Par une requête et un mémoire, enregistrés les 6 août et 2 décembre 2021, le préfet de la Loire-Atlantique demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement ;
2°) de rejeter la demande présentée par M. D... devant le tribunal administratif de Nantes.
Il soutient que :
- le tribunal administratif aurait dû mettre en œuvre ses pouvoirs d'investigation et d'instruction à l'égard de l'Office français de l'immigration et de l'intégration pour connaître la raison des différences de deux avis successifs émis par le collège de médecins de l'office ; en refusant de le faire, le jugement est entaché d'irrégularité ;
- il n'est pas possible de vérifier la concordance de l'avis du collège des médecins qu'il reçoit avec celui qui est communiqué au demandeur ;
- une simple différence de dates concernant les deux avis ne peut pas révéler en
elle-même une illégalité dès lors que le sens, les indications et les signatures des deux avis sont identiques ;
- la cour a déjà jugé qu'un second avis est généré automatiquement par un logiciel avec une date correspondant à la clôture administrative du dossier et différente de celle de l'avis du collège de médecins, en l'occurrence la date de transmission à la préfecture.
Par un mémoire en défense, enregistré le 24 septembre 2021, M. C... D..., représenté par Me Le Floch, conclut au rejet de la requête, à ce qu'il soit enjoint au préfet de la Loire-Atlantique, sous astreinte de 100 euros par jour de retard, de lui délivrer un titre de séjour portant mention " vie privée et familiale " ou, à titre subsidiaire, de réexaminer sa demande dans un délai d'un mois à compter de la notification de l'arrêt à intervenir et de mettre à la charge de l'Etat le versement de la somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que les moyens soulevés par le préfet de la Loire-Atlantique ne sont pas fondés.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le code des relations entre le public et l'administration ;
- l'arrêté du 27 décembre 2016 relatif aux conditions d'établissement et de transmission des certificats médicaux, rapports médicaux et avis mentionnés aux articles R. 313-22, R. 313-23 et R. 511-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le code de justice administrative.
Le président de la formation de jugement a dispensé la rapporteure publique, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Geffray,
- et les observations de Me Le Floch, représentant M. D....
Considérant ce qui suit :
1. Après le rejet de sa demande d'asile par une décision du directeur général de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides du 31 décembre 2013, confirmée par une décision de la Cour nationale du droit d'asile du 29 octobre 2014, M. D..., ressortissant de la République démocratique du Congo, né le 15 février 1985, a sollicité du préfet de la Loire-Atlantique la délivrance d'un titre de séjour pour raisons de santé sur le fondement des dispositions du 11° de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. Par un arrêté du 29 avril 2020, le préfet a refusé de lui délivrer un titre de séjour, lui a fait obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé son pays d'origine comme pays de destination vers lequel il pourra être reconduit d'office lorsque le délai sera expiré. Par un jugement du 16 juillet 2021, le tribunal administratif de Nantes, saisi par l'intéressé, a annulé l'arrêté et enjoint au préfet de procéder à un nouvel examen de la situation de M. D... dans le délai de deux mois à compter de la notification du jugement.
2. Aux termes de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, dans sa rédaction antérieure à l'entrée en vigueur de l'ordonnance n° 2020-1733 du 16 décembre 2020 : " Sauf si sa présence constitue une menace pour l'ordre public, la carte de séjour temporaire portant la mention " vie privée et familiale " est délivrée de plein droit : / (...) / 11° A l'étranger résidant habituellement en France, si son état de santé nécessite une prise en charge médicale dont le défaut pourrait avoir pour lui des conséquences d'une exceptionnelle gravité et si, eu égard à l'offre de soins et aux caractéristiques du système de santé dans le pays dont il est originaire, il ne pourrait pas y bénéficier effectivement d'un traitement approprié. La condition prévue à l'article L. 313-2 n'est pas exigée. La décision de délivrer la carte de séjour est prise par l'autorité administrative après avis d'un collège de médecins du service médical de l'Office français de l'immigration et de l'intégration, dans des conditions définies par décret en Conseil d'Etat. (...). ". Aux termes de l'article R. 313-22 du même code, devenu article R. 425-11 : " Pour l'application du 11° de l'article L. 313-11, le préfet délivre la carte de séjour au vu d'un avis émis par un collège de médecins à compétence nationale de l'Office français de l'immigration et de l'intégration. / L'avis est émis dans les conditions fixées par arrêté du ministre chargé de l'immigration et du ministre chargé de la santé au vu, d'une part, d'un rapport médical établi par un médecin de l'Office français de l'immigration et de l'intégration et, d'autre part, des informations disponibles sur les possibilités de bénéficier effectivement d'un traitement approprié dans le pays d'origine de l'intéressé. (...) ". L'article R. 313-23 du même code, devenu articles R. 425-12 et R. 425-13, dispose que : " Le collège à compétence nationale, composé de trois médecins, émet un avis dans les conditions de l'arrêté mentionné au premier alinéa du présent article. La composition du collège et, le cas échéant, de ses formations est fixée par décision du directeur général de l'office. Le médecin ayant établi le rapport médical ne siège pas au sein du collège. (...) L'avis est rendu par le collège dans un délai de trois mois à compter de la transmission du certificat médical. (...) ". Enfin, l'article 6 de l'arrêté du 27 décembre 2016 visé ci-dessus dispose : " L'avis émis à l'issue de la délibération est signé par chacun des trois médecins membres du collège. ". Il appartient au préfet, lorsqu'il statue sur une demande de carte de séjour, de s'assurer que l'avis a été rendu par le collège de médecins conformément aux règles procédurales fixées par ces textes.
