Procédure devant la cour :
Par une requête, enregistrée le 4 novembre 2021, M. A..., représenté par Me Néraudau, demande à la cour :
1°) d'annuler le jugement du 5 août 2021 du magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Nantes en tant qu'il a rejeté sa demande d'annulation de la décision prononçant son transfert en Italie ;
2°) d'annuler l'arrêté du 22 juillet 2021 du préfet de Maine-et-Loire décidant son transfert en Italie ;
3°) d'enjoindre au préfet de Maine-et-Loire, à titre principal, de lui délivrer une attestation de demande d'asile en procédure normale et, à titre subsidiaire, de réexaminer sa situation dans les meilleurs délais ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat le versement à son conseil, qui renonce à percevoir la part contributive de l'Etat au titre de l'aide juridictionnelle, d'une somme de 2 000 euros sur le fondement des dispositions combinées des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991.
Il soutient que :
- la décision de transfert est irrégulière dès lors que l'information qui lui a été donnée est intervenue tardivement, en violation des dispositions de l'article 4 du règlement n° 604/2013 du 26 juin 2013 ;
- la décision de transfert est entachée d'une erreur de fait commise par le préfet portant sur le défaut de consultation d'un médecin depuis son arrivée en France et le jugement conclut à tort à son absence de vulnérabilité ;
- la décision de transfert est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation commise par le préfet au regard des dispositions de l'article 17 du règlement du 26 juin 2013 et méconnaît les stipulations des articles 4 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne et 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.
Par un mémoire en défense, enregistré le 30 décembre 2021, le préfet de Maine-et-Loire conclut au rejet de la requête.
Il soutient que les moyens soulevés par M. A... ne sont pas fondés.
M. A... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 4 octobre 2021.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne ;
- le règlement (CE) n° 1560/2003 de la Commission du 2 septembre 2003 ;
- le règlement (UE) n° 603/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 ;
- le règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le code de justice administrative.
Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Guéguen, premier conseiller,
- et les observations de Me Néraudau, représentant M. A....
Considérant ce qui suit :
1. M. A..., ressortissant guinéen né le 20 janvier 1998, est entré irrégulièrement sur le territoire français, le 6 mai 2021 selon ses déclarations. Le 12 mai 2021, il a présenté une demande d'asile à la préfecture de la Loire-Atlantique. La consultation du fichier Eurodac a révélé que ses empreintes décadactylaires ont été relevées en Italie le 26 mars 2021 pour avoir franchi irrégulièrement la frontière de ce pays. Les autorités françaises ont, le 18 mai 2021, saisi les autorités italiennes d'une demande de prise en charge de l'intéressé, sur le fondement des dispositions de l'article 13 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 établissant les critères et mécanismes de détermination de l'État membre responsable de l'examen d'une demande de protection internationale introduite dans l'un des États membres par un ressortissant de pays tiers ou un apatride. Les autorités italiennes ont, dans les conditions prévues au paragraphe 7 de l'article 22 de ce règlement, implicitement accepté la prise en charge de l'intéressé. Par deux arrêtés du 22 juillet 2021, le préfet de Maine-et-Loire a décidé le transfert de M. A... aux autorités italiennes et l'a assigné à résidence dans le département de la Loire-Atlantique pour une durée de quarante-cinq jours, renouvelable trois fois. M. A... relève appel du jugement du 5 août 2021 du magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Nantes en tant qu'il a rejeté sa demande tendant à l'annulation de l'arrêté du 22 juillet 2021 par lequel le préfet de Maine-et-Loire a décidé son transfert aux autorités italiennes.
