Procédure devant la cour :
Par une requête, enregistrée le 26 novembre 2020, M. E... D... A..., représenté par Me C..., demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Nantes du 18 novembre 2020 ;
2°) d'annuler les arrêtés du 5 octobre 2020 du préfet de Maine-et-Loire décidant son transfert aux autorités maltaises et son assignation à résidence ;
3°) d'enjoindre au préfet de Maine-et-Loire, à titre principal, de lui délivrer un récépissé en qualité de demandeur d'asile dans le délai de quinze jours suivant le prononcé de l'arrêt à intervenir, sous astreinte de 100 euros par jour de retard et, subsidiairement, de statuer à nouveau sur sa demande de titre de séjour dans les mêmes conditions de délai et d'astreinte ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat le versement à son conseil d'une somme de 1 800 euros sur le fondement des dispositions combinées des articles 37 de la loi du 10 juillet 1991 et L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
en ce qui concerne l'arrêté de transfert :
- il n'est pas suffisamment motivé ;
- il est intervenu à l'issue d'une procédure irrégulière en méconnaissance des dispositions des articles 4 et 5 du règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 ;
- l'arrêté est intervenu en violation des articles 3 du règlement n° 604-2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 et 4 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne eu égard aux défaillances du dispositif d'asile à Malte ;
- l'arrêté procède d'une application manifestement erronée de l'article 17 du règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 qui permet de déroger aux critères de détermination de l'Etat responsable de l'examen d'une demande d'asile, attestant d'un défaut d'examen de sa situation, avec un risque de violation de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
en ce qui concerne la décision d'assignation à résidence :
- elle n'est pas suffisamment motivée ;
- elle est illégale du fait de l'illégalité de la décision portant transfert à Malte ;
- elle est entachée d'erreur manifeste d'appréciation au regard des dispositions de l'article L. 561-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.
Par un mémoire en défense, enregistré le 7 janvier 2021, le préfet de Maine-et-Loire conclut au rejet de la requête.
Il soutient que les moyens soulevés par M. D... A... ne sont pas fondés.
M. D... A... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 7 janvier 2021.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne ;
- le règlement (UE) n° 603/2013 du 26 juin 2013 ;
- le règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le code de justice administrative.
Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le rapport de M. B... a été entendu au cours de l'audience publique.
Considérant ce qui suit :
1. M. E... D... A..., ressortissant soudanais, déclarant être né le 1er janvier 1997, serait entré irrégulièrement en France le 3 septembre 2020. Il s'est présenté à la préfecture de Maine-et-Loire le 24 septembre 2020 pour solliciter le statut de réfugié. Les recherches menées par la préfecture sur le fichier Eurodac ont fait apparaître que ses empreintes avaient été enregistrées à Malte le 6 juin 2019. Les autorités maltaises ont été saisies le 28 septembre 2020 sur le fondement du b) du paragraphe 1 de l'article 18 du règlement (UE) du Parlement européen et du Conseil n° 604/2013 du 26 juin 2013 d'une demande de reprise en charge de l'intéressé qu'elles ont expressément acceptée sur ce même fondement. Le préfet de Maine-et-Loire a alors pris à l'encontre de M. D... A..., le 5 octobre 2020, la décision de transfert contestée ainsi qu'un arrêté l'assignant à résidence dans ce département pour une durée de quarante-cinq jours. Par un jugement du 18 novembre 2020, dont M. D... A... relève appel, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Nantes a rejeté sa demande d'annulation de ces décisions.
Sur l'étendue du litige :
En ce qui concerne la décision de transfert :
2. D'une part, aux termes de l'article 29 du règlement n° 604-2013 du 26 juin 2013 : " Le transfert du demandeur ou d'une autre personne visée à l'article 18, paragraphe 1, point c) ou d), de l'Etat membre requérant vers l'Etat membre responsable s'effectue conformément au droit national de l'Etat membre requérant, après concertation entre les Etats membres concernés, dès qu'il est matériellement possible et, au plus tard, dans un délai de six mois à compter de l'acceptation par un autre Etat membre de la requête aux fins de prise en charge ou de reprise en charge de la personne concernée ou de la décision définitive sur le recours ou la révision lorsque l'effet suspensif est accordé conformément à l'article 27, paragraphe 3. / 2. Si le transfert n'est pas exécuté dans le délai de six mois, l'Etat membre responsable est libéré de son obligation de prendre en charge ou de reprendre en charge la personne concernée et la responsabilité est alors transférée à l'Etat membre requérant. Ce délai peut être porté à un an au maximum s'il n'a pas pu être procédé au transfert en raison d'un emprisonnement de la personne concernée ou à dix-huit mois au maximum si la personne concernée prend la fuite. ".