3. Aux termes de l'article L. 212-3 du code des relations entre le public et l'administration : " Les décisions de l'administration peuvent faire l'objet d'une signature électronique. Celle-ci n'est valablement apposée que par l'usage d'un procédé, conforme aux règles du référentiel général de sécurité mentionné au I de l'article 9 de l'ordonnance n° 2005-1516 du 8 décembre 2005 relative aux échanges électroniques entre les usagers et les autorités administratives et entre les autorités administratives, qui permette l'identification du signataire, garantisse le lien de la signature avec la décision à laquelle elle s'attache et assure l'intégrité de cette décision ".
4. Pour annuler l'arrêté contesté du préfet de la Loire-Atlantique, le tribunal administratif s'est fondé sur l'existence de deux avis du collège de médecins de l'Office français de l'immigration et de l'intégration qui, bien que portant les mêmes références de dossier et de nom de M. D..., comportant la même teneur et étant signés des mêmes médecins, présentent des dates différentes, soit les 5 août et 8 août 2019, ne permettent pas, en l'absence de toute explication circonstanciée par le préfet justifiant cette différence, de s'assurer de la régularité des conditions dans lesquelles l'avis du 5 août 2019, qui a été mentionné dans l'arrêté contesté, a été rendu. Toutefois, le préfet soutient sans être contredit que l'avis du 8 août 2019 a été généré automatiquement par un logiciel avec une date correspondant à la clôture administrative du dossier, en l'occurrence la date de transmission à la préfecture. Compte tenu de cette explication d'ordre technique, le préfet est fondé à soutenir que c'est à tort que le tribunal administratif s'est fondé, pour annuler l'arrêté litigieux, sur le moyen tiré d'un vice de procédure, qui aurait porté atteinte à une garantie liée au caractère collégial de la délibération du collège de médecins.
5. Il appartient toutefois à la cour, saisie de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens invoqués par M. D... devant le tribunal administratif de Nantes et la cour.
Sur le moyen commun :
6. Par arrêté du 17 septembre 2019, régulièrement publié au recueil des actes administratifs de la préfecture, le préfet a donné à Mme B... A..., directrice des migrations et de l'intégration à la préfecture de la Loire-Atlantique, délégation à l'effet de signer " tous arrêtés et décisions individuelles relevant des attributions de la direction des migrations et de l'intégration (...) ", au nombre desquels figurent les décisions portant refus de titre de séjour assorties d'une mesure d'obligation de quitter le territoire français et fixant le pays de renvoi. Dès lors, le moyen tiré de l'incompétence de l'auteur de l'acte contesté manque en fait.
Sur la légalité de la décision refusant la délivrance d'un titre de séjour :
7. En premier lieu, pour refuser la délivrance d'un titre de séjour, le préfet de la Loire-Atlantique a visé en particulier le 11° de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et s'est notamment fondé, comme il a été dit au point 4, sur l'avis rendu le 5 août 2019 par le collège de médecins de l'Office français de l'immigration et de l'intégration qui a estimé que si l'état de santé de M. D... nécessite une prise en charge médicale dont le défaut peut entraîner des conséquences d'une exceptionnelle gravité, il peut bénéficier effectivement d'un traitement approprié dans son pays d'origine eu égard à l'offre de soins et aux caractéristiques du système de santé. Il fait également état des éléments de la vie privée et familiale de M D.... Dès lors, cette décision comporte l'énonciation des considérations de droit et de fait qui la fondent et est donc suffisamment motivée.
8. En deuxième lieu, il ne ressort ni de la motivation de la décision en litige ni d'aucune autre pièce du dossier que le préfet de la Loire-Atlantique se serait cru lié par l'avis du collège de médecins de l'Office français de l'immigration et de l'intégration et aurait ainsi méconnu l'étendue de sa propre compétence et qu'il n'aurait pas procédé à un examen particulier de la situation personnelle de M. D... tant sur le plan médical que dans son ensemble.
