Par une requête, enregistrée le 24 mars 2021, Mme F..., représentée par la Selarl Eden Avocats, demande à la cour :
1°) d'annuler le jugement du tribunal administratif de Nantes du 9 novembre 2020 ;
2°) d'annuler la décision contestée ;
3°) d'enjoindre à l'administration de délivrer le visa sollicité, dans un délai d'un mois à compter de la notification de l'arrêt à intervenir, sous astreinte de 1 000 euros par jour de retard ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat le versement à la Selarl Eden Avocats d'une somme de 2 000 euros A... le fondement des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991 ou, à défaut, de mettre à la charge de l'Etat le versement à son profit d'une somme du même montant.
Elle soutient que :
- l'identité de son fils ainsi que le lien de filiation qui les unit sont établis ;
- le refus de visa opposé à son fils est contraire aux stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- il méconnaît également l'intérêt supérieur de son enfant protégé par les stipulations du paragraphe 1 de l'article 3 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant.
Par un mémoire en défense, enregistré le 12 juin 2021, le ministre de l'intérieur conclut au rejet de la requête.
Il fait valoir que les moyens soulevés par la requérante ne sont pas fondés.
Mme F... a été admise au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 1er avril 2021.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- la convention internationale relative aux droits de l'enfant ;
- le code civil ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le code de justice administrative.
Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, A... sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le rapport de Mme Bougrine a été entendu au cours de l'audience publique.
Considérant ce qui suit :
1. Mme F... relève appel du jugement du 9 novembre 2020 par lequel le tribunal administratif de Nantes a rejeté sa demande tendant à l'annulation de la décision de la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France du 19 février 2020 confirmant le refus opposé à la demande de visa formée, en qualité d'enfant mineur d'une ressortissante française, pour le jeune C... F..., ressortissant guinéen que la requérante présente comme son fils.
A... les conclusions à fin d'annulation :
2. Pour confirmer le refus de visa opposé à la demande du jeune C... F..., la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a estimé, d'une part, que le jugement supplétif d'acte de naissance produit au soutien de la demande ne permettait pas d'établir l'identité du demandeur ni son lien familial avec Mme F... tandis que le passeport de l'intéressé avait été établi A... le fondement d'un acte de naissance autre que celui produit à l'appui de la demande de visa et que deux autres actes de naissance, dont le caractère apocryphe a été reconnu dans un arrêt de la cour administrative d'appel de Nantes, avaient été présentés à l'occasion d'une précédente demande de visa. La commission a, d'autre part, relevé qu'aucun jugement de déchéance de l'autorité parentale n'avait été produit.
3. En premier lieu, il n'appartient pas aux autorités administratives françaises de mettre en doute le bien-fondé d'une décision rendue par une autorité juridictionnelle étrangère, hormis le cas où le jugement produit aurait un caractère frauduleux.
4. Il ressort du jugement supplétif d'acte de naissance n° 11015 du tribunal de première instance de Conakry III - Mafanco du 31 août 2018, ayant fait l'objet d'une légalisation de signature le 28 septembre 2018, que l'enfant C... F... est né le 20 février 2004 à Conakry, de M. E... F... et de Mme D... G... F....
5. D'abord, il ressort de la motivation de la décision contestée que pour estimer que ce jugement supplétif n'était pas authentique, la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France s'est fondée A... sa non-conformité à l'article 175 du code civil guinéen selon lequel " les actes [d'état civil] énonceront l'année, le jour et l'heure où ils seront reçus ; les pronoms et nom de l'Officier d'état civil, les prénoms, noms, professions et domiciles de tous ceux qui y seront dénommés. Les dates et lieux de naissance : / 1. Des père et mère dans les actes de naissance et de reconnaissance ; (...) ". La circonstance, à la supposer avérée et qu'il revient aux autorités judiciaires locales d'apprécier, qu'en ne faisant pas apparaître l'ensemble des informations prévues par ces dispositions, dont l'applicabilité aux jugements supplétifs n'est, au demeurant, pas démontrée, et en se bornant à mentionner la ville de Conakry sans préciser la commune concernée, le tribunal de première instance aurait méconnu cet article ne permet pas, par elle-même, d'établir le caractère frauduleux de son jugement du 31 août 2018. De même, en admettant que, comme le soutient le ministre de l'intérieur, l'article 180 du code civil qui prescrit la clôture des registres en fin d'année civile faisait obstacle à ce que le tribunal de première instance ordonne la transcription de son jugement en marge des registres de l'année 