Procédure devant la cour :
Par une requête et un mémoire enregistrés le 21 mai 2015 et le 26 mai 2016, M. B...E..., représenté par MeA..., demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Caen du 27 novembre 2014 ;
2°) d'annuler la décision du 24 janvier 2014 le plaçant en isolement à titre provisoire au centre pénitentiaire d'Alençon-Condé-sur-Sarthe ;
3°) de mettre à la charge de l'État le versement à son conseil, qui renonce à percevoir la part contributive de l'État au titre de l'aide juridictionnelle, d'une somme de 2 800 euros sur le fondement des dispositions combinées des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991.
Il soutient que :
- sa requête en excès de pouvoir à l'encontre d'une mesure de placement en cellule disciplinaire à titre préventif est recevable ;
- le sens des conclusions du rapporteur public, mis en ligne la veille de l'audience, qui se bornait à mentionner le rejet de sa demande sans autre motivation, ne répond pas aux exigences de l'article R. 711-3 du code de justice administrative ; cette circonstance qui méconnaît le droit à un procès équitable entache d'irrégularité le jugement attaqué ;
- le jugement est entaché d'irrégularité en ce qu'il n'est pas signé, en ce que les premiers juges ont omis de statuer sur le moyen tiré de l'effectivité pour les personnes incarcérées de savoir si, au moment de l'édiction de la mesure et non au moment de la procédure juridictionnelle ultérieure, le signataire de la décision bénéficiait d'une délégation de signature régulièrement publiée, en ce qu'il n'est pas suffisamment motivé et en ce qu'il est entaché de contradiction de motifs ;
- la signature de l'auteur de la décision le plaçant en cellule disciplinaire à titre préventif est illisible en méconnaissance de l'article 4 de la loi du 12 avril 2000 ; cette décision est irrégulière car les personnes incarcérées ne sont pas en mesure de savoir si, au moment de l'édiction de la mesure et non au moment de la procédure juridictionnelle ultérieure, le signataire de la décision bénéficiait d'une délégation de signature régulièrement publiée ;
- la décision de placement préventif en cellule disciplinaire est entachée d'une erreur d'appréciation en ce qu'il n'est pas justifié que la mesure contestée constituait l'unique moyen de préserver l'ordre dans l'établissement ; elle est également entachée d'une erreur de fait ; les faits rapportés par le surveillant, qui constituent une preuve de l'administration pour elle-même, ne peuvent à eux-seuls fonder la décision contestée.
Par un mémoire en défense, enregistré le 18 mai 2016, le ministre de la justice conclut au rejet de la requête.
Il fait valoir qu'aucun des moyens soulevés par M. B...E...n'est fondé.
Par une ordonnance du 19 avril 2016, la clôture d'instruction a été fixée au 19 mai 2016 en application des articles R. 613-1 et R. 613-3 du code de justice administrative.
Par ordonnance du 19 mai 2016, la clôture d'instruction a été reportée au 30 juin 2016 à 12h00.
M. B...E...a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 30 mars 2015.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la loi n°79-587 du 11 juillet 1979 ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- la loi n° 2000-321 du 12 avril 2000 ;
- le code de procédure pénale ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Lemoine,
- et les conclusions de M. Giraud, rapporteur public.
1. Considérant que M. B...E...relève appel du jugement du 27 novembre 2014 par lequel le tribunal administratif de Caen a rejeté sa demande tendant à l'annulation de la décision du 24 janvier 2014 du directeur du centre pénitentiaire d'Alençon - Condé-sur-Sarthe le plaçant à l'isolement à titre provisoire ;
Sur la régularité du jugement attaqué :
2. Considérant que si les premiers juges se sont prononcés sur la compétence de M. D... pour prendre en application de l'article R. 57-7- 65 du code de procédure pénale la décision contestée, ils ont toutefois omis de se prononcer sur le moyen distinct, qui n'était pas inopérant, tiré de ce que la signature apposée sur la décision en litige était illisible en méconnaissance de l'article 4 de la loi du 12 avril 2000 ; que, par suite, le jugement attaqué qui est irrégulier de ce fait, doit être annulé ;
3. Considérant qu'il y a lieu pour la cour de se prononcer immédiatement par la voie de l'évocation sur les conclusions présentées par M. B...E...devant le tribunal administratif et devant la cour tendant à l'annulation de la décision du 24 janvier 2014 du directeur du centre pénitentiaire d'Alençon - Condé-sur-Sarthe ;
Sur la légalité de la décision du directeur du centre pénitentiaire d'Alençon-Condé-sur-Sarthe du 24 janvier 2014 le plaçant en isolement à titre provisoire :
En ce qui concerne la légalité externe :
4. Considérant, en premier lieu, qu'aux termes de l'article R. 57-7-65 du code de procédure pénale : " En cas d'urgence, le chef d'établissement peut décider le placement provisoire à l'isolement de la personne détenue, si la mesure est l'unique moyen de préserver la sécurité des personnes ou de l'établissement. " ; qu'il ressort des pièces du dossier que M. D..., directeur de l'établissement pénitentiaire, était compétent en application de ces dispositions pour signer la décision du 24 janvier 2014 contestée sans délégation de signature supplémentaire ; que, par suite, le moyen qui est inopérant tiré par M. B...E...de ce que cette décision serait irrégulière au motif que les personnes incarcérées ne seraient pas à même de savoir si, au moment de l'édiction de la mesure et non au moment de la procédure juridictionnelle ultérieure, le signataire de la décision bénéficiait d'une délégation de signature régulièrement publiée doit être écarté ;
