Par une requête et un mémoire, enregistrés le 16 mai 2019 et le 27 février 2020, la commune de Landunvez, représentée par la Selarl Le Roy, Gourvennec, Prieur, demande à la cour :
1°) d'annuler le jugement du tribunal administratif de Rennes du 15 mars 2019 en tant qu'il l'a condamnée à verser à Mme D... la somme de 86 921,84 euros, majorée des intérêts au taux légal à compter du 29 juin 2016 et de leur capitalisation ;
2°) de rejeter la demande indemnitaire présentée par Mme D... devant le tribunal administratif de Rennes ;
3°) de mettre à la charge de Mme D... une somme de 4 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- c'est à tort que le tribunal a considéré que la délivrance d'un certificat d'urbanisme positif était fautive dès lors que ce certificat était conforme à la jurisprudence existante à la date à laquelle il est intervenu ;
- pour évaluer le préjudice lié à la valeur vénale de la parcelle, il convient de tenir compte de sa situation exceptionnelle et de sa possible valorisation en terrain de loisirs ;
- le préjudice lié aux frais d'acquisition ne pouvait donner lieu à condamnation dès lors que, faute d'éléments permettant d'évaluer les frais de même de nature qui auraient été exposés pour l'acquisition d'un terrain non constructible, il n'est pas possible de calculer la différence entre les premiers et les seconds, seule cette différence étant indemnisable ;
- en s'abstenant de tenir compte de la possibilité de remboursement anticipé de l'emprunt bancaire contracté par Mme D..., laquelle n'a pas précisé devant le tribunal les sommes effectivement exposées entre la souscription de l'emprunt et l'intervention du jugement, les premiers juges ont mal évalué le préjudice lié aux frais financiers ;
- il convient, en outre, de diminuer l'indemnisation des intérêts d'emprunt que Mme D... aurait dû acquitter pour l'acquisition d'un terrain de loisirs.
Par un mémoire en défense, enregistré le 7 août 2019, Mme D... demande à la cour :
1°) de rejeter la requête ;
2°) par la voie de l'appel incident, de porter la somme à laquelle la commune de Landunvez a été condamnée à 108 828,99 euros, avec intérêts au taux légal et capitalisation ;
3°) de mettre à la charge de la commune de Landunvez une somme de 5 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle fait valoir que :
- la requête est irrecevable dès lors que le maire n'avait pas qualité pour l'introduire ;
- les moyens soulevés par la commune de Landunvez ne sont pas fondés ;
- le tribunal a insuffisamment évalué son préjudice moral, lequel doit être estimé à au moins 20 000 euros.
Un mémoire, enregistré le 18 novembre 2020, a été produit par Mme D... en réponse à la demande d'éléments et de pièces qui lui a été adressée sur le fondement de l'article R. 613-1-1 du code de justice administrative.
Vu :
- les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code général des collectivités territoriales ;
- le code de l'urbanisme ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le président de la cour a désigné Mme B..., présidente assesseur, pour présider les formations de jugement en cas d'absence ou d'empêchement de M. Pérez, président de la 2ème chambre, en application de l'article R. 222-26 du code de justice administrative.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme E...,
- les conclusions de M. Giraud, rapporteur public,
- et les observations de Me G..., substituant Mes Prieur et Le Theo, représentant la commune de Landunvez.
