Procédure devant la cour :
Par une requête et un mémoire, enregistrés le 27 décembre 2017 et le 13 novembre 2018, M. et Mme C..., représentés par MeD..., demandent à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du 26 octobre 2017 ;
2°) d'annuler la décision du 19 février 2015 de la commission de recours contre les refus de visa d'entrée en France, ainsi que la décision consulaire du 4 novembre 2014 ;
3°) d'enjoindre au consul général de France à Tunis de délivrer un visa de long séjour à M. C...en qualité de conjoint de ressortissant français, sous astreinte de 150 euros par jour de retard à compter de la notification de l'arrêt à intervenir ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 2 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Ils soutiennent que :
- la décision de la commission de recours est insuffisamment motivée ;
- ni le consul de France ni la Commission des Recours n'apportent la preuve que les deux mariages de M. C...auraient été contractés dans un but étranger au mariage ;
- la communication d'un acte de naissance ne mentionnant pas la dissolution de son premier mariage ne démontre, ni une volonté de dissimulation, ni le caractère non sincère de son second mariage ;
- son second mariage est sincère ; la réalité et la sincérité de cette union sont établis par de nombreuses pièces, tout comme la réalité de leur vie maritale ; l'administration n'apporte pas la preuve du caractère frauduleux de cette union ;
- le refus de visa porte une atteinte disproportionnée à leur droit à fonder une famille, en méconnaissance de l'article 8 de la convention européenne des droits de l'homme.
Par un mémoire en défense, enregistré le 2 février 2018, le ministre de l'intérieur conclut au rejet de la requête.
Il soutient que :
- les conclusions de la requête dirigées contre la décision du Consul général de France à Tunis, sont irrecevables ;
- les moyens soulevés par M. et Mme C...ne sont pas fondés.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le code de justice administrative.
Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
A été entendu, au cours de l'audience publique, le rapport de M. Degommier.
Considérant ce qui suit :
1. M. et Mme C... relèvent appel du jugement du 26 octobre 2017 du tribunal administratif de Nantes qui a rejeté leur demande tendant à l'annulation de la décision du 19 février 2015 par laquelle la commission de recours contre les refus de visa d'entrée en France (CRRV) a refusé de délivrer un visa d'entrée et de long séjour en qualité de conjoint de ressortissant français à M.C..., ainsi que de la décision consulaire du 4 novembre 2014.
Sur les conclusions tendant à l'annulation de la décision du 4 novembre 2014 du consul général de France à Tunis :
2. Le tribunal administratif a rejeté comme irrecevables les conclusions de M. et Mme C...dirigées contre la décision consulaire, au motif que la décision de la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France du 19 février 2015 s'est substituée à celle de l'autorité consulaire du 4 novembre 2014. M. et Mme C...ne contestent pas en appel cette irrecevabilité. Il n'appartient pas au juge d'appel, devant lequel l'appelant ne conteste pas la fin de non-recevoir opposée à ses conclusions par le juge de premier ressort, de rechercher d'office si cette fin de non-recevoir a été soulevée à bon droit. M. et Mme C...ne sont, dès lors, pas fondés à demander l'annulation de la décision consulaire du 4 novembre 2014.
Sur les conclusions tendant à l'annulation de la décision de la commission de recours contre les refus de visa d'entrée en France :
3. Aux termes du quatrième alinéa de l'article L. 211-2-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : "Le visa de long séjour ne peut être refusé à un conjoint de Français qu'en cas de fraude, d'annulation du mariage ou de menace à l'ordre public. Le visa de long séjour est délivré de plein droit au conjoint de Français qui remplit les conditions prévues au présent article". Il appartient en principe aux autorités consulaires de délivrer au conjoint étranger d'un ressortissant français dont le mariage n'a pas été contesté par l'autorité judiciaire le visa nécessaire pour que les époux puissent mener une vie familiale normale. Pour y faire obstacle, il appartient à l'administration, si elle allègue une fraude, d'établir que le mariage a été entaché d'une telle fraude, de nature à justifier légalement le refus de visa. La seule circonstance que l'intention matrimoniale d'un seul des deux époux ne soit pas contestée ne fait pas obstacle à ce qu'une telle fraude soit établie.