2004, correspondant à l'année de la naissance et non à celle du jugement, une telle irrégularité ne démontre pas la fraude. Ensuite, si le ministre de l'intérieur a versé aux débats un article faisant état d'une pratique répandue, à Mafanco, d'obtention de faux extraits d'acte de naissance ou encore de la délivrance par le service d'état civil de cette même localité, d'actes de naissance relatant des déclarations inexactes, cette circonstance ne saurait faire regarder les décisions de la juridiction de cette même localité comme nécessairement elles-mêmes entachées de fraude. Par ailleurs, le jugement considéré a été rendu à la demande de M. H... F... dont Mme F... établit être la fille. Le ministre de l'intérieur, qui ne démontre pas que la juridiction guinéenne ne pouvait être valablement saisie que par le titulaire de l'autorité parentale, n'établit pas la fraude en soulignant l'absence de jugement de délégation parentale au profit du grand-père maternel du jeune C.... Enfin, s'il est vrai que, dans un arrêt du 26 février 2018, la présente cour, statuant A... la légalité du refus opposé à une précédente demande de visa formée pour le jeune C... F..., a considéré que de nombreuses incohérences et anomalies entachant les documents d'état civil alors produits créaient un doute sérieux A... leur authenticité, cette circonstance ne suffit pas à établir que la démarche au soutien de laquelle le jugement supplétif du 31 août 2018 a été sollicité procéderait d'une intention frauduleuse. Il suit de là qu'en estimant que ce jugement était inauthentique et ne permettait pas d'établir l'identité et la filiation du demandeur de visa, la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a fait une inexacte appréciation des circonstances de l'espèce.
6. En second lieu, aux termes des stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. / 2. Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui ". / Aux termes du paragraphe 1 de l'article 3 de la convention relative aux droits de l'enfant du 26 janvier 1990 : " Dans toutes les décisions qui concernent les enfants, qu'elles soient le fait des institutions publiques ou privées de protection sociale, des tribunaux, des autorités administratives ou des organes législatifs, l'intérêt supérieur de l'enfant doit être une considération primordiale ".
7. Il ressort des pièces du dossier que, avant d'acquérir la nationalité française, Mme F..., entrée en France en 2010, bénéficiait du statut de réfugiée depuis 2011. Elle soutient sans être sérieusement contredite avoir sollicité dès septembre 2012 un rapprochement familial pour son fils, alors confié à son grand-père maternel et, confrontée au silence des autorités consulaires, produit un jugement du tribunal de première instance de Kaloum du 9 avril 2014 reconnaissant la défaillance du père de son fils, dont elle précise qu'il a disparu en 2005. Dans ces circonstances, le refus de visa opposé au jeune C... F... méconnaît l'intérêt supérieur de ce dernier et porte à son droit au respect de sa vie privée et familiale ainsi qu'à celui de sa mère une atteinte disproportionnée aux buts en vue desquels il a été pris.
8. Il résulte de ce qui précède que Mme F... est fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Nantes a rejeté sa demande.
A... les conclusions aux fins d'injonction et d'astreinte :
9. Sous réserve d'un changement de circonstances, l'exécution du présent arrêt implique nécessairement, eu égard aux motifs A... lesquels il se fonde, la délivrance d'un visa de long séjour au jeune C... F.... Il y a lieu d'enjoindre au ministre d'y procéder dans le délai d'un mois à compter de la notification du présent arrêt, sans qu'il soit besoin d'assortir cette injonction d'une astreinte.
A... les frais liés au litige :
10. Mme F... a été admise au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale. Son avocat peut, par suite, se prévaloir des dispositions de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat le versement à la Selarl Eden Avocats de la somme de 1 500 euros.
D E C I D E :
Article 1er : Le jugement du tribunal administratif de Nantes du 9 novembre 2020 et la décision de la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France du 19 février 2020 sont annulés.
Article 2 : Il est enjoint au ministre de l'intérieur de délivrer un visa de long séjour au jeune C... F..., dans le délai d'un mois à compter de la notification du présent arrêt.
Article 3 : L'Etat versera à la Serlarl Eden Avocats la somme de 1 500 euros dans les conditions fixées à l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.
Article 4 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.
Article 5: Le présent arrêt sera notifié à Mme D... G... F... épouse B... et au ministre de l'intérieur.
Délibéré après l'audience du 7 septembre 2021, à laquelle siégeaient :
- M. Pérez, président de chambre,
- Mme Douet, présidente-assesseure,
- Mme Bougrine, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe, le 24 septembre 2021.
La rapporteure,
K. BOUGRINE
Le président,
A. PEREZLa greffière,
K. BOURON
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 21NT00856