Par une requête, enregistrée le 16 mars 2018, la société d'exploitation du parc éolien de Dampierre Prudemanche, représenté par le Cabinet Fidal, demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du 16 janvier 2018 ;
2°) d'annuler l'arrêté du 19 janvier 2016 du préfet de région Centre-Val de Loire portant refus d'autorisation d'exploiter ;
3°) de lui délivrer l'autorisation d'exploiter sollicitée, en l'accompagnant, le cas échéant, des prescriptions nécessaires au respect des intérêts visés à l'article L. 511-1 du code de l'environnement, subsidiairement d'enjoindre au préfet de procéder à ces mesures ;
4°) d'ordonner que cette décision fasse l'objet des mesures de publicité prévues à l'article R. 181-50 du code de l'environnement ;
5°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 3 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
La société soutient que :
- le préfet ne pouvait pas motiver valablement son refus en invoquant le caractère insuffisant ou incomplet du dossier de demande d'autorisation, ce que le tribunal administratif a admis à tort ;
- l'étude d'impact produite n'était pas insuffisante et cette supposée insuffisance ne saurait constituer un motif de fond de nature à justifier un refus ;
- l'office du juge de plein contentieux lui impose de statuer en prenant en compte les intérêts visés à l'article L. 511-1 du code de l'environnement, au besoin par le biais de prescriptions ;
- le préfet n'a pas pu exercer pleinement sa compétence dès lors qu'aucune demande de régularisation du dossier n'a été formulée ;
- il n'appartenait pas au tribunal d'examiner le caractère ou non suffisant de l'étude d'impact ;
- le tribunal administratif s'est mépris en jugeant que le caractère insuffisant constituait un motif de fond justifiant une décision de refus ;
- le projet litigieux n'emporte pas d'atteinte excessive aux monuments et sites mentionnés par le préfet pour justifier son refus ;
- l'absence de mesures compensatoires des impacts nés des situations de co-visibilité ne peut pas constituer un motif de refus valable ;
- des mesures de protection de l'avifaune et des chauve-souris ont été prévues ;
- aucun impact excessif n'est porté au site de Dampierre et à son église ;
- il en va de même s'agissant du hameau de la Loge.
Par un mémoire en défense, enregistré le 2 novembre 2018, le ministre d'Etat, ministre de la transition écologique et solidaire conclut au rejet de la requête.
Le ministre fait valoir qu'aucun des moyens d'annulation soulevés par la requérante n'est fondé.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code de l'environnement ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Mony,
- les conclusions de M. Sacher, rapporteur public.
Considérant ce qui suit :
1. La société d'exploitation du parc éolien de Dampierre-Prudemanche (SEPEDP) a obtenu le 26 avril 2007 trois autorisations de construire l'autorisant à implanter trois bouquets d'éoliennes représentant un total de 14 machines d'une hauteur de 123 mètres, situés sur le territoire des communes de Dampierre et Prudemanche (28), ces permis étant finalement frappés de caducité. La SEPEDP a alors déposé le 14 décembre 2012 deux nouvelles demandes d'autorisation de construire, pour un projet désormais réduit à cinq aérogénérateurs d'une hauteur de 177 mètres, qui a fait l'objet d'un double refus par le préfet du Centre-Val de Loire le 13 décembre 2013, le préfet refusant de délivrer l'autorisation d'exploiter également déposée par le pétitionnaire Le tribunal administratif d'Orléans a rejeté le 17 mars 2015, par un jugement devenu définitif, le recours formé contre ces décisions. La SEPEDP a de nouveau déposé le 16 octobre 2014 une nouvelle demande d'autorisation d'exploiter au titre des installations classées pour la protection de l'environnement, portant cette fois sur un parc éolien composé de quatre aérogénérateurs d'une hauteur de 137 mètres et d'un aérogénérateur de 126,5 mètres. Le préfet du Centre-Val de Loire a rejeté cette demande le 19 janvier 2016. La SEPEDP relève appel du jugement en date du 16 janvier 2018 par lequel le tribunal administratif a rejeté sa demande d'annulation des cette décision.
