Procédure devant la cour :
Par une requête, enregistrée le 1er février 2021, M. B..., représenté par la SELAS Devarenne associés Grand-Est, demande à la cour :
1°) d'annuler le jugement n° 1801731 du 8 décembre 2020 du tribunal administratif de Nancy en tant qu'il a rejeté sa demande tendant à l'annulation de la décision du 21 février 2018 et à ce qu'il soit enjoint à l'administration de lui rembourser les sommes dues ;
2°) d'annuler la décision du 21 février 2018 de la directrice interrégionale des services pénitentiaires de Strasbourg ;
3°) d'annuler la décision implicite de rejet née de l'exercice de son recours hiérarchique ;
4°) d'enjoindre à l'administration de reconstituer son salaire sur la période du 25 janvier au 31 janvier 2018 pour cause de maladie et d'assurer le paiement correspondant dans un délai d'un mois à compter de la décision à intervenir ;
5°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 2 500 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
- la décision du 21 février 2018 est insuffisamment motivée ;
- elle est intervenue au terme d'une procédure irrégulière car elle a remplacé une précédente décision identique datée du 24 janvier 2018 qui a procédé à une retenue pour absence de service fait du 25 janvier au 31 janvier 2018 ;
- en l'absence d'un contre-visite médicale, son arrêt de travail ne peut être regardé comme étant de complaisance et ses congés maladie comme injustifiés alors qu'il justifie de sa pathologie.
Les parties ont été informées le 24 décembre 2021, en application des dispositions de l'article R. 611-7 du code de justice administrative, de ce que l'arrêt était susceptible d'être fondé sur un moyen relevé d'office, tiré de l'irrecevabilité des conclusions dirigées contre la décision implicite de rejet de son recours hiérarchique, qui, formulées pour la première fois en appel, présentent le caractère de conclusions nouvelles et sont, comme telles, irrecevables.
Un mémoire du garde des sceaux, ministre de la justice, a été enregistré le 8 janvier 2022 au greffe de la cour, soit après la clôture d'instruction, et n'a pas été communiqué.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- l'ordonnance n° 58-696 du 6 août 1958 ;
- la loi n° 61-825 du 29 juillet 1961 ;
- la loi n°83-634 du 13 juillet 1983 ;
- la loi n° 84-16 du 11 janvier 1984 ;
- la loi n° 2017-1387 du 30 décembre 2017 ;
- le décret n°86-442 du 14 mars 1986 ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Roussaux, première conseillère,
- les conclusions de M. Michel, rapporteur public,
- et les observations de Me Massin-Trachez, représentant M. B....
Considérant ce qui suit :
1. M. B..., surveillant pénitentiaire affecté au centre de détention de Nancy-Maxéville a adressé à son administration un arrêt de travail établi par un médecin généraliste pour la période du 25 janvier 2018 au 31 janvier 2018. Par une décision du 21 février 2018, la directrice interrégionale des services pénitentiaires de Strasbourg, considérant qu'entre le 25 et le 31 janvier 2018, 1'agent était en situation d'absence non justifiée dans le cadre d'une cessation concertée du service faisant suite à un mouvement social, a décidé d'appliquer une retenue de 7/30ème pour service non fait sur son traitement mensuel. Le 13 mars 2018, M. B... a présenté un recours hiérarchique, auquel aucune réponse n'a été apportée. M. B... a demandé au tribunal administratif de Nancy d'annuler cette décision du 21 février 2018, d'enjoindre à l'administration de lui rembourser les sommes dues et de condamner l'Etat à lui verser la somme de 500 euros au titre du préjudice moral qu'il estime avoir subi. M. B... relève appel du jugement du 8 décembre 2020 en tant que le tribunal administratif de Nancy a rejeté sa demande tendant à l'annulation de la décision du 21 février 2018 et à ce qu'il soit enjoint à l'administration de lui rembourser les sommes dues.
Sur les conclusions tendant à l'annulation de la décision implicite de rejet de son recours hiérarchique :
2. Les conclusions présentées par M. B... tendant à l'annulation de décision implicite de rejet de son recours hiérarchique formulé le 13 mars 2018, qui n'ont pas été soumises aux premiers juges, ont le caractère de conclusions nouvelles en appel et sont, par suite, irrecevables.