9. Il ne résulte pas des dispositions citées au point 2 qu'un étranger qui demande la délivrance d'un titre de séjour pour raisons médicales doit être obligatoirement convoqué au moment de l'élaboration du rapport du médecin-instructeur qui doit être communiqué au collège des médecins de l'Office français de l'immigration et de l'intégration. M. D..., à qui l'administration a adressé une convocation pour le 23 mai 2019 en vue d'un examen médical préalable à sa dernière adresse connue par elle, n'est pas fondé à soutenir qu'il n'a pas reçu de convocation ou n'a pas été régulièrement convoqué par le médecin-instructeur et que, par voie de conséquence, le rapport médical et l'avis sont incomplets du fait de cette absence de convocation.
10. Il ne résulte pas de ces dispositions, ni d'aucune autre que le préfet de la Loire-Atlantique était tenu de communiquer l'avis du collège des médecins de l'Office français de l'immigration et de l'intégration à M. D....
11. Il ressort de l'avis émis le 8 août 2019 que le collège de médecins de l'Office français de l'immigration et de l'intégration a estimé que si l'état de santé de M. D... nécessite une prise en charge médicale dont le défaut pourrait entraîner pour lui des conséquences d'une exceptionnelle gravité, il peut bénéficier effectivement d'un traitement approprié dans son pays d'origine, vers lequel il peut voyager sans risque. Le préfet de la Loire-Atlantique, qui pouvait légalement s'approprier l'avis du collège de médecins sur l'existence d'un traitement approprié dans le pays d'origine de M. D... pour refuser la délivrance d'un titre de séjour, a pu apporter une appréciation précise et ne s'est pas contenté de se référer à cet avis.
12. Il ne ressort pas des pièces du dossier que le préfet de la Loire-Atlantique, en estimant que M. D..., qui au demeurant ne se prévaut d'aucun certificat médical relatif à des pathologies dont il fait état, ne remplissait pas les conditions pour bénéficier d'un titre de séjour en qualité d'étranger malade, aurait fait une inexacte application des dispositions du 11° de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.
13. Le préfet de la Loire-Atlantique, en mentionnant " le fait d'avoir précédemment exercé une activité professionnelle ", a entendu prendre en compte toute la période d'activité professionnelle de M. D... en France. Dès lors, le moyen tiré de ce que le préfet, en ne précisant pas la totalité de son activité, a commis une erreur de fait doit être écarté.
14. Bien qu'il ne soit pas récemment entré en France, soit le 25 mai 2013, M. D... est célibataire et sans enfant et ne fait état d'aucun lien personnel et familial en France. Dès lors et malgré des périodes intermittentes d'activité professionnelle, la décision contestée n'a pas porté au respect de la vie privée et familiale de l'intéressé une atteinte excessive au regard des buts poursuivis par le préfet de la Loire-Atlantique, en méconnaissance des stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.
15. Il ne ressort pas des pièces du dossier que le préfet de la Loire-Atlantique a entaché sa décision d'une erreur manifeste d'appréciation quant aux conséquences de la décision sur la situation personnelle de M. D....
Sur la légalité de la décision portant obligation de quitter le territoire français :
16. La décision de refus de titre de séjour n'étant pas annulée, M. D... n'est pas fondé à soutenir que la décision portant obligation de quitter le territoire français doit être annulée par voie de conséquence.
17. Pour les mêmes motifs que ceux exposés au point 12, le moyen tiré de la méconnaissance des dispositions du 10° de l'article L. 511-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile doit être écarté.
18. Pour les mêmes motifs que ceux exposés au point 14, le moyen tiré de la méconnaissance des stipulations de de l'article 8 de la convention européenne des droits de l'homme et des libertés fondamentales ne peut qu'être écarté.
Sur la légalité de la décision fixant le pays de destination :
19. La décision portant obligation de quitter le territoire français n'étant pas annulée, M. D... n'est pas fondé à soutenir que la décision fixant le pays de destination doit être annulée par voie de conséquence.
20. Il résulte de ce qui précède que le préfet de la Loire-Atlantique est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Nantes a annulé son arrêté du 29 avril 2020. Par voie de conséquence, les conclusions présentées par M. D... aux fins d'injonction et d'astreinte et celles relatives aux frais liés au litige doivent être rejetées.
D E C I D E :
Article 1er : Le jugement du tribunal administratif de Nantes du 16 juillet 2021 est annulé.
Article 2 : La demande présentée par M. D... devant le tribunal administratif de Nantes et ses conclusions en appel sont rejetées.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à M. C... D... et au ministre de l'intérieur.
Une copie sera transmise au préfet de la Loire-Atlantique.
Délibéré après l'audience du 3 mars 2022, à laquelle siégeaient :
- M. Geffray, président,
- M. Giraud, premier conseiller,
- M. Brasnu, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 18 mars 2022.
Le président-rapporteur,
J.-E. Geffray
L'assesseur le plus ancien
dans l'ordre du tableau
T. Giraud
Le greffier,
A. Marchais
La République mande et ordonne au ministre de de l'intérieur, en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 21NT02269