Sur les conclusions en annulation :
2. Aux termes de l'article L. 511-1 du code de l'environnement : " Sont soumis aux dispositions du présent titre les usines, ateliers, dépôts, chantiers et, d'une manière générale, les installations exploitées ou détenues par toute personne physique ou morale, publiques ou privées, qui peuvent présenter des dangers ou des inconvénients soit pour la commodité du voisinage, soit pour la santé, la sécurité, la salubrité publiques, soit pour l'agriculture, soit pour la protection de la nature, de l'environnement et des paysages, soit pour l'utilisation rationnelle de l'énergie, soit pour la conservation des sites et des monuments ainsi que des éléments du patrimoine archéologique (...) ". Aux termes de l'article L. 512-1 du code de l'environnement : Sont soumises à autorisation préfectorale les installations qui présentent de graves dangers ou inconvénients pour les intérêts visés à l'article L. 511-1. L'autorisation ne peut être accordée que si ces dangers ou inconvénients peuvent être prévenus par des mesures que spécifie l'arrêté préfectoral (...) La délivrance de l'autorisation, pour ces installations, peut être subordonnée notamment à leur éloignement des habitations, immeubles habituellement occupés par des tiers, établissements recevant du public, cours d'eau, voies de communication, captages d'eau, zones fréquentées par le public, zones de loisir, zones présentant un intérêt naturel particulier ou ayant un caractère particulièrement sensible ou des zones destinées à l'habitation par des documents d'urbanisme opposables aux tiers (...) "
3. En premier lieu, les obligations relatives à la composition du dossier de demande d'autorisation d'une installation classée relèvent des règles de procédure. Le fait pour l'administration, saisie d'une demande d'autorisation d'exploiter une telle installation, de se prononcer au vu d'un dossier contenant toutes les pièces requises par la législation relative aux ICPE constitue, parallèlement, une condition de la légalité interne de la décision administrative statuant sur cette demande.
4. Le pétitionnaire soutient que c'est à tort que le tribunal administratif a écarté le moyen tiré de l'erreur de droit tenant à la méconnaissance des dispositions des articles R. 512-7 et R. 512-11 du code de l'environnement commise par le préfet du Centre-Val de Loire en faisant de l'insuffisance du dossier de demande d'autorisation d'exploiter qu'il avait déposé un motif de sa décision de refus d'autorisation.
5. Il résulte toutefois de l'instruction que les éléments du dossier constitué par le pétitionnaire ne permettaient ni d'appréhender correctement l'impact du projet sur certains sites et monuments protégés ni le caractère suffisant des mesures de protection de l'avifaune et des chiroptères envisagées. La circonstance que le dossier de demande déposé par le pétitionnaire ait été déclaré complet ne permettait par ailleurs d'en inférer ni la totale exactitude ni le caractère exhaustif ou suffisamment précis des éléments qu'il comportait et était ainsi uniquement de nature à permettre au service d'instructeur d'entamer l'étude de la demande. De même, s'il était effectivement loisible au préfet d'attirer l'attention du pétitionnaire sur des points de fragilité de son dossier, ce dernier disposait lui-même de la possibilité de demander à l'administration de lui indiquer le degré de précision des informations à fournir dans le cadre de l'étude d'impact, en vertu des dispositions de l'article L. 122-1-2 du code de l'environnement. Il ressort également des pièces du dossier que l'administration a, lors de l'instruction de la demande déposée par le pétitionnaire au sujet de son projet précédent, portant sur l'implantation aux mêmes endroits de deux bouquets d'éoliennes constituant un parc de cinq machines d'une hauteur alors supérieure, informé le pétitionnaire de la qualité insuffisante de son dossier de demande, en particulier en ce qui concerne l'appréciation des impacts paysagers du projet, l'avis défavorable du service territorial de l'architecture et du patrimoine d'Eure-et-Loir du 22 janvier 2013 lui étant en particulier communiqué. Plusieurs contradictions émaillent également les conclusions des études successivement réalisées par des cabinets spécialisés en ce qui concerne l'analyse des impacts paysagers du projet vis-à-vis de certains monuments historiques ou sites, le pétitionnaire n'ayant pas jugé nécessaire, à l'occasion de la révision de son projet se traduisant par un abaissement de la hauteur des éoliennes, de produire un dossier entièrement repris mais se contentant de produire successivement plusieurs documents dont l'appréciation d'ensemble s'avère ainsi délicate. C'est par suite à bon droit que le tribunal a écarté le moyen tiré de ce que le préfet aurait méconnu les dispositions des articles L. 511-1, R. 122-1 et R. 122-5 du code de l'environnement en refusant de faire droit à la demande d'autorisation d'exploiter dont il était saisi en raison des insuffisances de fond de ce dossier.