Considérant ce qui suit :
1. Mme D... a acquis, le 16 février 2010, un terrain cadastré G n° 974 situé au lieudit Penfoul sur le territoire de la commune de Landunvez (Finistère). Par un arrêté du 24 mars 2016, le maire de cette commune a refusé de lui délivrer un permis de construire sur ce terrain une maison individuelle d'habitation au motif que ce projet constituait une extension de l'urbanisation ne se situant pas en continuité d'une agglomération ou d'un village existant et méconnaissait ainsi les dispositions de l'article L. 121-8 du code de l'urbanisme. Mme D... a demandé au tribunal administratif de Rennes, d'une part, d'annuler l'arrêté du 24 mars 2016 et, d'autre part, de condamner la commune de Landunvez à lui verser la somme de 108 828,99 euros en réparation des préjudices qu'elle estime avoir subis du fait de divers autorisations et renseignements délivrés par la commune et du classement illégal de son terrain en zone constructible. Par un jugement du 15 mars 2019, le tribunal administratif de Rennes a rejeté sa demande tendant à l'annulation de l'arrêté du 24 mars 2016 et partiellement fait droit à sa demande indemnitaire en condamnant la commune de Landunvez à lui verser la somme de 86 921,84 euros, cette somme étant assortie des intérêts légaux capitalisés. La commune de Landunvez relève appel du jugement du 15 mars 2019 en tant qu'il l'a condamnée à verser la somme de 86 921,84 euros à Mme D.... Cette dernière demande à la cour, par la voie de l'appel incident, de porter la somme que la commune a été condamnée à lui verser à 108 828,99 euros.
Sur la recevabilité de la requête d'appel :
2. Aux termes des dispositions de l'article L. 2132-1 du code général des collectivités territoriales : " Sous réserve des dispositions du 16° de l'article L. 2122-22, le conseil municipal délibère sur les actions à intenter au nom de la commune. ". L'article L. 2122-22 de ce code dispose : " Le maire peut, en outre, par délégation du conseil municipal, être chargé, en tout ou partie, et pour la durée de son mandat : / (...) / 16° D'intenter au nom de la commune les actions en justice ou de défendre la commune dans les actions intentées contre elle, dans les cas définis par le conseil municipal, (...) ". Enfin, aux termes de l'article L. 2132-2 du même code : " Le maire, en vertu de la délibération du conseil municipal, représente la commune en justice. "
3. Par une délibération D. n° 14042231 du 22 avril 2014, le conseil municipal de Landunvez a décidé de confier au maire, pour la durée de son mandat, délégation pour " intenter au nom de la commune les actions en justice ou de défendre la commune dans toutes les actions intentées contre elle, tant en demande qu'en défense et devant toutes les juridictions ".
4. D'une part, l'extrait du registre des délibérations indique que le conseil municipal qui s'est réuni le 22 avril 2014 a été convoqué et présidé par M. C... alors pourtant que ce dernier n'était plus, à cette date, le maire en exercice. Toutefois, ces mentions constituent une simple erreur matérielle sans incidence sur la régularité de la délibération du 22 avril 2014.
5. D'autre part, la délibération considérée précise les cas dans lesquels le conseil municipal a entendu donner délégation au maire sur le fondement des dispositions précitées du 16° de l'article L. 2122-22 du code général des collectivités territoriales en visant notamment les actions en justice " devant toutes les juridictions ", " tant en demande qu'en défense ". Contrairement à ce que fait valoir Mme D..., le conseil municipal pouvait légalement donner au maire une telle délégation générale pour ester en justice au nom de la commune pendant la durée de son mandat.
6. Il suit de là que la fin de non-recevoir opposée par Mme D... et tirée du défaut de qualité du maire pour relever, au nom de la commune, appel du jugement du tribunal administratif de Rennes du 15 mars 2019 doit être écartée.
Sur les conclusions à fin d'indemnisation :
En ce qui concerne le principe de responsabilité :
7. Il résulte de l'instruction que par un certificat d'urbanisme du 8 février 2010, délivré sur le fondement des dispositions du b de l'article L. 410-1 du code de l'urbanisme, le maire de Landunvez a déclaré réalisable l'opération consistant à construire une maison individuelle d'habitation sur la parcelle cadastrée G n° 974 que Mme D... a acquise le 16 février 2010. Ce certificat d'urbanisme, qui a été annexé à l'acte de vente, ne comportait aucune mention des dispositions particulières au littoral, notamment celles du I de l'article L. 146-4 reprises à l'article L. 121-8 du code de l'urbanisme, ni n'émettait la moindre réserve liée aux contraintes d'inconstructibilité résultant de la loi d'aménagement et d'urbanisme du 3 janvier 1986 dite " loi littoral ". Par ailleurs, par un arrêté du 2 mars 2009, le maire de la commune ne s'est pas opposé à la déclaration préalable portant sur la division en deux lots de la parcelle G n° 873, dont est issue le terrain acquis par Mme D... en 2010 sans davantage se référer à ces servitudes particulières, se bornant à assortir sa décision de non-opposition de prescriptions tenant à ce que les constructions soient aménagées dans la partie du terrain classée en zone UHc et à l'aménagement d'une aire de retournement. Le tribunal administratif de Rennes a considéré qu'en prenant les deux arrêtés mentionnés ci-dessus, les services de l'urbanisme de la commune de Landunvez, " en estimant que le terrain qui allait être acquis par Mme D... était constructible alors qu'il ne l'était pas, ont commis une faute de nature à engager la responsabilité de la commune ".
