Procédure devant la cour :
Par une requête et des mémoires enregistrés les 6 février 2020, 28 décembre 2020,
13 février 2021 et 21 mars 2021 (non communiqué), le département du Finistère, représenté par Me Varnoux, demande à la cour :
1°) d'annuler le jugement n°1705162 du 6 décembre 2019 du tribunal administratif de Rennes ;
2°) de rejeter les demandes du syndicat départemental de la propriété privée rurale du Finistère devant le tribunal administratif de Rennes ;
3°) de mettre à la charge du syndicat départemental de la propriété privée rurale du Finistère la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
- le jugement du 6 décembre 2019 est insuffisamment motivé, dès lors que le tribunal n'a pas précisé en quoi le vice de procédure qu'il a retenu était de nature à exercer une influence sur le sens de la délibération en litige ou avait privé les intéressés d'une garantie ;
- c'est à tort que le tribunal administratif de Rennes a considéré que la procédure d'édiction de la délibération litigieuse était irrégulière en l'absence de notification de l'avis de consultation mentionné par les dispositions de l'article R. 123-7 du code rural et de pêche maritime à l'ensemble des propriétaires concernés, dès lors que :
l'irrégularité alléguée n'a pas exercé d'influence sur le sens de la délibération en litige ou privé les intéressés d'une garantie ;
la notification des avis a pu être régulièrement faite aux représentants de chaque compte de propriété auprès de l'administration fiscale qui les représentent pour l'application des dispositions de l'article R. 123-7 du code rural et de pêche maritime ;
* les actes de notification ont, en tout état de cause, été déposés à la mairie de Moëlan-sur-Mer, comme le prévoient les dispositions de l'article R. 123-7 du code rural et de pêche maritime lors que la notification des avis n'a pu être faite à chacun des propriétaires ou à leurs représentants ;
- les conclusions du syndicat départemental de la propriété privée rurale du Finistère à fin d'annulation de la délibération du conseil départemental du Finistère du 22 juin 2017 étaient irrecevables, dès lors que cet avis ne présentait pas le caractère d'une décision faisant grief ;
- pour le surplus, il s'en remet à ses écritures de première instance.
Par des mémoires en défense, enregistrés les 18 septembre 2020, 22 janvier 2021 et
5 mars 2021, le syndicat départemental de la propriété privée rurale du Finistère, représenté par Me Halna du Fretay, conclut au rejet de la requête et, en outre, à ce que la somme de 2 500 euros soit mise à la charge du département du Finistère au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il fait valoir que les moyens soulevés par le département du Finistère ne sont pas fondés.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code rural et de pêche maritime ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Catroux,
- les conclusions de M. Berthon, rapporteur public,
- et les observations de Me Nadan, représentant le département du Finistère, et de Me Halan du Fretay, représentant le syndicat départemental de la propriété privée rurale du Finistère.
Considérant ce qui suit :
1. Le conseil général du Finistère a, par une délibération du 16 octobre 2014, chargé la commission départementale d'aménagement foncier (CDAF) du Finistère de recenser en priorité dans le secteur côtier et arrière littoral de Moëlan-sur-Mer, les zones dans lesquelles il serait d'intérêt général de remettre en valeur les parcelles incultes ou manifestement sous exploitées depuis plus de trois ans, sans raison de force majeure. Sur la base d'un rapport établi en juin 2015 par cette commission, le conseil départemental a arrêté, par une délibération du 22 octobre 2015, les périmètres de mise en œuvre, sur le territoire de la commune de Moëlan-sur-Mer, de la procédure de mise en valeur des terres incultes ou manifestement sous exploitées prévue par les dispositions des articles L. 125-5 et suivants du code rural et de la pêche maritime, cette mise en œuvre concernant 1 251 parcelles cadastrales d'une surface totale de 120,4 hectares. Par la même délibération, le conseil départemental a institué une commission communale d'aménagement foncier pour dresser l'état des parcelles pour lesquelles la mise en valeur était possible ou opportune. Après une consultation des propriétaires organisée du 10 janvier au 10 février 2017, la commission communale d'aménagement foncier a établi, le 8 mars 2017, un rapport sur cette consultation et arrêté l'état définitif des fonds incultes ou manifestement sous-exploités concernés. Après un avis favorable de la CDAF du 27 avril 2017 sur l'état des fonds et les mises en valeur proposées, le conseil départemental du Finistère a, par une délibération du 22 juin 2017, arrêté l'état des fonds susceptibles d'une remise en valeur et, par une décision du 20 septembre 2017, refusé de retirer cette délibération et rejeté le recours gracieux formé contre elle. Par un jugement n°1705162 du 6 décembre 2019, dont le département du Finistère relève appel, le tribunal administratif de Rennes a annulé la délibération du 22 juin 2017 et la décision du 20 septembre 2017 portant rejet du recours gracieux du syndicat départemental de la propriété privée rurale du Finistère.
