Procédure devant la cour :
Par une requête et des mémoires enregistrés les 12 novembre 2019, 23 décembre 2019, 23 avril 2020 et 21 octobre 2020 l'EPSM de Saint-Avé, représenté par Me F..., demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Rennes du 5 septembre 2019 ;
2°) de rejeter la demande de M. A....
Il soutient que :
- le jugement attaqué est insuffisamment motivé ;
- c'est à tort que le tribunal a jugé que sa responsabilité était engagée pour violation du secret médical, dès lors qu'en l'espèce la loi en autorisait la levée ; en tout état de cause, le préjudice moral invoqué par M. A... découle directement et exclusivement de la situation irrégulière dans laquelle il s'est lui-même placé et ne saurait donc donner lieu à réparation ;
- les conditions d'hospitalisation de M. A..., eu égard à son comportement déviant et à sa dangerosité, ne peuvent être regardées comme un traitement dégradant ayant porté atteinte à sa dignité.
Par un mémoire en défense enregistré le 30 septembre 2020 M. A..., représenté par Me C..., conclut :
1°) au rejet de la requête ;
2°) par la voie de l'appel incident, à la réformation du jugement attaqué en ce qu'il n'a pas fait droit à l'intégralité de ses conclusions indemnitaires ;
3°) à la condamnation de l'EPSM de Saint-Avé à lui verser la somme totale de 167 000 euros assortie des intérêts au taux légal et de la capitalisation des intérêts ;
4°) à ce que soit mise à la charge de l'EPSM de Saint-Avé la somme de 2 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
- les moyens soulevés par l'EPSM de Saint-Avé ne sont pas fondés ;
- à titre subsidiaire, la responsabilité de l'EPSM de Saint-Avé est également engagée pour retard de diagnostic ;
- il a droit aux indemnités suivantes : 12 000 euros au moins au titre du traitement dégradant qu'il a subi, 5 000 euros au titre du préjudice moral résultant de la violation du secret médical et 150 000 euros au titre de la perte d'une chance de rester hospitalisé dans un établissement de santé mentale ou la même somme au titre des préjudices qu'il a subis en raison du retard de diagnostic de son état de santé.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le code pénal ;
- le code de la santé publique ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. B...,
- les conclusions de M. Gauthier, rapporteur public,
- et les observations de Me D..., représentant l'EPSM de Saint-Avé.
Une note en délibéré a été produite pour M. A... le 23 avril 2021.
Considérant ce qui suit :
1. M. A... a été reconnu pénalement irresponsable d'un meurtre qu'il avait commis en 1998 au motif qu'il était atteint, au moment des faits, d'une pathologie schizophrénique ayant aboli son discernement. Il a été hospitalisé en septembre 1999 dans un centre hospitalier spécialisé à Rennes puis transféré le 13 mars 2000 à l'établissement public de santé mentale (EPSM) de Saint-Avé, dans le Morbihan. A partir du mois d'octobre 2008, les médecins de l'EPSM de Saint-Avé ont décidé de suspendre le traitement neuroleptique de M. A... pour vérifier la pertinence du diagnostic de schizophrénie. Par une lettre du 21 janvier 2009, l'un de ces médecins a informé le procureur de la République de Rennes de son " doute sérieux quant au diagnostic retenu sur lequel repose le non-lieu ". Par une lettre du 15 avril 2009, un autre médecin de l'EPSM de Saint-Avé a indiqué au procureur de la République que " (...) Monsieur A... n'est pas atteint du trouble retenu comme cause de l'irresponsabilité pénale. ". Ces informations ont conduit à la réouverture de l'instruction pénale et, sur la base d'expertises psychiatriques rendues en 2009 et en 2012, à la condamnation de M. A... à 10 ans de réclusion criminelle au motif que le trouble psychique dont il souffrait au moment des faits avait altéré mais non aboli son discernement. M. A..., estimant que l'EPSM de Saint-Avé avait commis des fautes à son égard, et après avoir lié le contentieux par une réclamation du 1er avril 2016, a saisi le tribunal administratif de Rennes d'une demande indemnitaire. Par un jugement du 5 septembre 2019, le tribunal a condamné l'EPSM de Saint-Avé à lui verser la somme totale de 15 000 euros. L'EPSM de Saint-Avé relève appel de ce jugement. Par la voie de l'appel incident, M. A... demande la majoration de la somme qui lui a été allouée en première instance.