Sur les conclusions à fin d'annulation de la décision du 21 février 2018 :
3. Aux termes d'une part, de 1'article 20 de la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 portant droits et obligation des fonctionnaires : " Les fonctionnaires ont droit, après service fait, à une rémunération comprenant le traitement, l'indemnité de résidence, le supplément familial de traitement ainsi que les indemnités instituées par un texte législatif ou réglementaire (...) ". Selon l'article 4 de la loi n° 61-825 du 29 juillet 1961 portant loi de finances rectificative pour 1961 : " (...) L'absence de service fait, pendant une fraction quelconque de la journée, donne lieu à une retenue dont le montant est égal à la fraction du traitement frappée d'indivisibilité en vertu de la réglementation prévue à l'alinéa précédent. / Il n'y a pas service fait : 1°) Lorsque l'agent s'abstient d'effectuer tout ou partie de ses heures de services ; 2°) Lorsque l'agent, bien qu'effectuant ses heures de service, n'exécute pas tout ou partie des obligations de service qui s'attachent à sa fonction telles qu'elles sont définies dans leur nature et leurs modalités par l'autorité compétente dans le cadre des lois et règlements (...) ".
4. Aux termes d'autre part, de l'article 3 de l'ordonnance n° 58-696 du 6 août 1958 relative au statut spécial des fonctionnaires des services déconcentrés de l'administration pénitentiaire, dans sa rédaction applicable au litige : " Toute cessation concertée du service, tout acte collectif d'indiscipline caractérisée de la part des personnels des services extérieurs de l'administration pénitentiaire est interdit. Ces faits, lorsqu'ils sont susceptibles de porter atteinte à l'ordre public, pourront être sanctionnés en dehors des garanties disciplinaires ". Aux termes de l'article 34 de loi n° 84-16 du 11 janvier 1984 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique de l'Etat, dans sa rédaction applicable en l'espèce : " Le fonctionnaire en activité a droit : (...) 2° A des congés de maladie dont la durée totale peut atteindre un an pendant une période de douze mois consécutifs en cas de maladie dûment constatée mettant l'intéressé dans l'impossibilité d'exercer ses fonctions. Celui-ci conserve alors l'intégralité de son traitement pendant une durée de trois mois ; ce traitement est réduit de moitié pendant les neuf mois suivants (...) ". L'article 25 du décret n° 86-442 du 14 mars 1986 relatif à la désignation des médecins agréés, à l'organisation des comités médicaux et des commissions de réforme, aux conditions d'aptitude physique pour l'admission aux emplois publics et au régime de congés de maladie des fonctionnaires, prévoit que : " Pour obtenir un congé de maladie ainsi que le renouvellement du congé initialement accordé, le fonctionnaire adresse à l'administration dont il relève, dans un délai de quarante-huit heures suivant son établissement, un avis d'interruption de travail. (...) L'administration peut faire procéder à tout moment à la contre-visite du demandeur par un médecin agréé ; le fonctionnaire doit se soumettre, sous peine d'interruption du versement de sa rémunération, à cette contre-visite. / Le comité médical compétent peut être saisi, soit par l'administration, soit par l'intéressé, des conclusions du médecin agréé ".
5. Si en vertu des dispositions citées au point précédent, l'agent qui adresse à l'administration un avis d'interruption de travail est placé de plein droit en congé de maladie dès la demande qu'il a formulée sur le fondement d'un certificat médical, cela ne fait pas obstacle à ce que l'administration conteste le bien-fondé de ce congé. Dans des circonstances particulières, marquées par un mouvement social de grande ampleur dans une administration où la cessation concertée du service est interdite, lorsqu'en dehors d'une période d'épidémie un nombre important et inhabituel d'arrêts maladie est adressé à l'administration sur une courte période et que l'administration démontre avoir été dans l'impossibilité pratique de faire procéder de manière utile aux contre-visites prévues par l'article 25 du décret n° 86-442 du 14 mars 1986, l'administration peut contester le bien-fondé de ce congé par tous moyens. Il appartient alors à l'agent, seul détenteur des éléments médicaux, d'établir que ce congé était dûment justifié par des raisons médicales.