Sur le bien-fondé du jugement attaqué :
2. En premier lieu, aux termes de l'article 4 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 : " Dès qu'une demande de protection internationale est introduite au sens de l'article 20, paragraphe 2, dans un Etat membre, ses autorités compétentes informent le demandeur de l'application du présent règlement, et notamment : / a) des objectifs du présent règlement et des conséquences de la présentation d'une autre demande dans un Etat membre différent ainsi que des conséquences du passage d'un Etat membre à un autre pendant les phases au cours desquelles l'Etat membre responsable en vertu du présent règlement est déterminé et la demande de protection internationale est examinée ; / b) des critères de détermination de l'Etat membre responsable, de la hiérarchie de ces critères au cours des différentes étapes de la procédure et de leur durée, y compris du fait qu'une demande de protection internationale introduite dans un Etat membre peut mener à la désignation de cet Etat membre comme responsable en vertu du présent règlement même si cette responsabilité n'est pas fondée sur ces critères ; / c) de l'entretien individuel en vertu de l'article 5 et de la possibilité de fournir des informations sur la présence de membres de la famille, de proches ou de tout autre parent dans les Etats membres, y compris des moyens par lesquels le demandeur peut fournir ces informations ; / d) de la possibilité de contester une décision de transfert et, le cas échéant, de demander une suspension du transfert ; / e) du fait que les autorités compétentes des Etats membres peuvent échanger des données le concernant aux seules fins d'exécuter leurs obligations découlant du présent règlement ; / f) de l'existence du droit d'accès aux données le concernant et du droit de demander que ces données soient rectifiées si elles sont inexactes ou supprimées si elles ont fait l'objet d'un traitement illicite, ainsi que des procédures à suivre pour exercer ces droits (...). / 2. Les informations visées au paragraphe 1 sont données par écrit, dans une langue que le demandeur comprend ou dont on peut raisonnablement supposer qu'il la comprend. Les Etats membres utilisent la brochure commune rédigée à cet effet en vertu du paragraphe 3. / Si c'est nécessaire à la bonne compréhension du demandeur, les informations lui sont également communiquées oralement, par exemple lors de l'entretien individuel visé à l'article 5. (...) ".
3. Il résulte de ces dispositions que le demandeur d'asile auquel l'administration entend faire application du règlement n° 604/2013 du 26 juin 2013 doit se voir remettre l'ensemble des éléments d'information prévus au paragraphe 1 de l'article 4 du règlement. La remise de ces éléments doit intervenir en temps utile pour lui permettre de faire valoir ses observations, c'est-à-dire au plus tard lors de l'entretien prévu par les dispositions de l'article 5 du même règlement, entretien qui doit notamment permettre de s'assurer qu'il a compris correctement ces informations. Eu égard à leur nature, la remise par l'autorité administrative de ces informations prévues par les dispositions précitées constitue pour le demandeur d'asile une garantie.
4. Il ressort des pièces du dossier que M. A... a attesté par sa signature sur le compte rendu d'entretien avoir reçu communication le 12 mai 2021, jour de la présentation de sa demande d'asile, dans leurs versions en langue française, qu'il a déclaré comprendre alors même qu'il aurait une meilleure compréhension de la langue soussou, du guide du demandeur d'asile et de l'information sur les règlements communautaires, constituée de deux brochures qui contenaient l'ensemble des informations visées au 1 de l'article 4 du règlement du 26 juin 2013. Si les informations prévues à l'article 4 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 ont été communiquées à M. A... lors de l'enregistrement de sa demande d'asile par les services de la préfecture de la Loire-Atlantique, en leur qualité de guichet unique des demandeurs d'asile, le 12 mai 2021, soit postérieurement à la date à laquelle l'intéressé s'est présenté dans une structure de premier accueil des demandeurs d'asile, une telle circonstance est sans incidence sur la légalité de la décision contestée dès lors qu'il ne résulte pas des dispositions du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 que les informations en cause doivent être délivrées préalablement à l'enregistrement de la demande d'asile au guichet unique des demandeurs d'asile. Par suite, et alors même que les informations en cause n'ont pas été délivrées avant l'entretien individuel, à supposer même qu'elles ne l'auraient été qu'à la fin de l'entretien, ce que le requérant n'établit au demeurant pas, le moyen tiré d'une méconnaissance de l'article 4 du règlement n° 604/2013 du 26 juin 2013 doit être écarté.
