Procédure devant la cour :
Par une requête et un mémoire, enregistrés les 10 septembre 2019 et 9 juillet 2020, Mme H... F... et M. K... B..., représentés par Me I..., demandent à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Nantes ;
2°) d'annuler la décision de la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France du 25 janvier 2018 en tant qu'elle a rejeté leur recours formé contre la décision du 23 octobre 2017 par laquelle l'autorité consulaire française à Conakry (Guinée) a refusé de délivrer à M. K... B... un visa de long séjour demandé en qualité de membre de famille de réfugié ;
3°) d'enjoindre au ministre de l'intérieur de délivrer le visa demandé ou de réexaminer la demande, dans un délai de quinze jours à compter de l'arrêt à intervenir, sous astreinte de 100 euros par jour de retard ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat le versement à Me I..., leur avocate, de la somme de 1 500 euros au titre des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991 et moyennant sa renonciation à percevoir la contribution versée par l'Etat au titre de l'aide juridictionnelle.
Ils soutiennent que :
- le jugement du tribunal administratif de Nantes a été rendu par une formation de jugement irrégulièrement composée ; la présidente de la formation de jugement étant membre de la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France qui a rendu la décision attaquée du 24 janvier 2018, le principe d'indépendance et d'impartialité des tribunaux protégé par l'article 6 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales a été méconnu ;
- la décision de la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France attaquée est entachée d'erreur dans l'appréciation des liens familiaux entre le demandeur de visa et Mme F... ;
- elle porte une atteinte disproportionnée au droit au respect de sa vie privée et familiale garanti par l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- elle est contraire à l'intérêt supérieur de l'enfant protégé par le paragraphe 1 de l'article 3 de la convention internationale des droits de l'enfant.
Par un mémoire en défense, enregistré le 6 juillet 2020, le ministre de l'intérieur conclut au rejet de la requête.
Il fait valoir qu'il s'en remet expressément à ses écritures de première instance et qu'aucun des moyens invoqués par les requérants n'est fondé.
Mme H... F... a été admise au bénéficie de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 11 juillet 2019 du bureau d'aide juridictionnelle du tribunal de grande instance de Nantes (section administrative).
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le code civil ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le décret n° 2020-1406 du 18 novembre 2020 ;
- le code de justice administrative.
Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme A...,
- et les observations de Me D..., substituant Me I..., pour Mme F....
Considérant ce qui suit :
1. Mme F..., ressortissante guinéenne, a obtenu le statut de réfugié par une décision de la Cour nationale du droit d'asile du 27 janvier 2015. Des visas de long séjour ont été demandés pour son concubin, M. K... B..., et pour sa fille mineure, E... C..., née en 2011, en qualité de membres de famille de réfugié. Par une décision du 23 octobre 2017, l'autorité consulaire française à Conakry (Guinée) a refusé de délivrer les visas demandés. Saisie d'un recours formé contre cette décision consulaire, la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France l'a rejeté par une décision du 24 janvier 2018. Par un jugement du 28 février 2019, le tribunal administratif de Nantes a rejeté la demande de Mme F... et M. B... tendant à l'annulation de la décision de la commission de recours. L'enfant étant décédée en février 2019, les requérants doivent être regardés comme relevant appel de ce jugement en tant seulement qu'il concerne M. B..., ainsi qu'ils l'indiquent, dans leur requête, à la fin du rappel des faits et de la procédure.
2. La commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France fonde sa décision sur le motif tiré de ce que l'identité des demandeurs et partant leur lien familial allégué avec Mme F..., qui par ailleurs a initialement déclaré à l'Office français de protection des réfugiés et des apatrides être séparée de M. K... B..., ne sont pas établis, dès lors que les actes de naissance présentés à l'appui des demandes de visa ne sont pas conformes à la législation locale, et notamment à l'article 601 du code civil guinéen, ayant été transcrits suivant un jugement supplétif à la requête d'un tiers et sans respect du délai d'appel.
3. Aux termes de l'article L. 752-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Sauf si sa présence constitue une menace pour l'ordre public, le ressortissant étranger qui s'est vu reconnaître la qualité de réfugié ou qui a obtenu le bénéfice de la protection subsidiaire peut demander à bénéficier de son droit à être rejoint, au titre de la réunification familiale : (...) / 2° Par son concubin, âgé d'au moins dix-huit ans, avec lequel il avait, avant la date d'introduction de sa demande d'asile, une vie commune suffisamment stable et continue ; (...) / II- Les articles L.411-2 à L.411-4 (...) sont applicables. (...) Pour l'application du troisième alinéa du présent II, ils produisent les actes de l'état civil justifiant de leur identité et des liens familiaux avec le réfugié (...). En l'absence d'acte de l'état civil ou en cas de doute sur leur authenticité, les éléments de possession d'état définis à l'article 311-1 du code civil (...) peuvent permettre de justifier de la situation de famille et de l'identité des demandeurs. (...) ".
