Procédure devant la cour :
Par une requête et un mémoire, enregistrés le 12 novembre 2019 et le 7 janvier 2020, le ministre de l'intérieur demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Nantes du 29 octobre 2019 ;
2°) de rejeter la demande présentée par Mme H... devant le tribunal administratif de Nantes.
Il soutient que :
contrairement à ce qu'a jugé le tribunal administratif de Nantes, la décision litigieuse n'est pas entachée d'une erreur manifeste d'appréciation dès lors qu'à la date de la décision en litige, l'insertion professionnelle de Mme H... était en cours et qu'elle ne disposait pas d'une autonomie matérielle suffisante, sans que puissent être pris en compte les revenus de son mari eu égard au caractère récent de leur mariage ;
les autres moyens invoqués par Mme H... en première instance ne sont pas fondés.
Par des mémoires en défense, enregistrés le 19 décembre 2019 et le 14 janvier 2020, Mme I..., représentée par Me G..., conclut au rejet de la requête, qu'il soit enjoint, si besoin sous astreinte, au ministre de faire droit à sa demande de naturalisation et ce qu'il soit mis à la charge de l'Etat le versement de la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient qu'aucun moyen de la requête n'est fondé et reprend, en appel, les moyens invoqués en première instance.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
le code civil ;
le code des relations entre le public et l'administration ;
le décret n°93-1362 du 30 décembre 1993 modifié ;
le code de justice administrative.
Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendu au cours de l'audience publique :
le rapport de M. A...'hirondel,
et les observations de Mme D..., représentant le ministre de l'intérieur.
Considérant ce qui suit :
1. Mme H..., ressortissante capverdienne, née le 7 août 1983, est entrée en France le 4 avril 2004. Elle a sollicité l'acquisition de la nationalité française par décision de l'autorité publique auprès du préfet de la Haute-Garonne, qui a rejeté sa demande par une décision du 20 octobre 2016. Saisi d'un recours hiérarchique formé le 1er mars 2017, le ministre de l'intérieur a rejeté ce recours par une décision du 16 mars 2017. Le ministre relève appel du jugement du 29 octobre 2019 par lequel le tribunal administratif de Nantes a annulé, à la demande de Mme H..., cette dernière décision.
Sur le moyen d'annulation retenu par les premiers juges :
2. Aux termes de l'article 21-15 du code civil : " Hors le cas prévu à l'article 21-14-1, l'acquisition de la nationalité française par décision de l'autorité publique résulte d'une naturalisation accordée par décret à la demande de l'étranger ". Aux termes de l'article 48 du décret du 30 décembre 1993 dans sa rédaction alors applicable : " (...) Si le ministre chargé des naturalisations estime qu'il n'y a pas lieu d'accorder la naturalisation ou la réintégration sollicitée, il prononce le rejet de la demande. Il peut également en prononcer l'ajournement en imposant un délai ou des conditions. Ce délai une fois expiré ou ces conditions réalisées, il appartient à l'intéressé, s'il le juge opportun, de déposer une nouvelle demande ". L'autorité administrative dispose, en matière de naturalisation ou de réintégration dans la nationalité française, d'un large pouvoir d'appréciation. Elle peut, dans l'exercice de ce pouvoir, prendre en considération notamment, pour apprécier l'intérêt que présenterait l'octroi de la nationalité française, l'intégration de l'intéressé dans la société française, son insertion sociale et professionnelle et le fait qu'il dispose de ressources lui permettant de subvenir durablement à ses besoins en France.