4. La commission de recours contre les refus de visa d'entrée en France s'est fondée, pour refuser le visa de long séjour demandé par M.C..., sur l'absence de preuves du maintien d'échanges réguliers mutuels et constants de quelque nature que ce soit entre les époux, l'absence de projet concret de vie commune, le fait que Monsieur C...n'établit pas participer aux charges du mariage et a déjà fait l'objet d'une obligation de quitter le territoire en juillet 2011, ces éléments constituant selon la commission un faisceau d'indices attestant d'une absence de maintien des liens matrimoniaux et du caractère complaisant du mariage, contracté à des fins étrangères à l'institution matrimoniale, dans le seul but de faciliter l'établissement en France du demandeur. Il ressort toutefois des pièces du dossier, notamment des pièces produites par les requérants en première instance, que MmeB..., qui a rencontré M. C...au cours de l'été 2011 en Tunisie, s'est mariée avec l'intéressé le 7 février 2014 à Zarzis, mariage transcrit dans l'état civil français le 16 mars 2014, que Mme B...s'est rendue à de très nombreuses reprises en Tunisie depuis septembre 2011, pour rendre visite à son époux, qui occupe un emploi salarié en Tunisie, que M. et Mme C...entretiennent de manière régulière des relations téléphoniques ainsi que des communications électroniques. Le ministre de l'intérieur a convenu en défense, devant les premiers juges, que les requérants ont justifié de rencontres et de communications fréquentes, et a demandé de substituer au motif initial de la décision contestée, les motifs tirés du défaut de sincérité de M. C...et de la production par ce dernier d'un acte de naissance frauduleux aux autorités consulaires françaises.
5. Pour établir l'absence de sincérité de M.C..., le ministre a fait également valoir que M. C... avait précédemment épousé en janvier 2010, une autre ressortissante française, qu'il avait ensuite adopté un comportement violent à son égard immédiatement après la célébration de son mariage, ce qui a conduit à leur séparation et qu'il a rencontré son épouse actuelle dans les mêmes conditions en Tunisie. Le ministre a en outre relevé que M. C...a produit aux autorités consulaires un extrait de naissance ne comportant pas la mention de son précédent mariage en 2010, alors qu'il a communiqué devant le juge des référés du Tribunal un extrait de naissance comportant cette mention pour établir qu'il n'était pas bigame. En outre, l'intéressé a fait l'objet d'une obligation de quitter le territoire français en juillet 2011. Toutefois, ces seules circonstances, alors que les époux C...ont apporté des éléments concrets et concordants établissant la réalité de leur vie commune depuis leur rencontre, puis leur mariage en 2014, ne suffisent pas à établir, pour regrettables qu'elles soient, que le mariage des intéressés aurait été conclu à des fins étrangères à l'institution matrimoniale et dans le seul but de faciliter l'établissement en France de M.C.... Par suite, la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a entaché sa décision d'une erreur d'appréciation en estimant que le mariage des intéressés poursuivait un but étranger à l'union matrimoniale.
6. Il résulte de ce qui précède, et sans qu'il soit besoin de statuer sur les autres moyens de la requête, que M. et Mme C... sont fondés à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Nantes a rejeté leur demande.
Sur les conclusions à fin d'injonction sous astreinte :
7. L'exécution du présent arrêt implique nécessairement la délivrance d'un visa de long séjour en qualité de conjoint de ressortissant français au profit de M.C.... Il y a lieu d'enjoindre au ministre de l'intérieur de délivrer un tel visa à M.C..., dans un délai de deux mois à compter de la notification du présent arrêt. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, d'assortir cette injonction d'une astreinte.
Sur les frais liés au litige :
8. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, de mettre à la charge de l'Etat le versement à M. et MmeC... de la somme de 1 200 euros.
D E C I D E :
Article 1er : Le jugement du 26 octobre 2017 du tribunal administratif de Nantes et la décision du 19 février 2015 de la commission de recours contre les refus de visa d'entrée en France sont annulés.
Article 2 : Il est enjoint au ministre de l'intérieur de délivrer un visa de long séjour en qualité de conjoint de ressortissant français à M.C..., dans un délai de deux mois à compter de la notification du présent arrêt.
Article 3 : L'Etat versera à M. et Mme C...une somme de 1 200 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.
Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à Mme E... B...épouseC..., à M. A... C...et au ministre de l'intérieur.
Délibéré après l'audience du 23 novembre 2018, à laquelle siégeaient :
- M. Dussuet, président de chambre,
- M. Degommier, président assesseur,
- M. Mony, premier conseiller.
Lu en audience publique le 10 décembre 2018.
Le rapporteur,
S. DEGOMMIER
Le président,
J-P. DUSSUET Le greffier,
C. POPSE
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur, en ce qui le concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 17NT03962