Procédure devant la cour :
Par une requête, enregistrée le 11 février 2019, la SARL Bingo, représentée par Me B..., demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement ;
2°) de prononcer cette décharge ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- la réintégration de la provision en cause lors de chacune des années en litige méconnaît le principe d'intangibilité du bilan d'ouverture du premier exercice non prescrit ;
- elle pouvait échelonner sa provision sur plusieurs années.
Par un mémoire en défense, enregistré le 7 août 2019, le ministre de l'action et des comptes publics demande à la cour de rejeter la requête.
Il fait valoir que :
- la requête, en tant qu'elle tend à la décharge des cotisations supplémentaires à l'impôt sur les sociétés mises à la charge de la SARL Bingo au titre de l'exercice clos en 2014 s'agissant de la prise en compte du résultat déclaré tardivement, est irrecevable, dès lors qu'elle ne comporte aucun moyen ;
- les moyens soulevés par la requérante ne sont pas fondés.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme A...,
- et les conclusions de Mme Chollet, rapporteure publique.
Considérant ce qui suit :
1. La société à responsabilité limitée (SARL) Bingo a fait l'objet d'une vérification de comptabilité en matière d'impôt sur les sociétés, concernant les exercices clos en 2012, 2013 et 2014. Elle a ensuite fait l'objet d'une proposition de rectification en date du 28 juillet 2015 portant notamment sur la remise en cause des dotations aux provisions réalisées au cours de ces exercices. La société requérante a présenté une première réclamation contentieuse le 20 juillet 2017 qui a abouti à la décharge partielle des impositions en litige par décision en date du 21 décembre 2017. Elle a ensuite présenté une seconde réclamation contentieuse le 9 janvier 2018 qui a été rejetée par décision du 1er février 2018. La SARL Bingo a demandé au tribunal administratif de Caen la décharge de l'imposition restant à sa charge. Par un jugement du 28 décembre 2018, le tribunal a rejeté sa demande. Elle fait appel de ce jugement.
2. En premier lieu, aux termes de l'article 38 du code général des impôts : " 1. (...) le bénéfice imposable est le bénéfice net, déterminé d'après les résultats d'ensemble des opérations de toute nature effectuées par les entreprises, y compris notamment les cessions d'éléments quelconques de l'actif, soit en cours, soit en fin d'exploitation. 2. Le bénéfice net est constitué par la différence entre les valeurs de l'actif net à la clôture et à l'ouverture de la période dont les résultats doivent servir de base à l'impôt diminuée des suppléments d'apport et augmentée des prélèvements effectués au cours de cette période par l'exploitant ou par les associés. L'actif net s'entend de l'excédent des valeurs d'actif sur le total formé au passif par les créances des tiers, les amortissements et les provisions justifiés (...) 4 bis. Pour l'application des dispositions du 2, pour le calcul de la différence entre les valeurs de l'actif net à la clôture et à l'ouverture de l'exercice, l'actif net d'ouverture du premier exercice non-prescrit déterminé, sauf dispositions particulières, conformément aux premier et deuxième alinéas de l'article L. 169 du livre des procédures fiscales ne peut être corrigé des omissions ou erreurs entraînant une sous-estimation ou surestimation de celui-ci ".
3. La SARL BO détenait 100% du capital de la SARL Bingo. En application d'une convention de prestations conclue le 11 janvier 2002 entre ces deux sociétés, au 31 août 2011, la SARL Bingo détenait une créance de 196 342 euros à l'encontre de la SARL BO, correspondant à des refacturations relatives à des dépenses communes. La SARL BO, qui a acquis 100% des titres de la SARL VIP Concepteur, dans le but d'une opération de fusion avec la SARL Bingo, a été mise en sommeil en 2009 à la suite de la cessation de son activité mais est restée engagée dans un contentieux portant sur l'octroi de dommages et intérêts, dans le cadre de l'acquisition des titres de la SARL VIP Concepteur. Le 10 juillet 2013, le tribunal de grande instance de Paris a rejeté la demande de dommages et intérêts présentée par la SARL BO, ce jugement ayant été confirmé par un arrêt de la cour d'appel de Paris du 9 juin 2015. La SARL Bingo a considéré que sa créance de 196 342 euros risquait de devenir irrécouvrable. Dès lors, elle a provisionné progressivement cette créance à hauteur de 58 902 euros au 1er septembre 2011, puis a effectué une dotation complémentaire de 39 268 euros au 31 août 2012, une dotation complémentaire de 35 342 euros au 31 août 2013 et une dotation complémentaire de 9 424 euros au 31 août 2014, soit une provision, à cette même date d'un montant total de 142 937 euros.
