Procédure devant la cour :
Par une requête, enregistrée le 2 décembre 2021, Mme F... E..., représentée par Me Thoumine, demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Nantes du 18 novembre 2021 ;
2°) d'annuler les arrêtés du 3 novembre 2021 du préfet de Maine-et-Loire décidant son transfert aux autorités lettones et l'assignant à résidence ;
3°) d'enjoindre au préfet de Maine-et-Loire, à titre principal, de lui délivrer une attestation de demande d'asile en procédure normale et, subsidiairement, de réexaminer sa situation B... les meilleurs délais ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat le versement à son conseil d'une somme de 1 500 euros sur le fondement des dispositions combinées des articles 37 de la loi du 10 juillet 1991 et L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
en ce qui concerne l'arrêté de transfert :
- il n'est pas suffisamment motivé ;
- la France est responsable de l'examen de sa demande d'asile au regard de l'article 10 du règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 dès lors qu'elle est mariée à un demandeur d'asile séjournant en France ;
- il est intervenu en violation de l'article 6 du règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 et de l'article 3-1 de la convention internationale des droits de l'enfant dès lors que le père de ses deux enfants, nés en 2010 et 2014, est en France et ne dispose d'aucun droit au séjour en Lettonie ;
- le préfet n'a pas procédé à un examen particulier de sa situation au regard des problèmes de santé qu'elle présente ;
- l'arrêté procède d'une application manifestement erronée de l'article 17 du règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 qui permet de déroger aux critères de détermination de l'Etat responsable de l'examen d'une demande d'asile avec un risque de violation de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
en ce qui concerne la décision d'assignation à résidence :
- elle est illégale du fait de l'illégalité de la décision portant transfert en Lettonie.
Par un mémoire en défense, enregistré le 3 mars 2022, le préfet de Maine-et-Loire conclut au rejet de la requête.
Il soutient que les moyens soulevés par Mme E... ne sont pas fondés.
Mme E... a été admise au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 8 décembre 2021.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le convention internationale des droits de l'enfant ;
- la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne ;
- le règlement (UE) n° 603/2013 du 26 juin 2013 ;
- le règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le code de justice administrative.
Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Rivas ;
- et les observations de Me Thoumine, représentant Mme E....
Considérant ce qui suit :
1. Mme E..., ressortissante azerbaïdjanaise née le 10 janvier 1986, déclare être entrée irrégulièrement en France le 22 août 2021 accompagnée de ses deux enfants mineurs nés en 2010 et 2014. Elle a sollicité son admission au séjour au titre de l'asile auprès des services de la préfecture de la Loire-Atlantique le 26 août 2021. La consultation du fichier Visabio a révélé qu'elle était titulaire d'un visa en cours de validité délivré par les autorités lettones. Le préfet a saisi les autorités lettonnes, le 27 août 2021, d'une demande de prise en charge de Mme E... et de ses deux enfants. Les autorités lettonnes ont explicitement accepté leur responsabilité B... l'examen de la demande d'asile de l'intéressée et de ses deux enfants sur le fondement du 2 de l'article 12 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013. Le préfet de Maine-et-Loire a pris à l'encontre de Mme E... deux arrêtés du 3 novembre 2021 par lesquels il a décidé, d'une part, de la transférer aux autorités lettonnes et, d'autre part, de l'assigner à résidence pour une durée maximale de quarante-cinq jours. Mme E... relève appel du jugement du 18 novembre 2021 par lequel le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Nantes a rejeté sa demande d'annulation de ces deux arrêtés.
Sur la décision de transfert :
2. En premier lieu, en application de l'article L. 572-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, la décision de transfert dont fait l'objet un ressortissant de pays tiers ou un apatride qui a déposé auprès des autorités françaises une demande d'asile dont l'examen relève d'un autre Etat membre ayant accepté de le prendre ou de le reprendre en charge doit être motivée, c'est-à-dire qu'elle doit comporter l'énoncé des considérations de droit et de fait qui en constituent le fondement.
3. Pour l'application de ces dispositions, est suffisamment motivée une décision de transfert qui mentionne le règlement du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 et comprend l'indication des éléments de fait sur lesquels l'autorité administrative se fonde pour estimer que l'examen de la demande présentée devant elle relève de la responsabilité d'un autre Etat membre, une telle motivation permettant d'identifier le critère du règlement communautaire dont il est fait application.
4. La décision prononçant le transfert de Mme E... aux autorités lettones vise notamment le règlement n° 604/2013 du 26 juin 2013 et le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. Elle relève le fait que la consultation du système Visabio a fait apparaître qu'elle était en possession d'un visa en cours de validité à la date de sa demande d'asile, délivré par les autorités lettones, et que ces mêmes autorités, saisies le 27 août 2021 d'une demande de prise en charge de l'intéressée, ont explicitement donné leur accord le 4 octobre suivant. En outre, le préfet mentionne que Mme E... ne relève pas des dérogations prévues aux articles 3-2 et 17 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 et n'établit ni être exposée à des peines ou traitement contraires à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ni que la décision de transfert porte une atteinte disproportionnée à sa vie familiale et privée pour des motifs qu'il précise. Il procède également à un examen de la situation de santé de l'intéressée et de ses enfants. A... en résulte que cette décision, qui comporte l'énoncé des considérations de droit et de fait qui la fondent, permet d'identifier le critère de détermination de l'Etat responsable de l'examen de sa demande d'asile dont le préfet de Maine-et-Loire a fait application. Par suite le moyen tiré de l'insuffisance de motivation de la décision manque en fait. Par ailleurs, le contenu de cette motivation atteste d'un examen particulier de la situation personnelle de l'intéressée.
