Procédure devant la cour :
Par une requête enregistrée le 29 mai 2015, M. C... E..., représenté par Me A..., demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Caen du 27 novembre 2014 ;
2°) d'annuler la décision du 27 janvier 2014 prolongeant son placement à l'isolement pour une durée de trois mois ;
3°) de mettre à la charge de l'État le versement à son conseil, qui renonce à percevoir la part contributive de l'État au titre de l'aide juridictionnelle, d'une somme de 2 800 euros sur le fondement des dispositions combinées des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991.
Il soutient que :
- le sens des conclusions du rapporteur public, mis en ligne la veille de l'audience, qui se bornait à mentionner le rejet de sa demande sans autre motivation, ne répond pas aux exigences de l'article R. 711-3 du code de justice administrative ; que cette circonstance méconnaît le droit à un procès équitable et entache d'irrégularité le jugement attaqué ;
- le jugement est également entaché d'irrégularité en ce qu'il n'est pas signé et en ce qu'il n'est pas suffisamment motivé ;
- l'auteur de la décision, le directeur-adjoint de l'établissement, était incompétent pour décider de la prolongation de son placement ; ce pouvoir qui appartient en propre au seul directeur ne peut faire l'objet d'une délégation ;
- la procédure est irrégulière faute qu'il ait pu être assisté d'un interprète comme le prévoir l'article R 57-7-64 du code de procédure pénale ;
- la décision contestée n'est pas suffisamment motivée ; elle ne fait pas état qu'il s'agit d'une prolongation et ne précise pas en quoi elle était nécessaire au regard de la dangerosité prétendue de son comportement comme le prévoit l'article R57-7-73 du code de procédure pénale ; elle ne prend pas en compte son état de santé ;
- les seuls propos qu'on lui attribue ne démontrent pas sa dangerosité ; il n'est pas fait mention qu'il présente des risques suicidaires, ce qu'indique l'expertise psychiatrique de 2012 ;
- la décision contestée est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation ; les faits reprochés ne sont pas établis.
Par un mémoire en défense enregistré le 10 mars 2017, le garde des sceaux, ministre de la justice conclut au rejet de la requête.
Il fait valoir qu'aucun des moyens soulevés par M. C...E...n'est fondé.
M. C... E...a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 30 mars 2015.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la loi n°79-587 du 11 juillet 1979 ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- la loi n° 2000-321 du 12 avril 2000 ;
- le code de procédure pénale ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Lemoine,
- et les conclusions de M. Giraud, rapporteur public.
1. Considérant que M. C...E..., notamment condamné à 18 ans de réclusion criminelle pour viol commis sous la menace d'une arme, relève appel du jugement du 27 novembre 2014 par lequel le tribunal administratif de Caen a rejeté sa demande tendant à l'annulation de la décision du 27 janvier 2014 prolongeant son placement à l'isolement pour une durée de trois mois au centre pénitentiaire d'Alençon - Condé-sur-Sarthe ;
Sur la régularité du jugement attaqué :
2. Considérant, en premier lieu, qu'il ressort du relevé de l'application Sagace que, préalablement à l'audience qui s'est tenue le 13 novembre 2014, le sens des conclusions du rapporteur public a été porté à la connaissance des parties avec la mention " rejet au fond " ; que le rapporteur public n'était pas tenu, à peine d'irrégularité du jugement, d'indiquer les motifs qui le conduisaient à proposer cette solution de rejet ; que, par suite, M. C...E...n'est pas fondé à soutenir que les dispositions de l'article R. 711-3 du code de justice administrative et que le droit à un procès équitable auraient été méconnus ;