Sur la régularité du jugement attaqué :
2. Aux termes de l'article L. 9 du code de justice administrative : " Les jugements sont motivés ".
3. D'une part, il ressort du jugement attaqué que les premiers juges ont mentionné les dispositions de l'article R. 123-7 du code rural et de la pêche maritime dont ils ont fait application. Ils ont également précisé qu'en ce qui concernait les comptes de propriété en indivision, seul l'indivisaire connu de l'administration fiscale pour le paiement de la taxe foncière avait reçu notification de l'avis de consultation visé par les dispositions de cet article et que, dès lors, l'ensemble des propriétaires des parcelles visées par la procédure de mise en valeur des terres concernées par la délibération attaquée n'avait pas reçu cette notification. Le jugement attaqué comporte, par suite, les motifs de droit et de fait qui fondent l'annulation des décisions contestées.
4. D'autre part, si les actes administratifs doivent être pris selon les formes et conformément aux procédures prévues par les lois et règlements, un vice affectant le déroulement d'une procédure administrative préalable, suivie à titre obligatoire ou facultatif, n'est de nature à entacher d'illégalité la décision prise que s'il ressort des pièces du dossier qu'il a été susceptible d'exercer, en l'espèce, une influence sur le sens de la décision prise ou qu'il a privé les intéressés d'une garantie. La circonstance que les premiers juges auraient commis une erreur de droit en s'abstenant de rechercher si l'irrégularité qu'ils ont retenue pour annuler les décisions contestées a exercé une influence sur le sens de ces décisions ou a privé les intéressés d'une garantie n'entache pas d'insuffisance de motivation et, par suite, d'irrégularité le jugement attaqué.
Sur le bien-fondé du jugement attaqué :
En ce qui concerne les fins de non-recevoir opposées par le département du Finistère à la demande du syndicat devant le tribunal :
5. En premier lieu, aux termes de l'article L. 125-5 du code rural et de la pêche maritime dans sa rédaction applicable à date des décisions contestées : " Le conseil départemental, de sa propre initiative ou à la demande du préfet ou de la chambre d'agriculture ou d'un établissement public de coopération intercommunale, charge la commission départementale d'aménagement foncier, sur la base de l'inventaire des terres considérées comme des friches prévu à l'article L. 112-1-1, de proposer le périmètre dans lequel il serait d'intérêt général de remettre en valeur des parcelles incultes ou manifestement sous-exploitées depuis plus de trois ans sans raison de force majeure. (...) Le président du conseil général présente, pour avis, au préfet, aux établissements publics de coopération intercommunale concernés et à la chambre d'agriculture le rapport de la commission départementale d'aménagement foncier et le conseil général arrête le ou les périmètres dans lesquels sera mise en œuvre la procédure de mise en valeur des terres incultes ou manifestement sous-exploitées. / Lorsque le périmètre a été arrêté en application de l'alinéa précédent ou des dispositions de l'article L. 121-14, la commission communale ou intercommunale d'aménagement foncier dresse l'état des parcelles dont elle juge la mise en valeur agricole, pastorale ou forestière possible ou opportune. (...) / Le conseil départemental arrête cet état après avis de la commission départementale d'aménagement foncier. (...). / Un extrait est notifié pour ce qui le concerne à chaque propriétaire et, s'il y a lieu, à chaque titulaire du droit d'exploitation. / La notification par le préfet de l'extrait vaut mise en demeure dans les conditions prévues à l'article L. 125-3. Lorsque l'identité ou l'adresse du propriétaire ou des indivisaires n'a pu être déterminée, les dispositions de l'article L. 125-2 sont appliquées.". Aux termes de l'article L. 125-3 du même code : " (...) Dans un délai de deux mois à compter de la notification de la mise en demeure, le propriétaire ou le titulaire du droit d'exploitation fait connaître au préfet qu'il s'engage à mettre en valeur le fonds inculte ou manifestement sous-exploité dans un délai d'un an ou qu'il renonce. L'absence de réponse vaut renonciation. (...) ". Aux termes de l'article L. 125-6 du même code : " Lorsque le propriétaire et, le cas échéant, le titulaire du droit d'exploitation ont renoncé expressément ou tacitement à exploiter le fonds, ou lorsque celui-ci n'a pas effectivement été mis en valeur dans les délais prévus à l'article L. 125-3, le préfet le constate par décision administrative dans un délai déterminé par décret en Conseil d'Etat. Le préfet peut dès lors attribuer, après avis de la commission départementale d'orientation de l'agriculture, l'autorisation d'exploiter à l'un des demandeurs ayant présenté un plan de remise en valeur. / L'autorisation d'exploiter emporte de plein droit l'existence d'un bail à ferme soumis aux dispositions du titre Ier du livre IV nouveau du code rural (...). ". Enfin, aux termes du second alinéa de l'article L. 125-12 du même code : " les contestations relatives à l'état des fonds incultes ou manifestement sous-exploités dressé en application des articles L. 125-5 à L. 125-7 et à l'autorisation d'exploiter accordée par le préfet en vertu de ces mêmes articles sont portées devant la juridiction administrative. (...) ".