4. Dans son acceptation partielle du 21 décembre 2017 de la réclamation préalable, l'administration a admis le risque de non-recouvrement de la créance ainsi que la provision existant à l'ouverture de la période vérifiée, au 1er septembre 2011. L'administration n'a remis en cause que les dotations complémentaires à la provision effectuées lors des exercices clos au 31 août 2012, au 31 août 2013 et au 31 août 2014. Ainsi, contrairement à ce que soutient la requérante, l'administration n'a pas porté atteinte au principe d'intangibilité du bilan d'ouverture du premier exercice non prescrit du 1er septembre 2011 dès lors que la provision de 58 902 euros qui y figurait, reprenant cette somme mentionnée à la clôture du dernier exercice prescrit, au 31 août 2011, n'a pas été rectifiée.
5. En deuxième lieu, aux termes de l'article 39 du code général des impôts, applicable en matière d'impôt sur les sociétés en vertu de l'article 209 du même code : " 1. Le bénéfice net est établi sous déduction de toutes charges, celles-ci comprenant (...) notamment : / (...) 5° Les provisions constituées en vue de faire face à des pertes ou charges nettement précisées et que des événements en cours rendent probables, à condition qu'elles aient été effectivement constatées dans les écritures de l'exercice. (...) ". Il résulte de ces dispositions qu'une entreprise peut valablement porter en provision et déduire des bénéfices imposables d'un exercice des sommes correspondant à des pertes ou charges qui ne seront supportées qu'ultérieurement par elle, à la condition que ces pertes ou charges soient nettement précisées quant à leur nature et susceptibles d'être évaluées avec une approximation suffisante, qu'elles apparaissent comme probables eu égard aux circonstances constatées à la date de clôture de l'exercice et qu'elles se rattachent par un lien direct aux opérations de toute nature déjà effectuées à cette date par l'entreprise. Lorsqu'à la clôture d'un exercice, le recouvrement d'une créance devient par suite d'événements survenus au cours de l'exercice, très improbable, la société peut constituer l'année même une provision d'un montant égal à celui de la créance ; elle peut cependant n'user que partiellement de cette faculté et augmenter à la clôture des exercices suivants le montant de la provision relative à cette créance dans la limite du risque de non-recouvrement existant à la clôture de chaque exercice, même si aucun événement influant sur la gravité de ce risque n'est survenu.
6. Dans le rejet du 1er février 2018 de la seconde réclamation préalable, l'administration a admis que la jurisprudence autorisait une entreprise à ne pas provisionner totalement un risque sur le premier exercice où il apparaît mais a opposé à la SARL Bingo le fait de n'avoir jamais présenté d'éléments justifiant le montant des dotations comptabilisées au cours des exercices vérifiés et non prescrits et notamment, une méthode pouvant en justifier le montant avec une détermination suffisante au sens des dispositions du 5° du 1 de l'article 39 du code général des impôts, ces montants ayant été évalués en l'espèce uniquement en fonction de la situation comptable de la requérante. Il est constant que le montant de la créance due par la SARL BO à la SARL Bingo a été fixé de manière précise, à 196 342 euros, et a été justifié par des factures, que les dotations complémentaires à la provision en cause pour créance douteuse n'ont pas entraîné un dépassement de ce montant et que le risque de non-recouvrement de la créance s'est accru avec la procédure judiciaire en 2013 puis 2015. Cependant, la requérante n'apporte aucun élément de nature à justifier, pour chaque exercice clos de 2012 à 2014, le montant de chacune de ces dotations complémentaires à la provision, devant correspondre à un pourcentage de la créance en fonction du risque de non-recouvrement existant à la clôture de chaque exercice. Elle se borne à indiquer qu'elle a échelonné la constitution de la provision sur plusieurs années pour ne pas déstructurer ses comptes. Dès lors, c'est à bon droit que le service des impôts a réintégré dans le résultat imposable des exercices clos en 2012, 2013 et 2014, pour des montants, après dégrèvements, respectivement de 39 268 euros, 35 342 euros et 9 424 euros, les provisions pour créances douteuses constituées par la SARL Bingo à la clôture de chacun de ces exercices.
7. En troisième et dernier lieu, aucun moyen n'est soulevé par la requérante s'agissant des cotisations supplémentaires à l'impôt sur les sociétés pour l'exercice clos en 2014 résultant de la prise en compte du résultat déclaré tardivement, représentant, en droits et pénalités, des cotisations supplémentaires d'un montant de 3 744 euros.
8. Il résulte de tout ce qui précède que la SARL Bingo n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Caen a rejeté sa demande. Par conséquent, ses conclusions relatives aux frais liés au litige doivent être rejetées.
DECIDE :
Article 1er : La requête de la SARL Bingo est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à la société à responsabilité limitée Bingo et au ministre de l'économie, des finances et de la relance.
Délibéré après l'audience du 18 mars 2021, à laquelle siégeaient :
- M. Bataille, président de chambre,
- M. Geffray, président assesseur,
- Mme A..., première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 1er avril 2021.
La rapporteure,
P. A...Le président,
F. Bataille
La greffière,
E. Haubois
La République mande et ordonne au ministre de l'économie, des finances et de la relance en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 19NT00606
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