8. La commune de Landunvez soutient que la délivrance du certificat d'urbanisme positif du 8 février 2010 ne saurait être fautive dès lors qu'à cette date, l'état de la jurisprudence permettait de regarder le terrain de Mme D... comme situé en continuité d'une agglomération ou d'un village existant au sens des dispositions du I de l'article L. 146-4 reprises à l'article L. 121-8 du code de l'urbanisme.
9. Toutefois, d'une part, la décision n° 329186 du Conseil d'Etat du 31 mars 2017, dont se prévaut la commune requérante, n'a pas créé de règle nouvelle dans l'appréciation des extensions de l'urbanisation en continuité d'une agglomération ou d'un village existant. D'autre part, et en tout état de cause, il appartient en principe au juge administratif de faire application de la règle nouvelle à l'ensemble des litiges, quelle que soit la date des faits qui leur ont donné naissance. L'application rétroactive d'une jurisprudence nouvelle, qui ne comporte pas de réserve relative à son application dans le temps, n'est que l'effet des voies normales de recours au juge. La commune de Landunvez n'est ainsi pas fondée à soutenir que sa responsabilité ne saurait être engagée au motif que l'appréciation plus rigoureuse des dispositions particulières au littoral résulterait d'une jurisprudence postérieure au certificat d'urbanisme.
En ce qui concerne les préjudices :
10. Eu égard aux conditions dans lesquelles est intervenu l'achat par Mme D... du terrain non constructible, les préjudices correspondant à la différence entre la valeur réelle de cette propriété et les coûts exposés pour son acquisition en vue d'y construire, y compris les frais d'acte et les frais financiers y afférents, doivent être regardés comme directement liés à l'illégalité fautive commise.
11. En premier lieu, Mme D... a acquis la parcelle cadastrée G n° 974 moyennant le prix de 70 000 euros et s'est, en outre, acquittée de la somme de 5 107,17 euros au titre des frais d'acte notarié. Il résulte de l'instruction que le terrain de Mme D... n'est pas constructible ni ne peut être aménagé en terrain de camping. Le stationnement isolé de caravanes pour une durée inférieure à trois mois y est toutefois autorisé. Eu égard à son état, son environnement et sa situation par rapport au rivage, il doit être valorisé en tant que terrain d'agrément non constructible. L'attestation notariée établie le 18 juillet 2019 et produite par Mme D... indique que, en tant que terrain de loisirs, la parcelle de Mme D... aurait pu être vendue moyennant un prix de 5 000 euros auquel s'ajoute une somme de 1 000 euros de " frais de notaire ". Ainsi, il y a lieu de fixer la réparation due à Mme D..., au titre de la valeur réelle de sa propriété et des frais d'acte inutilement exposés, à la somme de 69 107,17 euros.