3. Considérant, en deuxième lieu, qu'il ressort des pièces du dossier que la minute du jugement attaqué a été, conformément aux prescriptions de l'article R. 741-7 du code de justice administrative, signée par le président de la formation de jugement, le rapporteur et le greffier d'audience ; que, par suite, le moyen tiré de ce que le jugement serait entaché d'irrégularité au regard de ces dispositions manque en fait et ne peut qu'être écarté ;
4. Considérant, en troisième lieu, que, contrairement à ce que soutient M. C... E..., les premiers juges ont suffisamment répondu, aux points 5 et 8 du jugement attaqué, aux moyens tirés du défaut de prise en compte de son état de santé et de l'absence d'interprète lui permettant de faire utilement valoir sa défense ; que le moyen tiré de l'insuffisance de motivation du jugement attaqué manque ainsi en fait et doit, dès lors, être écarté ;
Sur les conclusions à fins d'annulation de la décision du directeur-adjoint du centre pénitentiaire d'Alençon - Condé-sur-Sarthe du 27 janvier 2014 prolongeant son placement à l'isolement pour une durée de trois mois :
En ce qui concerne la légalité externe :
5. Considérant, en premier lieu, qu'aux termes de l'article R. 57-7-66 du code de procédure pénale : " Le chef d'établissement décide de la mise à l'isolement pour une durée maximale de trois mois. Il peut renouveler la mesure une fois pour la même durée. " ; qu'aux termes de l'article R. 57-6-24 du même code : " Pour l'exercice des compétences définies par le présent code, le chef d'établissement peut déléguer sa signature à son adjoint, à un directeur des services pénitentiaires ou à un membre du corps de commandement placé sous son autorité. " ;
6. Considérant qu'il ressort des pièces du dossier que M.B..., directeur adjoint de l'établissement et signataire de la décision prolongeant le placement à l'isolement de M. C... E..., était titulaire d'une délégation de signature du chef d'établissement du centre pénitentiaire d'Alençon-Condé-sur-Sarthe en date du 24 mai 2013 à l'effet notamment de signer les décisions relatives au placement et à la levée de l'isolement ; que cette délégation de signature, qui ne comportait aucune restriction quant à l'absence ou à l'empêchement du chef d'établissement, a été régulièrement publiée au recueil des actes administratifs de la préfecture de l'Orne du mois de mai 2013 ; que, par suite, M. C...E...n'est pas fondé à soutenir que la décision contestée aurait été prise par une autorité ne bénéficiant pas d'une délégation de signature régulière lui permettant de prononcer la mesure en litige ;
7. Considérant, en deuxième lieu, qu'aux termes de l'article R. 57-7-64 du code de procédure pénale : " Si la personne détenue ne comprend pas la langue française, les informations sont présentées par l'intermédiaire d'un interprète désigné par le chef de l'établissement. Il en est de même de ses observations, si elle n'est pas en mesure de s'exprimer en langue française " ; que si M. C...E...soutient que la décision prolongeant son placement à l'isolement est irrégulière au motif qu'il n'aurait pas été assisté d'un interprète, il ressort toutefois des pièces du dossier que l'intéressé, de nationalité brésilienne, était incarcéré sur le territoire français depuis plus de dix ans et maîtrisait suffisamment la langue française, ainsi que le démontrent les différents comptes-rendus d'incidents établis en janvier 2014, pour comprendre la procédure dont il faisait l'objet, les faits qui l'ont motivée et présenter utilement ses observations ; que si l'expert psychiatre fait état d'une difficulté à maitriser la langue française, il est constant que l'expertise réalisée le 16 juillet 2012 a pu être réalisée dans cette langue sans l'intervention d'un interprète ; que, dans ces conditions, ce moyen d''irrégularité de procédure de la décision litigieuse doit être écarté ;
8. Considérant, en troisième lieu, qu'aux termes de l'article R. 57-7-73 du code de procédure pénale : " Tant pour la décision initiale que pour les décisions ultérieures de prolongation, il est tenu compte de la personnalité de la personne détenue, de sa dangerosité ou de sa vulnérabilité particulière, et de son état de santé." ;
