Procédure devant la cour :
Par une requête, enregistrée le 24 mars 2020, la garde des sceaux, ministre de la justice, demande à la cour :
1°) d'annuler le jugement du 17 janvier 2020 du tribunal administratif de Châlons-en-Champagne en tant qu'il a annulé l'arrêté du 13 mars 2018 ;
2°) de rejeter la demande de M. B... tendant à l'annulation de cet arrêté devant le tribunal administratif de Châlons-en-Champagne.
Elle soutient que :
- une contre-visite médicale n'avait pas à être obligatoirement diligentée avant toute sanction disciplinaire ;
- l'organisation d'une contre-visite médicale était impossible dans la pratique ;
- l'arrêt maladie de M. B... n'est pas justifié par des raisons médicales.
La procédure a été communiquée à M. A... B..., qui a été invité, le 30 novembre 2020, à régulariser ses écritures du 8 novembre 2020 en application de l'article R. 431-2 du code de justice administrative.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code des relations entre le public et l'administration ;
- l'ordonnance n° 58-696 du 6 août 1958 relative au statut spécial des fonctionnaires des services déconcentrés de l'administration pénitentiaire ;
- la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires ;
- la loi n° 84-16 du 11 janvier 1984 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique de l'Etat ;
- le décret n° 66-874 du 21 novembre 1966 portant règlement d'administration publique relatif au statut spécial des fonctionnaires des services déconcentrés de l'administration pénitentiaire ;
- le décret n° 86-442 du 14 mars 1986 relatif à la désignation des médecins agréés, à l'organisation des comités médicaux et des commissions de réforme, aux conditions d'aptitude physique pour l'admission aux emplois publics et au régime de congés de maladie des fonctionnaires ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme C..., présidente assesseur,
- et les conclusions de M. Michel, rapporteur public.
Considérant ce qui suit :
1. M. A... B..., surveillant pénitentiaire au centre de Villenauxe-la-Grande, a adressé à son administration un certificat d'arrêt de travail pour la période du 25 au 31 janvier 2018. Par une décision du 14 février 2018, la directrice interrégionale des services pénitentiaires de Strasbourg, qui a estimé qu'il n'avait pas effectué son service, a procédé à une retenue de sept trentièmes sur son traitement. Le silence qu'elle a gardé sur le recours gracieux que M. B... lui a adressé, le 8 mars 2018, pour contester cette retenue, a fait naître une décision implicite de rejet. Par un arrêté du 13 mars 2018, qui lui a été notifié le 20 novembre suivant, la garde des sceaux, ministre de la justice, a infligé à M. B... la sanction disciplinaire d'exclusion temporaire de dix jours, dont cinq jours ferme. Par un jugement du 17 janvier 2020, le tribunal administratif de Châlons-en-Champagne a annulé l'arrêté du 13 mars 2018 portant sanction disciplinaire et rejeté le surplus des conclusions de M. B..., après avoir relevé que ses conclusions tendant à l'annulation de la décision du 14 février 2018 de la directrice interrégionale des services pénitentiaires de Strasbourg, qui étaient tardives, étaient, en conséquence, irrecevables. La garde des sceaux, ministre de la justice, relève appel de ce jugement en tant qu'il a annulé son arrêté du 13 mars 2018.
Sur le bien-fondé du jugement attaqué :
2. D'une part, aux termes de l'article 34 de la loi du 11 janvier 1984 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique de l'Etat, dans sa rédaction applicable en l'espèce : " Le fonctionnaire en activité a droit : (...) / 2° A des congés de maladie dont la durée totale peut atteindre un an pendant une période de douze mois consécutifs en cas de maladie dûment constatée mettant l'intéressé dans l'impossibilité d'exercer ses fonctions. Celui-ci conserve alors l'intégralité de son traitement pendant une durée de trois mois ; ce traitement est réduit de moitié pendant les neuf mois suivants. (...) ". L'article 25 du décret du 14 mars 1986 relatif à la désignation des médecins agréés, à l'organisation des comités médicaux et des commissions de réforme, aux conditions d'aptitude physique pour l'admission aux emplois publics et au régime de congés de maladie des fonctionnaires, prévoit que : " Pour obtenir un congé de maladie ainsi que le renouvellement du congé initialement accordé, le fonctionnaire adresse à l'administration dont il relève, dans un délai de quarante-huit heures suivant son établissement, un avis d'interruption de travail. (...) / L'administration peut faire procéder à tout moment à la contre-visite du demandeur par un médecin agréé ; le fonctionnaire doit se soumettre, sous peine d'interruption du versement de sa rémunération, à cette contre-visite. / Le comité médical compétent peut être saisi, soit par l'administration, soit par l'intéressé, des conclusions du médecin agréé ".
