Procédure devant la cour :
Par une requête, enregistrée le 27 novembre 2020, M. E... C..., représenté par Me A..., demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Nantes du 28 août 2020 ;
2°) d'annuler les arrêtés du 28 juillet 2020 du préfet de Maine-et-Loire ;
3°) d'enjoindre au préfet de Maine-et-Loire, à titre principal, de lui délivrer une attestation de demande d'asile en procédure normale et, subsidiairement, de réexaminer sa situation dans le délai de 48 heures suivant le prononcé de l'arrêt ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat le versement à son conseil d'une somme de 1 500 euros sur le fondement des dispositions combinées des articles 37 de la loi du 10 juillet 1991 et L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
- le jugement est irrégulier en ce qu'il n'a pas répondu à ses moyens tirés de la violation du droit à l'information et de la violation de l'article L. 111-8 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
en ce qui concerne l'arrêté de transfert :
- il n'est pas suffisamment motivé ;
- il est intervenu à l'issue d'une procédure irrégulière en méconnaissance des dispositions des articles 4 et 5 du règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 ;
- le préfet n'a pas procédé à un examen de sa situation personnelle, au regard de son état de santé et des articles 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, 4 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne et 3-2 du règlement dit Dublin III ;
- l'arrêté procède d'une application manifestement erronée de l'article 17 du règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 qui permet de déroger aux critères de détermination de l'Etat responsable de l'examen d'une demande d'asile avec un risque de violation de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
en ce qui concerne la décision d'assignation à résidence :
- elle n'est pas suffisamment motivée ;
- elle est illégale du fait de l'illégalité de la décision portant réadmission en Italie ;
- elle est entachée d'erreur manifeste d'appréciation au regard des dispositions de l'article L. 561-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- elle le prive de son droit à un recours effectif.
Par un mémoire en défense, enregistré le 11 janvier 2021, le préfet de Maine-et-Loire conclut au rejet de la requête.
Il soutient que les moyens soulevés par M. C... ne sont pas fondés.
M. C... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 26 octobre 2020.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne ;
- le règlement (UE) n° 603/2013 du 26 juin 2013 ;
- le règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le code de justice administrative.
Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. B... ;
- et les observations de Me D..., représentant M. C....
Considérant ce qui suit :
1. M. C..., ressortissant camerounais né selon ses dires le 26 juin 1995 à Penka (Cameroun), déclarant être entré irrégulièrement en France le 9 février 2020, a présenté une demande d'asile auprès de la préfecture de la Loire-Atlantique le 3 juillet 2020. La consultation du fichier Eurodac a révélé que ses empreintes digitales avaient été enregistrées en Italie le 4 janvier et le 8 juin 2017. Le 8 juillet 2020, les autorités italiennes ont été saisies d'une demande de transfert le concernant, sur le fondement du b du 1° de l'article 18 du règlement (UE) n° 604/2013, qu'elles ont expressément acceptée le même jour. M. C... a alors demandé au tribunal administratif de Nantes d'annuler les arrêtés du 28 juillet 2020 par lesquels le préfet de Maine-et-Loire a ordonné son transfert en Italie et l'a assigné à résidence pour une durée de quarante-cinq jours. Par un jugement du 28 août 2020, dont M. C... relève appel, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Nantes a rejeté sa demande.
Sur la régularité du jugement attaqué :
2. D'une part, le premier juge qui n'était pas tenu de répondre à tous les arguments présentés par M. C..., a répondu aux points 5 et 6 du jugement attaqué au moyen qu'il avait soulevé tiré de ce qu'il n'aurait pas reçu l'information prescrite par l'article 4 du règlement (UE) n° 604/2013. D'autre part, M. C... a soulevé le moyen tiré de la méconnaissance de l'article L. 111-8 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile au regard des conditions de l'entretien prévu par l'article 5 du règlement du règlement du 26 juin 2013 en soutenant qu'il appartenait au préfet de justifier de la raison pour laquelle l'interprète en langue anglaise, dont il a disposé, n'a officié que par téléphone, alors que ceci a préjudicié à ses droits. Un tel moyen est cependant inopérant dès lors qu'il a trait aux seules conditions techniques de déroulement de l'entretien, qui s'est bien tenu avec le concours d'un interprète dans le respect des droits à un tel entretien. Par suite, M. C... n'est pas fondé à soutenir que le jugement attaqué serait irrégulier faute de statuer sur les deux moyens mentionnés.