5. En deuxième lieu, il ressort également des pièces du dossier que M. A..., qui avait fait état de maux de ventre lors de l'entretien du 12 mai 2021, a consulté un médecin le 21 juin 2021 au centre hospitalier universitaire de Nantes, que ce médecin lui a prescrit du paracétamol et deux médicaments appropriés en cas de troubles gastriques et qu'un autre rendez-vous lui a été fixé dans le même établissement le 6 juillet 2021. Dès lors, l'arrêté contesté, en énonçant que M. A... n'a pas consulté de médecin depuis son arrivée en Europe, est entaché d'une erreur de fait. Toutefois, le préfet de Maine-et-Loire expose également que l'intéressé déclare avoir des problèmes de santé consistant en des maux de ventre, sans apporter de justificatifs médicaux, que ses problèmes de santé n'ont pas constitué un obstacle à ses déplacements en France et en Europe et qu'il n'établit pas que son état se soit dégradé depuis son arrivée sur le territoire français. Il résulte par ailleurs de l'ensemble des pièces du dossier que le préfet se serait fondé sur ces seuls motifs, qui ne sont pas quant à eux entachés d'erreur de fait, notamment celui tiré de l'absence de justificatifs médicaux dès lors que ces derniers documents ont été produits seulement devant le juge, pour en conclure, au terme d'un examen attentif de la situation de M. A..., que celui-ci ne présente pas de vulnérabilité particulière, ce qui ne méconnaît pas le règlement du 26 juin 2013. Dès lors, l'erreur de fait commise par le préfet de Maine-et-Loire n'est pas de nature à justifier l'annulation de l'arrêté en litige.
6. En troisième lieu, aux termes de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et de l'article 4 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne : " Nul ne peut être soumis à la torture, ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants ". Aux termes de l'article 3, paragraphe 2 du règlement du 26 juin 2013 : " (...) / Lorsqu'il est impossible de transférer un demandeur vers l'Etat membre initialement désigné comme responsable parce qu'il y a de sérieuses raisons de croire qu'il existe dans cet Etat membre des défaillances systémiques dans la procédure d'asile et les conditions d'accueil des demandeurs, qui entraînent un risque de traitement inhumain ou dégradant au sens de l'article 4 de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, l'Etat membre procédant à la détermination de l'Etat membre responsable poursuit l'examen des critères énoncés au chapitre III afin d'établir si un autre Etat membre peut être désigné comme responsable (...) ". Aux termes de l'article 17, paragraphe 1, du même règlement : " Par dérogation à l'article 3, paragraphe 1, chaque État membre peut décider d'examiner une demande de protection internationale qui lui est présentée par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, même si cet examen ne lui incombe pas en vertu des critères fixés dans le présent règlement. / L'État membre qui décide d'examiner une demande de protection internationale en vertu du présent paragraphe devient l'État membre responsable et assume les obligations qui sont liées à cette responsabilité. (...) ". Aux termes de l'article L. 571-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Lorsque l'autorité administrative estime que l'examen d'une demande d'asile relève de la compétence d'un autre Etat qu'elle entend requérir, en application du règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013, il est procédé à l'enregistrement de la demande selon les modalités prévues au chapitre I du titre II. / Une attestation de demande d'asile est délivrée au demandeur selon les modalités prévues à l'article L. 521-7. Elle mentionne la procédure dont il fait l'objet. Elle est renouvelable durant la procédure de détermination de l'Etat responsable et, le cas échéant, jusqu'à son transfert effectif à destination de cet Etat. / Le présent article ne fait pas obstacle au droit souverain de l'Etat d'accorder l'asile à toute personne dont l'examen de la demande relève de la compétence d'un autre Etat. ".
7. Ces dispositions doivent être appliquées dans le respect des droits garantis par la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne et la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. Eu égard au niveau de protection des libertés et des droits fondamentaux dans les Etats membres de l'Union européenne, lorsque la demande de protection internationale a été introduite dans un Etat autre que la France, que cet Etat a accepté de prendre ou de reprendre en charge le demandeur et en l'absence de sérieuses raisons de croire qu'il existe dans cet État membre des défaillances systémiques dans la procédure d'asile et les conditions d'accueil des demandeurs, qui entraînent un risque de traitement inhumain ou dégradant au sens de l'article 4 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, les craintes dont le demandeur fait état quant au défaut de protection dans cet Etat membre doivent en principe être présumées non fondées, sauf à ce que l'intéressé apporte, par tout moyen, la preuve contraire. La seule circonstance qu'à la suite du rejet de sa demande de protection par cet Etat membre l'intéressé serait susceptible de faire l'objet d'une mesure d'éloignement ne saurait caractériser la méconnaissance par cet Etat de ses obligations.