6. Enfin, le tribunal administratif n'a pas, comme l'indique à tort le pétitionnaire, jugé que le préfet du Centre -Val de Loire était en droit de lui refuser de délivrer l'autorisation sollicitée au motif de l'insuffisance de son dossier mais a d'abord, au point 6 de son jugement, écarté le moyen d'annulation tiré de l'erreur de droit soulevé par le pétitionnaire, avant de juger au fond, au travers des points 8 et 9 de sa décision, que les éléments figurant au dossier, et en particulier les photomontages devant permettre d'apprécier d'éventuelles situations de co-visibilité avec des sites et monuments protégés et l'impact qui leur serait ainsi éventuellement porté étaient effectivement insuffisants, en raison de leur mauvaise qualité technique, et ne permettaient pas d'appréhender correctement les inconvénients du projet vis-à-vis de la nécessaire protection des paysages et du patrimoine bâti.
7. La circonstance que la procédure relative à l'instruction des demandes d'autorisation environnementale issue du décret du 2 mai 2014 soit désormais plus précise sur les modalités d'instruction de ce type de dossier est, en deuxième lieu, sans incidence sur la légalité du refus opposé à la demande du pétitionnaire dans la présente instance, laquelle a été instruite selon les règles de procédure en vigueur au moment du dépôt de cette demande.
8. En troisième lieu, il appartenait nécessairement au tribunal administratif, eu égard à l'argumentation contentieuse développée par la requérante, de se prononcer sur le caractère suffisant ou non du dossier de demande d'autorisation d'exploiter constitué par le pétitionnaire, en particulier l'étude d'impact du projet, pour pouvoir répondre au moyen soulevé par celle-ci tiré de l'erreur de droit entachant la décision de refus du préfet, motivée en raison du caractère insuffisamment précis de son dossier de demande. La réponse à apporter à ce moyen conditionnait également l'utilisation de la possibilité pour le juge du plein contentieux de censurer le refus du préfet et d'accorder lui-même l'autorisation sollicitée, ce qu'il n'aurait valablement pu faire que si l'autorisation sollicitée, éventuellement assortie de prescriptions, permettait la préservation des différents intérêts mentionnés à l'article L. 511-1 précité du code de l'environnement. Il ne résulte pas de l'instruction que tel ait pu être le cas.
