Procédure devant la cour :
Par une requête et un mémoire, enregistrés les 29 juillet 2019 et 12 mars 2020, Mme A... C..., représentée par Me D..., demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Nantes ;
2°) d'annuler la décision implicite par laquelle la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a rejeté son recours formé contre la décision du 24 juillet 2018 par laquelle l'autorité consulaire française à Conakry (Guinée) a refusé de délivrer à son époux, M. E... I... F... et sa fille mineure, G... K... C..., des visas de long séjour demandés en qualité de membres de famille de réfugié ;
3°) d'enjoindre au ministre de l'intérieur de délivrer les visas demandés ou de réexaminer les demandes, dans un délai d'un mois à compter du prononcé de l'arrêt à intervenir, sous astreinte de 100 euros par jour de retard ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat le versement à Me D..., son avocate, de la somme de 1 800 euros au titre des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991 et moyennant sa renonciation et celle de son avocate à percevoir la contribution versée par l'Etat au titre de l'aide juridictionnelle.
Elle soutient que :
- la décision de la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France attaquée est insuffisamment motivée ;
- elle a été prise en méconnaissance des articles L. 752-1 et L. 721-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, dès lors que le mariage est établi par un certificat de l'office français de protection des réfugiés et des apatrides (OFPRA) qui fait foi tant que n'a pas été mise en oeuvre par l'administration la procédure d'inscription de faux prévue par les articles 303 à 316 du code de procédure civile ;
- elle est entachée d'erreur dans l'appréciation du caractère probant des actes civils produits pour M. F... et l'enfant ;
- elle porte une atteinte disproportionnée au droit au respect de sa vie privée et familiale garanti par l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- elle est contraire à l'intérêt supérieur de l'enfant protégé par le paragraphe 1 de l'article 3 de la convention internationale des droits de l'enfant.
Par un mémoire en défense, enregistré le 11 mars 2020, le ministre de l'intérieur conclut au rejet de la requête.
Il fait valoir que les moyens soulevés par Mme C... ne sont pas fondés.
Mme C... a été admise au bénéficie de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 29 juillet 2019 du bureau d'aide juridictionnelle du tribunal de grande instance de Nantes (section administrative).
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention internationale des droits de l'enfant ;
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le code civil ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le code de justice administrative.
Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme B...,
- et les observations de Mme C..., représentée par Me D....
Considérant ce qui suit :
1. Mme C..., ressortissante guinéenne, est entrée en France le 23 décembre 2013 et a obtenu le statut de réfugié par une décision de l'Office français de protection des réfugiés et des apatrides (OFPRA) du 26 novembre 2014. Le 1er décembre 2015, son époux, M. E... F..., et ses deux enfants mineurs, J... F..., né le 27 avril 2012, et Fatoumata C..., née le 12 février 2004 d'une précédente union, ont demandé des visas en qualité de membres de famille de réfugié. Par une décision du 29 septembre 2016, l'autorité consulaire française à Conakry (Guinée) a refusé de délivrer les visas demandés. Le 21 juin 2018,
M. E... F... et l'enfant G... C... ont demandé à nouveau des visas de long séjour en qualité de membres de famille de réfugié, le plus jeune enfant étant arrivé en France en janvier 2018. Par une décision du 24 juillet 2018, l'autorité consulaire française en Guinée et Sierra Leone a refusé de délivrer les visas demandés. Saisie d'un recours formé contre cette décision consulaire, enregistré le 2 août 2018, la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France l'a implicitement rejeté. Par un jugement du 20 mars 2019, le tribunal administratif de Nantes a rejeté la demande de Mme C... tendant à l'annulation de la décision implicite par laquelle la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a rejeté son recours formé contre la décision du 24 juillet 2018 par laquelle l'autorité consulaire française à Conakry (Guinée) a refusé de délivrer à son époux, M. E... I... F... et sa fille mineure, G... K... C..., des visas de long séjour demandés en qualité de membres de famille de réfugié. Mme C... relève appel de ce jugement.
Sur les conclusions à fin d'annulation :
2. Par un courrier du 12 décembre 2018, en réponse à une demande de communication des motifs de sa décision implicite, la commission de recours indique avoir fondé sa décision sur le motif tiré de ce que lors d'une précédente demande déposée le 1er décembre 2015, M. E... I... F... et l'enfant G... K... C... ont produit des actes de naissance et un acte de mariage avec Mme A... H... C... différents de ceux produits à l'occasion de cette nouvelle demande de visas, de sorte que l'identité et, partant, le lien familial allégué des demandeurs avec Mme C... ne sont pas établis. La commission de recours ajoute que la production de tels documents relève d'une intention frauduleuse.
