution de l'obligation de réparer qui pèse sur l'assureur en vertu du contrat d'assurance ; qu'elle relève par suite, comme l'action en garantie exercée, le cas échéant, par l'auteur du dommage contre son assureur, de la compétence de la juridiction administrative dès lors que le contrat d'assurance présente le caractère d'un contrat administratif et que le litige n'a pas été porté devant une juridiction judiciaire avant la date d'entrée en vigueur de la loi du 11 décembre 2001 ; que, dans ces conditions, compte tenu du caractère administratif du contrat d'assurance conclu entre le centre hospitalier régional universitaire de Reims et la SHAM, et alors qu'il ne résulte pas de l'instruction que le juge judiciaire aurait été saisi de ce litige avant la date d'entrée en vigueur de la loi susvisée du 11 décembre 2001, les conclusions présentées par les consorts B...et EDF contre la SHAM relèvent également de la compétence de la juridiction administrative ; que, par suite, il y a lieu d'écarter l'exception d'incompétence opposée par le centre hospitalier régional universitaire de Reims et cette compagnie d'assurances ;
Sur l'expertise ordonnée par la commission régionale de conciliation et d'indemnisation des accidents médicaux de Champagne-Ardenne :
4. Considérant, d'une part, qu'il ressort du rapport rédigé le 26 avril 2007 par l'expert que celui-ci a répondu aux questions qui lui étaient posées dans le cadre de la mission qui lui avait été confiée par la commission régionale de conciliation et d'indemnisation des accidents médicaux de Champagne-Ardenne ; que la circonstance, à la supposer avérée, que ce rapport contiendrait des contradictions n'est pas susceptible d'entacher sa régularité ;
5. Considérant, d'autre part, qu'il ne résulte pas de l'instruction que l'expert aurait recherché par tous moyens à exonérer le centre hospitalier régional universitaire de Reims de toute responsabilité et aurait ainsi manqué à son devoir d'objectivité ;
Sur la responsabilité du centre hospitalier régional universitaire de Reims :
6. Considérant qu'aux termes du I de l'article L. 1142-1 du code de la santé publique : " Hors le cas où leur responsabilité est encourue en raison d'un défaut d'un produit de santé, les professionnels de santé mentionnés à la quatrième partie du présent code, ainsi que tout établissement, service ou organisme dans lesquels sont réalisés des actes individuels de prévention, de diagnostic ou de soins ne sont responsables des conséquences dommageables d'actes de prévention, de diagnostic ou de soins qu'en cas de faute. (...) " ;
7. Considérant que M. B...est resté atteint, après sa prise en charge par le centre hospitalier régional universitaire de Reims, d'un syndrome partiel de la queue de cheval associant des troubles de la marche, des troubles sexuels et des troubles sphinctériens essentiellement urinaires et accessoirement anaux ; qu'il résulte de l'instruction, notamment du rapport de l'expert, que ces troubles sont imputables à la complication postopératoire qui s'est traduite par l'apparition successive de deux hématomes extraduraux postérieurement à l'intervention de laminectomie réalisée le 7 août 2006 ;
8. Considérant, en premier lieu, que les requérants reprochent au centre hospitalier régional universitaire de Reims de ne pas avoir procédé à une surveillance pré et surtout postopératoire renforcée de M. B...alors que, du fait d'un alcoolisme chronique connu de l'établissement hospitalier, il devait être identifié comme un patient à risque ;
9. Considérant qu'il résulte de l'instruction, notamment du rapport d'expertise, que le risque d'apparition d'un hématome postopératoire est augmenté en présence de troubles de la coagulation et qu'une imprégnation alcoolique favorise de tels troubles ; que M. B...avait clairement fait état, lors des consultations d'anesthésie préopératoires, de ce qu'il souffrait d'un alcoolisme chronique ; que cet élément a été pris en compte par le médecin anesthésiste qui, la veille de l'intervention, a prescrit les examens biologiques propres à ces troubles et à ceux, associés, de la coagulation ; que l'expert indique dans son rapport que le bilan sanguin de M. B...a fait apparaître des constantes standards préopératoires d'hémostase sans anomalie significative ; qu'il en conclut que l'intéressé ne présentait pas de troubles de la coagulation ; qu'il suit de là, d'une part, qu'une prise en charge préopératoire spécifique a été mise en oeuvre afin de tenir compte de l'état de santé de M.B... ; que, d'autre part, eu égard aux résultats de ces examens et en dépit de troubles de l'alcoolisme connus, le centre hospitalier régional universitaire de Reims n'a pas commis de faute en ne mettant pas en oeuvre une surveillance postopératoire renforcée de M.B... ;
