Procédure devant la cour :
Par une requête et un mémoire, enregistrés les 21 décembre 2020 et 19 janvier 2021, Mme D... C..., représentée par Me B..., demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Nantes du 8 octobre 2020 ;
2°) d'annuler l'arrêté du 11 septembre 2020 du préfet de Maine-et-Loire ;
3°) d'enjoindre au préfet de Maine-et-Loire, à titre principal, de lui délivrer une attestation de demande d'asile en procédure normale dans le délai de huit jours à compter de l'arrêt à intervenir, subsidiairement de réexaminer sa situation dans les meilleurs délais ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat le versement à son conseil d'une somme de 1 500 euros sur le fondement des dispositions combinées des articles 37 de la loi du 10 juillet 1991 et L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- l'arrêté de transfert n'est pas suffisamment motivé et révèle un défaut d'examen suffisant de sa situation ;
- il est intervenu à l'issue d'une procédure irrégulière en méconnaissance des dispositions des articles 4 et 5 du règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 et L. 111-8 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- l'arrêté procède d'une application manifestement erronée de l'article 17 du règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 qui permet de déroger aux critères de détermination de l'Etat responsable de l'examen d'une demande d'asile avec un risque de violation de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et de l'article 4 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne ;
- sa situation personnelle n'a pas été examinée et les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et de l'article 3-1 de la convention internationale des droits de l'enfant ainsi que les dispositions de l'article 6 du règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 ont été méconnues.
Par un mémoire en défense, enregistré le 3 février 2021, le préfet de Maine-et-Loire conclut au rejet de la requête.
Il soutient que les moyens soulevés par Mme C... ne sont pas fondés.
Mme C... a été admise au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 23 novembre 2020.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- la convention internationale des droits de l'enfant ;
- la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne ;
- le règlement (UE) n° 603/2013 du 26 juin 2013 ;
- le règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le code de justice administrative.
Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. A...,
- et les observations de Me B..., représentant Mme C....
Considérant ce qui suit :
1. Mme C..., ressortissante guinéenne née en 1996, déclare être entrée en France le 1er mars 2020, où elle a sollicité l'asile auprès de la préfecture de la Loire-Atlantique le 8 juillet suivant. Les recherches alors effectuées dans le fichier Eurodac ont révélé que ses empreintes digitales avaient été relevées en Espagne le 29 janvier 2020. Les autorités espagnoles, saisies le 9 juillet 2020 en application du règlement UE n° 604/2013 du 26 juin 2013 dit " Dublin III ", ont expressément accepté le 17 juillet suivant le transfert de Mme C... sur le fondement de l'article 13.1 de ce même règlement. Par un arrêté du 11 septembre 2020 le préfet de Maine-et-Loire a décidé son transfert à ces mêmes autorités. Par un jugement du 8 octobre 2020, dont Mme C... relève appel, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Nantes a rejeté sa demande d'annulation de cet arrêté.
2. En premier lieu, il y a lieu d'écarter les moyens tirés de l'insuffisance de motivation de l'arrêté contesté et d'examen complet de la situation de Mme C..., ainsi que de la violation de l'article 4 du règlement (UE) n° 604/2013, par adoption des motifs retenus aux points 3 à 7 du jugement attaqué.
3. En deuxième lieu, aux termes de l'article 5 du règlement du 26 juin 2013 : " 1. Afin de faciliter le processus de détermination de l'Etat membre responsable, l'Etat membre procédant à cette détermination mène un entretien individuel avec le demandeur. Cet entretien permet également de veiller à ce que le demandeur comprenne correctement les informations qui lui sont fournies conformément à l'article 4. / (...) 5. L'entretien individuel a lieu dans des conditions garantissant dûment la confidentialité. Il est mené par une personne qualifiée en vertu du droit national. / 6. L'Etat membre qui mène l'entretien individuel rédige un résumé qui contient au moins les principales informations fournies par le demandeur lors de l'entretien. Ce résumé peut prendre la forme d'un rapport ou d'un formulaire type. (...) " et aux termes de l'article L. 111-8 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Lorsqu'il est prévu aux livres II, V et VI et à l'article L. 742-3 du présent code qu'une décision ou qu'une information doit être communiquée à un étranger dans une langue qu'il comprend, cette information peut se faire soit au moyen de formulaires écrits, soit par l'intermédiaire d'un interprète. L'assistance de l'interprète est obligatoire si l'étranger ne parle pas le français et qu'il ne sait pas lire. / En cas de nécessité, l'assistance de l'interprète peut se faire par l'intermédiaire de moyens de télécommunication. Dans une telle hypothèse, il ne peut être fait appel qu'à un interprète inscrit sur l'une des listes mentionnées à l'article L. 111-9 ou à un organisme d'interprétariat et de traduction agréé par l'administration. Le nom et les coordonnées de l'interprète ainsi que le jour et la langue utilisée sont indiqués par écrit à l'étranger ".
