Procédure devant la cour :
Par une requête et des mémoires enregistrés les 29 avril 2019, 12 novembre 2020 et
14 décembre 2020 (ces deux derniers non communiqués) la société Allianz Iard et l'UCODICA, représentées par Me E..., demandent à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Rennes du 28 février 2019 ;
2°) de condamner solidairement la société Navtis, la société NPI et l'Etat à leur verser la somme totale de 84 450,93 euros en remboursement des sommes qu'ils ont dû eux-mêmes verser à titre d'indemnisation ;
3°) de mettre solidairement à la charge de l'Etat, de la société Navtis et de la société NPI la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ainsi que les dépens.
Elles soutiennent que :
- les premiers juges ont omis de statuer sur la responsabilité pour faute de l'Etat, de la société Navtis et de la société NPI ;
- la responsabilité sans faute de l'Etat, de la société Navtis et de la société NPI est engagée sur le fondement des dommages de travaux publics, les avaries causées aux navires Sterenn Moor et Vierge de l'océan étant en lien direct avec la mise en service d'une nouvelle conduite de gazole qui contenait de l'eau en quantité importante ;
- elle est également engagée sur le fondement de l'article 1382 du code civil, le dysfonctionnement affectant la conduite de gazole étant imputable aux manquements de l'Etat, de la société Navtis et de la société NPI.
Par des mémoires enregistrés les 1er juillet 2019 et les 25 août, 2 octobre et 11 décembre 2020 (ce dernier non communiqué) la société Navtis, représentée par Me F..., conclut :
1°) à titre principal, au rejet de la requête ;
2°) à titre subsidiaire, à ce que sa condamnation soit limitée à 10% des dommages, et que la société NPI soit condamnée à la garantir des condamnations prononcées à son encontre ;
3°) à ce que le jugement attaqué soit réformé en tant qu'il n'a pas fait droit à sa demande au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;
4°) à ce que la somme de 3 000 euros soit mise solidairement à la charge de l'UCODICA, de la société Allianz IARD et de la société NPI au titre de l'article L.761-1 du code de justice administrative, ainsi que les dépens.
Elle soutient que :
- la société NPI a manqué à ses obligations contractuelles ;
- les moyens soulevés par les requérants ne sont pas fondés.
Par un mémoire enregistré le 11 juillet 2019 la société NPI, représentée par Me D..., conclut :
1°) à titre principal, au rejet de la requête ;
2°) à titre subsidiaire, à ce que sa condamnation soit limitée à 40% des dommages, à ce que la société Navtis, la société Lagadec et l'Etat soient condamnés à la garantir des condamnations prononcées à son encontre et au rejet des conclusions de la société Navtis dirigées contre elle ;
3°) par la voie de l'appel incident, à ce que la société Allianz Iard et l'UCODICA soient condamnées à lui verser la somme de 8 879 euros au titre des frais qu'elle a exposés pour le stockage et la destruction du gazole impropre à sa destination ;
4°) à ce que soit mise solidairement à la charge des requérants la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ainsi que les dépens.
Elle soutient que :
- les moyens soulevés par les requérants ne sont pas fondés ;
- c'est à tort que les premiers juges ont estimé qu'elle n'établissait pas la matérialité des frais restés à sa charge au titre du stockage et de la destruction du gazole pollué.
Par un mémoire enregistré le 1er octobre 2020 le ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires conclut au rejet de la requête et des conclusions d'appel en garantie dirigées contre l'Etat.
Il soutient que :
- les conclusions d'appel en garantie formulées contre lui par la société NPI sont nouvelles en appel et donc irrecevables ;
- les moyens soulevés par les requérants ne sont pas fondés.
Les parties ont été informées, en application des dispositions de l'article R. 611-7 du code de justice administrative, de ce que l'arrêt était susceptible d'être fondé sur un moyen relevé d'office, tiré de ce qu'il n'appartient pas à la juridiction administrative de connaître des conclusions reconventionnelles présentées par la société NPI.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code des ports maritimes ;
- le code des transports ;
- le décret n° 2015-233 du 27 février 2015 ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. C...,
- les conclusions de M. Gauthier, rapporteur public,
- les observations de Me A..., représentant la société Allianz Iard et l'UCODICA, et de Me B..., représentant la société Navtis.