3. D'autre part, l'introduction d'un recours devant le tribunal administratif contre la décision de transfert a pour effet d'interrompre le délai de six mois fixé à l'article 29 du règlement n° 604/2013 du 26 juin 2013, qui courait à compter de l'acceptation du transfert par l'Etat requis, délai qui recommence à courir intégralement à compter de la date de la notification à l'administration du jugement par lequel le tribunal administratif statue au principal sur cette demande, quel que soit le sens de sa décision. Ni un appel, ni d'ailleurs le sursis à exécution du jugement accordé par le juge d'appel sur une demande présentée en application de l'article R. 811-15 du code de justice administrative n'ont pour effet d'interrompre ce nouveau délai. Son expiration a pour conséquence qu'en application des dispositions du paragraphe 2 de l'article 29 du règlement, l'Etat requérant devient responsable de l'examen de la demande de protection internationale.
4. Le délai initial de six mois dont disposait le préfet de Maine-et-Loire pour procéder à l'exécution de la décision de transfert du requérant vers Malte a été interrompu par la saisine du tribunal administratif de Nantes. Ce délai a recommencé à courir intégralement à compter de la notification à l'administration, le 18 novembre 2020, du jugement attaqué. Il ressort des pièces du dossier que ce délai n'a pas fait l'objet d'une prolongation et que cet arrêté n'a pas non plus reçu exécution pendant sa période de validité. Par suite, l'arrêté en cause est caduc à la date du présent arrêt. La France est donc devenue responsable de la demande d'asile de l'intéressé, sur le fondement des dispositions du 2 de l'article 29 du règlement n° 604-2013 du 26 juin 2013. Le litige ayant perdu son objet il n'y a pas lieu de statuer sur les conclusions de M. D... A... tendant à l'annulation du jugement du 18 novembre 2020 en tant qu'il a rejeté ses conclusions en annulation de l'arrêté de transfert du 5 octobre 2020.
En ce qui concerne l'arrêté portant assignation à résidence :
5. L'arrêté portant assignation à résidence de l'intéressé ayant reçu application, il y a lieu de statuer sur les conclusions tendant à son annulation présentées par M. D... A....
S'agissant du moyen tiré de l'illégalité de l'arrêté de transfert :
6. En premier lieu, il y a lieu d'écarter les moyens tirés de l'insuffisance de motivation de l'arrêté contesté et de la violation de l'article 4 du règlement (UE) n° 604/2013, que M. D... A... reprend en appel, par adoption des motifs retenus aux points 2 à 5 du jugement attaqué.
7. En deuxième lieu, aux termes de l'article 5 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 : " 1. Afin de faciliter le processus de détermination de l'Etat membre responsable, l'Etat membre procédant à cette détermination mène un entretien individuel avec le demandeur. Cet entretien permet également de veiller à ce que le demandeur comprenne correctement les informations qui lui sont fournies conformément à l'article 4. / (...) 5. L'entretien individuel a lieu dans des conditions garantissant dûment la confidentialité. Il est mené par une personne qualifiée en vertu du droit national. / 6. L'Etat membre qui mène l'entretien individuel rédige un résumé qui contient au moins les principales informations fournies par le demandeur lors de l'entretien. Ce résumé peut prendre la forme d'un rapport ou d'un formulaire type. L'Etat membre veille à ce que le demandeur et/ou le conseil juridique ou un autre conseiller qui représente le demandeur ait accès en temps utile au résumé. ".
8. Il ressort des mentions figurant sur le compte-rendu signé par M. D... A... qu'il a bénéficié le 24 septembre 2020, soit avant l'intervention de la décision contestée, de l'entretien individuel prévu par l'article 5 précité du règlement n° 604/2013. Cet entretien s'est tenu en langue arabe, avec le concours d'un interprète de la société ISM interprétariat et rien n'établit qu'il n'aurait pas été conduit dans des conditions garantissant sa confidentialité. Il n'est pas davantage établi qu'il n'aurait pas été en capacité de comprendre les informations qui lui ont été délivrées et de faire valoir toutes observations utiles relatives à sa situation au cours de l'entretien, ainsi que cela ressort du compte-rendu qui en a été établi. Enfin dans ce même document il indique avoir reçu une copie du résumé de cet entretien. Dès lors, le moyen tiré de la violation des dispositions de l'article 5 du règlement du 26 juin 2013 n'est pas fondé et doit être écarté.
9. En troisième lieu, aux termes de l'article 3 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 : " 1. Les États membres examinent toute demande de protection internationale présentée par un ressortissant de pays tiers ou par un apatride sur le territoire de l'un quelconque d'entre eux, y compris à la frontière ou dans une zone de transit. La demande est examinée par un seul État membre, qui est celui que les critères énoncés au chapitre III désignent comme responsable. / 2. (...) Lorsqu'il est impossible de transférer un demandeur vers l'État membre initialement désigné comme responsable parce qu'il y a de sérieuses raisons de croire qu'il existe dans cet État membre des défaillances systémiques dans la procédure d'asile et les conditions d'accueil des demandeurs, qui entraînent un risque de traitement inhumain ou dégradant au sens de l'article 4 de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, l'État membre procédant à la détermination de l'État membre responsable poursuit l'examen des critères énoncés au chapitre III afin d'établir si un autre État membre peut être désigné comme responsable (...) ". Par ailleurs, l'article 4 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne dispose que : " Nul ne peut être soumis à la torture, ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants ".
