Procédure devant la cour :
Par une requête et un mémoire, enregistrés les 16 novembre 2018 et 6 juin 2019, la SARL Escures Services, représentée par Me B..., demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement ;
2°) de prononcer cette décharge ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- son recours hiérarchique auprès de l'inspecteur principal et son entretien avec lui du 3 septembre 2015 ont été dénués d'utilité dans la mesure où le vérificateur avait, à cette date, déjà transmis son rapport à la commission départementale des impôts directs et des taxes sur le chiffre d'affaires ;
- c'est à tort que l'administration a évalué les prestations réalisées par les sociétés Gemavi Services et Gemaes Services à 52 000 euros ; la comparaison faite par l'administration avec les prestations facturées à la société Janipos n'est pas fondée dès lors que la vérificatrice n'a apporté aucun élément de comparaison ; en tout état de cause, le forfait mensuel facturé à la société Janipos était non pas de 4 350 euros hors taxes mais de 4 570 euros hors taxes ; les coûts horaires sont différenciés en fonction de la nature des prestations, soit 80 euros hors taxes pour les travaux administratifs, 150 euros hors taxes pour les travaux de traduction et 190 euros hors taxes pour les travaux d'expertise technique ;
- les prestations réalisées par la société GMVM ne sont pas fictives ;
- les honoraires versés à la société de droit suisse " Fidiciary et Trust Associates " correspondent à son intérêt.
Par des mémoires en défense, enregistrés les 6 mai 2019 et 15 avril 2020, le ministre de l'action et des comptes publics conclut à la réformation de l'article 2 du jugement attaqué et au rejet de la requête.
Il soutient que :
- la taxe sur la valeur ajoutée afférente aux prestations des sociétés Gemavi Services et Gemaes Services n'a pas été mise en recouvrement à la suite de l'avis de la commission départementale des impôts directs et des taxes sur le chiffre d'affaires du Calvados ;
- les moyens soulevés par la SARL Escures Services ne sont pas fondés.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. A...,
- et les conclusions de Mme Chollet, rapporteur public.
Considérant ce qui suit :
1. A la suite d'une vérification de comptabilité portant sur les exercices clos les 30 novembre 2010, 2011 et 2012 et prolongée en matière de taxe sur la valeur ajoutée jusqu'au 31 juillet 2013, la société à responsabilité limitée (SARL) Escures Services, qui exerce une activité de conseil et d'intermédiaire dans l'approvisionnement électrique, s'est vu notifier, par des propositions de rectification des 9 décembre 2013 et 8 juillet 2014, des redressements en matière d'impôt sur les sociétés et des rappels de taxe sur la valeur ajoutée. Ces redressements et rappels ont été partiellement dégrevés après que la commission départementale des impôts directs et des taxes sur le chiffre d'affaires, dans deux avis émis après la séance du 27 novembre 2015, a partiellement infirmé la position du service, celui-ci s'étant rangé à l'avis de la commission. Après la mise en recouvrement, le 29 juillet 2016, de la somme globale de 524 049 euros, la société Escures Services a présenté le 15 septembre 2016 une réclamation contentieuse portant sur l'intégralité de la somme mise en recouvrement. Cette réclamation ayant été implicitement rejetée au terme de six mois de silence de l'administration, la société Escures Services a demandé au tribunal administratif de Caen la décharge de ces impositions et rappels. Par un jugement du 14 septembre 2018, le tribunal a déchargé la société " en base de la cotisation supplémentaire d'impôts sur les sociétés à laquelle elle a été assujettie au titre de l'année 2012, et des pénalités correspondantes, à hauteur de la différence résultant de l'application du forfait de 4 570 euros HT aux prestations facturées entre le 1er août 2012 et le 30 novembre 2012 par les sociétés Gemavi Services et Gemaes Services " (article 1er), et " du rappel de taxe sur la valeur ajoutée à laquelle elle a été assujettie au titre de l'année 2012, et des pénalités correspondantes, à hauteur de la différence résultant de l'application du forfait de 4 570 euros HT aux prestations facturées entre le 1er août 2012 et le 30 novembre 2012 par les sociétés Gemavi Services et Gemaes Services " (article 2) et rejeté la surplus des conclusions de la demande (article 3). La société relève appel du jugement tandis que, par la voie de l'appel incident, le ministre de l'action et des comptes publics conteste l'article 2 du jugement attaqué.