10. Considérant, en second lieu, que les requérants font grief au centre hospitalier régional universitaire de Reims d'avoir tardé à diagnostiquer la présence d'un hématome extradural lombaire ;
11. Considérant, d'une part, qu'il résulte de l'instruction que les 24 premières heures qui ont suivi l'intervention de laminectomie du 7 août 2006 se sont déroulées sans difficulté ; que M. B... a retrouvé une bonne motricité des membres inférieurs et a pu se lever le lendemain de l'opération ; que ce n'est que dans la soirée du 8 août que M. B...s'est plaint de douleurs intenses dans les membres inférieurs ; qu'il a fait l'objet, dans la nuit du 8 au 9 août, d'un suivi neurologique par le personnel infirmier qui a constaté son état à 22 heures, à 23 heures 45, à 2 heures, à 4 heures, à 5 heures 30 et à 6 heures ; qu'il ressort de ce suivi que les douleurs ressenties par M. B... ont perduré dans la nuit, associées à une impression de fourmillements dans la jambe gauche notée à 2 heures et une impression de " jambe de bois " notée à 4 heures ; que, toutefois, l'intéressé a bougé correctement ses membres inférieurs tout au long de la nuit et a conservé une bonne sensibilité ; que ce n'est que le 9 août 2006 à 6 heures que M. B...a présenté une difficulté à se tenir debout et une insensibilité de la verge ; qu'il ressort des indications de l'expert que ces symptômes sont les premières manifestations évocatrices d'un syndrome dit de la queue de cheval ; que, dès l'apparition de ces signes, l'interne de garde a examiné M.B..., à 6 heures 10, et fait réaliser en urgence un scanner, qui a mis en évidence la présence d'un hématome extradural compressif postopératoire ; que M. B...a été réopéré le 9 août 2006 à 9 heures 10 ; qu'eu égard au faible temps écoulé entre l'apparition des premiers symptômes d'un hématome compressif et la décision de faire réaliser un examen radiologique puis entre cet examen et l'intervention de reprise, aucun retard fautif dans le diagnostic et la prise en charge de la complication postopératoire n'est imputable au centre hospitalier régional universitaire de Reims ;
12. Considérant, d'autre part, que les suites immédiates de la deuxième opération du 9 août 2006 au matin ont montré une nette amélioration des troubles neurologiques de M.B... ; que la décision d'une nouvelle intervention a été prise dès la réapparition de ces troubles en fin d'après-midi du 9 août 2006 ; que cette troisième opération a été réalisée très rapidement, à 19 heures ; que cette chronologie ne fait apparaître aucun manquement dans la prise en charge de la seconde complication ;
13. Considérant qu'il résulte de ce qui précède que les consorts B...et EDF ne sont pas fondés à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Châlons-en-Champagne a rejeté leurs demandes tendant à la condamnation solidaire du centre hospitalier régional universitaire de Reims et de la SHAM ;
Sur l'indemnisation au titre de la solidarité nationale :
14. Considérant qu'aux termes du II de l'article L. 1142-1 du code de la santé publique, dans sa version applicable à la date du fait générateur du dommage : " Lorsque la responsabilité d'un professionnel, d'un établissement, service ou organisme mentionné au I ou d'un producteur de produits n'est pas engagée, un accident médical, une affection iatrogène ou une infection nosocomiale ouvre droit à la réparation des préjudices du patient, et, en cas de décès, de ses ayants droit au titre de la solidarité nationale, lorsqu'ils sont directement imputables à des actes de prévention, de diagnostic ou de soins et qu'ils ont eu pour le patient des conséquences anormales au regard de son état de santé comme de l'évolution prévisible de celui-ci et présentent un caractère