4. Aux termes de l'article L. 111-6 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " La vérification de tout acte d'état civil étranger est effectuée dans les conditions définies par l'article 47 du code civil. (...) ". Aux termes de l'article 47 du code civil : " Tout acte de l'état civil des Français et des étrangers fait en pays étranger et rédigé dans les formes usitées dans ce pays fait foi, sauf si d'autres actes ou pièces détenus, des données extérieures ou des éléments tirés de l'acte lui-même établissent, le cas échéant après toutes vérifications utiles, que cet acte est irrégulier, falsifié ou que les faits qui y sont déclarés ne correspondent pas à la réalité ". Il résulte de ces dispositions que la force probante d'un acte d'état civil établi à l'étranger peut être combattue par tout moyen susceptible d'établir que l'acte en cause est irrégulier, falsifié ou inexact. En cas de contestation par l'administration de la valeur probante d'un acte d'état civil établi à l'étranger, il appartient au juge administratif de former sa conviction au vu de l'ensemble des éléments produits par les parties. Pour juger qu'un acte d'état civil produit devant lui est dépourvu de force probante, qu'il soit irrégulier, falsifié ou inexact, le juge doit en conséquence se fonder sur tous les éléments versés au dossier dans le cadre de l'instruction du litige qui lui est soumis.
5. A l'appui de sa demande de visa, M. B... a produit un acte de naissance établi le 1er juin 2016 sur la base d'un jugement supplétif de naissance rendu le 26 mai 2016 par le juge de paix de Dinguiraye. Il n'appartient pas aux autorités administratives françaises de mettre en doute le bien-fondé d'une décision rendue par une autorité juridictionnelle étrangère, hormis le cas où le document produit aurait un caractère frauduleux. En retenant que les actes de naissance présentés à l'appui des demandes de visa ne sont pas conformes à la législation locale, et notamment à l'article 601 du code civil guinéen, ayant été transcrits suivant un jugement supplétif à la requête d'un tiers et sans respect du délai d'appel, sans au demeurant préciser la teneur des dispositions guinéennes invoquées, la commission de recours n'établit pas le caractère frauduleux du jugement supplétif et partant de l'acte de naissance.
6. L'administration peut, en première instance comme en appel, faire valoir devant le juge de l'excès de pouvoir que la décision dont l'annulation est demandée est légalement justifiée par un motif, de droit ou de fait, autre que celui initialement indiqué, mais également fondé sur la situation existant à la date de cette décision. Il appartient alors au juge, après avoir mis à même l'auteur du recours de présenter ses observations sur la substitution ainsi sollicitée, de rechercher si un tel motif est de nature à fonder légalement la décision, puis d'apprécier s'il résulte de l'instruction que l'administration aurait pris la même décision si elle s'était fondée initialement sur ce motif. Dans l'affirmative, sous réserve toutefois qu'elle ne prive pas le requérant d'une garantie procédurale liée au motif substitué, le juge peut procéder à la substitution demandée.
7. Dans son mémoire en défense de première instance, auquel se réfèrent expressément les écritures en défense présentées dans la présente instance, le ministre de l'intérieur fait valoir, à l'appui de sa demande de substitution de motifs, que ni l'identité de M. K... B... ni sa relation de concubinage avec Mme F..., antérieure à la date d'introduction de la demande d'asile, ne sont établies.
8. D'une part, il ressort des pièces du dossier et il n'est pas contesté que M. K... B... a obtenu un visa de court séjour des autorités consulaires allemandes, sous une autre identité et a dès lors usé de faux documents pour venir en France en novembre 2013 et s'y maintenir en situation irrégulière, jusqu'en mai 2016. Une telle circonstance qui concerne une autre demande de visa ne saurait toutefois être regardée comme entachant d'intention frauduleuse la demande du visa de long séjour dont le refus est contesté dans la présente instance. Par suite, cette substitution de motif demandée par le ministre de l'intérieur n'est pas fondée et doit être écartée.