8. D'une part, il ne ressort pas des pièces du dossier qu'il y aurait des raisons sérieuses de croire qu'il existe en Italie des défaillances systémiques dans la procédure d'asile et les conditions d'accueil des demandeurs, entraînant un risque de traitement inhumain ou dégradant au sens de l'article 4 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne. Le requérant, qui n'apporte pas la preuve contraire, ne justifie d'aucun élément particulier susceptible d'établir qu'il risquerait d'être soumis en Italie à de tels traitements. La seule circonstance, au demeurant non établie, que les autorités italiennes seraient susceptibles de décider une mesure d'éloignement à son égard ne saurait suffire à caractériser une méconnaissance des obligations de ce pays en matière de procédure d'asile et d'accueil des demandeurs.
9. D'autre part, si M. A... rappelle la situation de vulnérabilité inhérente à la qualité de demandeur d'asile, il ne justifie en ce qui le concerne d'aucun facteur de vulnérabilité particulière susceptible de faire obstacle à son transfert aux autorités italiennes. Il ne ressort pas davantage des pièces du dossier que son état de santé, qui ne présente aucun caractère de particulière gravité, ferait obstacle à son transfert en Italie où, contrairement à ce qu'il soutient, les demandeurs d'asile sont susceptibles de bénéficier d'une prise en charge sanitaire.
10. Dès lors, les moyens tirés de ce que la décision contestée aurait été prise en méconnaissance des stipulations des articles 4 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne et 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et serait entachée d'une erreur manifeste d'appréciation au regard des dispositions de l'article 17 du règlement n° 604/2013 du 26 juin 2013 ne peuvent qu'être écartés.
11. En quatrième et dernier lieu, contrairement à ce que soutient M. A..., les autorités italiennes, qui ont accepté de le prendre en charge, fût-ce de manière implicite par une décision intervenue le 18 juillet 2021, n'ont pas, à la date de l'arrêté contesté, suspendu toute prise en charge ou reprise en charge de demandeurs d'asile dont l'examen de la demande relève de leur responsabilité. Au surplus, le moyen invoqué sur ce point ne concernant que l'exécution de l'arrêté et les dispositions en vigueur du règlement du 26 juin 2013 étant, quant à elles, inchangées, ce moyen reste sans influence sur sa légalité de la décision de transfert.
12. Il résulte de tout ce qui précède que M. A... n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Nantes a rejeté sa demande.
Sur les conclusions à fin d'injonction :
13. Le présent arrêt, qui rejette la requête de M. A...(/nom)(ano)X(/ano), n'appelle aucune mesure d'exécution. Par suite, les conclusions de l'intéressé tendant à ce qu'il soit enjoint au préfet de Maine-et-Loire de lui délivrer une attestation de demande d'asile en procédure normale ou de réexaminer sa situation doivent être rejetées.
Sur les frais liés au litige :
14. Les dispositions des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991 font obstacle à ce que soit mis à la charge de l'Etat, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, le versement de la somme que le conseil de M. A... demande au titre des frais exposés et non compris dans les dépens.
D E C I D E :
Article 1er : La requête de M. A... est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à M. B... A..., à Me Néraudau et au ministre de l'intérieur.
Une copie en sera transmise au préfet de Maine-et-Loire.
Délibéré après l'audience du 18 janvier 2022, à laquelle siégeaient :
- M. Lainé, président de chambre,
- M. Rivas, président-assesseur,
- M. Guéguen, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 4 février 2022.
Le rapporteur,
J.-Y. GUÉGUEN
Le président,
L. LAINÉ La greffière,
S. LEVANT
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 21NT03101