3. Pour ajourner à deux ans la demande de naturalisation présentée par Mme H..., le ministre chargé des naturalisations s'est fondé sur le motif tiré de ce que, à la date de la décision en litige, l'examen du parcours professionnel de la postulante, apprécié dans sa globalité depuis son entrée en France, ne permet pas de considérer qu'elle a réalisé pleinement son insertion professionnelle en l'absence de ressources suffisantes. Il ressort des pièces du dossier qu'à la date de la décision contestée, Mme H... était titulaire d'un contrat de travail à durée déterminée en qualité d'agent d'entretien conclu avec la société Prohygyène de 12 heures 50 hebdomadaire sur la seule période du 4 novembre 2016 au 31 décembre 2016 pour une rémunération horaire brute de 9,94 euros. Par deux avenants des 23 décembre 2016 et 30 décembre 2016, la durée de travail a été portée à 30,5 heures par semaine et le contrat de travail a été prolongée jusqu'au 31 mars 2017. A supposer même qu'elle était parallèlement titulaire d'un emploi familial pour s'occuper de son père malade pour une durée mensuelle de 55 heures, il est constant qu'elle n'a déclaré comme seules ressources que 1 674 euros au titre des revenus de l'année 2013 et 3 220 euros au titre des revenus de l'année 2014. Si elle a épousé le 30 octobre 2015, M. E... B..., le père de ses quatre enfants nés en 2006, 2010 et 2013 (jumeaux), titulaire depuis le 1er octobre 2001 d'un contrat à durée indéterminée, ce dernier a déclaré, au titre des ressources de l'année 2013, 20 220 euros et, au titre de l'années 2014, 20 797 euros. Ces revenus n'apparaissent toutefois pas suffisants pour subvenir aux besoins de la famille de la postulante dès lors que ses ressources ont été complétées par des allocations familiales sous condition de ressources, l'allocation logement délivrée sur critères sociaux et le revenu de solidarité active qu'elle a perçu au moins de janvier 2013 à juin 2015. Si l'intimée a été recrutée par la même société Prohygyène en contrat à durée indéterminée à compter du 1er avril 2017, cette circonstance, postérieure à la décision contestée, est insusceptible d'exercer une influence sur la légalité de cette décision, qui s'apprécie à la date à laquelle elle a été prise. Par suite, c'est sans commettre d'erreur manifeste d'appréciation que le ministre de l'intérieur a ajourné à deux ans la demande de naturalisation de Mme H... pour le motif évoqué plus haut. Il suit de là que le ministre est fondé à soutenir que c'est à tort que les premiers juges se sont fondés sur ce motif pour annuler sa décision du 16 mars 2017.
4. Il appartient toutefois, à la cour, saisie de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens soulevés par Mme H... tant en première instance qu'en appel.
Sur les autres moyens dirigés contre la décision du 16 mars 2017 :
5. Aux termes des dispositions de l'article L. 212-1 du code des relations entre le public et l'administration : " Toute décision prise par une administration comporte la signature de son auteur ainsi que la mention, en caractères lisibles, du prénom, du nom et de la qualité de celui-ci (...) ".
6. La décision du 16 mars 2017 adressée à Mme H... et reçue par cette dernière, ne porte pas mention, en caractères lisibles, du prénom, du nom et de la qualité de l'agent qui l'a signée par délégation du ministre de l'intérieur, de sorte que son auteur ne peut être identifié. L'administration ne produit aucun élément qui serait de nature à établir que l'original de la décision aurait porté les mentions requises par l'article L. 212-1 du code des relations entre le public et l'administration, ce qui ne saurait résulter de la seule ampliation produite.
7. Il résulte de ce qui précède, et sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens de la demande présentée par Mme I... devant le tribunal administratif tirés de l'incompétence de l'auteur de l'acte et du défaut de motivation de la décision contestée, que le ministre de l'intérieur n'est pas fondé à se plaindre de ce que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Nantes a annulé sa décision du 16 mars 2017.
Sur les conclusions à fin d'injonction :
8. Le motif retenu dans le présent arrêt pour annuler la décision contestée du 16 mars 2017 n'implique pas nécessairement que l'administration fasse droit à la demande de naturalisation de l'intéressée. Les conclusions de cette dernière tendant à ce qu'il soit enjoint au ministre de prononcer sa naturalisation doivent dès lors être rejetées. Ce motif implique seulement que l'administration procède à un réexamen de la situation de Mme H..., ce qu'a déjà prescrit le tribunal administratif de Nantes dans le jugement attaqué du 29 octobre 2019. Par suite, il n'y a pas lieu pour la cour de prononcer une nouvelle injonction.
Sur les frais liés au litige :
9. Pour l'application des dispositions de l'article L.761-1 du code de justice administrative, il y a lieu de mettre à la charge de l'Etat la somme de 1 200 euros au titre des frais exposés par Mme H... et non compris dans les dépens.
DÉCIDE :
Article 1er : La requête du ministre de l'intérieur est rejetée.
Article 2 : L'Etat versera à Mme H... la somme de 1 200 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : Le surplus des conclusions de la requête de Mme H... est rejeté.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié au ministre de l'intérieur et à Mme I....
Délibéré après l'audience du 6 octobre 2020, à laquelle siégeaient :
- M. Couvert-Castéra, président de la cour,
- Mme C..., présidente assesseur,
- M. A...'hirondel, premier conseiller.
Lu en audience publique, le 23 octobre 2020.
Le rapporteur,
M. F...Le président,
O. COUVERT-CASTÉRA
Le greffier,
K. BOURON
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 19NT04332