3. D'une part, le I de l'article L. 752-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile dispose que " I - Sauf si sa présence constitue une menace pour l'ordre public, le ressortissant étranger qui s'est vu reconnaître la qualité de réfugié ou qui a obtenu le bénéfice de la protection subsidiaire peut demander à bénéficier de son droit à être rejoint, au titre de la réunification familiale : / 1° Par son conjoint ou le partenaire avec lequel il est lié par une union civile, âgé d'au moins dix-huit ans, si le mariage ou l'union civile est antérieur à la date d'introduction de sa demande d'asile ; /(...) / 3° Par les enfants non mariés du couple, âgés au plus de dix-neuf ans (...) ". Le II du même article dispose que " (...) Les membres de la famille d'un réfugié ou d'un bénéficiaire de la protection subsidiaire sollicitent, pour entrer en France, un visa d'entrée pour un séjour d'une durée supérieure à trois mois auprès des autorités diplomatiques et consulaires, qui statuent sur cette demande dans les meilleurs délais. Pour l'application du troisième alinéa du présent II, ils produisent les actes de l'état civil justifiant de leur identité et des liens familiaux avec le réfugié ou le bénéficiaire de la protection subsidiaire. En l'absence d'acte de l'état civil ou en cas de doute sur leur authenticité, les éléments de possession d'état définis à l'article 311-1 du code civil et les documents établis ou authentifiés par l'Office français de protection des réfugiés et apatrides, sur le fondement de l'article L. 7213 du présent code, peuvent permettre de justifier de la situation de famille et de l'identité des demandeurs. Les éléments de possession d'état font foi jusqu'à preuve du contraire. Les documents établis par l'office font foi jusqu'à inscription de faux ".
4. D'autre part, l'article L. 721-3 du même code dispose que " L'office est habilité à délivrer, après enquête s'il y a lieu, aux réfugiés et bénéficiaires de la protection subsidiaire les pièces nécessaires pour leur permettre soit d'exécuter les divers actes de la vie civile, soit de faire appliquer les dispositions de la législation interne ou des accords internationaux qui intéressent leur protection, notamment les pièces tenant lieu d'actes d'état civil. Le directeur général de l'office authentifie les actes et documents qui lui sont soumis. Les actes et documents qu'il établit ont la valeur d'actes authentiques. Ces diverses pièces suppléent à l'absence d'actes et de documents délivrés dans le pays d'origine. Les pièces délivrées par l'office ne sont pas soumises à l'enregistrement ni au droit de timbre ".
5. Enfin, aux termes de l'article L. 111-6 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " (...) La vérification de tout acte d'état civil étranger est effectuée dans les conditions définies par l'article 47 du code civil " et aux termes de l'article 47 du code civil : " Tout acte de l'état civil des Français et des étrangers fait en pays étranger et rédigé dans les formes usitées dans ce pays fait foi, sauf si d'autres actes ou pièces détenus, des données extérieures ou des éléments tirés de l'acte lui-même établissent, le cas échéant après toutes vérifications utiles, que cet acte est irrégulier, falsifié ou que les faits qui y sont déclarés ne correspondent pas à la réalité ".
6. Il résulte de ces dispositions que la force probante d'un acte d'état civil établi à l'étranger peut être combattue par tout moyen susceptible d'établir que l'acte en cause est irrégulier, falsifié ou inexact. En cas de contestation par l'administration de la valeur probante d'un acte d'état civil établi à l'étranger, il appartient au juge administratif de former sa conviction au vu de l'ensemble des éléments produits par les parties. Pour juger qu'un acte d'état civil produit devant lui est dépourvu de force probante, qu'il soit irrégulier, falsifié ou inexact, le juge doit en conséquence se fonder sur tous les éléments versés au dossier dans le cadre de l'instruction du litige qui lui est soumis.
7. En premier lieu, s'agissant de M. F..., il ressort des pièces du dossier qu'à l'occasion de sa première demande de visa, il a produit une copie de son acte de naissance n° 212 dressé le 30 novembre 1979 par le centre d'état civil de Boké. L'administration française ayant mis en doute l'authenticité de l'acte en ce qu'il comporterait un cachet non conforme,
M. F... a demandé l'annulation de cet acte de naissance. Par un jugement du 12 octobre 2016, le tribunal de première instance de Boké a ainsi annulé cet acte de naissance. Le tribunal de première instance de Boké a rendu un jugement supplétif de naissance le 6 avril 2018, sur la base duquel un second acte de naissance a été établi, lequel a été produit à l'appui de la seconde demande de visa. Il ressort du rapprochement de ces actes qu'ils comportent des mentions strictement identiques s'agissant de l'identité des deux parents de M. F... et de la date et du lieu de naissance de ce dernier. En outre, ces indications correspondent aux déclarations de Mme C... devant l'OFPRA lors du dépôt de sa demande de protection internationale.