9. Considérant que la décision intitulée " décision de prolongation de l'isolement " mentionne les articles R. 57-7-62 et R. 57-7-73 du code de procédure pénale dont elle fait application et indique que son placement à l'isolement est prolongé du 27 janvier 2014 au 3 avril 2014 ; qu'elle fait état du comportement agressif et menaçant du détenu à l'encontre du personnel de l'établissement et, en particulier, de la prise à partie du chef d'établissement le 16 janvier 2014, de menaces physiques proférées au cours du mois de janvier 2014 à l'égard de membres du personnel et de sa volonté de fomenter une prise d'otages aux fins d'obtenir son transfert en Guyane ; que l'administration pénitentiaire a ainsi suffisamment motivé sa décision au regard du critère de dangerosité de M. C...E... ; que si celui-ci soutient qu'en l'absence de passage à l'acte, ses propos ne pouvaient fonder la décision, cette critique du bien fondé de la mesure litigieuse, ne relève pas de sa légalité externe ; que, par ailleurs, en l'absence de risque suicidaire ou de vulnérabilité particulière de M. C...E...relevés tant par l'expertise psychiatrique établie le 16 juillet 2012 qui mentionne, par ailleurs, que l'intéressé présente une psychopathie grave et une dangerosité avérée, que par celle réalisée le 29 juin 2006, l'administration pénitentiaire n'était pas tenue de faire état de cet élément d'appréciation énuméré par les dispositions précitées de l'article R. 57-7-73 du code de procédure pénale à peine d'irrégularité de sa décision ; que, par suite, M. C...E...n'est pas fondé à soutenir que la décision contestée ne serait pas, pour ce motif, suffisamment motivée ;
10. Considérant, en quatrième lieu, qu'il ressort des pièces du dossier que M. C... E... a fait régulièrement preuve d'un comportement agressif, caractérisé notamment par des menaces de violence et de prise d'otages ainsi que par des insultes adressées au personnel de l'établissement ; que les refus d'obtempérer et de se rendre en cellule d'isolement ont par ailleurs valu à M. C...E...d'être placé en cellule disciplinaire à titre préventif et d'être sanctionné le 20 janvier 2014 ; que ces faits récents sont suffisamment établis par les rapports d'incidents et d'enquête rédigés par des agents assermentés à ces occasions et qui font foi jusqu'à ce que la preuve du contraire soit rapportée, ce qui n'est pas le cas en l'espèce ; que, de plus, en multipliant les incidents et les insubordinations au cours du mois de janvier 2014, M. C...E...a mis en échec son retour en détention classique après qu'une première mesure de placement en isolement à titre provisoire a été prononcée le 23 janvier 2014 pour une durée maximale de 5 jours ; que, par suite, M. C...E...n'est pas fondé à soutenir que la mesure contestée n'aurait pas été prise pour des motifs de précaution et de sécurité et qu'elle serait entachée d'une erreur manifeste d'appréciation ;
11. Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que M. C...E...n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Caen a rejeté sa demande ;
Sur les conclusions tendant à l'application des dispositions des articles 37 de la loi du 10 juillet 1991 et L. 761-1 du code de justice administrative :
12. Considérant que ces dispositions font obstacle à ce que soit mis à la charge de l'État, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, le versement de la somme que le conseil de M. C...E...demande au titre des frais exposés et non compris dans les dépens
DÉCIDE :
Article 1er : La requête de M. C... E...est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à M. C...E...et au Garde des sceaux, ministre de la justice.
Délibéré après l'audience du 30 mars 2017 à laquelle siégeaient :
- M. Coiffet, président-assesseur,
- M. Gauthier, premier conseiller,
- M. Lemoine, premier conseiller.
Lu en audience publique le 14 avril 2017.
Le rapporteur,
F. Lemoine
Le président,
O. Coiffet
Le greffier,
M. D...
La République mande et ordonne au garde des sceaux, ministre de la justice en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 15NT01679