Procédure devant la cour :
Par une requête, enregistrée le 20 décembre 2019, M. D..., représenté par Me C..., demande à la cour :
1°) d'annuler le jugement du 3 octobre 2019 du tribunal administratif de Strasbourg ;
2°) d'annuler l'arrêté du 1er février 2019 par lequel le préfet du Bas-Rhin a refusé de lui délivrer un titre de séjour, l'a obligé à quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays à destination duquel il pourra être reconduit d'office à l'expiration de ce délai ;
3°) d'enjoindre au préfet du Bas-Rhin de lui délivrer une carte de séjour temporaire portant la mention " vie privée et familiale " dans un délai de quinze jours à compter de la notification du présent arrêt ou, à défaut, de procéder au réexamen de sa demande ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 1 200 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.
Il soutient que :
- la décision portant refus de titre de séjour méconnaît le 11° de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- elle est entachée d'erreur manifeste d'appréciation ;
- la charge de la preuve ne peut lui incomber, dès lors qu'il n'est pas en mesure d'accéder librement à la base de données BISPO pour apprécier la disponibilité d'un traitement effectif dans son pays d'origine ;
- il ne sera pas en mesure de bénéficier d'un traitement adapté à sa pathologie, étant donné l'état du système de soins au Bangladesh ;
- la décision litigieuse va rompre le lien entre le patient et son médecin, essentiel dans le traitement de son affection.
Par un mémoire en défense, enregistré le 30 octobre 2020, la préfète de la région Grand-Est, préfète du Bas-Rhin conclut au rejet de la requête.
Elle soutient que :
- les substances actives qui constituent le traitement de M. D... sont disponibles au Bangladesh, pays dans lequel exercent également de nombreux praticiens ;
- il n'établit pas le lien entre ses troubles psychologiques et les évènements traumatisants qu'il aurait vécus dans son pays d'origine ;
- les autres moyens soulevés par M. D... ne sont pas fondés.
M. D... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 11 février 2020.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- l'arrêté du 27 décembre 2016 relatif aux conditions d'établissement et de transmission des certificats médicaux, rapports médicaux et avis mentionnés aux articles R. 313-22, R. 313-23 et R. 511-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- l'arrêté du 5 janvier 2017 fixant les orientations générales pour l'exercice par les médecins de l'Office français de l'immigration et de l'intégration, de leurs missions, prévues à l'article L. 313-11 (11°) du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le code de justice administrative.
La présidente de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le rapport de Mme B..., présidente assesseur, a été entendu au cours de l'audience publique.
Considérant ce qui suit :
1. M. D..., ressortissant bangladais né le 3 janvier 1994, est entré en France le 29 mai 2016. Sa demande d'admission au titre de l'asile a été rejetée par une décision du 21 décembre 2016 de l'Office français pour la protection des réfugiés et apatrides (OFPRA), confirmée par une décision de la Cour nationale du droit d'asile (CNDA), le 14 novembre 2017. M. D... a sollicité un titre de séjour pour raisons de santé. Par un arrêté du 1er février 2019, le préfet du Bas-Rhin a refusé de lui délivrer un titre de séjour, l'a obligé à quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays à destination duquel il pourra être reconduit d'office à l'expiration de ce délai. Par un jugement du 3 octobre 2019, dont M. D... relève appel, le tribunal administratif de Strasbourg a rejeté sa demande tendant à l'annulation de cet arrêté.
2. Aux termes de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, dans sa rédaction alors en vigueur : " Sauf si sa présence constitue une menace pour l'ordre public, la carte de séjour temporaire portant la mention "vie privée et familiale" est délivrée de plein droit : (...) / 11° A l'étranger résidant habituellement en France, si son état de santé nécessite une prise en charge médicale dont le défaut pourrait avoir pour lui des conséquences d'une exceptionnelle gravité et si, eu égard à l'offre de soins et aux caractéristiques du système de santé dans le pays dont il est originaire, il ne pourrait pas y bénéficier effectivement d'un traitement approprié. La condition prévue à l'article L. 313-2 n'est pas exigée. La décision de délivrer la carte de séjour est prise par l'autorité administrative après avis d'un collège de médecins du service médical de l'Office français de l'immigration et de l'intégration, dans des conditions définies par décret en Conseil d'Etat. Sous réserve de l'accord de l'étranger et dans le respect des règles de déontologie médicale, les médecins de l'office peuvent demander aux professionnels de santé qui en disposent les informations médicales nécessaires à l'accomplissement de cette mission. Les médecins de l'office accomplissent cette mission dans le respect des orientations générales fixées par le ministre chargé de la santé. Si le collège de médecins estime dans son avis que les conditions précitées sont réunies, l'autorité administrative ne peut refuser la délivrance du titre de séjour que par une décision spécialement motivée (...) ". Selon l'article R. 313-22 du même code : " Pour l'application du 11° de l'article L. 313-11, le préfet délivre la carte de séjour au vu d'un avis