Sur l'appel principal de la SARL Escures Services :
En ce qui concerne la régularité de la procédure d'imposition :
2. En premier lieu, la SARL Escures Services soutient que son recours hiérarchique auprès de l'inspecteur principal et son entretien avec lui du 3 septembre 2015 ont été dénués d'utilité dans la mesure où le vérificateur avait, à cette date, déjà transmis son rapport à la commission départementale des impôts directs et des taxes sur le chiffre d'affaires du Calvados.
3. Alors que par courrier du 17 septembre 2014, la société requérante a sollicité un entretien avec le supérieur hiérarchique qui a été fixée au 11 juin 2015, ses représentants ne se sont pas présentés à ce rendez-vous et n'ont pas demandé le report de celui-ci. Les termes de la lettre de la société du 11 juillet 2015 selon lesquels ses représentants étaient prêts à rencontrer l'administration ne peut être regardée comme une nouvelle demande de saisine du supérieur hiérarchique. Sa demande de saisine a été à nouveau présentée le 30 juillet 2015, soit un jour après que le vérificateur a transmis son rapport à la commission départementale des impôts directs et des taxes sur le chiffre d'affaires, conformément à la demande de saisine de cette commission par lettre du 15 novembre 2014. Au surplus, le supérieur hiérarchique ayant rencontré la société le 3 septembre 2015, celle-ci n'a donc été privée d'aucune garantie. Dès lors, le moyen doit être écarté.
4. En second lieu, aucune disposition du livre des procédures fiscales n'exige que la rencontre avec l'interlocuteur départemental soit réalisée par voie téléphonique ou visio-conférence. Le moyen tiré de ce que l'interlocuteur n'a pas accepté de tels procédés doit être écarté.
5. Il résulte de ce qui précède que la procédure d'imposition n'est pas irrégulière.
En ce qui concerne le bien-fondé des impositions supplémentaires et des rappels :
S'agissant des prestations rendues par les sociétés Gemavi et Gemaes Services :
6. Les dépenses litigieuses ont été payées par la société requérante, conformément à des factures régulières émises par les deux sociétés Gemavi et Gemaes Services, sans contrat de prestations de sous-traitance, en règlement de " prestations d'assistance " dont la société fait valoir qu'elles correspondaient à des tâches de gestion administrative et bureautique et des tâches techniques et commerciales, dont le tarif horaire est de 80 euros pour le domaine administratif, 140 euros pour la traduction et 190 euros pour le suivi commercial.
7. L'administration a constaté que, s'agissant de la société Gemavi Services, celle-ci n'emploie qu'une seule personne en qualité d'attachée technique et commerciale, aucune information n'a été donnée sur ses qualifications et ses diplômes, que ce sous-traitant exerce par ailleurs une autre activité consistant à rendre des prestations d'assistance commerciale à une autre société, la société Janipos, assurée par la même personne à raison de deux jours par semaine dans les locaux de la société Janipos et le reste du temps pour cette société Janipos à partir de son domicile, et que l'exercice de cette activité a nécessairement conduit cet employé à ne pas consacrer l'intégralité de son temps de travail aux prestations qu'elle devait rendre à la société requérante. S'agissant de la société Gemaes Services, l'administration a relevé que cette société n'emploie également qu'une seule personne ayant une expérience professionnelle dans un domaine différent d'activités et n'ayant aucune compétence particulière pour des travaux d'expertise technique dans le domaine énergétique des chaudières, alors que ces prestations ont été facturées à la société requérante et que les factures sont forfaitaires et ne comportent pas la désignation précise en nature et en quantité des prestations rendues. Ensuite, elle a comparé le prix de ces prestations, facturées mensuellement pour des montants de 17 250 euros en 2011 et 14 000 euros en 2012 par la société Gemaes Services et de 13 917 euros en 2011 et 11 000 euros en 2012 pour la société Gemavi Service pour des prestations de même nature rendues à la société Janipos en application d'une convention d'assistance commerciale. En outre, elle a noté que la société requérante n'apporte pas la preuve que les prestations ainsi fournies auraient été nettement différentes de celles que les sociétés Gemavi et Gemaes Services fournissaient à la société Janipos et que le libellé des factures en cause ne permet pas, de par leur imprécision, d'apprécier si leur montant est justifié. Dès lors, l'administration établit ainsi le caractère excessif des rémunérations versées aux sociétés Gemaes Services et Gemavi Services. Par suite, l'administration établit que les charges correspondantes ne sont pas justifiées dans la mesure où elles excèdent les montants déjà admis après avis de la commission départementale des impôts directs et des taxes sur le chiffre d'affaires du Calvados, qui a retenu un montant de 52 200 euros à raison de 4 350 euros par mois à l'instar de la facturation faite à la société Janipos.
