1°) d'annuler le jugement du 14 mai 2019 du tribunal administratif de Nantes ;
2°) d'annuler la décision implicite de rejet de la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France concernant la demande de visa déposée par M. Cédric Zacharie F... L... et O... J... F... ;
3°) à titre principal, d'enjoindre au ministre de l'intérieur de délivrer les visas sollicités, dans un délai de 15 jours à compter de la notification de l'arrêt à intervenir, et l'assortir d'une astreinte fixée à 100 euros par jour de retard ;
4°) à titre subsidiaire, d'enjoindre au ministre de l'intérieur de réexaminer la situation des deux demandeurs de visas, dans un délai de 15 jours à compter de la notification de l'arrêt à intervenir, et l'assortir d'une astreinte fixée à 100 euros par jour de retard ;
5°) de condamner l'Etat à verser la somme de 1 500 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Ils soutiennent que :
- les actes d'état-civil produits sont authentiques ;
- le lien de filiation est établi par la possession d'état ;
- les décisions attaquées de la commission méconnaissent les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- les décisions attaquées de la commission méconnaissent les stipulations de l'article 3 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant.
Par des mémoires en défense, enregistrés les 23 janvier 2020, 24 juillet 2020 et 27 août 2020, le ministre de l'intérieur conclut au rejet de la requête.
Il fait valoir qu'aucun des moyens soulevés n'est fondé.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- la convention internationale relative aux droits de l'enfant du 26 janvier 1990 ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le code de justice administrative.
Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le rapport de Mme Picquet a été entendu au cours de l'audience publique.
Considérant ce qui suit :
1. Mme A... I... épouse F..., ressortissante camerounaise née en 1975, entrée en France en 2007, a sollicité l'autorisation de faire venir auprès d'elle, par la voie du regroupement familial, ses deux enfants allégués demeurés au Cameroun, P... Q... F... L..., né en 2001, et O... J... F..., né en 2003. Le préfet des Yvelines a fait droit à cette demande par décision du 13 février 2018. Toutefois, l'autorité consulaire française à Yaoundé a rejeté, par décision du 29 mars 2018, les demandes de visa de long séjour présentées pour les deux enfants. Mme F... a formé des recours contre ce refus consulaire, reçus le 7 juin 2018 par la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France. Le silence gardé sur ces recours pendant plus de deux mois par la commission a fait naître des décisions implicites de rejet. Mme F... a demandé au tribunal administratif de Nantes, d'une part, l'annulation de la décision implicite confirmant le refus de visa opposé à l'enfant Cédric Zacharie F... L..., d'autre part, l'annulation de la décision implicite confirmant le refus de visa opposé à l'enfant Yves J... F.... Par un jugement du 14 mai 2019, le tribunal administratif de Nantes a rejeté ses demandes. Mme F... et M. F... L... font appel de ce jugement.
2. Aux termes de l'article L. 111-6 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " (...) La vérification de tout acte d'état civil étranger est effectuée dans les conditions définies par l'article 47 du code civil " et aux termes de l'article 47 du code civil : " Tout acte de l'état civil des Français et des étrangers fait en pays étranger et rédigé dans les formes usitées dans ce pays fait foi, sauf si d'autres actes ou pièces détenus, des données extérieures ou des éléments tirés de l'acte lui-même établissent, le cas échéant après toutes vérifications utiles, que cet acte est irrégulier, falsifié ou que les faits qui y sont déclarés ne correspondent pas à la réalité ".
3. Il résulte de ces dispositions que la force probante d'un acte d'état civil établi à l'étranger peut être combattue par tout moyen susceptible d'établir que l'acte en cause est irrégulier, falsifié ou inexact. En cas de contestation par l'administration de la valeur probante d'un acte d'état civil établi à l'étranger, il appartient au juge administratif de former sa conviction au vu de l'ensemble des éléments produits par les parties. Pour juger qu'un acte d'état civil produit devant lui est dépourvu de force probante, qu'il soit irrégulier, falsifié ou inexact, le juge doit en conséquence se fonder sur tous les éléments versés au dossier dans le cadre de l'instruction du litige qui lui est soumis.