de gravité, fixé par décret, apprécié au regard de la perte de capacités fonctionnelles et des conséquences sur la vie privée et professionnelle mesurées en tenant notamment compte du taux d'atteinte permanente à l'intégrité physique ou psychique, de la durée de l'arrêt temporaire des activités professionnelles ou de celle du déficit fonctionnel temporaire. / Ouvre droit à réparation des préjudices au titre de la solidarité nationale un taux d'atteinte permanente à l'intégrité physique ou psychique supérieur à un pourcentage d'un barème spécifique fixé par décret ; ce pourcentage, au plus égal à 25 %, est déterminé par ledit décret " ; qu'aux termes de l'article D. 1142-1 du même code : " Le pourcentage mentionné au dernier alinéa de l'article L. 1142-1 est fixé à 24 % (...) " ; qu'en vertu des articles L. 1142-17 et L. 1142-22 du même code, la réparation au titre de la solidarité nationale est assurée par l'ONIAM ;
15. Considérant qu'il résulte de ces dispositions que l'ONIAM doit assurer, au titre de la solidarité nationale, la réparation des dommages résultant directement d'actes de prévention, de diagnostic ou de soins à la double condition qu'ils présentent un caractère d'anormalité au regard de l'état de santé du patient comme de l'évolution prévisible de cet état et que leur gravité excède le seuil défini à l'article D. 1142-1 du code de la santé publique ;
16. Considérant que la condition d'anormalité du dommage prévue par ces dispositions doit toujours être regardée comme remplie lorsque l'acte médical a entraîné des conséquences notablement plus graves que celles auxquelles le patient était exposé de manière suffisamment probable en l'absence de traitement ; que, lorsque les conséquences de l'acte médical ne sont pas notablement plus graves que celles auxquelles le patient était exposé par sa pathologie en l'absence de traitement, elles ne peuvent être regardées comme anormales sauf si, dans les conditions où l'acte a été accompli, la survenance du dommage présentait une probabilité faible ; qu'ainsi, elles ne peuvent être regardées comme anormales au regard de l'état du patient lorsque la gravité de cet état a conduit à pratiquer un acte comportant des risques élevés dont la réalisation est à l'origine du dommage ;
17. Considérant qu'il résulte de l'instruction que le canal lombaire étroit dont souffrait M. B... avant sa prise en charge par le centre hospitalier régional universitaire de Reims entraînait pour lui des souffrances très importantes et limitait son périmètre de marche à une dizaine de mètres ; que, du fait de ces troubles, il avait été contraint de cesser son activité professionnelle ; qu'en l'absence d'intervention chirurgicale, ces troubles auraient nécessairement perduré et se seraient progressivement aggravés ; qu'il résulte également de l'instruction que M. B...est resté atteint, après la survenue des complications postopératoires, de troubles de la marche avec toutefois un périmètre d'autonomie plus large qu'antérieurement, fixé par l'expert à une centaine de mètres, de troubles sexuels importants et de troubles sphinctériens, essentiellement urinaires et accessoirement anaux ; que M. B...a pu reprendre une activité professionnelle à plein temps sur un poste aménagé le 14 janvier 2008 ; qu'ainsi, dans les circonstances de l'espèce, les conséquences de l'intervention ne sont pas notablement plus graves que celles auxquelles le patient était exposé par sa pathologie en l'absence de traitement ;
18. Considérant qu'il ressort du rapport de l'expert que l'apparition d'hématomes extraduraux postopératoires est une complication rare de la chirurgie du rachis, dont la fréquence peut être évaluée à 2/1000 ; que, ainsi qu'il a été dit au point 9 du présent arrêt, si l'expert précise que cette complication est plus fréquente en présence de troubles de la coagulation, M. B...ne présentait pas de tels troubles ; qu'en outre, l'expert indique qu'une telle complication intervient généralement dans les six heures qui suivent l'opération et que sa survenue après la vingt-quatrième heure, comme cela s'est produit en l'espèce, est exceptionnelle ; que, dans ces conditions, eu égard à la faible probabilité de survenance d'un hématome extradural postopératoire chez M.B..., la condition d'anormalité du dommage doit être regardée comme remplie en l'espèce ; que les troubles dont M. B... est resté atteint après son intervention chirurgicale ont entraîné une incapacité permanente totale évaluée par l'expert à 30 % ; que, dès lors, les préjudices subis par M. B...du fait de sa prise en charge par le centre hospitalier régional universitaire de Reims remplissent les conditions prévues au II de l'article L. 1142-1 du code de la santé publique et ouvrent droit à une indemnisation au titre de la solidarité nationale ;