5. Considérant, en deuxième lieu, qu'aux termes de l'article 4 de la loi du 12 avril 2000, alors en vigueur : " Toute décision prise par l'une des autorités administratives mentionnées à l'article 1er comporte, outre la signature de son auteur, la mention, en caractères lisibles, du prénom, du nom et de la qualité de celui-ci. " ; qu'il ressort des mentions portées sur la décision contestée que le prénom, le nom, la signature ainsi que la qualité du directeur de l'établissement auteur de cette décision figurent sur celle-ci de manière parfaitement lisible ; que l'ensemble de ces mentions permettaient à M. B...E...d'identifier l'auteur de la décision ; que, dans ces conditions, le moyen tiré de la méconnaissance des dispositions précitées de l'article 4 de la loi du 12 avril 2000 manque en fait ;
6. Considérant, en deuxième lieu, qu'aux termes de l'article 24 de la loi du 12 avril 2000 relative aux droits des citoyens dans leurs relations avec l'administration alors en vigueur et aujourd'hui codifié aux articles L. 121-1 et L. 121-2 du code des relations entre le public et l'administration : " Exception faite des cas où il est statué sur une demande, les décisions individuelles qui doivent être motivées en application des articles 1er et 2 de la loi n° 79-587 du 11 juillet 1979 (...) n'interviennent qu'après que la personne intéressée a été mise à même de présenter des observations écrites et, le cas échéant, sur sa demande, des observations orales (...)/ Les dispositions de l'alinéa précédent ne sont pas applicables :/ 1° En cas d'urgence ou de circonstances exceptionnelles ;/ 2° Lorsque leur mise en oeuvre serait de nature à compromettre l'ordre public ou la conduite des relations internationales (...) " ; que si les décisions plaçant un détenu à l'isolement entrent dans le champ des décisions devant être motivées, l'administration n'est pas tenue, lorsqu'elle prend une telle décision en urgence en application des dispositions de l'article R. 57-7-65 du code de procédure pénale, de recueillir au préalable les observations du détenu ; que pour le même motif tiré de l'urgence de la situation et de la nécessité de préserver l'ordre public dans l'établissement pénitentiaire, M. B...E...n'est pas fondé à soutenir que le principe général du droit de l'Union Européenne d'être entendu aurait été méconnu ;
En ce qui concerne la légalité interne :
7. Considérant qu'il ressort des pièces versées au dossier que l'intéressé a provoqué un incident le 16 janvier 2014 en prenant à partie de manière violente le directeur de l'établissement ; que ce comportement agressif faisait suite à de nombreuses menaces vis-à-vis du personnel de l'établissement recensées dans la décision contestée, ce que M. B...E... ne conteste pas ; que si le requérant soutient que la décision du 23 janvier 2014 n'était plus justifiée par l'urgence, il ressort des pièces du dossier que dès le 17 janvier 2014, M. B...E...a refusé, de manière réitérée, d'obtempérer à la mesure de placement à l'isolement dont il faisait l'objet et que ces faits, constitutifs d'une faute disciplinaire de second degré ont été punis par une sanction de sept jours de cellule disciplinaire prononcée à son encontre le 20 janvier 2014 assortie de trois jours de mise en prévention jusqu'au 23 janvier 2014, après qu'il ait fait l'objet d'une décision du 17 janvier 2014 le plaçant à titre préventif en cellule disciplinaire jusqu'au 20 janvier 2014 ; qu'ainsi, compte tenu des mesures dont M. B...E...faisait l'objet jusqu'au 23 janvier 2014, de son refus précédent d'obtempérer à son placement à l'isolement avant cette date, et de l'ensemble du comportement agressif du requérant qui menaçait régulièrement de prendre en otage des membres du personnel, c'est sans commettre d'erreur d'appréciation que le directeur de l'établissement pénitentiaire a estimé que la mesure contestée du 24 janvier 2014, intervenue dans le plus court délai possible, était, dans l'urgence, l'unique moyen de préserver la sécurité des personnes et de l'établissement pénitentiaire ;
8. Considérant qu'il résulte de ce qui précède que M. B...E...n'est pas fondé à demander l'annulation de la décision contestée du directeur du centre pénitentiaire d'Alençon-Condé-sur-Sarthe du 24 janvier 2014 le plaçant en isolement à titre provisoire ;
Sur les conclusions tendant à l'application des dispositions des articles 37 de la loi du 10 juillet 1991 et L. 761-1 du code de justice administrative :
9. Considérant que ces dispositions font obstacle à ce que soit mis à la charge de l'État, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, le versement de la somme que le conseil de M. B...E...demande au titre des frais exposés et non compris dans les dépens ;
DÉCIDE :
Article 1er : Le jugement n° 1400434 du tribunal administratif de Caen en date du 27 novembre 2014 est annulé.
Article 2 : La demande présentée par M. B...E...devant le tribunal administratif de Caen et le surplus des conclusions de sa requête sont rejetés.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à M. B...E...et au Garde des sceaux, ministre de la justice.
Délibéré après l'audience du 16 mars 2017 à laquelle siégeaient :
- M. Coiffet, président-assesseur,
- M. Gauthier, premier conseiller,
- M. Lemoine, premier conseiller.
Lu en audience publique le 31 mars 2017.
Le rapporteur,
F. Lemoine
Le président,
O. Coiffet
Le greffier,
M. F...
La République mande et ordonne au garde des sceaux, ministre de la justice en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 15NT01596