émis par un collège de médecins à compétence nationale de l'Office français de l'immigration et de l'intégration. / L'avis est émis dans les conditions fixées par arrêté du ministre chargé de l'immigration et du ministre chargé de la santé au vu, d'une part, d'un rapport médical établi par un médecin de l'Office français de l'immigration et de l'intégration et, d'autre part, des informations disponibles sur les possibilités de bénéficier effectivement d'un traitement approprié dans le pays d'origine de l'intéressé. / Les orientations générales mentionnées à la quatrième phrase du 11° de l'article L. 313-11 sont fixées par arrêté du ministre chargé de la santé. ". L'article 6 de l'arrêté du 27 décembre 2016 relatif aux conditions d'établissement et de transmission des certificats médicaux, rapports médicaux et avis mentionnés aux articles R. 313-22, R. 313-23 et R. 511-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile énonce que : " Au vu du rapport médical mentionné à l'article 3, un collège de médecins désigné pour chaque dossier dans les conditions prévues à l'article 5 émet un avis, conformément au modèle figurant à l'annexe C du présent arrêté, précisant : / a) si l'état de santé de l'étranger nécessite ou non une prise en charge médicale ; / b) si le défaut de cette prise en charge peut ou non entraîner des conséquences d'une exceptionnelle gravité sur son état de santé ; / c) si, eu égard à l'offre de soins et aux caractéristiques du système de santé dans le pays dont le ressortissant étranger est originaire, il pourrait ou non y bénéficier effectivement d'un traitement approprié ; / d) la durée prévisible du traitement. / Dans le cas où le ressortissant étranger pourrait bénéficier effectivement d'un traitement approprié, eu égard à l'offre de soins et aux caractéristiques du système de santé dans le pays dont il est originaire, le collège indique, au vu des éléments du dossier du demandeur, si l'état de santé de ce dernier lui permet de voyager sans risque vers ce pays. ".
3. Il résulte des dispositions du 11° de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile qu'il appartient à l'autorité administrative, lorsqu'elle envisage de refuser la délivrance d'un titre de séjour à un étranger qui en fait la demande au titre des dispositions du 11° de l'article L. 313-11, de vérifier, au vu de l'avis émis par le médecin mentionné à l'article R. 313-22 du même code, que cette décision ne peut avoir de conséquences d'une exceptionnelle gravité sur l'état de santé de l'intéressé et, en particulier, d'apprécier, sous le contrôle du juge de l'excès de pouvoir, la nature et la gravité des risques qu'entraînerait un défaut de prise en charge médicale dans le pays dont l'étranger est originaire. Lorsque le défaut de prise en charge risque d'avoir des conséquences d'une exceptionnelle gravité sur la santé de l'intéressé, l'autorité administrative ne peut légalement refuser le titre de séjour sollicité que s'il existe des possibilités de traitement approprié de l'affection en cause dans son pays d'origine. Si de telles possibilités existent mais que l'étranger fait valoir qu'il ne peut en bénéficier, soit parce qu'elles ne sont pas accessibles à la généralité de la population, eu égard notamment aux coûts du traitement ou à l'absence de modes de prise en charge adaptés, soit parce qu'en dépit de leur accessibilité, des circonstances exceptionnelles tirées des particularités de sa situation personnelle l'empêcheraient d'y accéder effectivement, il appartient à cette même autorité, au vu de l'ensemble des informations dont elle dispose, d'apprécier si l'intéressé peut ou non bénéficier effectivement d'un traitement approprié dans son pays d'origine.
4. En vertu des articles L. 313-11, R. 313-22 et R. 313-23 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, le collège de médecins de l'Office français de l'immigration et de l'intégration, dont l'avis est requis préalablement à la décision du préfet relative à la délivrance de la carte de séjour prévue au 11° de l'article L. 313-11, doit accomplir sa mission dans le respect des orientations générales définies par l'arrêté du ministre chargé de la santé du 5 janvier 2017 et émettre son avis dans les conditions fixées par l'arrêté du 27 décembre 2016 des ministres chargés de l'immigration et de la santé. S'il appartient au préfet, lorsqu'il statue sur la demande de carte de séjour, de s'assurer que l'avis a été rendu par le collège de médecins conformément aux règles procédurales fixées par le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et par l'arrêté du 27 décembre 2016, il ne saurait en revanche porter d'appréciation sur le respect, par le collège des médecins, des orientations générales définies par l'arrêté du 5 janvier 2017, en raison du respect du secret médical qui interdit aux médecins de donner à l'administration, de manière directe ou indirecte, aucune information sur la nature des pathologies dont souffre l'étranger. S'il est saisi, à l'appui de conclusions tendant à l'annulation de la décision de refus, d'un moyen relatif à l'état de santé du demandeur, il appartient au juge administratif, lorsque le demandeur lève le secret relatif aux informations médicales qui le concernent en faisant état de la pathologie qui l'affecte, de se prononcer sur ce moyen au vu de l'ensemble des éléments produits dans le cadre du débat contradictoire et en tenant compte, le cas échéant, des orientations générales fixées par l'arrêté du 5 janvier 2017.
