Procédure devant la cour :
Par une requête, enregistrée le 5 février 2020, et un mémoire enregistré le 12 octobre 2020, le ministre de l'intérieur demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Nantes du 10 janvier 2020 ;
2°) de rejeter la demande présentée par Mme E... présentée devant le tribunal administratif de Nantes.
Le ministre soutient que :
- contrairement à ce qu'a jugé le tribunal administratif de Nantes, la décision litigieuse n'est pas entachée d'erreur manifeste d'appréciation ; Mme E... n'a pas fixé le centre de ses attaches familiales et matérielles en France ; ses enfants résident au Ghana avec leur père ; les autres membres de sa famille, à l'exception d'une soeur, résident au Gabon ; elle ne justifie pas d'une insertion professionnelle stable ;
- les autres moyens soulevés par Mme E... en première instance tirés de l'insuffisance de motivation, du défaut d'examen de sa situation et de l'absence de base légale n'étaient pas fondés.
Par des mémoires en défense, enregistrés le 10 juillet et le 5 octobre 2020, Mme E..., représentée par Me C..., conclut :
1°) au rejet de la requête ;
2°) à ce qu'il soit enjoint au ministre de l'intérieur de réexaminer la demande de naturalisation dans un délai de trois mois à compter de la notification de l'arrêt à intervenir.
Elle soutient que :
- les moyens soulevés par le ministre de l'intérieur ne sont pas fondés ;
- la décision en litige n'a pas été précédée d'un examen approfondi et est entachée d'insuffisance de motivation, de défaut de base légale et d'erreur manifeste d'appréciation.
Mme E... a été admise au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 22 juin 2020.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code civil ;
- le décret n° 93-1362 du 30 décembre modifié ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le code de justice administrative.
Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le rapport de Mme B... a été entendu au cours de l'audience publique.
Considérant ce qui suit :
1. Le ministre de l'intérieur relève appel du jugement du 10 janvier 2020 par lequel le tribunal administratif de Nantes a annulé, à la demande de Mme E..., sa décision du 23 février 2017 rejetant la demande de naturalisation de cette dernière.
Sur la légalité de la décision du ministre de l'intérieur du 23 février 2017 :
En ce qui concerne le moyen d'annulation retenu par les premiers juges :
2. Aux termes de l'article 21-15 du code civil : " Hors le cas prévu à l'article 21-14-1, l'acquisition de la nationalité française par décision de l'autorité publique résulte d'une naturalisation accordée par décret à la demande de l'étranger ". Aux termes de l'article 48 du décret du 30 décembre 1993 relatif aux déclarations de nationalité, aux décisions de naturalisation, de réintégration, de perte, de déchéance et de retrait de la nationalité française : " Si le ministre chargé des naturalisations estime qu'il n'y a pas lieu d'accorder la naturalisation ou la réintégration dans la nationalité sollicitée, il prononce le rejet de la demande. Il peut également en prononcer l'ajournement en imposant un délai ou des conditions ".
3. Aux termes de l'article 21-16 du même code : " Nul ne peut être naturalisé s'il n'a en France sa résidence au moment de la signature du décret de naturalisation ". Ces dispositions imposent à tout candidat à l'acquisition de la nationalité française de résider en France et d'y avoir fixé durablement le centre de ses intérêts familiaux et matériels à la date à laquelle il est statué sur sa demande. Pour apprécier si cette dernière condition est remplie, l'administration peut notamment se fonder, sous le contrôle du juge, sur la durée de la présence du demandeur sur le territoire français, sur sa situation familiale, ainsi que sur le caractère suffisant et durable des ressources qui lui permettent de demeurer en France. Le ministre auquel il appartient de porter une appréciation sur l'opportunité d'accorder la nationalité française à l'étranger qui la sollicite peut légalement, dans le cadre de cet examen d'opportunité, tenir compte de toutes les circonstances de l'affaire, y compris de celles qui ont été examinées pour statuer sur la recevabilité de la demande.