4. A l'appui des demandes de visas, Mme F... a produit, pour l'enfant Cédric Zacharie F... L..., né en 2001, une copie de l'original de l'acte de naissance n° 802/2001 ainsi qu'une copie certifiée conforme et portant le même numéro. Elle a également produit, pour l'enfant Yves J... F..., né en 2003, une copie de l'original de l'acte de naissance n° 326/2003, une copie certifiée conforme et portant le même numéro ainsi qu'un certificat d'authenticité d'acte de naissance établi le 28 décembre 2018 par M. K... B... adjoint au maire de la commune d'arrondissement de Yaoundé IV. Toutefois, le ministre de l'intérieur a produit, après une vérification effectuée à la demande de l'ambassade de France au Cameroun, des actes de naissance portant les mêmes numéros que ceux précités, portant le tampon et la signature du chef de service de l'état-civil de Yaoundé IV et correspondant à des tierces personnes, les requérants se bornant à soutenir qu' " il existe parfois au sein des communes du Cameroun, et notamment dans les arrondissements de Yaoundé, plusieurs registres d'état civil distincts ". Si les requérants contestent les conditions dans lesquelles a été effectuée la levée d'acte, l'identité du chef de service de l'état-civil est indiquée ainsi que celle du responsable hiérarchique de la personne chargée par l'ambassade de faire la vérification et le tampon présent sur l'acte vérifié mentionne " Yaoundé IV ".
5. Cependant, pour l'enfant Cédric Zacharie F... L..., les requérants ont produit en appel un jugement supplétif du tribunal de première instance de Yaoundé du 28 août 2019 ordonnant la reconstitution de l'acte de naissance de l'enfant, ainsi qu'un nouvel acte de naissance du 15 novembre 2019 portant un numéro distinct du précédent et mentionnant ce jugement supplétif. L'authenticité de ces nouveaux éléments n'a pas été utilement contestée par le ministre de l'intérieur, qui se borne à faire valoir que la requérante n'explique pas comment elle a pu obtenir une copie de l'acte de naissance pour le dépôt de la demande de visa alors que l'acte original n'avait pas de souche et qu'elle avait elle-même déclaré, dans sa demande de première instance, qu'on lui avait confirmé l'existence de l'acte de naissance avant de lui délivrer une nouvelle copie en avril 2018.
6. Pour l'enfant Yves J... F..., les requérants ont produit en appel, d'une part, l'acte de naissance n° 326/2003 de l'enfant Yves J... avec la mention " copie certifiée conforme à la souche " datée du 26 juin 2020 et comportant le tampon du nouveau maire de Yaoundé IV et un nouveau certificat d'authenticité du 26 juin 2020 et, d'autre part, un procès-verbal, dressé le 23 juillet 2020 par un huissier de justice, de constat d'existence de la souche de l'acte d'état-civil n° 326/2003, les informations y étant relevées, ainsi que les photographies jointes, corroborant celles mentionnées dans les actes déjà produits par les requérants. En outre, l'huissier de justice a repris, dans ce procès-verbal, les déclarations du chef de service de l'état-civil selon lesquelles " les déclarations qui avaient été précédemment faites au service des visas de l'ambassade de France au Cameroun qui était descendu dans ses services pour s'assurer de l'authenticité de l'acte de naissance (...) étaient erronées car les employés de son service avaient insuffisamment effectué les fouilles et autres recherches ". Toutefois, comme le fait valoir le ministre, le procès-verbal n'explique pas les raisons pour lesquelles l'acte vérifié correspondait également à une tierce personne et ce procès-verbal fait état d'un recueil d'actes non relié portant sur la " première décade " de 2003 alors que l'acte a été enregistré le 12 mars 2003. Dès lors, le procès-verbal précité ne démontre pas que l'acte produit n'est pas frauduleux.