5. Par son avis du 6 novembre 2018, le collège de médecins de l'Office français de l'immigration et de l'intégration a estimé que l'état de santé de M. D... nécessitait une prise en charge dont le défaut pourrait entraîner des conséquences d'une exceptionnelle gravité pour lui, mais qu'il était cependant en mesure de bénéficier d'un traitement approprié à sa pathologie dans son pays d'origine.
6. Il ressort des pièces du dossier que M. D... souffre d'un syndrome de stress post-traumatique, se traduisant notamment par des cauchemars récurrents, une tension mentale, une hyperactivité neurovégétative, une hyper vigilance et un état de dépression se manifestant notamment par de la tristesse, un sentiment de culpabilité, des troubles d'adaptation, une athymhormie et l'impossibilité de se projeter dans l'avenir. Il souffre également de troubles neuropsychologiques tels que des troubles de l'attention, de la concentration ou de la mémoire. Il bénéficie ainsi d'une prise en charge depuis le 28 avril 2017, combinant un suivi psychiatrique, des consultations deux fois par mois avec un psychologue et un traitement médicamenteux.
7. En premier lieu, en se limitant à invoquer l'absence de communication de la fiche " pays " relative au Bangladesh extraite de la " bibliothèque d'information santé sur le pays d'origine " (BISPO), sur laquelle le collège de médecins de l'Office français de l'immigration et de l'intégration se serait fondé pour émettre son avis, M. D... n'établit pas qu'il ne serait pas en mesure de bénéficier d'un traitement approprié à sa pathologie au Bangladesh. En tout état de cause, l'absence de communication de la fiche relative au Bangladesh de la BIPSO est sans incidence sur la légalité de la décision litigieuse, dès lors qu'aucune disposition ni aucun principe n'impose au préfet une telle communication préalablement à l'intervention d'une décision de refus de titre de séjour.
8. En deuxième lieu, les rapports produits par le requérant sur les insuffisances du système de soins au Bangladesh ne permettent pas d'établir que M. D... ne serait pas en mesure d'y bénéficier d'un suivi psychologique et psychiatrique, alors qu'ainsi que le relève le rapport de mai 2019 du Home Office britannique, il existe des structures de soins pour les troubles psychiatriques et psychologiques au Bangladesh, y compris l'institut national de santé mentale à Dacca, qu'un certain nombre de psychiatres exercent dans ce pays et qu'alors même que les structures pour la prise en charge de ces troubles sont encore insuffisantes, des progrès sont en cours. Ce rapport relève, en particulier, que plusieurs types de traitements des troubles psychiatriques et psychologiques sont disponibles au Bangladesh.
9. En dernier lieu, M. D... ne saurait utilement invoquer l'étude générale du SSM Ulysse sur l'importance de la relation thérapeutique et la nécessité d'éviter une confrontation au contexte d'origine traumatique qui est dépourvue de toute valeur probante en ce qui concerne sa situation médicale. Les orientations générales pour l'exercice par les médecins de l'Office français de l'immigration et de l'intégration, de leurs missions, prévues à l'article L. 313-11 (11°) du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, résultant de l'annexe II de l'arrêté du 5 janvier 2017, relèvent d'ailleurs que s'agissant des troubles psychologiques et psychiatriques, la continuité du lien entre le patient et le médecin et le risque de réactivation de l'état de stress post-traumatique en cas de retour dans le pays d'origine doivent faire l'objet d'une évaluation au cas par cas. En l'espèce, l'attestation du 5 octobre 2019 du psychologue qui soigne M. D... relève qu'au-delà de l'accès effectif aux soins, le lien entre le requérant et son psychologue et son médecin psychiatre est très important pour assurer la sécurité psychique du requérant, sans laquelle les traitements médicamenteux et le suivi psychothérapeutique n'auront aucun impact et énonce que ce lien est impossible à transférer. Cependant, cette dernière affirmation, qui ne figurait pas dans la précédente attestation du même praticien du 4 juillet 2018, ainsi que les autres énonciations de cette attestation, qui ne font état d'aucun risque de réactivation de son état de stress post-traumatique en cas de retour au Bangladesh, n'établissent pas que M. D... ne sera pas en mesure de bénéficier d'un traitement approprié à sa pathologie dans son pays d'origine et notamment qu'il ne lui sera pas possible de recréer un lien de confiance avec un autre praticien.
10. Il suit de là que les moyens tirés de la méconnaissance du 11° de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et de l'erreur d'appréciation du préfet à avoir refusé de délivrer un titre de séjour pour raisons de santé à M. D... doivent être écartés.
11. Il résulte de tout ce qui précède que M. D... n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Strasbourg a rejeté sa demande tendant à l'annulation de l'arrêté du 1er février 2019 du préfet du Bas-Rhin. Ses conclusions à fin d'injonction et celles qu'il présente au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 doivent, en conséquence, être rejetées.
D E C I D E :
Article 1er : La requête de M. D... est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à M. A... D... et au ministre de l'intérieur.
Copie en sera adressée pour information à la préfète de la région Grand-Est, préfète du Bas-Rhin.
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N° 19NC03693