Procédure devant la cour :
Par une requête et un mémoire enregistrés les 10 février et 14 octobre 2020 M. A..., représenté par Me D..., demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Rennes du 31 janvier 2020 ;
2°) d'annuler l'arrêté du préfet du Finistère du 7 juin 2019 ;
3°) d'enjoindre au préfet du Finistère de lui délivrer un titre de séjour portant la mention " vie privée et familiale " ou, à défaut, de réexaminer sa situation et de lui délivrer dans l'attente une autorisation provisoire de séjour ;
4°) à titre subsidiaire, d'ordonner la vérification de l'authenticité des actes d'état civil qu'il a produit et de sursoir à statuer pendant qu'il sera procédé à cette vérification ;
5°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 1 700 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
- contrairement à ce qu'a jugé le tribunal, aucune légalisation des actes d'état civil n'est requise en application des stipulations de l'article 24 de l'accord franco-malien de coopération en matière de justice du 1er mars 1962 ; c'est par suite à tort que les premiers juges ont estimé qu'il n'établissait pas être né le 30 août 2020 par les documents d'état civil qu'il a produits ;
- contrairement à ce qu'a estimé le préfet du Finistère, il remplit les conditions d'âge exigées pour l'application du 2°bis de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, il ne s'est rendu coupable d'aucun faux en écritures, il justifie du caractère réel et sérieux de ses études et n'a plus de lien avec sa famille restée au Mali ;
- le préfet du Finistère a également méconnu les stipulations de l'article 11 de l'accord franco-malien du 9 décembre 1996 et de l'article L. 313-17 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- l'arrêté contesté porte une atteinte disproportionnée à son droit au respect de sa vie privée et familiale, protégé par les dispositions du 7° de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et par les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- l'obligation de quitter le territoire français est privée de base légale en raison de l'illégalité du refus de délivrance d'un titre de séjour et n'est pas suffisamment motivée ;
- la décision fixant le pays de destination est privée de base légale en raison de l'illégalité du refus de délivrance d'un titre de séjour et de la mesure d'éloignement contestés et n'est pas suffisamment motivée.
Par un mémoire en défense enregistré le 29 juin 2020 le préfet du Finistère conclut au rejet de la requête.
Il soutient que les moyens soulevés par M. A... ne sont pas fondés.
M. A... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du
11 juin 2020.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- la convention consulaire entre la France et le Mali signée le 3 février 1962 ;
- l'accord franco-malien de coopération en matière de justice du 9 mars 1962 ;
- le code civil ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le décret n°91-1266 du 19 décembre 1991 ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. B... ;
- les conclusions de M. Gauthier, rapporteur public ;
- et les observations de Me C..., substituant Me D..., représentant
M. A....
Considérant ce qui suit :
1. M. A..., ressortissant malien, déclare être entré en France en décembre 2015. Il a été pris en charge en janvier 2016 par les services de l'aide sociale à l'enfance du Finistère en qualité de mineur étranger isolé. Le 27 avril 2018, il a demandé un titre de séjour sur le fondement des dispositions du 2° bis de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. Par un arrêté du 7 juin 2019, le préfet du Finistère a rejeté sa demande, l'a obligé à quitter le territoire français et a fixé le pays à destination duquel il pourra être renvoyé d'office. M. A... relève appel du jugement du 31 janvier 2020 par lequel le tribunal administratif de Rennes a rejeté son recours tendant à l'annulation de cet arrêté.
Sur la légalité de l'arrêté contesté du préfet du Finistère :
2. D'une part, aux termes de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Sauf si sa présence constitue une menace pour l'ordre public, la carte de séjour temporaire portant la mention " vie privée et familiale " est délivrée de plein droit : (...) / 2° bis A l'étranger dans l'année qui suit son dix-huitième anniversaire ou entrant dans les prévisions de l'article L. 311-3, qui a été confié, depuis qu'il a atteint au plus l'âge de seize ans, au service de l'aide sociale à l'enfance et sous réserve du caractère réel et sérieux du suivi de la formation, de la nature de ses liens avec la famille restée dans le pays d'origine et de l'avis de la structure d'accueil sur l'insertion de cet étranger dans la société française. La condition prévue à l'article L. 313-2 n'est pas exigée ; (...) ". Lorsqu'il examine une demande de titre de séjour de plein droit portant la mention " vie privée et familiale ", présentée sur le fondement de ces dispositions, le préfet vérifie tout d'abord que l'étranger est dans l'année qui suit son dix-huitième anniversaire ou entre dans les prévisions de l'article L. 311-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, que sa présence en France ne constitue pas une menace pour l'ordre public et qu'il a été confié, depuis qu'il a atteint au plus l'âge de seize ans, au service de l'aide sociale à l'enfance. Si ces conditions sont remplies, il ne peut alors refuser la délivrance du titre qu'en raison de la situation de l'intéressé appréciée de façon globale au regard du caractère réel et sérieux du suivi de sa formation, de la nature de ses liens avec la famille restée dans le pays d'origine et de l'avis de la structure d'accueil sur l'insertion de cet étranger dans la société française. Le juge de l'excès de pouvoir exerce sur cette appréciation un entier contrôle.