Sur le bien-fondé du jugement attaqué :
En ce qui concerne la décision de transfert :
3. En premier lieu, en application de l'article L. 742-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, la décision de transfert dont fait l'objet un ressortissant de pays tiers ou un apatride qui a déposé auprès des autorités françaises une demande d'asile dont l'examen relève d'un autre Etat membre ayant accepté de le prendre ou de le reprendre en charge doit être motivée, c'est-à-dire qu'elle doit comporter l'énoncé des considérations de droit et de fait qui en constituent le fondement.
4. Pour l'application de ces dispositions, est suffisamment motivée une décision de transfert qui mentionne le règlement du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 et comprend l'indication des éléments de fait sur lesquels l'autorité administrative se fonde pour estimer que l'examen de la demande présentée devant elle relève de la responsabilité d'un autre Etat membre, une telle motivation permettant d'identifier le critère du règlement communautaire dont il est fait application. Ainsi, doit notamment être regardée comme suffisamment motivée, s'agissant d'un étranger ayant, dans les conditions posées par le règlement, présenté une demande d'asile dans un autre Etat membre et devant, en conséquence, faire l'objet d'une reprise en charge par cet Etat, la décision de transfert à fin de reprise en charge qui, après avoir visé le règlement, relève que le demandeur a antérieurement présenté une demande dans l'Etat en cause, une telle motivation faisant apparaître qu'il est fait application du b), c) ou d) du paragraphe 1 de l'article 18 ou du paragraphe 5 de l'article 20 du règlement.
5. La décision de transfert contestée vise notamment le règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013, ainsi que le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, en particulier son article L. 742-3, et indique que M. C... a présenté une demande d'asile auprès de la préfecture de la Loire-Atlantique et que les recherches entreprises sur le fichier Eurodac ont fait apparaître que l'intéressé avait déposé une première demande en Italie en 2017. Elle doit être regardée comme suffisamment motivée, une telle motivation faisant apparaître qu'il est fait application du paragraphe 1 de l'article 18 du règlement. Cette décision comporte également un exposé de la situation personnelle et familiale de l'intéressé, des problèmes médicaux dont il a indiqué souffrir et de son parcours migratoire en Europe. Elle comporte ainsi un exposé détaillé des considérations de droit et de fait sur lesquelles le préfet de Maine-et-Loire s'est fondé pour considérer l'Italie comme responsable de l'examen de la demande d'asile de M. C... et décider son transfert auprès des autorités de ce pays. Par suite, le moyen tiré de ce que la décision ne satisferait pas à l'exigence légale de motivation doit être écarté.
6. En deuxième lieu, le moyen tiré de la méconnaissance des dispositions de l'article 4 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013, que M. C... reprend en appel, doit être écarté par adoption des motifs retenus à bon droit par le premier juge aux points 5 et 6 du jugement attaqué.
7. En troisième lieu, aux termes de l'article 5 du règlement du 26 juin 2013 : " 1. Afin de faciliter le processus de détermination de l'Etat membre responsable, l'Etat membre procédant à cette détermination mène un entretien individuel avec le demandeur. Cet entretien permet également de veiller à ce que le demandeur comprenne correctement les informations qui lui sont fournies conformément à l'article 4. / (...) 5. L'entretien individuel a lieu dans des conditions garantissant dûment la confidentialité. Il est mené par une personne qualifiée en vertu du droit national. / 6. L'Etat membre qui mène l'entretien individuel rédige un résumé qui contient au moins les principales informations fournies par le demandeur lors de l'entretien. Ce résumé peut prendre la forme d'un rapport ou d'un formulaire type. (...) ".