7. Dans ces conditions, le moyen tiré de ce que la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France n'a pas fait une exacte application des dispositions citées au point 2 en estimant que les actes d'état-civil produits par Mme G... n'étaient pas authentiques doit être accueilli uniquement s'agissant de l'enfant Cédric Zacharie F... L....
8. Si Mme F... produit des photographies la montrant avec P... Q... F... L... et O... J... F..., la plupart de ces photographies ont été prises en avril 2018, une seule datant de 2013, alors que Mme F... est entrée en France en 2007. Il en est de même des conversations sur l'application " Whatsapp " entre les enfants et elle, aucun élément antérieur à mai 2017, période contemporaine de la demande de regroupement familial, n'étant apporté. La seule facture produite, du 9 décembre 2018, est postérieure aux décisions contestées de la commission et les attestations rédigées par des proches sont peu précises et rédigées de manière stéréotypée. Ainsi, et alors même que Mme F... a mentionné les enfants dans la demande de titre de séjour qu'elle a adressée à la préfecture des Yvelines le 28 octobre 2015, Mme F..., par les documents qu'elle produit, ne justifie pas avoir entretenu des relations régulières avec l'enfant Yves J... F..., dont elle est séparée depuis 11 ans et n'est ainsi pas fondée à soutenir qu'une situation de possession d'état serait caractérisée s'agissant de cet enfant.
9. Il résulte de ce qui précède qu'à défaut de pouvoir établir le lien de filiation en litige s'agissant de l'enfant Yves J... F..., les moyens tirés de ce que la décision contestée méconnait les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ainsi que celles du 1 de l'article 3 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant ne peuvent qu'être écartés.
10. Il résulte de tout ce qui précède, et sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens soulevés s'agissant de l'enfant Cédric Zacharie F... L..., que Mme F... et M. F... L... sont seulement fondés à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Nantes a rejeté leur demande dirigée contre la décision de la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France, s'agissant du rejet de la demande de visa présentée pour P... Q... F... L....
Sur les conclusions aux fins d'injonction sous astreinte :
11. Le présent arrêt, eu égard à ses motifs, et sous réserve d'un changement dans les circonstances de droit ou de fait, implique la délivrance à M. Cédric Zacharie F... L... du visa de long séjour sollicité. Il y a lieu, par suite, d'enjoindre au ministre de délivrer à l'intéressé le visa sollicité dans un délai d'un mois à compter de la notification du présent arrêt, sans qu'il soit besoin d'assortir cette injonction d'une astreinte.
Sur les frais liés au litige :
12. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat le versement de la somme globale de 1 200 euros aux requérants.
DÉCIDE :
Article 1er : Le jugement n°s 1809353, 1809354 du 14 mai 2019 du tribunal administratif de Nantes et la décision de la commission de recours contre les refus de visa d'entrée en France sont annulés en tant qu'ils portent sur la demande de visa présentée pour M. Cédric Zacharie F... L....
Article 2 : Il est enjoint au ministre de l'intérieur de délivrer à M. Cédric Zacharie F... L..., sous réserve d'un changement dans les circonstances de droit ou de fait, un visa de long séjour dans le délai d'un mois à compter de la notification du présent arrêt.
Article 3 : L'Etat versera la somme globale de 1 200 euros à Mme F... et M. F... L... en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : Le surplus des conclusions de la requête de Mme F... et de M. F... L... est rejeté.
Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à Mme N... L... A... I... épouse F..., à M. Cédric Zacharie F... L... et au ministre de l'intérieur.
Délibéré après l'audience du 18 septembre 2020, à laquelle siégeaient :
- M. Célérier, président,
- Mme Buffet, président assesseur,
- Mme Picquet, premier conseiller.
Lu en audience publique le 6 octobre 2020.
Le rapporteur,
P. Picquet
Le président,
T. CELERIER
Le greffier,
C. GOY
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 19NT02928