6. Il résulte des dispositions précitées de l'article L. 125-12 du code rural et de la pêche maritime que la délibération par laquelle le conseil départemental arrête, en application des dispositions de l'article L. 125-5 de ce code, l'état des parcelles dont la mise en valeur agricole, pastorale ou forestière est possible ou opportune présente le caractère d'une décision faisant grief pouvant faire l'objet d'un recours pour excès de pouvoir. Le département du Finistère n'est donc pas fondé à soutenir que la demande d'annulation de sa délibération du 22 juin 2017 était irrecevable, faute d'être dirigée contre une décision faisant grief.
7. En second lieu, le département du Finistère reprend en appel sans apporter aucun élément de fait ou de droit nouveau les fins de non-recevoir tirées de ce que les demandes du syndicat départemental de la propriété privée rurale du Finistère devant le tribunal administratif de Rennes étaient irrecevables, dès lors que le syndicat n'avait pas intérêt pour agir, que sa représentante n'avait pas qualité pour ester en justice et que la requête était tardive. Ces fins de non-recevoir doivent être écartées par adoption des motifs retenus à bon droit par les premiers juges.
En ce qui concerne la légalité de la délibération du 22 juin 2017 et de la décision du 20 septembre 2017 :
8. Aux termes de l'article R. 125-6 du code rural et de la pêche maritime : " Le projet d'état des fonds incultes ou manifestement sous-exploités dressé par la commission communale ou intercommunale d'aménagement foncier est soumis à une consultation des propriétaires et exploitants. / Le dossier comprend : - Un plan parcellaire portant indication des parcelles ou parties de parcelles dont l'inscription à l'état des fonds incultes ou manifestement sous-exploités est proposée ; - Un état parcellaire, avec la désignation cadastrale de chaque parcelle ou partie de parcelle ; - Un mémoire justificatif. / La consultation, d'une durée d'un mois, est organisée selon les modalités et les formes prévues aux articles R. 123-6 et R. 123-7. / A l'issue de la consultation, la commission prend connaissance des réclamations et observations, entend les intéressés s'ils l'ont demandé par lettre adressée à son président et arrête l'état définitif. Ce dernier est affiché en mairie et transmis au préfet et au conseil départemental avec l'ensemble du dossier. ". Aux termes de l'article R. 123-6 du même code : " Le dossier ainsi composé est soumis pendant un mois à la consultation des propriétaires, par le président de la commission communale ou intercommunale qui décide de la date d'ouverture et de clôture de la consultation. (...). ". Aux termes de l'article R. 123-7 du même code : " Un avis indiquant les dates, lieux et modalités de la consultation prévue à l'article R. 123-6 est affiché à la mairie des communes faisant l'objet de l'aménagement foncier. Cet avis précise que les droits réels et les actions qui y sont attachées grevant les parcelles comprises dans le périmètre seront transférés de plein droit sur les parcelles attribuées lors du transfert de propriété prévu à l'article L. 121-21. Notification de cet avis est faite à chacun des propriétaires dont les terrains sont compris dans le périmètre ou à leurs représentants. Lorsqu'il n'a pu être procédé à cette notification, l'acte de notification est déposé à la mairie de la ou des communes de la situation des terrains. (...). ".
