Procédure devant la cour :
Par une requête, enregistrée le 14 avril 2020, Mme C... B..., représentée par Me D..., demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Nantes du 19 mars 2020 ;
2°) d'annuler les arrêtés du 20 février 2020 du préfet de Maine-et-Loire ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat le versement à son conseil d'une somme de 1 500 euros sur le fondement des dispositions combinées des articles 37 de la loi du 10 juillet 1991 et L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
en ce qui concerne la décision de transfert :
- l'arrêté procède d'une application manifestement erronée de l'article 17 du règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 ; le Portugal ne garantit pas un examen objectif de sa demande d'asile eu égard à ses liens privilégiés avec l'Angola ; elle justifie d'une situation de grande vulnérabilité eu égard à la présence à ses cotés de son fils et de son jeune frère malades ; il méconnait en conséquence les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et de l'article 3-1 de la convention internationale des droits de l'enfant ; si elle est transférée au Portugal son frère se retrouverait nécessairement éloigné de sa seule famille ;
en ce qui concerne la décision d'assignation à résidence :
- elle est illégale du fait de l'illégalité de la décision portant réadmission au Portugal ;
- elle est entachée d'erreur manifeste d'appréciation au regard des dispositions de l'article L. 561-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et des contraintes imposées.
Par un mémoire en défense, enregistré le 18 juin 2020, le préfet de Maine-et-Loire conclut au rejet de la requête.
Il soutient que les moyens soulevés par Mme B... ne sont pas fondés.
Mme B... a été admise au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 8 juin 2020.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention internationale relative aux droits de l'enfant du 26 janvier 1990 ;
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne ;
- le règlement (UE) n° 603/2013 du 26 juin 2013 ;
- le règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le code de justice administrative.
Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le rapport de M. A... a été entendu au cours de l'audience publique.
Considérant ce qui suit :
1. Mme B... ressortissante angolaise née le 24 février 1988, est entrée irrégulièrement sur le territoire français le 24 septembre 2019 et y a sollicité l'asile auprès des services de la préfecture de Maine-et-Loire le 9 octobre suivant. La consultation du fichier Visabio a révélé qu'elle était titulaire d'un visa périmé depuis moins de six mois, délivré par les autorités portugaises. Le préfet de Maine-et-Loire a alors adressé aux autorités portugaises une demande de prise en charge de l'intéressée sur le fondement de l'article 12 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013, que ces mêmes autorités ont explicitement acceptée le 10 février 2020. Par deux arrêtés du 20 février 2020, le préfet de Maine-et-Loire a ordonné la remise de Mme B... aux autorités portugaises et l'a assignée à résidence pour une durée de quarante-cinq jours. Mme B... relève appel du jugement du 19 mars 2020 par lequel le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Nantes a rejeté sa demande.
En ce qui concerne la décision de transfert :
2. Aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et sa correspondance. 2. Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique est nécessaire à la sécurité nationale (...). Par ailleurs, aux termes du point 1 de l'article 3 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant : " Dans toutes les décisions qui concernent les enfants, qu'elles soient le fait des institutions publiques ou privées de protection sociale, des tribunaux, des autorités administratives ou des organes législatifs, l'intérêt supérieur de l'enfant doit être une considération primordiale ".
3. Il ressort des pièces du dossier que Mme B... est entrée régulièrement par avion au Portugal en août 2019, puis a gagné la France, accompagnée de son fils et de son frère nés en 2009. Elle produit pour ce dernier une autorisation de voyage accordée par leurs parents la désignant comme responsable de l'enfant. Mme B..., célibataire, déclare par ailleurs ne disposer d'aucune connaissance en France, où elle n'est présente que depuis moins de six mois à la date de l'arrêté préfectoral. Or il ressort des pièces du dossier que l'accord donné par les autorités portugaises au transfert de l'intéressée ne prend en compte également que son fils et ne concerne ainsi que deux personnes au lieu de trois. Par suite, la décision préfectorale contestée implique nécessairement une séparation de Mme B... et de son frère âgé de onze ans et l'isolement de ce dernier sur le territoire français pour une durée indéterminée. En conséquence, Mme B... est fondée à soutenir que la décision contestée est intervenue en méconnaissance des stipulations des articles 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et 3 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant.
4. Il résulte de ce qui précède, sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens de la requête, que Mme B... est fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Nantes a rejeté sa demande tendant à l'annulation de l'arrêté du préfet de Maine-et-Loire du 20 février 2020 décidant son transfert auprès des autorités portugaises pour l'examen de sa demande d'asile et celle de son fils, ainsi que, par voie de conséquence, de l'arrêté du 20 février 2020 décidant son assignation à résidence.
Sur les frais d'instance :
5. Mme B... a obtenu le bénéfice de l'aide juridictionnelle totale. Son avocat peut ainsi se prévaloir des dispositions des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat le versement à Me D..., avocat de la requérante, d'une somme de 1 000 euros dans les conditions fixées à l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 et à l'article 108 du décret du 19 décembre 1991.
D E C I D E :
Article 1er : Le jugement n° 2002625 du tribunal administratif de Nantes du 19 mars 2020 et les arrêtés du 20 février 2020 du préfet de Maine-et-Loire portant transfert de Mme B... et de son fils auprès des autorités portugaises et assignation à résidence de Mme B... sont annulés.
Article 2 : L'Etat versera à Me D..., conseil de Mme B..., la somme de 1 000 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative dans les conditions fixées à l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié Mme C... B... et au ministre de l'intérieur.
Une copie en sera transmise pour information au préfet de Maine-et-Loire.
Délibéré après l'audience du 15 septembre 2020, à laquelle siégeaient :
- M. Lainé, président de chambre,
- M. A..., président assesseur,
- Mme E..., première conseillère.
Lu en audience publique, le 17 septembre 2020.
Le rapporteur,
C. A...
Le président,
L. Lainé
La greffière,
V. Desbouillons
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 20NT01335