9. D'autre part, pour établir l'existence d'une vie commune suffisamment stable et continue avant la date d'introduction de la demande d'asile de Mme F... en décembre 2013, les requérants produisent deux attestations peu circonstanciées, établies en 2017, indiquant qu'ils vivaient ensemble jusqu'au mariage forcé de Mme F... en 2011. Ces éléments ne peuvent permettre à eux seuls d'établir la vie commune antérieure à la demande d'asile, d'autant que dans le formulaire de demande d'asile, Mme F... se présente comme divorcée depuis le 1er septembre 2013 mais, dans la rubrique " conjoint ou concubin ", elle mentionne M. J... B... qui est son ex-mari et non M. K... B.... En outre, le ministre de l'intérieur fait valoir, sans être contredit, que son récit à l'Office français de protection des réfugiés et des apatrides ne mentionne pas l'existence de M. K... B.... Par suite, il y a lieu de procéder à la substitution de motif demandée par le ministre de l'intérieur qui ne prive pas les requérants d'une garantie procédurale.
10. Toutefois, aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale (...). Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui ".
11. Mme F... et M. B... soutiennent avoir vécu ensemble en France entre 2013 et 2016, date à laquelle M. B... est reparti en Guinée s'occuper de la fille aînée de Mme F..., alors hospitalisée. Il ressort des pièces du dossier que les requérants ont eu un fils, G..., né en France le 23 octobre 2015, lequel avait été reconnu par les parents dès le 11 mai 2015 à la mairie de Créteil. Si l'acte de naissance de l'enfant mentionne des adresses différentes pour M. B... et Mme F..., la requérante précise toutefois que l'adresse indiquée correspond à son élection de domicile auprès de l'association Emmaüs et elle produit un courrier de la caisse primaire d'assurance maladie du Val d'Oise daté du 12 août 2016, adressé à M. B... chez Mme F... à Goussainville. En outre, les requérants ont produit un certificat médical établi par le centre hospitalier intercommunal de Créteil attestant de ce que Mme F... était suivie avec son conjoint, M. K... B..., depuis le 30 septembre 2014, par le centre d'assistance médicale à la procréation. Il ressort dès lors des pièces du dossier qu'à la date de la décision attaquée, les requérants avaient une relation de concubinage et sont parents d'un enfant né en France. Au surplus, en février 2019, Mme F... s'est rendue en Sierra Leone pour voir M. K... B.... Il ressort également des pièces du dossier que, suite à son voyage en Sierra Leone, Mme F... a donné naissance le 21 octobre 2019 à des jumeaux, pour lesquels M. B... a fait établir une attestation de reconnaissance de paternité en Guinée le 8 juillet 2020. Par suite, les requérants sont fondés à soutenir que le refus de visa opposé à M. B... porte une atteinte disproportionnée au droit au respect de leur vie privée et familiale, garanti par l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.
12. Il résulte de tout ce qui précède, sans qu'il soit besoin d'examiner la régularité du jugement attaqué et les autres moyens de la requête, que Mme F... et M. B... sont fondés à soutenir que c'est à tort que, par ce jugement, le tribunal administratif de Nantes a rejeté leur demande en tant qu'elle concerne M. B....
Sur les conclusions à fin d'injonction sous astreinte :
13. Le présent arrêt implique, eu égard aux motifs qui le fondent, qu'un visa de long séjour soit délivré M. K... B.... Il y a donc lieu d'enjoindre au ministre de l'intérieur de délivrer ce visa à l'intéressé dans un délai d'un mois à compter de la notification de l'arrêt. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, d'assortir cette injonction d'une astreinte.
Sur les frais liés au litige :
14. Mme F... a obtenu le bénéfice de l'aide juridictionnelle totale. Par suite, son avocat peut se prévaloir des dispositions des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'État le versement à Me I... de la somme de 1 200 euros dans les conditions fixées à l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 et à l'article 108 du décret du 19 décembre 1991.
D E C I D E :
Article 1er : Le jugement du 28 février 2019 du tribunal administratif de Nantes et la décision de la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France du 25 janvier 2018 sont annulés, en tant qu'ils concernent M. B....
Article 2 : Il est enjoint au ministre de l'intérieur de délivrer à M. K... B... un visa de long séjour, dans le délai d'un mois à compter de la notification du présent arrêt.
Article 3 : L'État versera à Me I... une somme de 1 200 euros dans les conditions fixées à l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 et à l'article 108 du décret du 19 décembre 1991.
Article 4 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.
Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à Mme H... F..., à M. K... B..., au ministre de l'intérieur et à Me I....
Délibéré après l'audience du 20 novembre 2020, à laquelle siégeaient :
- M. Célérier, président de chambre,
- Mme Buffet, président assesseur,
- Mme A..., premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 8 décembre 2020.
Le président de la formation de jugement,
T. CELERIER
Le greffier,
C. GOY
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 19NT03646