9. Il ressort des pièces du dossier que, sur les 468 comptes de propriété concernés par la procédure en litige, 188 étaient en indivision. Il est constant que, pour ces comptes, l'administration n'a notifié l'avis de consultation prévu par les dispositions de l'article R. 123-7 du code rural et de la pêche maritime qu'au seul indivisaire connu de l'administration fiscale pour le paiement de la taxe foncière. Or, contrairement à ce que soutient le département requérant, celui-ci, à moins qu'il ne bénéficie d'un mandat en ce sens, ne représente pas, en cette seule qualité d'indivisaire connu de l'administration fiscale pour le paiement de la taxe foncière, les autres propriétaires concernés du compte de propriété en indivision, dès lors qu'aucune disposition législative ou réglementaire ne prévoit une telle représentation. En outre, contrairement à ce qu'allègue le département du Finistère, et malgré les difficultés que peut comporter l'identification des propriétaires de centaines de comptes de propriétaires en indivision, à partir des bases de données cadastrales, il n'est pas établi qu'il était impossible à l'administration de procéder à une telle identification. Dans ces conditions, le dépôt, à la mairie de la commune de Moëlan-sur-Mer, des actes de notification n'exonérait pas l'administration de notifier l'avis prévu par les dispositions de l'article R. 123-7 du code rural et de la pêche maritime à l'ensemble des propriétaires des comptes de propriété en indivision. Par suite, la délibération contestée est entachée d'un vice de procédure au regard de ces dispositions.
10. Le département du Finistère soutient que les propriétaires en indivision n'ont pas été privés de la garantie tenant à la notification qui devait leur être faite de l'avis de consultation, dès lors qu'une large publicité a été donnée à cet avis, ce qui a permis à de nombreux propriétaires correspondant à environ 41,8% des comptes de propriété impactés par la procédure, dont une part était des comptes en indivision, de produire des observations. Toutefois, cette large participation à la consultation de propriétaires concernés ne permet pas d'établir que tous les propriétaires en indivision aient été informés de l'avis de consultation. Il ressort, au contraire, des pièces du dossier que certains de ces propriétaires n'avaient pas reçu d'information relativement à cet avis. L'absence de notification de l'avis de consultation à tous les propriétaires en indivision des parcelles incluses dans la procédure a, dès lors, dans les circonstances de l'espèce, privé ces derniers de la garantie tenant à la possibilité d'être entendus et de présenter des observations et des réclamations, le cas échéant, sur la procédure envisagée de mise en valeur des terres en friche et manifestement sous-exploitées. Enfin, compte tenu notamment de la part importante des comptes de propriété en indivision parmi les comptes de propriété concernés, le vice de procédure a aussi a été susceptible d'exercer, en l'espèce, une influence sur le sens de la décision prise. Dans ces conditions, l'irrégularité de la procédure tenant à l'absence de notification de l'avis de consultation à tous les propriétaires concernés entache d'illégalité les décisions contestées.
11. Il résulte de ce qui précède que le département du Finistère n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Rennes a annulé la délibération du 22 juin 2017 et la décision du 20 septembre 2017 portant rejet du recours gracieux du syndicat départemental de la propriété privée rurale du Finistère.
Sur les frais de l'instance :
12. Les dispositions de l'article L. 761-1 font obstacle à ce que soit mise à la charge du syndicat départemental de la propriété privée rurale du Finistère, qui n'est pas la partie perdante à l'instance, la somme que le département du Finistère demande au titre des frais exposés par lui et non compris dans les dépens. Il y a lieu, en revanche, en application des mêmes dispositions, de mettre à la charge du département du Finistère la somme de 1 500 euros à verser au syndicat départemental de la propriété privée rurale du Finistère au titre des frais qu'il a exposés et qui ne sont pas compris dans les dépens.
DÉCIDE :
Article 1er : La requête du département du Finistère est rejetée.
Article 2 : Le département du Finistère versera au syndicat départemental de la propriété privée rurale du Finistère la somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié au département du Finistère et au syndicat départemental de la propriété privée rurale du Finistère.
Délibéré après l'audience du 30 septembre 2021, à laquelle siégeaient :
- M. Salvi, président,
- Mme Brisson, présidente-assesseure,
- M. Catroux, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 15 octobre 2021.
Le rapporteur
X. CATROUXLe président
D. SALVI
Le greffier
R. MAGEAU
La République mande et ordonne au ministre de l'agriculture et de l'alimentation en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
3
N° 20NT00419