3. D'autre part, l'article L. 111-6 du même code prévoit que la vérification de tout acte civil étranger est effectuée dans les conditions définies par l'article 47 du code civil. Ce dernier article dispose que " Tout acte de l'état civil des Français et des étrangers fait en pays étranger et rédigé dans les formes usitées dans ce pays fait foi, sauf si d'autres actes ou pièces détenus, des données extérieures ou des éléments tirés de l'acte lui-même établissent, le cas échéant après toutes vérifications utiles, que cet acte est irrégulier, falsifié ou que les faits qui y sont déclarés ne correspondent pas à la réalité. ". Il résulte de ces dispositions que la force probante d'un acte d'état civil établi à l'étranger peut être combattue par tout moyen susceptible d'établir que l'acte en cause est irrégulier, falsifié ou inexact. En cas de contestation par l'administration de la valeur probante d'un acte d'état civil établi à l'étranger, il appartient au juge administratif de former sa conviction au vu de l'ensemble des éléments produits par les parties. Pour juger qu'un acte d'état civil produit devant lui est dépourvu de force probante, qu'il soit irrégulier, falsifié ou inexact, le juge doit en conséquence se fonder sur tous les éléments versés au dossier dans le cadre de l'instruction du litige qui lui est soumis. Ce faisant, il lui appartient d'apprécier les conséquences à tirer de la production par l'étranger d'une carte consulaire ou d'un passeport dont l'authenticité est établie ou n'est pas contestée, sans qu'une force probante particulière puisse être attribuée ou refusée par principe à de tels documents.
4. Enfin, selon l'article 24 de l'accord franco-malien de coopération en matière de justice du 9 mars 1962 " (...) sont admis, sans légalisation, sur les territoires respectifs de la République française et de la République du Mali les documents suivants établies par les autorités administratives (...) de chacun des deux Etats : les expéditions des actes de l'état civil (...). Les documents énumérés ci-dessus devront être revêtus de la signature et du sceau officiel de l'autorité ayant qualité pour les délivrer et, s'il s'agit d'expéditions, être certifiées conformes à l'original par ladite autorité (...) ". Et aux termes de l'article 25 de la convention consulaire entre la France et le Mali signée le 3 février 1962 : " L'Etat de résidence devra admettre, sans légalisation, les signatures apposées par les consuls sur les documents (...) dont ils certifient l'expédition conforme à l'original délivré par l'autorité compétente lorsque ces documents seront revêtus de leur sceau officiel et établis matériellement de manière à faire apparaître leur authenticité. ".
5. Le préfet du Finistère a refusé de délivrer à M. A... le titre de séjour qu'il demandait sur le fondement des dispositions du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile rappelées au point 2 aux motifs qu'il a frauduleusement déclaré être né le 30 août 2000 alors qu'il est enregistré sous une autre identité et une autre date de naissance (le 30 août 1991) dans le fichier VISABIO, qu'il était majeur lorsqu'il a été confié aux services de l'aide sociale à l'enfance du Finistère, qu'il ne justifie pas du caractère réel et sérieux de ses études, qu'il a commis un faux en écriture d'un document administratif et qu'il conserve des liens avec sa famille au Mali.
6. En premier lieu, à l'appui de sa demande de titre de séjour M. A... a produit les copies d'un extrait d'acte de naissance délivré le 7 juillet 2015 par l'officier de l'état civil de Kayes (Mali), d'une carte d'identité consulaire et d'un passeport délivrés le 3 juillet 2017 et le
18 mai 2018 par le consul général du Mali en France, ces trois documents étant certifiés conformes à l'original par cette dernière autorité administrative. Par application des stipulations rappelées au point 4, et contrairement à ce qu'a jugé le tribunal administratif de Rennes, ces actes, dont l'authenticité n'est pas sérieusement contestée, doivent être regardés comme produisant leur plein effet en France, sans obligation de les faire légaliser. Dans ces conditions, et alors au surplus que le juge des enfants du tribunal de grande instance de Quimper a estimé dans son jugement de placement du 1er février 2016 " qu'il résulte des éléments de la procédure que le statut de mineur étranger isolé de M. A... E... ne saurait être remis en cause ", c'est à tort que le préfet du Finistère a considéré que le requérant avait entaché de fraude sa demande de titre de séjour en se prévalant d'une fausse date de naissance et qu'il ne remplissait pas les conditions d'âge imposées par les dispositions du 2° bis de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.
