Par une requête, enregistrée le 30 mars 2020, Mme C..., représentée par Me E..., demande à la cour :
1°) d'annuler le jugement du tribunal administratif de Nantes du 26 février 2020 ;
2°) d'annuler la décision contestée ;
3°) d'enjoindre au ministre de l'intérieur de lui délivrer un visa de long séjour dans un délai de cinq jours à compter de la notification de l'arrêt à intervenir, sous astreinte de 25 euros par jour de retard ou, à défaut, lui enjoindre de procéder au réexamen de sa demande dans les mêmes conditions de délai et d'astreinte ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- il n'est pas établi que la minute du jugement attaqué soit signée conformément aux dispositions de l'article R. 741-7 du code de justice administrative ;
- en procédant d'office à une substitution de base légale, sans mettre les parties à même de présenter des observations, les premiers juges ont méconnu le principe du contradictoire ;
- en se fondant sur un moyen relevé d'office sans mettre les parties à même de présenter des observations et alors que ce moyen ne revêt pas un caractère d'ordre public, les premiers juges ont entaché leur décision d'irrégularité ;
- en l'absence de compte-rendu de délibération, il n'est pas possible de s'assurer que la décision implicite a été prise par une autorité compétente et au terme d'une procédure régulière au regard des dispositions de l'article D. 211-7 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et de l'article 1er de l'arrêté du 4 décembre 2009 relatif aux modalités de fonctionnement de la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France ;
- la motivation en droit contenue dans le courrier par lequel le président de la commission a communiqué les motifs de la décision implicite est abstraite et ne permet pas d'utilement contester cette décision tandis que le motif que le ministre de l'intérieur a demandé au tribunal de substituer au motif initialement retenu n'est pas assorti de précisions quant aux dispositions légales sur lesquelles il repose ;
- aucune disposition du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile n'impose au demandeur de visa de produire des documents permettant d'établir l'absence de risque de détournement de l'objet du visa de sorte que le motif que le tribunal a accepté de substituer est dépourvu de base légale ;
- le risque de détournement de l'objet du visa ne peut légalement fonder un refus opposé à une demande de visa de long séjour dès lors qu'un tel visa a précisément pour objet de permettre à son titulaire de s'installer durablement sur le territoire français ;
- le motif tiré du risque de détournement de l'objet du visa est entaché d'erreur manifeste d'appréciation.
Par un mémoire en défense, enregistré le 26 mai 2020, le ministre de l'intérieur conclut au rejet de la requête.
Il indique s'en rapporter à ses écritures de première instance.
Vu :
- les autres pièces du dossier ;
Vu :
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le code de justice administrative.
Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme D...,
- et les observations de Me E..., représentant Mme C....
Considérant ce qui suit :
1. Mme C..., ressortissante syrienne née en 1992, a sollicité la délivrance d'un visa de long séjour en vue de suivre une formation linguistique à Paris du 7 janvier 2019 au 7 janvier 2020. Les autorités consulaires françaises en poste à Beyrouth ont rejeté sa demande le 22 mars 2019. Le recours préalable formé contre ce refus de visa a été implicitement rejeté par la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France. Mme C... relève appel du jugement du 26 février 2020 par lequel le tribunal administratif de Nantes a rejeté sa demande tendant à l'annulation de cette décision implicite.
Sur les conclusions à fin d'annulation :
2. En vertu de l'article L. 211-2-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, tout étranger souhaitant entrer en France en vue d'y séjourner pour une durée supérieure à trois mois doit solliciter auprès des autorités diplomatiques et consulaires françaises un visa de long séjour. Les autorités françaises disposent d'un large pouvoir d'appréciation et peuvent se fonder pour refuser de délivrer un visa non seulement sur des motifs tenant à l'ordre public, mais sur toute considération d'intérêt général.