10. M. D... A... fait état de l'existence de défaillances affectant les conditions d'accueil et de prise en charge des demandeurs d'asile à Malte, mais les documents qu'il produit à l'appui de ces affirmations ne permettent pas de tenir pour établi que sa demande d'asile serait exposée à un risque sérieux de ne pas être traitée par les autorités maltaises dans des conditions conformes à l'ensemble des garanties exigées par le respect du droit d'asile, alors que Malte est un Etat membre de l'Union européenne, partie tant à la convention de Genève du 28 juillet 1951 sur le statut des réfugiés, complétée par le protocole de New-York, qu'à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. Il résulte par ailleurs de ses déclarations lors de son entretien en préfecture du 24 septembre 2020 que sa demande d'asile a été examinée lors de son séjour à Malte. Ainsi, il ne démontre pas qu'il serait exposé au risque de subir à Malte des traitements contraires aux dispositions de l'article 4 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne et que la décision de transfert méconnaîtrait ainsi l'article 3 du règlement n° 604/2013 du 26 juin 2013.
11. En quatrième lieu, aux termes de l'article 17 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 : " 1. Par dérogation à l'article 3, paragraphe 1, chaque État membre peut décider d'examiner une demande de protection internationale qui lui est présentée par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, même si cet examen ne lui incombe pas en vertu des critères fixés dans le présent règlement. / L'État membre qui décide d'examiner une demande de protection internationale en vertu du présent paragraphe devient l'État membre responsable et assume les obligations qui sont liées à cette responsabilité. (...)".
12. D'une part, il ne ressort pas des pièces du dossier que le préfet de Maine-et-Loire n'aurait pas procédé à un examen particulier de la situation personnelle de M. D... A... et des conséquences de son transfert à Malte au regard notamment des garanties exigées par le respect du droit d'asile, et qu'il se serait senti lié par les critères de détermination posés par le règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013. D'autre part, l'intéressé ne produit pas de documents qui, au-delà du seul fait que son parcours d'exil a été difficile, permettraient de démontrer que sa situation le placerait dans une situation de vulnérabilité exceptionnelle imposant d'instruire sa demande d'asile en France. Dans ces conditions, il n'est pas établi que le préfet de Maine-et-Loire aurait entaché la décision de transfert d'une erreur manifeste d'appréciation dans l'application de l'article 17 du règlement précité.
13. En dernier lieu, l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales stipule que : " 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale et de sa correspondance (...) ".
14. Il ressort des pièces du dossier qu'à la date de l'arrêté contesté M. D... A... ne séjourne en France que depuis un mois et que son fils réside au Soudan. Dans ces conditions, alors même que son frère résiderait en France au bénéfice de la protection subsidiaire, le moyen tiré de la méconnaissance des stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales n'est pas fondé et doit être écarté.
S'agissant des autres moyens soulevés contre la décision d'assignation à résidence :
15. Il y a lieu d'écarter les moyens tirés de l'insuffisance de motivation de l'arrêté contesté et de l'erreur manifeste d'appréciation résultant d'un défaut d'examen particulier de sa situation, par adoption des motifs retenus aux points 14, 15 et 17 du jugement attaqué.
16. Il résulte de tout ce qui précède que M. D... A... n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Nantes a rejeté sa demande tendant à l'annulation de l'arrêté du 5 octobre 2020 du préfet de Maine-et-Loire décidant son assignation à résidence.
Sur les conclusions à fin d'injonction :
17. Si, compte tenu de la caducité de la décision de transfert contestée, la France est l'Etat membre responsable de l'examen de la demande d'asile présentée par M. D... A..., le présent arrêt, n'implique, par lui-même, aucune mesure d'exécution. Par suite, les conclusions aux fins d'injonction doivent être rejetées
Sur les frais liés au litige :
18. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce de faire droit aux conclusions présentées par M. D... A... au profit de son avocate au titre des dispositions des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991.
D E C I D E :
Article 1er : Il n'y a pas lieu de statuer sur les conclusions de la requête de M. D... A... aux fins d'annulation de la décision du 5 octobre 2020 du préfet de Maine-et-Loire portant transfert auprès des autorités maltaises.
Article 2 : Le surplus des conclusions de la requête de M. D... A... est rejeté.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié M. E... D... A... et au ministre de l'intérieur.
Une copie en sera transmise pour information au préfet de Maine-et-Loire.
Délibéré après l'audience du 18 mai 2021, à laquelle siégeaient :
- M. Lainé, président de chambre,
- M. B..., président assesseur,
- Mme F..., première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 4 juin 2021.
Le rapporteur,
C. B...
Le président,
L. Lainé
La greffière,
V. Desbouillons
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 20NT03674