S'agissant des prestations d'assistance réalisées par la société GMVM Services :
Quant aux rappels de taxe sur la valeur ajoutée :
8. En vertu des dispositions combinées des articles 271, 272 et 283 du code général des impôts et de l'article 230 de l'annexe II à ce code, un contribuable n'est pas en droit de déduire de la taxe sur la valeur ajoutée dont il est redevable à raison de ses propres opérations, la taxe mentionnée sur une facture établie à son nom par une personne qui ne lui a fourni aucun bien ou aucune prestation de services. Dans le cas où l'auteur de la facture était régulièrement inscrit au registre du commerce et des sociétés et assujetti à la taxe sur la valeur ajoutée, il appartient à l'administration, si elle entend refuser à celui qui a reçu la facture le droit de déduire la taxe qui y était mentionnée, d'établir qu'il s'agissait d'une facture fictive ou d'une facture de complaisance. Si l'administration apporte des éléments suffisants permettant de penser que la facture ne correspond pas à une opération réelle, il appartient au contribuable d'apporter toutes justifications utiles sur la réalité de cette opération.
9. L'administration a remis en cause le droit à déduction de la société Escures Services de la taxe sur la valeur ajoutée grevant quatre factures de prestations, émises par la société GMVM Services, au motif que les sommes en cause ne constituaient pas la contrepartie de services effectivement rendus, dès lors que la société Escures Services n'avait pas été en mesure de produire des documents, tels la convention de prestation de services conclue avec la société GMVM Services pour la réalisation de prestations de contrats et activités en cours, susceptibles de justifier du bien-fondé des facturations émises par cette société. La société requérante fait valoir que les honoraires mentionnés sur les factures correspondaient à des prestations, elle ne produit aucun élément susceptible d'établir la réalité de ces prestations. Toutefois, l'administration rappelle l'absence de moyens utilisés pour réaliser des prestations et la nécessité de faire appel à des sous-traitants comme les sociétés Gemaes Services et Gemavi Services. Compte tenu du caractère suffisant de ces éléments apportés par l'administration, il appartient à la société requérante d'apporter toutes justifications utiles sur la réalité de ses prestations. Celle-ci ne le fait pas. L'administration est ainsi fondée à soutenir que les factures produites ne correspondaient pas à des prestations réelles.