6. En l'espèce, et il n'est pas sérieusement contesté, qu'à la suite de l'appel au blocage des établissements pénitentiaires fin janvier 2018 par les organisations syndicales, 152 des 299 personnels de surveillance du centre de détention de Nancy-Maxéville, où est affecté le requérant, ont interrompu le travail entre le 24 et le 29 janvier 2018, soit près de 50,08% du personnel. Le nombre d'arrêts pour maladie était en moyenne de 41,5 jours au cours de cette période alors qu'il était en moyenne de 13,61 par jour entre le 1er janvier et le 20 janvier 2018. L'absence d'un grand nombre de surveillants durant cette période a eu de graves répercussions sur le fonctionnement de ce centre pénitencier et a nécessité le recours à des agents extérieurs, en particulier des forces de sécurité intérieure et des élèves de 1'administration pénitentiaire. Ces circonstances très particulières de 1'espèce sont de nature à révéler que des certificats médicaux ont été délivrés dans le cadre d'une cessation concertée du service et non pour des motifs médicaux. Dans ces conditions, il appartenait à M. B..., seul détenteur des éléments médicaux, d'établir que son congé était dûment justifié par des raisons médicales.
7. Il ressort des pièces du dossier que M. B... était en arrêt de travail du 25 janvier au 31 janvier 2018 pour " cervico-scapulgie droite ". Le requérant produit pour la première fois en appel des documents médicaux attestant qu'il est allé à la pharmacie le jour même de son arrêt de travail afin de chercher les médicaments prescrits par son médecin. Il ressort également des pièces du dossier que M. B... souffre de douleurs aux cervicales depuis 2016 et qu'il est suivi régulièrement par un ostéopathe. Dans ces conditions, M. B... apporte des éléments circonstanciés permettant d'établir la réalité de la pathologie au titre de laquelle il a bénéficié de l'arrêt de travail litigieux. Dans ces conditions, c'est à tort que l'administration a estimé que l'intéressé était en situation d'absence injustifiée durant cette période et a procédé, pour ce motif, à une retenue sur son traitement.
8. Il résulte de tout ce qui précède, et sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens de la requête, que M. B... est fondé à soutenir que c'est à tort que par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Nancy a rejeté sa demande d'annulation de la décision du 21 février 2018.
Sur les conclusions à fin d'injonction :
9. Aux termes de l'article 115 de la loi du 30 décembre 2017 de finances pour 2018 dispose que : " I. - Les agents publics civils et les militaires en congé de maladie et les salariés en congé de maladie pour lesquels l'indemnisation de ce congé n'est pas assurée par un régime obligatoire de sécurité sociale ou est assurée par un régime spécial de sécurité sociale mentionné à l'article L. 711-1 du code de la sécurité sociale ne bénéficient du maintien de leur traitement ou de leur rémunération, ou du versement de prestations en espèces par l'employeur qu'à compter du deuxième jour de ce congé ".
10. Eu égard au motif d'annulation retenu au point 7, le présent arrêt implique nécessairement que l'administration reverse à M. B... le traitement auquel il avait droit pour la période allant du 25 au 28 janvier 2018, sous réserve cependant de l'application des dispositions de l'article 115 de la loi du 30 décembre 2017 précité. Il y a lieu, sur le fondement de l'article L. 911-1 du code de justice administrative, d'enjoindre au garde des sceaux, ministre de la justice, d'y procéder dans un délai de deux mois à compter de la notification du présent arrêt.
Sur les frais liés à l'instance :
11. Il y a lieu de mettre à la charge de l'Etat, qui est la partie perdante à l'instance, le versement à M. B... d'une somme de 1 500 euros sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
D E C I D E :
Article 1er : L'article 1er du jugement n° 1801731 du tribunal administratif de Nancy du 8 décembre 2020 en tant qu'il porte rejet des conclusions d'annulation et d'injonction de la demande de M. B... est annulé.
Article 2 : La décision du 21 février 2018 de la directrice interrégionale des services pénitentiaires de Strasbourg est annulée.
Article 3 : Il est enjoint au garde des sceaux, ministre de la justice, de procéder au reversement à M. B... du traitement auquel il avait droit pour la période du 25 janvier au 31 janvier 2018, sous réserve de l'application des dispositions de l'article 115 de la loi du 30 décembre 2017 de finances pour 2018, et ce, dans un délai de deux mois à compter de la notification du présent arrêt.
Article 4 : L'Etat versera à M. B... une somme de 1 500 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 5 : Le surplus des conclusions de la requête de M. B... est rejeté.
Article 6 : Le présent arrêt sera notifié à M. A... B... et au garde des sceaux, ministre de la justice.
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N° 21NC00305