3. D'autre part, aux termes de l'article 3 de l'ordonnance du 6 août 1958, dans sa rédaction alors applicable, relative au statut spécial des fonctionnaires des services déconcentrés de l'administration pénitentiaire : " Toute cessation concertée du service, tout acte collectif d'indiscipline caractérisée de la part des personnels des services extérieurs de l'administration pénitentiaire est interdit (...) ". En vertu de l'article 86 du décret du 21 novembre 1966 portant règlement d'administration publique relatif au statut spécial des fonctionnaires des services déconcentrés de l'administration pénitentiaire, dans sa rédaction alors en vigueur : " L'autorité investie du pouvoir de nomination peut, sans consulter le conseil de discipline, prononcer toutes sanctions disciplinaires dans le cas d'acte collectif d'indiscipline caractérisée ou de cessation concertée du service, lorsque ces faits sont susceptibles de porter atteinte à l'ordre public ".
4. Par un arrêté du 13 mars 2018, la garde des sceaux, ministre de la justice a prononcé à l'encontre de M. B... une sanction disciplinaire d'exclusion temporaire de dix jours dont cinq ferme au motif de sa participation à un mouvement de cessation concertée de service prohibé par les dispositions de l'article 3 de l'ordonnance du 6 août 1958 précité. Pour annuler cette décision, le tribunal administratif de Châlons-en-Champagne a estimé que l'administration n'établissait pas la réalité de la participation de M. B... à ce mouvement aux motifs que M. B... s'est prévalu d'un certificat médical, qu'aucune contre-visite n'a été diligentée sans que ne soit démontrée une impossibilité matérielle d'y procéder et que l'appel à blocage des établissements pénitentiaires ainsi que l'absence de justification des raisons médicales ayant justifié l'arrêt de travail ne suffisaient pas à qualifier le certificat médical produit de complaisant.
5. Si en vertu des dispositions précitées au point 2 du présent arrêt, l'agent qui adresse à l'administration un avis d'interruption de travail est placé de plein droit en congé de maladie dès la demande qu'il a formulée sur le fondement d'un certificat médical, cela ne fait pas obstacle à ce que l'administration conteste le bien-fondé de ce congé. Dans des circonstances particulières, marquées par un mouvement social de grande ampleur dans une administration où la cessation concertée du service est interdite, lorsqu'en dehors d'une période d'épidémie un nombre important et inhabituel d'arrêts maladie sont adressés à l'administration sur une courte période et que l'administration démontre avoir été dans l'impossibilité pratique de faire procéder de manière utile aux contre-visites prévues par l'article 25 du décret du 14 mars 1986, l'administration peut contester le bien-fondé de ce congé par tous moyens. Il appartient alors à l'agent, seul détenteur des éléments médicaux, d'établir que ce congé était dûment justifié par des raisons médicales.