4. Pour rejeter la demande de naturalisation de Mme E..., le ministre de l'intérieur s'est fondé sur la circonstance que les trois enfants mineurs de l'intéressée, nés respectivement les 3 juillet 2005, 5 juillet 2008 et 2 juin 2011, résident à l'étranger.
5. Il est constant que les trois enfants mineurs de Mme E..., qui vivaient avec leur père, séparé de Mme E..., résidaient à la date de la décision du ministre de l'intérieur au Ghana, où ils étaient tous scolarisés. Les circonstances exposées dans le recours préalable en date du 13 décembre 2016 ne démontraient pas, contrairement à ce que soutient Mme E..., que l'installation de ses enfants à l'étranger avait un caractère temporaire. Dès lors, nonobstant la circonstance que ces enfants soient ressortissants français et aient vécu en France jusqu'en septembre 2016, Mme E... n'établissait pas à la date de la décision attaquée avoir fixé le centre de ses intérêts familiaux en France. Dans ces conditions, le ministre, qui dispose d'un large pouvoir pour apprécier l'opportunité d'accorder la nationalité française à l'étranger qui la sollicite, a pu, sans commettre d'erreur manifeste d'appréciation, rejeter pour le motif précité la demande de naturalisation de Mme E.... Ainsi le ministre de l'intérieur est fondé à soutenir que c'est à tort que le tribunal administratif a retenu ce moyen pour annuler la décision du 23 février 2017 rejetant la demande de naturalisation de Mme E....
6. Il appartient toutefois à la cour, saisie de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens soulevés par Mme E... tant devant le tribunal que devant la cour.
En ce qui concerne les autres moyens invoqués par Mme E... :
7. En premier lieu, aux termes de l'article 27 du code civil : " Toute décision déclarant irrecevable, ajournant ou rejetant une demande d'acquisition, de naturalisation ou de réintégration par décret ainsi qu'une autorisation de perdre la nationalité française doit être motivée. ". Il ressort des pièces du dossier que la décision attaquée a été prise, sur le fondement des articles 45 et 48 du décret n° 93-1362 du 30 décembre 1993 susvisé, pour le motif énoncé au point 4. Elle comporte ainsi les considérations de fait et de droit qui en constituent le fondement.
8. En deuxième lieu, il ressort des pièces du dossier que le ministre chargé des naturalisations a procédé à un examen particulier de la situation de Mme E.... La circonstance que la décision en litige ne fasse pas référence aux années de présence en France et à la situation personnelle de l'intéressée ne saurait, en tout état de cause, caractériser un défaut d'examen particulier de sa demande.
9. En troisième lieu, la décision litigieuse, fondée sur les dispositions du décret du 30 décembre 1993, n'est pas entachée d'un défaut de base légale.
10. Il résulte de tout ce qui précède que le ministre de l'intérieur est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Nantes a annulé la décision du 23 février 2017.
Sur les conclusions à fin d'injonction :
11. Le rejet des conclusions à fin d'annulation n'appelle aucune mesure particulière d'exécution. Les conclusions à fin d'injonction présentées par Mme E... doivent par suite être rejetées.
DECIDE :
Article 1er : Le jugement du tribunal administratif de Nantes du 10 janvier 2020 est annulé.
Article 2 : La demande présentée par Mme E... devant le tribunal administratif de Nantes est rejetée.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié au ministre de l'intérieur et à Mme D... E....
Délibéré après l'audience du 20 octobre 2020 à laquelle siégeaient :
- M. Couvert-Castéra, président de la cour,
- Mme B..., présidente assesseur,
- M. A...'hirondel, premier conseiller.
Lu en audience publique, le 17 novembre 2020.
Le rapporteur,
H. B...
Le président,
O. COUVERT-CASTÉRA
Le greffier,
A. BRISSET
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 20NT00397