7. En deuxième lieu, il ne ressort d'aucune des pièces du dossier que M. A..., dont il a été dit au point précédent qu'il n'avait commis aucune fraude tendant à la délivrance d'un titre de séjour, aurait falsifié un document administratif. C'est donc également à tort que le préfet du Finistère a retenu ce motif pour lui refuser le titre de séjour qu'il demandait.
8. En dernier lieu, il ressort des pièces du dossier que M. A... a été scolarisé de manière ininterrompue depuis son entrée en France, d'abord en classe de 3ème au collège La Tour d'Auvergne de Quimper (2015/2016), puis en CAP agricole au lycée de Kerbenez à Plomelin (2016/2017 et 2017/2018) et enfin au lycée Le Paraclet de Quimper en CAP cuisine (2018/2019 et 2019/2020). En dépit de difficultés linguistiques initiales, qu'il a d'ailleurs réussi à surmonter, il a toujours eu des résultats théoriques et pratiques très encourageants, qui lui ont permis d'obtenir le CAP agricole en septembre 2018, et a bénéficié tout au long de sa scolarité d'appréciations positives, voire élogieuses, de la part de ses professeurs et de ses maîtres de stage. Il ne ressort en revanche d'aucune des pièces du dossier que M. A..., qui n'est pas retourné dans son pays d'origine depuis son installation en France et dont le père est décédé en 2013, aurait maintenu une relation étroite avec sa famille au Mali. Enfin, selon un avis du conseil départemental du Finistère du 26 avril 2018, d'ailleurs confirmé par plusieurs témoignages,
M. A... est bien inséré dans la société française. Dans ces conditions, le préfet du Finistère a également entaché l'arrêté contesté d'une erreur d'appréciation de sa situation.
9. Il résulte de ce qui précède, sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens de la requête ni de sursoir à y statuer, que M. A... est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Rennes a rejeté sa demande tendant à l'annulation de l'arrêté du 7 juin 2019 du préfet du Finistère.
Sur les conclusions à fin d'injonction :
10. Pour l'application des articles L. 911-1 et suivants du code de justice administrative, l'annulation prononcée par le présent arrêt, eu égard au motif qui la fonde, implique que, sous réserve d'un changement dans les circonstances de droit ou de fait, le préfet du Finistère délivre à M. A... une carte de séjour temporaire portant la mention " vie privée et familiale ". Il y a lieu d'adresser au préfet une injonction en ce sens et de fixer à deux mois le délai imparti pour son exécution.
Sur les frais liés au litige :
11. Il résulte des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et des articles 37 et 43 de la loi du 10 juillet 1991 que le bénéficiaire de l'aide juridictionnelle ne peut demander au juge de condamner à son profit la partie perdante qu'au paiement des seuls frais qu'il a personnellement exposés, à l'exclusion de la somme correspondant à la part contributive de l'Etat à la mission d'aide juridictionnelle confiée à son avocat. L'avocat de ce bénéficiaire peut demander au juge de condamner la partie perdante à lui verser la somme correspondant à celle qu'il aurait réclamée à son client, si ce dernier n'avait eu l'aide juridictionnelle, à charge pour l'avocat qui poursuit, en cas de condamnation, le recouvrement à son profit de la somme qui lui a été allouée par le juge, de renoncer à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'Etat à la mission d'aide juridictionnelle qui lui a été confiée.
12. D'une part, M. A..., pour le compte duquel les conclusions tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ont été explicitement présentées, n'allègue pas avoir exposé de frais autres que ceux pris en charge par l'Etat au titre de l'aide juridictionnelle totale qui lui a été allouée. D'autre part, le conseil de M. A... n'a pas demandé que soit mis à la charge de l'Etat le versement de la somme correspondant aux frais liés à l'instance qu'il aurait réclamés à son client si ce dernier n'avait pas bénéficié d'une aide juridictionnelle totale. Dans ces conditions, les conclusions présentées par M. A... sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ne peuvent qu'être rejetées.
DÉCIDE :
Article 1er : Le jugement n°1905423 du tribunal administratif de Rennes du 31 janvier 2020 et l'arrêté du 7 juin 2019 du préfet du Finistère sont annulés.
Article 2 : Il est enjoint au préfet du Finistère de délivrer à M. A... une carte de séjour temporaire portant la mention " vie privée et familiale " dans un délai de deux mois à compter de la date de notification du présent arrêt.
Article 3 : Les conclusions présentées par M. A... au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à M. E... A... et au ministre de l'intérieur.
Copie sera adressée au préfet du Finistère.
Délibéré après l'audience du 5 novembre 2020, à laquelle siégeaient :
- Mme Brisson, président-assesseur,
- M. B..., premier conseiller,
- Mme Le Barbier, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe, le 20 novembre 2020.
Le rapporteur
E. B...Le président
C. Brisson
Le greffier
R. Mageau
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 20NT00459