8. Par ailleurs, l'article L. 111-7 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile dispose que : " Lorsqu'un étranger fait l'objet d'une mesure de non-admission en France, de maintien en zone d'attente, de placement en rétention, de retenue pour vérification du droit de circulation ou de séjour ou de transfert vers l'Etat responsable de l'examen de sa demande d'asile et qu'il ne parle pas le français, il indique au début de la procédure une langue qu'il comprend. Il indique également s'il sait lire. Ces informations sont mentionnées sur la décision de non-admission, de maintien, de placement ou de transfert ou dans le procès-verbal prévu au quatorzième alinéa du I de l'article L. 611-1-1. Ces mentions font foi sauf preuve contraire. La langue que l'étranger a déclaré comprendre est utilisée jusqu'à la fin de la procédure. Si l'étranger refuse d'indiquer une langue qu'il comprend, la langue utilisée est le français ". L'article L. 111-8 du même code dispose que : " Lorsqu'il est prévu aux livres II, V et VI et à l'article L. 742-3 du présent code qu'une décision ou qu'une information doit être communiquée à un étranger dans une langue qu'il comprend, cette information peut se faire soit au moyen de formulaires écrits, soit par l'intermédiaire d'un interprète. L'assistance de l'interprète est obligatoire si l'étranger ne parle pas le français et qu'il ne sait pas lire. / En cas de nécessité, l'assistance de l'interprète peut se faire par l'intermédiaire de moyens de télécommunication. Dans une telle hypothèse, il ne peut être fait appel qu'à un interprète inscrit sur l'une des listes mentionnées à l'article L. 111-9 ou à un organisme d'interprétariat et de traduction agréé par l'administration. Le nom et les coordonnées de l'interprète ainsi que le jour et la langue utilisée sont indiqués par écrit à l'étranger ".
9. Il ressort des mentions figurant sur le compte-rendu signé par M. C... qu'il a bénéficié le 3 juillet 2020, soit avant l'intervention de la décision contestée, de l'entretien individuel prévu par l'article 5 précité du règlement n° 604/2013. Cet entretien s'est tenu en langue anglaise, que l'intéressé a déclaré comprendre, avec le concours par téléphone d'un interprète, dont l'identité est portée sur le compte rendu d'entretien, intervenant pour le compte de la société ISM Interprétariat, agréée par le ministère de l'intérieur. Il n'est pas établi que le requérant n'aurait pas été en capacité de comprendre les informations qui lui ont été délivrées et de faire valoir toutes observations utiles relatives à sa situation au cours de l'entretien, ainsi que cela ressort du compte-rendu qui en a été établi. Pour les motifs exposés au point 2 M. C... ne peut par ailleurs utilement se prévaloir des dispositions de l'article L. 111-8 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. Aucun élément du dossier n'établit que cet entretien n'aurait pas été mené par une personne qualifiée en vertu du droit national. La circonstance que celle-ci a fait figurer sur le compte-rendu de l'entretien des considérations qui lui sont personnelles est sans incidence dès lors qu'elles sont clairement distinguables des propos de M. C.... Dès lors, les moyens tirés de la violation des dispositions de l'article 5 du règlement du 26 juin 2013 et de l'article L. 111-8 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile doivent être écartés.
10. En quatrième lieu, aux termes de l'article 3 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 : " 1. Les États membres examinent toute demande de protection internationale présentée par un ressortissant de pays tiers ou par un apatride sur le territoire de l'un quelconque d'entre eux, y compris à la frontière ou dans une zone de transit. La demande est examinée par un seul État membre, qui est celui que les critères énoncés au chapitre III désignent comme responsable. / 2. (...) Lorsqu'il est impossible de transférer un demandeur vers l'État membre initialement désigné comme responsable parce qu'il y a de sérieuses raisons de croire qu'il existe dans cet État membre des défaillances systémiques dans la procédure d'asile et les conditions d'accueil des demandeurs, qui entraînent un risque de traitement inhumain ou dégradant au sens de l'article 4 de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, l'État membre procédant à la détermination de l'État membre responsable poursuit l'examen des critères énoncés au chapitre III afin d'établir si un autre État membre peut être désigné comme responsable (...) ". Par ailleurs, l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales stipule et l'article 4 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne disposent que : " Nul ne peut être soumis à la torture, ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants ".