Considérant ce qui suit :
1. L'Union des coopératives de distribution de carburant (UCODICA), dont l'assureur est la société Allianz Iard, est une société coopérative qui exploite depuis le 1er octobre 2005 les stations d'avitaillement en carburant du port de Roscoff, en vertu d'une convention de délégation de service public qui lui a été consentie par la chambre de commerce et d'industrie (CCI) de Morlaix. La CCI de Morlaix a engagé à partir de 2009 d'importants travaux d'extension du port de Roscoff. La maîtrise d'oeuvre de ces travaux a été confiée à l'Etat (direction départementale des territoires et de la mer) et leur exécution à un groupement d'entreprises solidaires auquel a participé la société Lagadec TP. Une nouvelle conduite de transport de gazole de 136 mètres de long a ainsi été posée en juin 2012 par la société Navtis, sous-traitant de la société Lagadec TP. Les essais hydrauliques de cette canalisation ont été réalisés le 28 juin par la société NPI, également sous-traitant de la société Lagadec TP. Le raccordement de la canalisation a été effectué le 29 juin 2012 par la société Navtis. Le même jour, l'UCODICA a remis en service son poste d'avitaillement après avoir effectué une simple purge d'air. Dans la nuit du 30 juin au 1er juillet 2012, les navires Sterenn Mor et Vierge de l'océan se sont ravitaillés en carburant à cette station. Leurs moteurs ont connu par la suite des avaries liées à la présence d'une quantité importante d'eau douce dans le gazole. Les démarches amiables n'ayant pas abouti, la cour d'appel de Rennes, saisie sur jugement du tribunal de commerce de Brest, a, par des arrêts du 12 juin 2018, condamné l'UCODICA et son assureur à réparer les préjudices subis par les armateurs des deux navires sur le fondement de la garantie des vices cachés. La résolution de la vente de gazole, la restitution de son prix, ainsi que la prise en charge des coûts de stockage et de destruction du carburant pollué ont également été prononcées par cette juridiction. L'UCODICA et la société Allianz Iard, estimant que la présence d'eau dans le gazole relevait de la responsabilité de l'Etat et des sociétés Navtis et NPI à raison des travaux de construction et de mise en service de la nouvelle canalisation de gazole, ont demandé au tribunal administratif de Rennes la condamnation solidaire de ces derniers à lui rembourser les sommes respectives de 47 141,84 euros et de 19 050,50 euros mises à leur charge par le juge judiciaire. La société NPI a, par voie reconventionnelle, demandé au tribunal la condamnation de l'UCODICA et de la société Allianz Iard à lui verser la somme de 8 879 euros qu'elle soutient avoir exposée pour le stockage et la destruction du gazole pollué. Par un jugement du 28 février 2019, le tribunal administratif de Rennes a rejeté ces demandes. L'UCODICA et la société Allianz Iard relèvent appel de ce jugement. La société NPI demande l'annulation de ce jugement en tant qu'il n'a pas fait droit à sa demande indemnitaire.
Sur les conclusions de l'UCODICA et de la société Allianz :
2. Il appartient à une personne qui s'estime victime d'un dommage de travaux publics de rapporter la preuve du lien de cause à effet entre ces travaux et le dommage dont elle se plaint ainsi que la réalité de celui-ci. Même en l'absence de faute, le maître d'ouvrage et les constructeurs sont responsables à l'égard des tiers des dommages causés à ceux-ci par l'exécution d'un travail public qui présentent un caractère anormal et spécial. Ils ne peuvent dégager leur responsabilité que s'ils établissent que ces dommages sont imputables à un cas de force majeure ou à une faute de la victime.
3. Si, en vertu d'une convention de délégation de service public signée le 1er octobre 2005, l'UCODICA a reçu pour mission de la CCI de Morlaix de gérer et d'exploiter le service d'avitaillement en carburant du port de Roscoff, avec pour charge d'en assurer " l'entretien, la maintenance et la surveillance ", de sorte qu'elle ne peut être qualifiée d'usager de l'ouvrage public concerné, il n'en reste pas moins que cette coopérative a supporté en tant que tiers les travaux d'extension du port de Roscoff entrepris par la CCI de Morlaix, en particulier les travaux de construction et de mise en service d'une nouvelle conduite de gazole exécutés par les sociétés Navtis et NPI, sous la maîtrise d'oeuvre de l'Etat (DDTM). Par suite, la responsabilité sans faute de ces entrepreneurs est susceptible d'être engagée à raison des dommages causés à l'UCODICA dans le cadre de la réalisation des travaux publics en litige.
4. Il résulte de l'instruction, en particulier des conclusions de l'expert mandaté par le tribunal de commerce de Brest en 2014, que la présence d'eau douce dans les cuves de stockage de carburant des navires Sterenn Mor et Vierge de l'océan a pour origine directe les avitaillements effectués dans la nuit du 30 juin au 1er juillet 2012 à la station exploitée par l'UCODICA, et que la seule cause plausible de pollution de ce carburant est une présence résiduelle d'eau douce dans la conduite de gazole provenant des essais hydrauliques d'étanchéité effectués avant sa mise en service.