4. Il ressort des mentions figurant sur le compte-rendu d'entretien signé par Mme C... qu'elle a bénéficié le 8 juillet 2020, soit avant l'intervention de la décision contestée, de l'entretien individuel prévu par l'article 5 précité du règlement n° 604/2013. Cet entretien s'est tenu en langue soussou, avec le concours par téléphone d'un interprète dont l'identité est portée sur le compte rendu d'entretien, intervenant pour le compte de la société ISM Interprétariat, agréée par le ministère de l'intérieur. La seule circonstance que l'interprète requis est intervenu par téléphone est sans incidence sur les droits et garanties dont a bénéficié Mme C.... Il n'est pas établi par ailleurs que la requérante n'aurait pas été en capacité de comprendre les informations qui lui ont ainsi été délivrées et de faire valoir toutes observations utiles relatives à sa situation au cours de l'entretien, alors même qu'elle est illettrée. Aucun élément du dossier n'établit que cet entretien n'aurait pas été mené par une personne qualifiée en vertu du droit national et déléguée à cet effet par le préfet. La circonstance que cette personne a fait figurer sur le compte-rendu de l'entretien des considérations qui lui sont personnelles est sans incidence dès lors que celles-ci sont clairement distinctes du recueil des dires de Mme C.... Dès lors, les moyens tirés de la violation des dispositions de l'article 5 du règlement du 26 juin 2013 et de l'article L. 111-8 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile doivent être écartés.
5. En troisième lieu, aux termes de l'article 17 du règlement (UE) n° 604/2013, : " 1. Par dérogation à l'article 3, paragraphe 1, chaque État membre peut décider d'examiner une demande de protection internationale qui lui est présentée par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, même si cet examen ne lui incombe pas en vertu des critères fixés dans le présent règlement. / L'État membre qui décide d'examiner une demande de protection internationale en vertu du présent paragraphe devient l'État membre responsable et assume les obligations qui sont liées à cette responsabilité. (...)". Par ailleurs, l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales stipule que : " Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants ". Enfin, l'article 4 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne dispose de même que : " Nul ne peut être soumis à la torture, ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants ".
6. Il ne ressort pas des pièces du dossier que le préfet de Maine-et-Loire n'aurait pas procédé à un examen complet de la situation de Mme C.... Si celle-ci était enceinte de six mois à la date de la décision contestée, le 11 septembre 2020, les éléments au dossier n'établissent à cette date qu'une hospitalisation de trois jours, en juin 2020, pour une infection traitée avec succès par une antibiothérapie ainsi qu'une poursuite normale de sa grossesse. Ces éléments ne permettent pas à eux seuls de démontrer que son état de santé et sa grossesse la plaçaient dans une situation d'exceptionnelle vulnérabilité et qu'elle ne pourrait bénéficier en Espagne des soins utiles requis, les éléments postérieurs à la décision contestée étant sans incidence sur sa légalité. Si Mme C... invoque également l'insuffisante prise en charge des demandeurs d'asile en Espagne, les documents qu'elle produit à l'appui de ses allégations ne permettent pas de tenir pour établi que sa demande d'asile serait exposée à un risque sérieux de ne pas être traitée par les autorités espagnoles dans des conditions conformes à l'ensemble des garanties exigées par le respect du droit d'asile, alors que l'Espagne est un Etat membre de l'Union européenne, partie tant à la convention de Genève du 28 juillet 1951 sur le statut des réfugiés, complétée par le protocole de New-York, qu'à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. Dans ces conditions Mme C... n'est pas fondée à soutenir que l'arrêté contesté serait entaché d'une erreur manifeste d'appréciation au regard des dispositions précitées ou d'un défaut d'examen complet de sa situation.
7. En quatrième lieu, aux termes de l'article 6 du règlement (UE) n° 604/2013 : " 1. L'intérêt supérieur de l'enfant est une considération primordiale pour les États membres dans toutes les procédures prévues par le présent règlement. (...) ". Aux termes de l'article 3 paragraphe 1 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant : " 1. Dans toutes les décisions qui concernent les enfants, qu'elles soient le fait des institutions publiques ou privées de protection sociale, des tribunaux, des autorités administratives ou des organes législatifs, l'intérêt supérieur de l'enfant doit être une considération primordiale. " et aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. / (...) ".
8. Mme C... expose que sa fille est née le 2 décembre 2020 d'une relation avec un ressortissant guinéen, demandeur d'asile à la date de la décision contestée, qui l'a reconnue dès le 27 juillet 2020. Cependant, la relation alléguée avec le père de cette enfant est récente puisqu'elle a débuté en mars 2020, où Mme C... est tombée enceinte, et la vie de couple alléguée n'est pas établie. Le père de son enfant s'est par ailleurs vu refuser l'asile par l'OFPRA et était en attente d'une décision de la Cour nationale du droit d'asile à la date de la décision contestée. Dans la mesure où Mme C... est également mère d'une enfant restée en Guinée, elle ne peut utilement se prévaloir des stipulations de l'article 3-1 de la convention internationale des droits de l'enfant, alors surtout que sa deuxième fille n'était pas née à la date de la décision préfectorale. Par suite, Mme C... n'est pas fondée à soutenir que la décision contestée serait entachée d'une violation des stipulations des articles 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, 3-1 de la convention internationale des droits de l'enfant et des dispositions de l'article 6 du règlement cité au point précédent.
9. Il résulte de tout ce qui précède que Mme C... n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Nantes a rejeté sa demande tendant à l'annulation des arrêtés du 11 septembre 2020 du préfet de Maine-et-Loire. Ses conclusions à fin d'injonction ainsi que celles tendant au bénéfice des dispositions des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991, doivent, par voie de conséquence, être également rejetées.
D E C I D E :
Article 1er : La requête de Mme C... est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à Mme D... C... et au ministre de l'intérieur.
Une copie en sera transmise pour information au préfet de Maine-et-Loire.
Délibéré après l'audience du 23 mars 2021, à laquelle siégeaient :
- M. Lainé, président de chambre,
- M. A..., président assesseur,
- Mme E..., première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 30 mars 2021.
Le rapporteur,
C. A...
Le président,
L. Lainé
La greffière,
S. Levant
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 20NT04053