11. Si M. C... invoque les conditions de prise en charge des demandeurs d'asile en Italie, les documents qu'il produit à l'appui de ses allégations ne permettent pas de tenir pour établi que sa demande d'asile serait exposée à un risque sérieux de ne pas être traitée par les autorités italiennes, y compris au regard des conséquences de la pandémie sévissant dans ce pays, dans des conditions conformes à l'ensemble des garanties exigées par le respect du droit d'asile, alors que l'Italie est un Etat membre de l'Union européenne, partie tant à la convention de Genève du 28 juillet 1951 sur le statut des réfugiés, complétée par le protocole de New-York, qu'à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. Il n'établit ainsi pas encourir le risque de subir dans ce pays un traitement inhumain ou dégradant en méconnaissance des articles 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et 4 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union Européenne eu égard aux dispositions de l'article 3 du règlement cité au point précédent.
12. En cinquième lieu, aux termes de l'article 17 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 : " 1. Par dérogation à l'article 3, paragraphe 1, chaque État membre peut décider d'examiner une demande de protection internationale qui lui est présentée par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, même si cet examen ne lui incombe pas en vertu des critères fixés dans le présent règlement. / L'État membre qui décide d'examiner une demande de protection internationale en vertu du présent paragraphe devient l'État membre responsable et assume les obligations qui sont liées à cette responsabilité. (...)".
13. D'une part, il ne ressort pas des pièces du dossier que le préfet de Maine-et-Loire n'aurait pas procédé à un examen complet de la situation de M. C... et des conséquences de son transfert en Italie au regard notamment des garanties exigées par le respect du droit d'asile. D'autre part, le récit de son parcours d'exil ne permet pas de démontrer à lui seul qu'il serait dans une situation de vulnérabilité exceptionnelle imposant d'instruire sa demande d'asile en France. Dans ces conditions, il n'est pas établi que le préfet de Maine-et-Loire aurait entaché la décision de transfert d'une erreur manifeste d'appréciation dans l'application de l'article 17 du règlement précité.
14. En dernier lieu, la circonstance que les autorités italiennes ont suspendu en février 2020, pour des motifs sanitaires, les transferts ordonnés sur le fondement du règlement Dublin III est sans incidence sur la légalité de la décision et relève de sa seule exécution.
En ce qui concerne l'arrêté portant assignation à résidence :
15. En premier lieu, l'exception d'illégalité de l'arrêté de transfert doit, compte tenu de ce qui vient d'être dit, être écartée.
16. En second lieu, le requérant reprend en appel les moyens invoqués en première instance et tirés de l'insuffisance de motivation de l'arrêté d'assignation à résidence, d'une erreur manifeste d'appréciation et d'une atteinte à son droit à un recours effectif. Il y a lieu d'écarter ces moyens par les mêmes motifs que ceux retenus à bon droit par le premier juge, respectivement aux points 16, 18 et 19 du jugement attaqué.
17. Il résulte de tout ce qui précède que M. C... n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Nantes a rejeté sa demande tendant à l'annulation des arrêtés du 28 juillet 2020 du préfet de Maine-et-Loire. Ses conclusions à fin d'injonction ainsi que celles tendant au bénéfice des dispositions des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991, doivent, par voie de conséquence, être également rejetées.
D E C I D E :
Article 1er : La requête de M. C... est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié M. E... C... et au ministre de l'intérieur.
Une copie en sera transmise pour information au préfet de Maine-et-Loire.
Délibéré après l'audience du 16 février 2021, à laquelle siégeaient :
- M. Lainé, président de chambre,
- M. B..., président assesseur,
- Mme F..., première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 23 février 2021.
Le rapporteur,
C. B...
Le président,
L. Lainé
La greffière,
S. Levant
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 20NT03736