3. Il ressort du courrier que le président de la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a adressé à Mme C... en réponse à sa demande de communication des motifs de la décision implicite en litige que la commission s'est fondée sur la circonstance que les cours avaient débuté le 7 janvier 2019 et que le recours, introduit postérieurement à cette date, avait perdu son objet. Un tel motif est erroné ainsi que le reconnaît le ministre de l'intérieur. Ce dernier a demandé au tribunal que lui soit substitué le motif tiré de l'existence d'un risque de détournement de l'objet du visa à des fins migratoires.
4. Pour démontrer la réalité du risque de détournement, le ministre de l'intérieur fait valoir que Mme C..., dont une soeur est établie en Suisse, est célibataire et âgée de 28 ans. Il fait également état de deux précédentes demandes de visa que la requérante aurait présentées en 2015 et 2017 auprès de deux postes consulaires suisses différents. Toutefois, d'une part, il ressort des pièces du dossier que Mme C... a la majorité de ses attaches familiales en Syrie où résident ses parents et ses deux frères. Elle exerce dans ce pays une activité de styliste après avoir été diplômée d'une école française dédiée aux métiers de la mode (ESMOD) et dont une antenne est située à Beyrouth. Dans le prolongement de ce parcours académique et professionnel, la requérante indique souhaiter parfaire sa maîtrise de la langue française, langue de travail dans le secteur de la mode, et participer à divers ateliers et manifestations organisés par l'école ESMOD à Paris et qui lui sont ouverts en sa qualité d'ancienne étudiante de l'école ESMOD Beyrouth. D'autre part, si la requérante reconnaît que les demandes de visa que ses parents et elle-même ont présentées en vue de rejoindre sa soeur, titulaire du statut de réfugié en Suisse, ont été rejetées par les autorités helvétiques en 2015, elle précise, sans être contredite, qu'elle a elle-même pris l'initiative de retirer sa deuxième demande de visa présentée en 2017. Enfin, la circonstance que les deux demandes ci-dessus mentionnées ait été déposées, pour l'une, à Istanbul et, pour l'autre, à Beyrouth, ne constitue pas, en l'espèce, un indice de détournement. Au regard de l'ensemble de ces circonstances, le motif tiré du risque de détournement de l'objet du visa à des fins migratoires que le tribunal a accepté de substituer au motif initial de la décision contestée est, en tout état de cause, entaché d'erreur manifeste d'appréciation et n'est, par suite, pas de nature à fonder légalement la décision en litige.
5. Il résulte de ce qui précède, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur les autres moyens de la requête, que Mme C... est fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Nantes a rejeté sa demande.
Sur les conclusions aux fins d'injonction et d'astreinte :
6. Eu égard à ses motifs, le présent arrêt implique seulement le réexamen de la demande de visa de Mme C.... Il y a lieu d'enjoindre au ministre de l'intérieur d'y procéder dans un délai de trois mois à compter de la notification du présent arrêt, sans qu'il soit besoin d'assortir cette injonction d'une astreinte.
Sur les frais liés au litige :
7. Il y a lieu, sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, de mettre à la charge de l'Etat la somme de 1 500 euros au titre des frais exposés par Mme C... et non compris dans les dépens.
D E C I D E:
Article 1er : Le jugement du tribunal administratif de Nantes du 26 février 2020 et la décision implicite de la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France sont annulés.
Article 2 : Il est enjoint au ministre de l'intérieur de réexaminer la demande de visa de Mme C... dans le délai de trois mois à compter de la notification du présent arrêt.
Article 3 : L'Etat versera à Mme C... la somme de 1 500 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.
Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à Mme A... C... et au ministre de l'intérieur.
Délibéré après l'audience du 8 décembre 2020, à laquelle siégeaient :
- M. Pérez, président de chambre,
- Mme B..., présidente-assesseur,
- Mme D..., premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe, le 8 janvier 2021.
Le rapporteur,
K. D...
Le président,
A. PEREZLe greffier,
K. BOURON
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 20NT01145