Quant aux impositions supplémentaires d'impôt sur les sociétés :
10. Aux termes de l'article 39 du code général des impôts, rendu applicable à l'impôt sur les sociétés par l'article 209 du même code : " 1. Le bénéfice net est établi sous déduction de toutes charges, celles-ci comprenant (...) notamment : 1° Les frais généraux de toute nature (...) ". Si, en vertu des règles gouvernant l'attribution de la charge de la preuve devant le juge administratif, applicables sauf loi contraire, il incombe, en principe, à chaque partie d'établir les faits qu'elle invoque au soutien de ses prétentions, les éléments de preuve qu'une partie est seule en mesure de détenir ne sauraient être réclamés qu'à celle-ci. Il appartient, dès lors, au contribuable, pour l'application des dispositions précitées du code général des impôts, de justifier tant du montant des charges qu'il entend déduire du bénéfice net défini à l'article 38 du même code que de la correction de leur inscription en comptabilité, c'est-à-dire du principe même de leur déductibilité. Le contribuable apporte cette justification par la production de tous éléments suffisamment précis portant sur la nature de la charge en cause, ainsi que sur l'existence et la valeur de la contrepartie qu'il en a retirée. Dans l'hypothèse où le contribuable s'acquitte de cette obligation, il incombe ensuite à l'administration, si elle s'y croit fondée, d'apporter la preuve de ce que la charge en cause n'est pas déductible par nature, qu'elle est dépourvue de contrepartie, qu'elle a une contrepartie dépourvue d'intérêt pour le contribuable ou que la rémunération de cette contrepartie est excessive. En vertu de ces principes, lorsqu'une entreprise a déduit une dépense réellement supportée, conformément à une facture régulière relative à un achat de prestations ou de biens dont la déductibilité par nature n'est pas contestée par l'administration, celle-ci peut demander à l'entreprise qu'elle lui fournisse tous éléments d'information en sa possession susceptibles de justifier la réalité et la valeur des prestations ou biens ainsi acquis.
11. Pour les mêmes motifs exposés que ceux exposés au point 10, la société requérante n'apportant aucune justification utile sur la réalité de ces prestations, l'administration est ainsi fondée à soutenir que les factures produites ne correspondaient pas à des prestations réelles d'assistance réalisées par la société GMVM Services.
En ce qui concerne les honoraires versés à la société de droit suisse " Fidiciary et Trust Associates " :
12. La société requérante ne produit pas de contrat cosigné par la société de droit suisse qui la lierait à celle-ci pour les prestations dont elle prétend déduire le coût. Elle n'est donc pas fondée à demander que soit déduit de son résultat imposable le montant de cette facture rédigée en termes très généraux.
Sur l'appel incident du ministre de l'action et des comptes publics :
13. Par la voie de l'appel incident, le ministre de l'action et des comptes publics conteste l'article 2 du jugement attaqué par lequel la société Escures Services est déchargée du rappel de taxe sur la valeur ajoutée à laquelle elle a été assujettie au titre de l'année 2012, et des pénalités correspondantes, à hauteur de la différence résultant de l'application du forfait de 4 570 euros hors taxes aux prestations facturées entre le 1er août 2012 et le 30 novembre 2012 par les sociétés Gemavi Services et Gemaes Services. Il soutient, sans être contredit par la société requérante, que la taxe sur la valeur ajoutée afférente aux prestations de ces deux sociétés n'a pas été mise en recouvrement à la suite de l'avis de la commission départementale des impôts directs et des taxes sur le chiffre d'affaires. Il suit de là que c'est à tort que, par l'article 2 du jugement, le tribunal administratif a déchargé, en droits et pénalités, la SARL Escures Services de ce rappel de taxe sur la valeur ajoutée.
14. Il résulte de tout ce qui précède que la SARL Escures Services n'est pas fondée à demander, par la voie de l'appel principal, la réformation du jugement attaqué. En revanche, le ministre de l'action et des comptes publics est fondé à demander, par la voie de l'appel incident, l'annulation de l'article 2 du jugement attaqué. Par voie de conséquence, les conclusions de la SARL Escures Services relatives aux frais liés au litige doivent être rejetées.
D E C I D E :
Article 1er : La requête de la SARL Escures Services est rejetée.
Article 2 : L'article 2 du jugement du tribunal administratif de Caen du 14 septembre 2018 est annulé.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à la société à responsabilité limitée Escures Services et au ministre des comptes publics.
Délibéré après l'audience du 8 octobre 2020, à laquelle siégeaient :
- M. Bataille, président de chambre,
- M. A..., président assesseur,
- M. Brasnu, premier conseiller.
Lu en audience publique le 22 octobre 2020.
Le rapporteur,
J.-E. A...Le président,
F. Bataille
La greffière,
A. Rivoal
La République mande et ordonne au ministre des comptes publics, en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 18NT04048