6. Il ressort des pièces du dossier que M. B... a adressé un certificat médical d'interruption de travail à son employeur pour la période du 25 au 31 janvier 2018. Aucune contre-visite n'a été diligentée par l'administration pour vérifier le bien-fondé de cet arrêt de travail. Cet arrêt s'est cependant produit dans le contexte d'un mouvement social de grande ampleur des surveillants pénitentiaires, bien que la cessation de travail leur soit interdite en vertu de l'article 3 de l'ordonnance du 6 août 1958. Ainsi, dans le centre pénitentiaire de Villenauxe-la-Grande dans lequel M. B... exerce, 86 des 143 surveillants pénitentiaires soit plus de 60 % d'entre eux, ont cessé leur travail à la même période et ce en dehors de toute épidémie. Le nombre quotidien d'arrêts maladie, qui s'établissait à 9,1 entre les 1er et 20 janvier 2018, s'est élevé à 50,5 par jour entre les 24 et 29 janvier 2018. Dans le ressort de la direction interrégionale des services pénitentiaires de Strasbourg, ce nombre est passé de 86 entre les 1er et 20 janvier 2018 à 126 entre les 22 et 31 janvier 2018. Au regard du nombre important et inhabituel d'arrêts maladie sur une courte période de huit à dix jours, l'administration démontre avoir été dans l'impossibilité pratique de faire procéder de manière utile aux contre-visites prévues par l'article 25 du décret du 14 mars 1986. Au regard de ces circonstances particulières, l'administration, en l'absence même de contre-visite, peut, en application du principe énoncé au point précédent, ainsi contester par tout moyen le bien-fondé de l'arrêt maladie de M. B.... Or, les circonstances rappelées ci-dessus invoquées par l'administration permettent de douter sérieusement de la réalité des motifs médicaux le justifiant. M. B... n'a quant à lui produit aucun élément médical de nature à justifier le bien-fondé de l'arrêt dont il se prévaut. Il s'ensuit que l'administration a pu conclure que sous couvert de ce certificat médical, le requérant avait participé au mouvement social prohibé et le sanctionner pour ce motif. A cet égard, contrairement à ce qu'a jugé le tribunal administratif de Chalons-en Champagne, la garde des sceaux, en prononçant une sanction d'exclusion temporaire de dix jours d'arrêts dont cinq ferme, n'a commis ni erreur de droit, ni erreur de fait.
7. Il appartient toutefois à la cour, saisie de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens soulevés par M. B... devant le tribunal administratif de Châlons-en-Champagne à l'encontre de l'arrêté du 13 mars 2018 de la garde des sceaux, ministre de la justice.
8. En premier lieu, l'arrêté du 13 mars 2018, après avoir rappelé le contexte de blocage de plusieurs établissements pénitentiaires à compter du 15 janvier 2018 révélant l'existence d'un mouvement social concerté au niveau national ainsi que le nombre anormalement élevé d'arrêts de travail pour motif médical dans le ressort de la direction interrégionale des services pénitentiaires de Strasbourg ayant pour objet de dissimuler la participation à ce mouvement, a précisé que M. B..., absent du service du 25 du 31 janvier 2018 sur la base d'un certificat médical, devait être regardé comme ayant participé à ce mouvement social interdit par son statut et qui avait eu pour effet de perturber la bonne exécution du service public pénitentiaire. Cet arrêté rappelle également les dispositions légales et réglementaires sur lesquelles il se fonde. Il est, en conséquence, suffisamment motivé en droit et en fait.
9. En deuxième lieu, si M. B... soutient que la décision a méconnu les dispositions du 2° de l'article 34 de la loi du 11 janvier 1984, relatives au droit à rémunération en cas de congés, ce moyen est inopérant à l'appui de la contestation de la sanction en litige qui n'est pas prise sur ce fondement.
10. En dernier lieu, le moyen tiré de ce que M. B... n'a pas bénéficié des garanties applicables à tout fonctionnaire n'est pas assorti des précisions suffisantes permettant d'en apprécier le bien-fondé
11. Il résulte de tout ce qui précède que la garde des sceaux, ministre de la justice est fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Châlons-en-Champagne a annulé l'arrêté du 13 mars 2018 par lequel a été infligée à M. B... la sanction d'exclusion temporaire de fonction de dix jours, dont cinq jours ferme.
D E C I D E :
Article 1er : Le jugement du tribunal administratif de Châlons-en-Champagne du 17 janvier 2020 est annulé en ce qu'il annule l'arrêté du 13 mars 2018 de la garde des sceaux, ministre de la justice.
Article 2 : La demande présentée par M. B... devant le tribunal administratif de Châlons-en-Champagne tendant à l'annulation de l'arrêté du 13 mars 2018 de la garde des sceaux, ministre de la justice est rejetée.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié au garde des sceaux, ministre de la justice et à M. A... B....
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N° 20NC00805