8. En deuxième lieu, s'agissant de l'enfant mineur G... K... C..., il ressort des pièces du dossier qu'à l'occasion de la première demande de visa, a été produit un acte de naissance n° 133 dressé le 21 février 2004. L'administration française ayant mis en cause l'authenticité de l'acte, le père de l'enfant a obtenu l'annulation de cet acte par jugement du 10 octobre 2016. Un nouvel acte de naissance a été établi sur la base d'un jugement supplétif d'acte de naissance du 26 mars 2018, lequel a été produit lors de la seconde demande de visa. De même que pour M. F..., il ressort du rapprochement de ces actes qu'ils comportent des mentions strictement identiques s'agissant de l'identité des deux parents de l'enfant et de ses date et lieu de naissance. En outre, ces indications correspondent aux déclarations de Mme C... devant l'OFPRA lors du dépôt de sa demande de protection internationale.
9. Si le ministre oppose, dans ses écritures en défense, la méconnaissance de l'article 196 du code civil guinéen par les jugements supplétifs précités, un tel motif, qui n'est pas au nombre de ceux qui fondent la décision de la commission de recours, n'est, en tout état de cause, pas utilement invoqué, en l'absence d'une demande de substitution de motifs.
10. En troisième lieu, il ressort des pièces du dossier que Mme C..., bénéficiaire du statut de réfugié, a produit un certificat de mariage tenant lieu d'acte d'état-civil, établi par l'OFPRA le 16 septembre 2015, selon lequel M. F..., né le 23 novembre 1979 à Boké (Guinée) est son époux. Ce document a, en vertu des dispositions de l'article L. 721-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, valeur d'acte authentique qui fait obstacle à ce que les autorités consulaires en contestent les mentions, sauf en cas de fraude à laquelle il appartient à l'autorité administrative de faire échec. Il fait ainsi foi en ce qui concerne le lien matrimonial invoqué entre Mme C... et M. F..., l'administration n'établissant pas l'existence d'une fraude en se bornant à opposer la circonstance que les intéressés auraient produit un acte de mariage guinéen différent de celui qui avait été produit lors d'une précédente demande de visa, ces différences rédactionnelles ne portant pas sur l'identité des deux époux. D'ailleurs en appel le ministre ne conteste plus le caractère authentique de cet acte de mariage.
11. Dans ces conditions, la requérante est fondée à soutenir que la commission de recours contre les refus de visa d'entrée en France a fait une inexacte application des dispositions mentionnées ci-dessus en estimant que l'identité et les liens familiaux entre Mme C...,
M. F... et l'enfant G... K... C... n'étaient pas établis. La décision implicite de la commission de recours doit dès lors être annulée.
12. Il résulte de tout ce qui précède, sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens de la requête, que Mme C... est fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Nantes a rejeté sa requête.
Sur les conclusions à fin d'injonction :
13. Eu égard au motif d'annulation retenu, l'exécution du présent arrêt implique nécessairement que les visas de long séjour demandés soient délivrés à M. F... et l'enfant G... K... C.... Il y a lieu par suite d'enjoindre au ministre de l'intérieur d'y procéder, dans un délai d'un mois à compter de la notification de la présente décision. Dans les circonstances de l'espèce, il n'y a pas lieu d'assortir cette injonction d'une astreinte.
Sur les frais liés au litige :
14. Mme C... a obtenu le bénéfice de l'aide juridictionnelle totale. Par suite,
Me D..., son avocate, peut se prévaloir des dispositions combinées des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat le versement à cette dernière d'une somme de 1 200 euros dans les conditions fixées à l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 et à l'article 108 du décret du 19 décembre 1991.
D E C I D E :
Article 1er : Le jugement du tribunal administratif de Nantes du 20 mars 2019 est annulé.
Article 2 : La décision implicite de la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France concernant M. F... et l'enfant G... K... C... est annulée.
Article 3 : Il est enjoint au ministre de l'intérieur de délivrer à M. F... et à Mme G... K... C... les visas d'entrée et de long séjour demandés dans le délai d'un mois suivant la notification du présent arrêt.
Article 4 : L'Etat versera à Me D... une somme de 1 200 euros dans les conditions fixées à l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 et à l'article 108 du décret du 19 décembre 1991.
Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à Mme A... C... et au ministre de l'intérieur.
Délibéré après l'audience du 2 octobre 2020, à laquelle siégeaient :
- M. Célérier, président de chambre,
- Mme Buffet, président assesseur,
- Mme B..., premier conseiller.
Lu en audience publique le 20 octobre 2020.
Le rapporteur,
C. B...
Le président,
T. CELERIER
Le greffier,
C. POPSE
La République mande et ordonne au
ministre de l'intérieur
en ce qui le concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis
en ce qui concerne les voies de droit commun
contre les parties privées, de pourvoir
à l'exécution de la présente décision.
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N° 19NT03072