Sur les préjudices de M. B...:
En ce qui concerne les préjudices patrimoniaux :
Quant au préjudice professionnel :
19. Considérant que M.B..., qui exerçait ses fonctions de technicien d'exploitation à la centrale nucléaire de Chooz en service continu, a été placé, à compter du 1er juin 2008, sur un poste de jour en service discontinu ; que s'il n'était plus en mesure de travailler avant son hospitalisation, il résulte de l'instruction que l'intervention de laminectomie aurait dû lui permettre de reprendre sans difficultés ses activités, y compris son activité professionnelle ; que l'expert indique dans son rapport que les séquelles dont est resté atteint M. B...ont eu des répercussions sur son activité professionnelle avec la nécessité d'occuper un poste aménagé avec port de charges limitées à 5 kilogrammes et dispense de manoeuvres de soulèvement ; qu'ainsi, ces séquelles, exclusivement liées au syndrome partiel de queue de cheval apparu du fait des complications postopératoires, sont à l'origine de l'impossibilité pour l'intéressé de reprendre son poste en service continu ; que les consorts B...sont fondés à demander l'indemnisation des pertes de revenus résultant du dommage ;
20. Considérant qu'il résulte de l'instruction que la prime de service continu qui était versée à M. B...s'élevait à 765,75 euros par mois ; qu'après avoir bénéficié jusqu'en décembre 2009 d'une compensation de rémunération par EDF, il a subi, de janvier 2010 au 5 juillet 2011, date de son décès, une perte de revenu s'élevant à 14 549 euros ;
Quant au frais de véhicule adapté :
21. Considérant qu'il résulte de l'instruction que le handicap dont M. B...est resté atteint a nécessité qu'il utilise un véhicule équipé d'une boîte de vitesses automatique ; que seul le surcoût lié cet équipement est susceptible d'être indemnisé ; que si le préjudice subi par M. B...est établi, la facture produite à l'instance ne permet pas d'identifier le coût représenté par l'équipement ; que, dans ces conditions, il sera fait une juste appréciation de ce préjudice en l'évaluant à la somme de 2 000 euros ;
En ce qui concerne les préjudices extrapatrimoniaux :
Quant aux préjudices temporaires :
22. Considérant que l'expert a retenu un déficit fonctionnel temporaire total imputable sur la période du 26 février au 23 mars 2007, puis du 14 août au 7 septembre 2009 et un déficit fonctionnel temporaire de 35 % du 7 au 25 février 2007, puis du 24 mars 2007 au 13 août 2009, puis du 9 septembre 2009 jusqu'à la date de consolidation fixée au 15 avril 2010 ; que sur une base de 500 euros par mois pour un déficit fonctionnel temporaire de 100 %, il sera fait une exacte appréciation du préjudice subi à ce titre en le fixant à 7 315 euros ;
23. Considérant que, précédemment à la consolidation de son état, M. B...a été contraint d'utiliser un fauteuil roulant pendant trois mois, puis un déambulateur, puis des cannes anglaises ; que l'expert a fixé à 4/7 le préjudice esthétique temporaire subi ; qu'il sera fait une juste appréciation en fixant l'indemnité due à ce titre à 3 500 euros ;
Quant aux préjudices permanents :
24. Considérant qu'il n'est pas établi que le décès par suicide de M.B..., survenu le 5 juillet 2011, soit un peu plus d'un an après la consolidation de son état, serait la conséquence directe des complications dont il a été victime à la suite de l'opération du rachis du 7 août 2006 ; qu'il y a lieu d'évaluer jusqu'à la date du décès les préjudices permanents éprouvés par M. B...et dont ses ayants droit demandent l'indemnisation ;