12. En deuxième lieu, il résulte de l'instruction que Mme D... a, le 15 décembre 2009, accepté une offre de prêt portant sur une durée de dix ans. Cette offre fait état d'un coût total de crédit de 12 268,94 euros, incluant les frais de garantie et une commission d'ouverture de crédit. Invitée par la cour à justifier des frais financiers qu'elle a effectivement supportés, Mme D... a indiqué que son emprunt bancaire a été, de manière anticipée, entièrement remboursé le 9 juin 2015 et s'est prévalue d'un coût de crédit du même montant que celui apparaissant sur l'offre de prêt. Toutefois, si l'attestation du 6 avril 2018, établie par la chargée de clientèle de sa banque, mentionne également ce même montant, les termes dans lesquels elle est rédigée ne permettent pas de considérer que la somme de 12 268,94 euros, qui correspond au coût initial du crédit souscrit le 15 décembre 2009 selon les modalités prévues par l'offre de prêt ci-dessus mentionnée, aurait effectivement été payée par Mme D..., en dépit du remboursement anticipé de son emprunt. Dans ces conditions, au vu du tableau d'amortissement initial du prêt et du courrier du 12 février 2020 faisant état d'une première échéance fixée au 28 février 2010, il y a lieu de fixer le préjudice au titre des frais financiers inutilement exposés à la somme de 8 757,73 euros.
13. En troisième lieu, en l'absence de circonstances particulières, il sera fait une juste appréciation du préjudice moral subi par Mme D... en la fixant à 500 euros.
14. En dernier lieu, Mme D... n'établit pas davantage en appel qu'en première instance avoir effectivement supporté le coût de travaux de terrassement dont elle demande l'indemnisation. La réalité du préjudice invoqué n'est ainsi pas établie.
15. Il résulte de tout ce qui précède que Mme D... n'est pas fondée à demander, par la voie de l'appel incident, la réformation du jugement attaqué. En revanche, il y a lieu d'accueillir partiellement l'appel principal formé par la commune de Landunvez en ramenant la somme que la commune de Landunvez a été condamnée à verser à Mme D... à 78 364,90 euros.
En ce qui concerne les intérêts et la capitalisation des intérêts :
16. Mme D... a droit aux intérêts au taux légal sur la somme mentionnée au point précédent à compter du 29 juin 2016, date de réception de sa demande préalable par la commune de Landunvez.
17. La capitalisation des intérêts peut être demandée à tout moment devant le juge du fond, même si, à cette date, les intérêts sont dus depuis moins d'une année. En ce cas, cette demande ne prend toutefois effet qu'à la date à laquelle, pour la première fois, les intérêts sont dus pour une année entière. La capitalisation des intérêts a été demandée le 26 octobre 2016. Il y a lieu de faire droit à cette demande à compter du 29 juin 2017, date à laquelle était due, pour la première fois, une année d'intérêts, ainsi qu'à chaque échéance annuelle à compter de cette date.
Sur les frais liés au litige :
18. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de la commune de Landunvez une somme au titre des frais exposés par la commune et non compris dans les dépens. Dans les circonstances de l'espèce, il n'y a pas lieu de faire droit aux conclusions présentées par la commune de Landunvez au titre des frais de même nature qu'elle a supportés.
D E C I D E :
Article 1er : La commune de Landunvez est condamnée à verser à Mme D... la somme de 78 364,90 euros.
Article 2 : La somme mentionnée à l'article 1er portera intérêt au taux légal à compter du 29 juin 2016. Les intérêts échus à la date du 29 juin 2017 seront capitalisés à cette date et à chaque échéance annuelle ultérieure pour produire eux-mêmes intérêts.
Article 3 : Le jugement du tribunal administratif de Rennes du 15 mars 2019 est réformé en ce qu'il a de contraire au présent arrêt.
Article 4 : Le surplus de la requête de la commune de Landunvez ainsi que les conclusions de Mme D... présentées par la voie de l'appel incident et sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetés.
Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à la commune de Landunvez et à Mme F... D....
Délibéré après l'audience du 24 novembre 2020, à laquelle siégeaient :
- Mme B..., présidente de la formation de jugement en application de l'article R. 222-26 du code de justice administrative,
- M. A...'hirondel, premier conseiller,
- Mme E..., premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe, le 11 décembre 2020.
Le rapporteur,
K. E...
La présidente,
H. B...
Le greffier,
A. BRISSET
La République mande et ordonne au préfet du Finistère en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 19NT01856