Sur la responsabilité :
2. Devant le tribunal administratif, M. A... a invoqué deux fautes à l'encontre de l'EPSM de Saint-Avé, l'une portant sur la violation du secret médical et l'autre sur la nature indigne des conditions dans lesquelles il avait été hospitalisé et maintenu à l'isolement.
3. Aux termes de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : : " Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants. ". Selon l'article L. 3211-3 du code de la santé publique : " Lorsqu'une personne atteinte de troubles mentaux est hospitalisée sans son consentement en application des dispositions des chapitres II et III du présent titre ou est transportée en vue de cette hospitalisation, les restrictions à l'exercice de ses libertés individuelles doivent être limitées à celles nécessitées par son état de santé et la mise en oeuvre de son traitement. En toutes circonstances, la dignité de la personne hospitalisée doit être respectée et sa réinsertion recherchée. ".
4. Durant son hospitalisation à l'EPSM de Saint-Avé, M. A... a été placé en chambre d'isolement entre le 6 novembre 2008 et le 24 février 2009, puis du 10 septembre 2009 au 1er juillet 2011, soit pendant une durée cumulée de plus de deux ans. M. A... soutient en outre que les conditions matérielles dans lesquelles il a subi cet isolement étaient particulièrement dégradantes. Toutefois, aucune information ne figure au dossier quant aux conditions réelles d'hospitalisation de l'intéressé durant la période concernée et aux motifs d'ordre médical ayant pu justifier les décisions prises par les médecins de l'établissement.
5. Dans ces conditions, la cour estime ne pas être en mesure de juger si le placement à l'isolement de M. A... était justifié par son état de santé ou par la mise en oeuvre de son traitement et si les conditions matérielles de cet isolement respectaient sa dignité. Il y a donc lieu d'ordonner une expertise médicale afin de le déterminer.
DÉCIDE :
Article 1er : Il est ordonné, avant de statuer sur la requête de l'EPSM de Saint-Avé et les conclusions d'appel incident de M. A..., une expertise, confiée à un médecin-psychiatre, qui aura pour mission d'indiquer à la cour si le principe et la durée de la mesure d'isolement prise à l'encontre de M. A... étaient justifiés par son état de santé ou ses traitements et d'éclairer, dans la mesure du possible, la cour sur les conditions matérielles de cet isolement.
Article 2 : L'expertise sera menée contradictoirement entre l'EPSM de Saint-Avé et M. A....
Article 3 : L'expert sera désigné par le président de la cour. Il accomplira sa mission dans les conditions prévues par les articles R. 621-2 à R. 621-14 du code de justice administrative. Le rapport d'expertise sera déposé en deux exemplaires dans un délai de trois mois à compter de la date de notification du présent arrêt. L'expert en notifiera des copies aux parties intéressées.
Article 4 : Tous droits et moyens des parties sur lesquels il n'est pas expressément statué par le présent arrêt sont réservés jusqu'à la fin de l'instance.
Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à l'EPSM de Saint-Avé et à M. E... A....
Délibéré après l'audience du 22 avril 2021, à laquelle siégeaient :
- Mme Perrot, président de chambre,
- Mme Brisson, président-assesseur,
- M. B..., premier conseiller.
Lu en audience publique, le 21 mai 2021.
Le rapporteur
E. B...Le président
I. PerrotLe greffier
R. Mageau
La République mande et ordonne au ministre des solidarités et de la santé en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 19NT04325