25. Considérant qu'il ressort du rapport de l'expert que M. B...est resté atteint d'un déficit fonctionnel permanent évalué à 30 % ; qu'eu égard à ce taux, à l'âge de l'intéressé à la date de la consolidation de son état et au délai écoulé entre cette date et celle de son décès, il sera fait une juste appréciation de ce préjudice en le fixant à la somme de 10 000 euros ;
26. Considérant qu'il résulte de l'instruction que M. B...a été contraint, après l'opération, de se déplacer avec des cannes alors que l'intervention de laminectomie aurait dû lui permettre de retrouver une marche normale ; qu'il sera fait une juste appréciation de ce préjudice en le fixant à la somme de 1 000 euros ;
27. Considérant que si M. B...ne pratiquait aucun loisir avant son intervention, celle-ci aurait dû lui permettre de reprendre des activités ; que toutefois, les consorts B...ne font état d'aucune occupation précise dont leur époux et père aurait été privé ; que, dans ces conditions, il doit être regardé comme ayant subi un préjudice d'agrément réduit ; qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, d'évaluer ce chef de préjudice à la somme de 500 euros ;
28. Considérant qu'il résulte du rapport d'expertise que M. B...a subi un préjudice sexuel qui, dans les circonstances de l'espèce, doit être évalué à 4 000 euros ;
29. Considérant qu'il résulte de ce qui précède que les préjudices patrimoniaux et extrapatrimoniaux subis par M.B..., dont ses ayants droit demandent l'indemnisation, s'élèvent à la somme totale de 42 864 euros ;
Sur les droits d'EDF :
30. Considérant qu'il résulte des dispositions de l'article L. 1142-22 du code de la santé publique que l'indemnisation par l'ONIAM, au titre de la solidarité nationale, des conséquences d'un accident médical ne lui conférant pas la qualité d'auteur responsable des dommages, le recours subrogatoire des tiers payeurs prévu par l'article L. 376-1 du code de la sécurité sociale ne peut, dans ce cas, être exercé contre lui ; que, par suite, EDF, agissant en qualité d'organisme gestionnaire du régime spécial de sécurité sociale des industries électriques et gazières, ne peut prétendre au remboursement des indemnités journalières versées à M.B... ;
31. Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que EDF n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Châlons-en-Champagne a rejeté sa demande ; qu'en revanche, les consorts B...sont fondés à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Châlons-en-Champagne a rejeté leur demande tendant à être indemnisés par l'ONIAM ;
Sur les conclusions présentées sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
32. Considérant que le centre hospitalier régional universitaire de Reims n'étant pas, dans la présente instante, la partie perdante, les conclusions présentées par les consorts B...et EDF tendant à ce qu'il soit mis à la charge de cet établissement les frais exposés et non compris dans les dépens doivent être rejetés ;
D E C I D E :
Article 1er : Le jugement n° 1300173 du 9 janvier 2015 du tribunal administratif de Châlons-en-Champagne est annulé en tant qu'il rejette la demande présentée par les consorts B....
Article 2 : L'ONIAM versera à MmeG... B..., M. D...B..., représenté par Mme G...B..., MM. I... et E...B...etH... B... la somme de 42 864 euros.
Article 3 : Le surplus des conclusions des consorts B...est rejeté.
Article 4 : Les conclusions d'appel présentées par EDF sont rejetées.
Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à MmeG... B..., agissant en qualité d'ayant-droit en son nom propre et au nom de son fils mineurD..., à MM. I... et E...B...etH... B..., à Electricité de France, au centre hospitalier régional universitaire de Reims, à l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, à la caisse primaire d'assurance maladie des Ardennes, à la caisse primaire d'assurance maladie de Haute-Marne et à la caisse d'assurances maladie des industries électriques et gazières.
Délibéré après l'audience du 1er décembre 2016, à laquelle siégeaient :
- Mme , président de chambre,
- Mme, président assesseur,
- M., premier conseiller.
Lu en audience publique, le 20 décembre 2016.
Le rapporteur,
Signé : Le président,
Signé :
Le greffier,
Signé : La République mande et ordonne à la ministre des affaires sociales et de la santé en ce qui la concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
Pour expédition conforme,
Le greffier :
2
N° 15NC00472