9. Il résulte de l'instruction, en quatrième lieu, que le parc éolien litigieux présente plusieurs situations de co-visibilité avec plusieurs monuments historiques protégés, comme le château d'Escorpain et l'église de Brezolles, dont les photomontages figurant au dossier, quoi que de qualité très médiocre, permettent d'établir l'existence, du fait d'une perception simultanée de certains éléments caractéristiques de ces bâtiments, tels que les tourelles du château et le clocher de l'église et d'une partie importante des éoliennes, une atteinte franche à ces éléments du patrimoine. Il en va de même, dans une moindre mesure, du site inscrit de Dampierre sur Avre, au moins pour la partie du village regroupée autour de son église inscrite. L'église de Brézolles, quoi que non visée par l'arrêté préfectoral en litige, est mentionnée dans plusieurs documents figurant au dossier de demande et pouvait ainsi être prise en compte par les premiers juges pour apprécier le bien fondé du motif des décisions attaquées tiré de l'atteinte portée à la conservation des sites et des monuments, laquelle est constitutive d'une méconnaissance des dispositions précitées des articles L. 511-1 et L. 512-1 du code de l'environnement. Contrairement à ce que soutient le pétitionnaire, il ne résulte pas de l'instruction que le préfet, compte tenu de la localisation du projet, qui est demeurée inchangée, et des caractéristiques particulières des aéro-générateurs désormais prévus, dont le pétitionnaire avait pourtant réduit la hauteur, aurait pu, au moyen de prescriptions spéciales, remédier aux atteintes ainsi portées par le projet aux monuments indiqués.
10. Il ressort des termes mêmes du jugement attaqué, en cinquième lieu, que le tribunal administratif, au point 7 de son jugement, a expressément neutralisé le motif de refus retenu par le préfet portant sur l'absence de mesures compensatoires de nature à réduire l'impact visuel du projet sur les monuments et sites patrimoniaux concernés, et il résulte de l'instruction que le préfet aurait pris la même décision de refus d'autorisation s'il ne s'était fondé que sur les autres motifs de son refus. Il en va de même s'agissant du motif du caractère non " formellement affirmé " des engagements du pétitionnaire sur les mesures de protection sur le milieu naturel, notamment vis-à-vis de l'avifaune et des chiroptères.
11. En dernier lieu, il résulte de l'instruction que si le dossier de demande d'autorisation d'exploiter déposé par le pétitionnaire comportait effectivement de nombreux documents de qualité médiocre, en particulier les photomontages destinés à apprécier l'impact du projet sur plusieurs sites sensibles et monuments protégés, alors même que le secteur géographique concerné se caractérise par une forte sensibilité patrimoniale, il ne faisait toutefois pas obstacle, comme indiqué au point 8, à ce que cet impact puisse faire l'objet d'une correcte appréciation de l'intérêt de ces sites et monuments et de l'importance de l'impact visuel provoqué par le projet litigieux. L'appréciation erronée du tribunal sur ce point est toutefois sans incidence dès lors que le tribunal a lui-même admis, aux points 10 et 11 de son jugement, l'existence d'une telle atteinte aux intérêts protégés par l'article L. 511-1 du code de l'environnement.
12. Il résulte de tout ce qui précède que la société d'exploitation du parc éolien de Dampierre Prudemanche n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif d'Orléans a rejeté sa demande d'annulation.
Sur les conclusions en injonction :
13. Le présent arrêt, qui rejette les conclusions en annulation déposées par la société d'exploitation du parc éolien de Dampierre Prudemanche n'appelle aucune mesure particulière en vue de son exécution. Les conclusions en injonction déposées par la requérante ne peuvent, dès lors, qu'être rejetées.
Sur les frais liés au litige :
14. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que l'Etat, qui n'est pas la partie perdante dans la présente affaire, verse à la société d'exploitation du parc éolien de Dampierre Prudemanche la somme que celle-ci réclame au tire des frais exposés par elle et non compris dans les dépens.
D E C I D E :
Article 1er : La requête de la société d'exploitation du parc éolien de Dampierre-Prudemanche est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à la société d'exploitation du parc éolien de Dampierre Prudemanche et au ministre d'Etat, ministre de la transition écologique et solidaire.
Copie en sera adressée, pour information, au préfet de la région Centre-Val de Loire.
Délibéré après l'audience du 15 février 2019, à laquelle siégeaient :
- M. Dussuet, président,
- M. Degommier, président assesseur,
- M. Mony, premier conseiller,
Lu en audience publique le 14 juin 2019.
Le rapporteur,
A. MONY
Le président,
J-P. DUSSUET
Le greffier,
C. GOY
La République mande et ordonne au ministre d'Etat, ministre de la transition écologique et solidaire en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées,
de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 18NT01181