5. S'il résulte également de cette expertise que cette présence d'eau douce en quantité anormale résulte de divers manquements commis par les personnes en charge de vérifier l'état de la conduite avant sa mise en service, la société UCODICA, qui avait assisté aux épreuves hydrauliques permettant de tester cette conduite et aux opérations de réception de celles-ci, n'a, malgré sa connaissance du caractère dégradé des conditions de réception du réseau de distribution et alors qu'elle ne disposait pas encore du procès-verbal des épreuves hydrauliques, pas procédé à la purge au gazole de l'ensemble de son circuit de distribution, n'a opéré aucun test de qualité du gazole aux volucompteurs et s'est contentée d'une vérification sommaire de l'alimentation et du fonctionnement des pompes avant de basculer en mode automatique pour le week-end.
6. Enfin, il ne résulte de l'instruction ni que le mauvais fonctionnement de l'installation de ravitaillement en carburant aurait pour cause un dysfonctionnement lié à un défaut de fabrication ou à un vice de conception de l'ouvrage lui-même, sur lequel la société UCODICA n'aurait pas eu de prise, ni que les défaillances et le manque de rigueur constatés par l'expert à l'encontre de l'Etat et des sociétés NPI, Navtis et Lagadec pourraient être regardés comme constituant les causes directes et certaines de la livraison de carburant pollué, alors que le fournisseur de celui-ci, la société UCODICA, se trouvait en bout de chaîne, en relation avec le client et à même normalement de prévenir le dommage par un contrôle adéquat de l'installation lors de sa remise en service ou par une vérification de la qualité des carburants en sortie de pompe.
7. Il suit de là qu'en l'absence d'un lien de causalité direct entre la réalisation des travaux publics en litige et les dommages subis par la coopérative UCODICA, cette dernière et la société Allianz IARD ne sont pas fondées à soutenir que la responsabilité des sociétés Navtis et NPI ainsi que de l'Etat (DDTM du Finistère) serait engagée à raison des préjudices résultant pour eux de la nécessité dans laquelle ils se sont trouvés de devoir indemniser les propriétaires des navires Sterenn Mor et Vierge de l'océan.
Sur les conclusions de la société NPI :
8. Il résulte de l'instruction que les frais de stockage et de destruction du gazole frelaté ont, par les deux arrêts de la cour d'appel de Rennes du 12 juin 2008 déjà cités, été mis à la charge de l'UCODICA et de la société Allianz Iard. Si la société NPI entend faire valoir que ces frais sont en réalité restés à sa charge, un tel litige, qui se rattache à l'exécution des arrêts précités et concerne des personnes privées, ne relève pas de la compétence du juge administratif. Ces conclusions doivent donc être rejetées comme portées devant une juridiction incompétente pour en connaître.
Sur les appels en garanties de la société Navtis et de la société NPI :
9. En l'absence de toute condamnation prononcée à leur encontre, les conclusions à fin d'appel en garantie formulées par les sociétés Navtis et NPI, dépourvues d'objet, ne peuvent qu'être rejetées.
10. Il résulte de tout ce qui précède, sans qu'il soit besoin d'examiner la régularité du jugement attaqué, que l'UCODICA et la société Allianz Iard, d'une part, et la société NPI, d'autre part, ne sont pas fondées à se plaindre de ce que, par ce jugement, le tribunal administratif de Rennes a rejeté leurs demandes.
Sur les frais de première instance et d'appel :
11. D'une part, c'est à bon droit que les premiers juges ont, dans les circonstances de l'espèce, rejeté les conclusions présentées par la société Navtis au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
12. D'autre part, il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de laisser à la charge des parties les frais qu'elles ont exposés à l'occasion de la présente instance.
DÉCIDE :
Article 1er : La requête de la société Allianz Iard et de l'UCODICA est rejetée.
Article 2 : Les conclusions présentées par la société NPI sont rejetées comme portées devant une juridiction incompétente pour en connaître.
Article 3 : Les conclusions présentées devant la cour par les sociétés Navtis et NPI sont rejetées.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à la société Allianz Iard, à l'UCODICA, à la société Navtis, à la société NPI, à la société Lagadec TP et au ministre de la transition écologique.
Délibéré après l'audience du 17 décembre 2020, à laquelle siégeaient :
- Mme Brisson, président,
- M. C..., premier conseiller,
- Mme Le Barbier, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 22 janvier 2021.
Le rapporteur
E. C...Le président
C. Brisson Le greffier
R. Mageau La République mande et ordonne au ministre de la transition écologique en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 19NT01635