5. En deuxième lieu, aux termes de l'article 10 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 : " Si le demandeur a, B... un État membre, un membre de sa famille dont la demande de protection internationale présentée B... cet État membre n'a pas encore fait l'objet d'une première décision sur le fond, cet État membre est responsable de l'examen de la demande de protection internationale, à condition que les intéressés en aient exprimé le souhait par écrit. ".
6. Mme E... expose que son conjoint, M. C... D..., également ressortissant azerbaidjanais, est demandeur d'asile en France. Il n'est pas contesté que la demande d'asile présentée en France par M. D... a été rejetée par une décision, sur le fond, du directeur général de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides du 30 novembre 2020, soit avant la demande d'asile de Mme E.... Par ailleurs, il n'est pas même allégué que M. et Mme D... auraient conjointement exprimé par écrit leur souhait que la demande de protection internationale de Mme E... soit examinée par la France. B... ces conditions, et alors même que M. D... a contesté devant la Cour nationale du droit d'asile le rejet de sa demande d'asile, le moyen tiré de la méconnaissance des dispositions de l'article 10 du règlement du 26 juin 2013 doit être écarté.
7. En troisième lieu, aux termes de l'article 6 du règlement du 26 juin 2013 : " 1. L'intérêt supérieur de l'enfant est une considération primordiale pour les Etats membres B... toutes les procédures prévues par le présent règlement. " et aux termes de l'article 3-1 de la convention internationale des droits de l'enfant : " B... toutes les décisions qui concernent les enfants, qu'elles soient le fait des institutions publiques ou privées de protection sociale, des tribunaux, des autorités administratives ou des organes législatifs, l'intérêt supérieur de l'enfant doit être une considération primordiale. ".
8. Il ressort des pièces du dossier que Mme E... est entrée le 22 août 2021 sur le territoire français, selon ses déclarations, accompagnée de ses deux enfants nés en 2010 et 2014. La décision contestée n'a ni pour objet ni pour effet de séparer Mme E... de ses enfants. B... ces conditions, eu égard à la durée de la séparation familiale initiée dès 2019 du fait du départ de M. D... et à l'entrée par la Lettonie de ceux-ci, Mme E... n'est pas fondée à soutenir que la décision contestée serait intervenue en violation des articles 6 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 et 3-1 de la convention internationale des droits de l'enfant.
9. En quatrième lieu, aux termes de l'article 17 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 : " Par dérogation à l'article 3, paragraphe 1, chaque Etat membre peut décider d'examiner une demande de protection internationale qui lui est présentée par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, même si cet examen ne lui incombe pas en vertu des critères fixés B... le présent règlement. (...) " et aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. / 2. Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique B... l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, B... une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui. ".
10. Pour les mêmes motifs que ceux exposés au point 8 Mme E... n'est pas fondée à soutenir que la décision contestée est intervenue en violation de l'article 17 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 ou des stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.
11. En dernier lieu, Mme E... fait valoir qu'elle souffre de problèmes de santé, notamment cardiovasculaires, et que sa fille présente des troubles rénaux. Ces affirmations ne sont étayées pas aucun élément. Par suite, elle n'est pas fondée à soutenir que le préfet n'a pas procédé à un examen particulier de sa demande sur ce point préalablement à l'intervention de la décision de transfert contestée.
Sur l'arrêté portant assignation à résidence :
12. Le moyen, soulevé par voie d'exception à l'encontre de l'arrêté portant assignation à résidence, tiré de l'illégalité de l'arrêté du 3 novembre 2021 du préfet de Maine-et-Loire portant transfert de Mme E... aux autorités lettones en vue de l'examen de sa demande d'asile, doit être écarté eu égard à ce qui est dit aux points 2 à 11.
13. Il résulte de tout ce qui précède que Mme E... n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Nantes a rejeté sa demande tendant à l'annulation des arrêtés du 3 novembre 2021 du préfet de Maine-et-Loire. Ses conclusions à fin d'injonction ainsi que celles tendant au bénéfice des dispositions des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991, doivent, par voie de conséquence, être également rejetées.
D E C I D E :
Article 1er : La requête de Mme E... est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à Mme E..., à Me Thoumine et au ministre de l'intérieur.
Une copie en sera transmise pour information au préfet de Maine-et-Loire.
Délibéré après l'audience du 8 mars 2022, à laquelle siégeaient :
- M. Lainé, président de chambre,
- M. Rivas, président assesseur,
- Mme Béria-Guillaumie, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 25 mars 2022.
Le rapporteur,
C. RIVAS
Le président,
L. LAINÉ
La greffière,
S. LEVANT
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 21NT03370